Ecriture-Lecture




DISSIMULATION POSITIVE


DISSIMULATION POSITIVE
PERSONNAGES
Luc 18 ans
Jean 21 ans, son frère
Caroline 44 ans la mère de Luc et Jean
Paul mari de Caroline
Marie Carlier
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Une salle de séjour assez banale
Canapé, trois fauteuils, une télévision
grand écran, un piano droit avec son
tabouret, 4 poufs en cuir.
Luc et Jean sont en scène, assis de
travers sur des fauteuils, les jambes
passées au dessus des accoudoirs, ils se
trouvent face à face.
LUC
Pour moi, c?est décidé. Il n?est pas
question que je fasse médecine. Papa
dira ce qu?il voudra, je ne veux pas
passer toute ma vie au milieu de gens
malades.
JEAN
3
Pourtant, il aimerait bien que tu
reprennes son cabinet !
LUC
Tu es marrant, toi !! Après tout, c?est toi
l?aîné, pourquoi ne fais-tu pas
médecine ?
JEAN
Ne dis pas de bêtises !! Tu sais que pour
moi, la route est toute tracée depuis
longtemps. Depuis l?âge de 6 ans, je sais
que je veux être professeur d?histoire, et
je termine ma licence cette année.
LUC
Tu vas de trimballer toute ta vie des
morveux qui vont te chahuter. Tu le sais
bien que tu seras chahuté, tu es trop
faible.
JEAN
Je ne suis pas faible. Je suis juste et bon.
LUC
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Tu ne vas pas t?y mettre toi aussi !!! Ca
suffit de maman qui ne manque pas une
occasion de clamer, que tu es un saint, et
moi un démon.
Luc se lève, lève les bras et s?étire
longuement en beuglant un cri
inarticulé..
LUC
En tous cas, le démon refuse d?être
médecin.
(Il regarde sa montre)
Merde !!! 4 heures déjà ! Je vais être à la
bourre !
JEAN
Tu as un rancard ?
LUC
Oui?.Enfin si je n?y vais pas, ce ne sera
pas dramatique. C?est la petite rousse de
seconde, tu sais ?
JEAN
5
Oui. Elle me parait très gentille. Tu ne
devrais pas jouer avec elle.
LUC
Oh, dis donc, le saint, lâche moi la
grappe !! Je ne joue pas avec elle. C?est
elle qui me relance sans arrêt. Alors, par
pitié, je lui ai donné rendez vous. Tiens ?
Il me vient une idée : Si tu y allais à ma
place ?
JEAN
Tu es fou ? On ne joue pas avec les
sentiments. C?est toi qu?elle veut voir,
c?est toi qui dois y aller.
LUC (réfléchit un moment)
Attends ; attends ! Je pense à une chose.
Je vais lui demander de venir ici, et je
vais te la présenter. Je suis certain que tu
vas la trouver sympa. Vous avez
beaucoup de points communs. Beaucoup
plus qu?elle et moi. Je lui passe un coup
de fil.
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JEAN
Décidément, c?est certain, tu es fou ! Tu
veux jouer à l?entremetteur, seulement
moi, je ne suis pas demandeur, alors fous
moi la paix?.et à elle aussi par la même
occasion
Luc forme un numéro.
LUC
Allo ! Marie ? Figure toi qu?il m?arrive un
truc idiot, je viens de me tordre la cheville.
Je ne peux pas aller au Richelieu comme
prévu, mais j?aimerais bien te voir quand
même, peux tu venir chez moi ?
Luc écoute la réponse
LUC
Non. Mes parents ne sont pas là. Je suis
seul avec mon frère. Je te le présenterai si tu
veux. Tu verras, il est très sympa.
Luc écoute la réponse.
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LUC
D?accord, nous t?attendons.
Il ferme son portable
JEAN
Mais enfin, je te l?ai dit : Je ne suis pas
d?accord. Tu as une façon de disposer des
gens. Et tu mens comme tu respires. Cela
peut te permettre de t?amuser, mais tu ne
feras jamais rien de sérieux avec cette
méthode. Tu as trouvé le moyen de dire
deux mensonges en une minute. Tu as dis
que tu t?étais tordu la cheville, et tu as dis
que tu me trouvais sympa. Le deuxième
mensonge est encore plus gros que le
premier.
LUC
C?est faux. Nous sommes très différents,
mais dans ton genre, je te trouve sympa.
Bon. Ce n?est pas tout, mais après avoir fait
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une petite entorse à la vérité, il va falloir lui
donner un aspect de ??.vérité.
JEAN
Ca veut dire quoi ?
LUC
Ca veut dire qu?en faisant une entorse à la
vérité, je dois donner l?impression d?en
avoir une?.d?entorse. Attends-moi, je vais
chercher une bande Velpeau et tu m?aideras
à la poser !!
Luc sort, Jean resté seul s?adresse au
public
JEAN
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais,
moi, je trouve ça dégueulasse ! Pourquoi
avoir inventé cette entorse ? C?est pour le
seul plaisir de mentir. C?est du vice. J?aime
bien mon frère, mais il n?arrivera jamais à
9
construire quelque chose de solide et de
sérieux sur ses mensonges.
Luc revient avec une bande Velpeau et
une petite bouteille d?éther
LUC
Je vais mettre un peu d?éther sur la bande.
L?odeur de l?éther, fait tout de suite penser
à la médecine et à l?hôpital. Il ne faut jamais
négliger les petits détails. Marie va me
plaindre, et je trouve que c?est toujours
agréable de se faire plaindre. D?ailleurs, les
filles aiment bien, aussi, materner. Dans
toute femme, il y a une infirmière qui
sommeille. Souviens toi de ça mon frère.
JEAN (qui commence à s?amuser)
Tu es peut être un fin psychologue, je dis
bien : peut être?.. Mais, ce qui est certain,
c?est que tu es un fieffé menteur !!!
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Bon !! Je vais te faire ton pansement. Je
t?aide, mais note bien, que je désapprouve
cette comédie.
Luc a enlevé sa chaussure et sa chaussette,
puis Jean lui fait un pansement, pendant que
Luc met quelques gouttes d?éther sur la
bande.
LUC
OK ! Désapprouve?? mais ?..Serre
moins fort !
JEAN
Reste logique, Luc ! Tu m?as dit qu?il ne
fallait jamais négliger les détails. Alors pour
maintenir une cheville foulée, il faut que la
bande soit serrée, sinon, cela ne fait pas
sérieux.
LUC
Salaud ! Tu en profites, alors que je fais
tout ça pour toi !
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JEAN
Je t?ai dit et je te répète que je ne te
demande rien. C?est pour toi, uniquement
pour toi, pour t?amuser, que tu fais tout ça !!
LUC
Bon, ça va ! Arrêtons. Il n?est pas
impossible que dans quelques jours tu me
remercies à genoux de t?avoir fait connaître
Marie.
JEAN
En tous cas, à genoux, ça m?étonnerait !
LUC
Tu vois ? Tu es déjà moins catégorique.
Sonnerie de la porte d?entrée.
LUC
Va ouvrir, Jean ! Tu vois bien que moi,
avec ma blessure, je me déplace
difficilement !
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Jean hésite un moment, puis hausse les
épaules et sort. Il revient accompagné d?une
ravissante jeune fille, les yeux très clairs,
très purs
MARIE
Vous souffrez beaucoup Luc ? Vous
n?êtes pas allé passer une radio ?
LUC
C?est inutile. Je suis fils de médecin et j?ai
quelques notions. Ce n?est qu?une simple
entorse. Je souffre beaucoup, mais je n?ai
pas à me plaindre, c?est de ma faute. J?ai
voulu sauter par-dessus un fauteuil et je me
suis mal réceptionné.
Mais asseyons- nous. Moi je ne peux pas
rester debout et je ne veux pas être le seul
assis.
Jean et Marie prennent un fauteuil.
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LUC
Marie, je vous présente mon frère Jean. Il
est un peu timide, excusez- le !
JEAN
Ne le croyez pas, Marie. Je ne suis pas
timide, mais je suis plus pondéré que lui,
qui, si vous le connaissez un peu, vous
serez d?accord avec moi, est un écervelé qui
dit souvent n?importe quoi.
LUC
C?est ça ! Je t?amène la plus belle fille de
la rue, peut être même du quartier, voire
même de la ville, et tu essaies de me
débiner à ses yeux.
MARIE
Il est vrai que je ne connais pas beaucoup
Luc, mais ce dont je suis certaine, c?est
qu?il est très amusant
LUC (s?adressant à son frère)
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Et pan !!!Je ne suis pas vieux avant l?âge,
moi !! Je suis gai, et pas un épouvantail à
moineaux !
MARIE (souriante)
Je dois dire, pour rétablir l?équilibre, que
votre frère n?a rien d?un épouvantail?et si
j?étais un moineau je ne serais pas
épouvantée du tout?..
JEAN
Viendriez- vous nicher sur moi ?
MARIE (à Luc)
Dites donc, pour un homme timide, il est
un peu?effronté votre frère?.Et aussi
drôle que vous.
LUC
Ca y est. Je l?avais prévu !
MARIE
Qu?est ce que vous aviez prévu ?
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LUC
Que vous vous entendriez bien. Mais je ne
voudrais pas que votre entente se fasse sur
mon dos.
MARIE
Je ne vous connais pas beaucoup, mais je
crois que vous avez le dos large !
LUC
Ca, c?est vrai. Je suis moins étriqué que
lui !
MARIE
Est-ce à cause de ma présence que vous
vous amusez à vous titiller mutuellement ?
LUC
C?est mignon, titiller, mais non. Nous
nous bagarrons, verbalement tout le temps.
Mais on s?aime bien.
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JEAN
Il serait plus juste de dire que tu t?aimes
bien.
LUC (s?adressant à Marie)
Vous voyez ? C?est toujours lui qui me
cherche, alors que moi, j?ai une nature
pacifique
JEAN
En fait de pacifique, tu n?es qu?un
océan?.d?immodestie.
LUC (à Marie)
Réflexion faite, je crois que votre présence
n?est pas étrangère à son attitude. C?est vrai,
qu?en général c?est plutôt moi qui le titille,
comme vous dites.
Si vous changez mon frère en quelques
minutes, c?est grave. C?est grave, parce que
normalement, lui, c?est le saint de la
famille, le sage, le raisonnable, qui ne se
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met jamais en colère. Je suis inquiet, oui, je
suis inquiet.
MARIE
Je ne sais pas quand vous dites la vérité,
mais vous passez d?une position à son
contraire avec une facilité
déconcertante??et qui fait un peu peur. Je
crois que vous devez bien savoir mentir.
LUC
Mentir ? Moi ? Vous plaisantez !! Et je
vais vous le prouver. Je vous ai fait venir
pour vous présenter mon frère, et
maintenant, je le regrette, car je vous trouve
sensationnelle, et je commence à tomber
amoureux de vous.
MARIE
Je croyais que vous m?aviez demandé de
venir parce que vous vous étiez blessé. Ce
n?était pas vrai ?
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Luc se tait, et Marie reprend :
MARIE
Jean, dites-moi la vérité. Luc s?est il blessé
réellement ?
JEAN
Je préférerais qu?il vous réponde luimême.
MARIE
Mais comme il ne répond pas, je vais m?en
rendre compte par moi-même. Luc, mettez
votre pied sur mes genoux, je vais vous
refaire votre pansement.
Luc, sans rien dire, enlève son pansement,
regarde attentivement son pied.
LUC (souriant)
Un miracle !! Un véritable miracle !
Regardez Marie, mon pied n?est plus enflé
et je ne souffre plus. Votre seule présence
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parvient à me guérir ! Vous êtes une perle
que je ne laisserai pas passer. Marie, voulez
vous m?épouser ?
JEAN
Arrête de faire le pitre, Luc ! Ca n?amuse
pas du tout Marie !
LUC
Qu?est ce que tu en sais ? Entre un gars
marrant, et un triste bonnet de nuit comme
toi, qui crois- tu qu?une fille intelligente
comme Marie va choisir ?
JEAN
Cette fois, c?est à Marie de répondre.
MARIE
Ca dépend des moments. J?aime bien rire,
mais pour les choses sérieuses, je préfère les
gens sérieux aux plaisantins.
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LUC
C?est-à-dire que vous préfériez vous
marier avec Jean ?
MARIE
Si Jean m?avait demandé de m?épouser,
comme il ne me connaît pas plus que vous,
il serait un plaisantin?? comme vous.
Après un moment de silence, Luc reprend
LUC
Marie, je crois que vous avez raison. Je
vous promets de devenir sérieux. Je retire
ma demande en mariage et la remplace par
une prière : Voulez vous m?accompagner au
cinéma, il y a un film dont on m?a dit
beaucoup de bien, c?est d?ailleurs un film
très sérieux intitulé : Le Philosophe. J?avais
décidé d?aller le voir, mais si vous veniez
avec moi, nous pourrions en discuter
ensuite. Dites oui, s?il vous plait.
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MARIE
Je l?ai déjà vu. C?est un navet à prétention
littéraire et mal joué en plus !
LUC
Ce n?est pas mon jour !!!! Si vous le
voulez bien, voyons- nous demain au
Richelieu, d?accord ?
MARIE
Je ne sais pas. (S?adressant à Jean) Vous
faites des études ?
JEAN
Oui, bien sûr. Je termine une licence
d?histoire, je voudrais devenir professeur, et
si possible de fac.
LUC
Honnêtement, Marie, que pensez- vous du
professorat ? Répéter chaque année les
mêmes cours, avoir un traitement de misère,
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se faire chahuter par des garnements si l?on
manque un peu d?autorité, vous croyez que
cela peut être un idéal.
MARIE
L?idéal n?est pas quelque chose qui se
décrète. Si l?on aime ce que l?on fait, c?est
que l?on a choisi la profession idéale.
LUC
Décidemment, ça se confirme : Ce n?est
pas mon jour !! Pourquoi toujours me
contrer, Marie, moi qui voudrais tant vous
plaire ?
MARIE
Excusez-moi, Luc. Je tentais de me mettre
au diapason des rapports que vous avez
avec votre frère.
JEAN
Et vous réussissez brillamment, bravo !!
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LUC (A jean, avec un peu de hargne)
Oh, ça va ! Le coup de la brosse à reluire,
du courtisan, on connaît !!
MARIE
Ah ? Vous trouvez que votre frère me
flatte ? Je suis déçue !
JEAN
Ne soyez pas déçue. J?ai dit ce que je
pense. Il prête aux autres ses petites
combines misérables.
LUC
Dis donc, ce n?est pas parce que tu es plus
vieux que moi que je ne pourrais pas te
casser la figure !!!
JEAN
Quand il n?a plus d?argument, il frappe.
C?est vraiment un être civilisé mon frère !
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MARIE
Calmez-vous, je vous en supplie !
D?ailleurs il faut que je parte. Ma mère m?a
demandé de ne pas rentrer trop tard. Il faut
que je l?aide à changer des meubles de
place. C?est un peu sa marotte, et de mon
côté, j?avoue bien aimer aussi, changer le
cadre dans lequel nous vivons.
(Elle se dirige vers la porte)
J?espère que nous aurons l?occasion de
nous revoir
JEAN
Nous revoir ? Certainement. Mais soyons
logiques ! Si votre désir de nous revoir est
sincère, nous devrions échanger nos
numéros de portables, non ?
MARIE
Très juste !
Jean déchire la marge d?un journal sur la
table, la coupe en deux, en donne un
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morceau à Marie avec un stylo et sur l?autre
moitié, écrit son numéro de téléphone.
Luc, rageusement, déchire un autre
morceau de la marge du journal et écrit son
propre numéro et le tend à Marie
LUC
Tenez Marie. Pour que vous ne fassiez pas
d?erreur fâcheuse, j?ai bien précisé mon
prénom. A très bientôt, et si vous avez
besoin d?un coup de main pour déplacer les
meubles je suis à votre disposition ainsi
qu?à celle de votre mère, bien sûr.
JEAN
Pour ma part, je ne vous dis pas ce qui va
de soi.
Marie sort. Les deux frères restent seuls en
scène Un moment de silence
LUC
Je suis un crétin !!
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JEAN
Enfin ! Un éclair de lucidité !
LUC
Raz le bol !!! Qu?est ce qui te prend ?
Arrête de me dire des vacheries ! Ca, c?est
mon domaine.
Je me mords les doigts de t?avoir présenté
Marie. Elle me semblait quelconque, et
puis??Elle est sensationnelle cette fille, et
moi, au lieu de la garder pour moi, je te la
fiche pratiquement dans tes bras. Mais je te
préviens, je vais me bagarrer. Elle n?est pas
pour toi, et même si tu fais le joli coeur, et tu
essaies d?avoir autant d?esprit que moi, tu
ne gagneras pas. Tu ne gagneras pas, parce
que Marie est super intelligente, et elle me
préférera à toi.
JEAN
Ce n?est pas bientôt fini cette crise ? Où
as-tu vu que j?entrais en compétition avec
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toi. Moi, je me contente d?être naturel. Si on
m?aime, tant mieux, si on ne m?aime pas,
tant pis, mais je ne forcerai pas ma nature
pour plaire, contrairement à toi. Si, comme
tu le dis, Marie est super intelligente, ce
n?est pas vers toi qu?elle ira. J?en suis
désolé par avance.
LUC
Désolé ? Laisse- moi rire !! Sous tes
dehors de garçon sérieux, naturel, bon, tu es
le pire salaud, le pire combinard qu?il y ait.
La preuve ? Jamais, jamais, tu ne disais une
vacherie, et comme tu as vu qu?elle
appréciait mon esprit, tu as voulu m?imiter.
Mal d?ailleurs !
JEAN
Tu te fais des idées. Et puis, si elle aime
ton esprit et que je t?imite mal, que crainstu
? Je ne sais pas si tu grandiras un peu un
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jour. En attendant, j?ai des révisions à faire.
Et toi, je te laisse, à tes?? visions
LUC
Rien que ça, tiens ! Rien que ça !! Jamais,
avant, tu n?aurais fait cette astuce?Vaseuse
d?ailleurs.
Jean hausse les épaules et sort
Le rideau tombe
Le rideau se lève sur le même décor. Jean
et Luc sont en scène, dans la même
position, c?est-à-dire en travers des
fauteuils, les jambes passées sur
l?accoudoir, mais au lieu d?être face à face,
comme au début de la pièce, ils sont dos à
dos. Luc lit un bouquin policier. Jean est
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entouré de livres, de carnets de notes.
Visiblement, il travaille
Silence impressionnant durant quelques
secondes, jusqu?à l?entrée de leur mère,
Caroline
CAROLINE
Tiens ? Vous êtes là les enfants ?
Un moment, puis
Bon. Il ne semble pas que ce soit l?entente
cordiale.
Nouveau silence.
CAROLINE
Oh, à propos, il y a une jeune fille qui est
passée ce matin, elle s?appelle Marie et m?a
donné une lettre pour vous.
Elle va vers un petit meuble, ouvre un
tiroir et sort une lettre.
Sans un mot, Jean et Luc tendent vivement
la main. Caroline regarde l?enveloppe.
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CAROLINE
Elle est adressée à Jean ET Luc.
Elle s?avance vers ses enfants, rapproche
leurs mains tendues et remet l?enveloppe
dans les deux mains. Chacun tire de son
côté et c?est Jean qui garde l?enveloppe.
JEAN
Si tu peux nous laisser un instant, maman,
je vais lire la lettre, tout haut pour que Luc
et moi en prenions connaissance en même
temps.
LUC
Arrête ton cirque et tes idées pseudo
généreuses. Lis cette lettre, et après passe là
moi.
Luc se remet à lire son bouquin, Jean
ouvre et lit la lettre, Caroline, hésite un
moment puis sort. Sa lecture finie, Jean
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remet la lettre à son frère sans prononcer un
mot. Luc lit à son tour.
LUC
Alors, ça, c?est marrant !! Qu?elle parle de
frère et soeur, c?est vraiment marrant. En
tous cas, elle est du tonnerre cette fille ! Elle
est délicate, nous nous entendrons bien.
JEAN
En vertu du principe qui veut que les
extrêmes s?attirent ?
LUC
Décidemment tu as beaucoup changé. Et
moi aussi d?ailleurs. Tiens ( il lui donne la
lettre) lis là tout haut et lentement pour que
nous savourions sa prose.
JEAN (lisant)
Cher Jean, cher Luc,
Je ne vous connais, l?un et l?autre que très
peu. Pourtant d?une part, je vous trouve,
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chacun dans votre genre très sympathique et
d?autre part, j?ai très bien senti que je
pouvais devenir une occasion de trouble
entre vous. Or, cela, je ne le veux à aucun
prix.
Autrement dit, j?aimerais bien vous revoir,
mais dans une ambiance apaisée et
amicale?.J?allais dire fraternelle.
D?ailleurs, c?est cela : Considérez- moi
comme votre soeur, et je suis persuadée que
nous passerons des moments agréables.
Avec des amis et amies, nous allons,
dimanche, dans un cabanon en pleine
campagne, à 30 kilomètres d?ici. Nous y
allons à bicyclette. Nous avons tous rendez
vous devant la mairie à 8 heures du matin.
Chacun apporte son casse croûte. Si vous
vouliez vous joindre à nous, je serais
heureuse de vous présenter à mes amis.
Bien cordialement Marie
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LUC
Moi, j?y vais
JEAN (après un moment de réflexion)
Moi aussi.
Il appelle :
Maman !!!
Caroline entre
JEAN
Maman, nous allons faire un pique nique
dimanche. Chacun apporte son casse croûte.
Tu pourrais nous en préparer deux.
CAROLINE
Quel âge avez-vous ?
LUC
Tu le sais très bien. Pourquoi nous
demandes- tu ça ?
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CAROLINE
Parce que vous êtes assez grand pour vous
débrouiller tous seuls !
Elle sort, en disant
J?ai une petite course à faire, je n?en ai pas
pour longtemps.
Un silence. On entend qu?elle ferme la
porte d?entrée.
JEAN
Elle n?a pas tort. C?est notre mère, pas
notre bonniche !
Un silence
JEAN
Je viens de réfléchir. Je ne vais pas aller à
ce pique nique. Tu n?auras qu?à y aller seul.
LUC
Tiens donc !! Et pourquoi ?
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JEAN
Parce que je trouve débile que nous ayons
une cause de discorde pour une jeune fille
qu?en fin de compte, nous ne connaissons,
ni toi, ni moi.
LUC
Tu te dégonfles ? Parce que tu sais que
c?est moi qui la gagnerai !
JEAN
Tout d?abord, tu parles de Marie comme si
elle était le gros lot d?une loterie. Il n?est
pas question de « la gagner » comme tu le
dis élégamment. Ensuite, contrairement à ce
que tu penses, je crois que j?ai plus de
chances de lui plaire que toi. Mais je juge
inutile et débile, je te l?ai dit, d?en faire un
« casus belli » entre nous.
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LUC
C?est bien toi, ça ! Tu caches sous de
nobles prétextes tes actes les plus minables.
JEAN
Tu es libre de penser ce que tu voudras.
Maintenant, si tu permets, j?ai à travailler.
Jean se remet à travailler.
Un silence.
LUC
Peux- tu sortir de tes livres quelques
minutes ?
JEAN (qui lève la tête de ses bouquins)
Si c?est pour discuter de choses sérieuses,
oui !!! Si c?est pour échanger des banalités,
non !!
LUC
C?est très sérieux !
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JEAN (refermant son livre et le posant par
terre)
Bon. Je t?écoute.
LUC
Je sais que tu as de grandes qualités, et
moi, non pas des défauts, mais quelques
imperfections?..Cependant, tu
reconnaîtras que j?ai un sens de
l?observation plus développé que le tien.
JEAN
Tout ça, pour dire quoi ?
LUC
C?est au sujet de maman
JEAN (tout de suite inquiet)
Maman ? Tu crois qu?elle est malade ?
LUC
Oh, non, elle n?est pas malade !! Du moins,
je ne le crois pas. Mais elle est très
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malheureuse, tu ne l?as pas remarqué. As-tu
une idée de la raison pour laquelle, papa et
elle, ont décidé de faire chambre à part depuis
un mois?
JEAN
Non. Mais il s?agit de problèmes de
couple qui ne nous regardent pas.
LUC
Oh, que si, ça nous regarde !!!!! Parce que
je crois que c?est la première phase. Celle
qui précède une séparation définitive, et
cela, tu admettras que cela nous regarde,
puisque notre vie en sera modifiée. Et puis,
si maman est malheureuse, cela nous
regarde.
JEAN
Procédons par ordre. Tu dis savoir
pourquoi ils font chambre à part ?
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LUC
Oui, je sais !
JEAN
Accouche !!
LUC (après un moment de silence voulu
pour maintenir de suspense)
Papa a une maîtresse !!
JEAN
Quoi ? Une maîtresse ? Tu es sûr ?
LUC (catégorique)
Certain !!
JEAN
Mais une maîtresse, comment ça ? Une
passade ou quelque chose de sérieux.
LUC
Là, je ne peux répondre d?une façon
certaine, mais je penche pour une chose
sérieuse. C?est drôlement marrant !
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JEAN
Tu trouves marrant que papa trompe
maman ?
LUC
Non, non. Ce n?est pas ça ! Mais ce qui est
marrant, c?est avec qui papa trompe maman.
JEAN
Tu la connais ?
LUC
Je sais qui c?est.
JEAN
Il faut les fers pour que tu accouches ?
LUC
Calme-toi. Tu vas voir comme c?est
marrant. Tout à l?heure, Marie nous disait
dans sa lettre qu?elle voulait nous
considérer comme des frères, tu t?en
souviens ?
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JEAN
Oui, mais qu?est ce que ça a à voir ?
LUC
La maîtresse de papa est la mère de Marie.
JEAN
Non ? Ce n?est pas possible !!
LUC
Et pourquoi ce ne serait pas possible ? En
tous cas du côté de la mère de Marie, c?est
plus normal. Elle est séparée, donc libre,
alors que papa ne l?est pas.
Un moment de silence
JEAN
Et tu crois que Marie est au courant ?
LUC
Non. Je suis sûr qu?elle ne l?est pas.
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JEAN
D?où te viennent toutes ces certitudes ?
Peux- tu me parler sérieusement pendant 5
minutes ?
LUC
C?est ce que je fais depuis un moment. Je
t?explique.
Quand je drague, j?aime bien savoir où je
mets les pieds. Un jour, pour savoir où
habitait Marie, je l?ai suivie à la sortie des
cours. Je sais où elle habite. Ce matin, alors
que je savais Marie en classe, je suis venu
dans son immeuble. Elles habitent avec sa
mère, au deuxième étage. Arrivé devant leur
porte, j?ai entendu quelqu?un monter
l?escalier. Je ne sais pas pourquoi, car après
tout, j?avais le droit d?être là, bref? Pour
que l?on ne me voit pas, j?ai grimpé à
l?étage au dessus.
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La personne qui montait a sonné à la porte
de Madame Carlier (oui, c?est le nom de
Marie) Par curiosité, j?ai voulu voir, et tu te
doutes de ma surprise, c?était papa !!!!! La
porte s?est ouverte, et une dame, qui m?a
semblé pas mal du tout, s?est jetée dans les
bras de papa, en s?exclamant :
« Oh, mon chéri !!!Tu es en retard, j?étais
inquiète, entre vite ! »
Et il a répondu
« Mon amour, excuse moi, j?ai été retenu
à mon cabinet pour une urgence »
Je crois que je suis resté au moins 5
minutes avant de récupérer, et de
redescendre en courant, comme si j?avais
une meute de chiens à mes trousses.
JEAN
Mais, tu es sûr que c?était papa ?
44
LUC
Absolument. D?abord, j?avais reconnu
papa, puis sa voix, et enfin l?urgence au
cabinet, c?était un toubib bien sûr.
JEAN
C?était peut être simplement une malade
qu?il venait voir ?
LUC
Arrête de jouer à l?Autruche. Les mots
échangés, n?étaient pas ceux d?un toubib et
de sa cliente !
JEAN
Bien sûr?..Mais c?est tellement gros?
LUC
Quoi tellement gros ? Ca ne te parait gros
que parce que c?est notre père, mais le cas
est banal...... Tu comprends maintenant
pourquoi, quand j?ai lu que Marie voulait
45
qu?on la considère comme une soeur, j?ai
trouvé ça marrant.
JEAN
Marrant ! Ce n?est pas le mot.
Un temps
JEAN
Crois- tu que maman soit au courant ?
LUC
Je n?ai aucune certitude, mais pourquoi
feraient- ils, chambre à part ?
JEAN
Cela ne veut pas dire qu?elle soit au
courant. Ils peuvent simplement s?être
disputés.
LUC
Possible. Mais qu?elle le sache ou ne le
sache pas, ce qui est sûr, c?est qu?elle est
cocue !
46
JEAN
Tu as de ces mots !
LUC
Quoi ? Tu dis aimer les mots justes. Celui
là, l?est ! Bon. Alors, qu?est ce qu?on fait ?
JEAN
Que veux- tu faire ? Normalement nous
n?avons pas à intervenir.
LUC
Auprès de maman, d?accord, mais pour
Marie ? Doit-on la mettre au courant ?
JEAN
Peut être l?est elle déjà ? Après tout, quand
elle nous a demandé de la considérer
comme une soeur, ce n?était peut être pas un
pur hasard ?
47
LUC
En tous cas, elle n?est pas ma soeur, et elle
me plait de plus en plus.
On entend un bruit de clé et de porte qui
s?ouvre dans le hall d?entrée
JEAN
Voilà maman qui rentre. Tâchons d?être
naturels.
CAROLINE (elle vient de pleurer)
Tiens, vous êtes encore là les enfants ?
LUC
Je n?ai pas cours cet aprèm.
Un temps
Ca ne va pas maman ?
CAROLINE
Oh, rien de très grave.
48
JEAN
Tu sais, maman, nous sommes des grandes
personnes. Si tu as des problèmes, nous
sommes capables de les comprendre et de
t?aider.
CAROLINE
De m?aider ? Ca m?étonnerait (elle se
laisse tomber sur un fauteuil)
JEAN
Mais parler, peut faire du bien.
CAROLINE
Faire du bien ? Je ne crois pas. Mais il faut
que je vous en parle. Je vous dois la vérité.
Vous avez du vous rendre compte qu?entre
Papa et moi, cela ne va pas très fort.
LUC
Oui, on s?en doute, puisque vous faites
chambre à part.
49
CAROLINE
Pour l?instant, nous faisons chambre à
part. Mais nous allons faire maison à part.
Je vais partir.
LUC et JEAN (ensemble)
Partir ? Pourquoi ?
CAROLINE
C?est à moi de partir. D?abord parce que
votre père a son cabinet dans l?immeuble, il
doit donc rester là, et puis, parce que c?est
moi qui suis en tort. J?aime un autre homme
LUC et JEAN (l?un après l?autre)
Quoi ?
CAROLINE
Arrêtez de coasser ! Je suis assez énervée
comme ça ! Oui ! J?aime un autre homme !
Cela n?a rien d?extraordinaire. Votre père ne
s?occupe que de ses malades.
50
JEAN
Mais, ce?.Monsieur, nous le
connaissons ?
CAROLINE
Non. Vous ne le connaissez pas. Mais
vous connaissez sa fille.
LUC
Qui est sa fille ?
CAROLINE
La petite Marie. Celle qui vous a écrit tout
à l?heure.
JEAN
Pas possible !!
LUC
Ca alors, c?est marrant !!
CAROLINE
Je ne vois pas ce qu?il y a de marrant
comme tu dis !
51
JEAN à son frère)
Luc, viens. Il faut que nous parlions.
Ils sortent.
CAROLINE restée seule)
Ouf !! Je suis arrivée à le leur dire !
Elle sort, et le rideau tombe
Le rideau se lève sur le même décor.
Caroline est seule en scène. Elle est
nerveuse, consulte un hebdomadaire
quelques secondes, le repose, marche en
long et en large, déplace un pot de fleurs.
Son mari, Paul, entre.
PAUL
Tiens ? Tu es là ? Où sont les enfants ?
52
CAROLINE
Ils sont en cours. As-tu un moment ? Il
faut que je te parle.
PAUL
Moi aussi il faut que je te parle.
CAROLINE
Je t?écoute.
PAUL
Non, toi d?abord !
CAROLINE
Bon. C?est d?ailleurs normal que je parle
la première. Je suis en tort, et je vais te faire
de la peine. Mais ce n?est pas facile à dire.
Elle attend que Paul dise quelque chose,
mais il ne dit rien, et c?est elle qui reprend :
53
CAROLINE
Je te demande par avance de m?excuser
pour le mal que je vais te faire. Mais tu sais,
j?ai toujours beaucoup d?affection pour toi.
PAUL
Moi aussi, j?ai de l?affection pour toi. Je
t?écoute.
CAROLINE
Hé bien voilà. L?autre jour, tu le sais, nous
avons eu un petit accrochage pour un truc
idiot. Tu soutenais que c?était Nietzsche qui
avait dit : « Oui et non ne sont pas des
réponses » et moi, je soutenais que c?était
Kant.
PAUL
Et c?est moi qui avais raison.
54
CAROLINE
Peut être, peut être. Peu importe !
Toujours est il que j?avais pris ce prétexte
pour te dire que j?allais faire chambre à
part.
PAUL
Un prétexte ? Donc il y avait une autre
raison ?
CAROLINE
Oui. Il y a une autre raison. Excuse- moi
de te le dire aussi crûment : Voilà. J?aime
quelqu?un d?autre.
PAUL
Quoi ?
CAROLINE
Oui, je suis désolée, mais j?aime ailleurs.
PAUL
Tu veux dire que tu me trompes ?
55
CAROLINE
C?est parce que je ne veux pas te tromper
que je te le dis.
PAUL
Ah, je t?en prie ! Ne joue pas sur les mots.
CAROLINE
Enfin je te l?ai dit. Tu sais, ce n?était pas
facile à avouer.
PAUL
Ni à entendre !! Mais enfin, tu ne te rends
pas compte ? Me tromper, moi ?
CAROLINE
Je te le répète : je suis désolée. Mais enfin,
tu dois bien le reconnaître : Ce sont des
choses qui arrivent.
PAUL
56
Aux autres, oui, mais que tu me fasses
ça !!! Toi ! A moi !!!
CAROLINE
C?est comme ça. Je n?y peux rien. Et toi,
qu?avais tu à me dire ?
PAUL
Moi ?
CAROLINE
Tu avais bien quelque chose à me dire !
PAUL
Parfaitement. Moi aussi, j?aime ailleurs !
CAROLINE
Hein ? Tu as une maîtresse ? Tu me
trompes ?
PAUL
Oh, dis ! Pour moi, c?est moi grave que
pour toi.
CAROLINE
57
Comment ça moins grave ?
PAUL
Pour un homme, c?est un peu normal, mais
pour une femme ! Pour MA femme !!!
Non !! Décidemment je ne peux pas
l?admettre !
CAROLINE
Tu es vraiment macho ! C?est aussi grave
pour l?un que pour l?autre.
Un long silence.
CAROLINE
C?est curieux. Je devrais être doublement
soulagée. D?abord de t?avoir dit la vérité, et
ensuite à la pensée que tu ne vas pas trop en
souffrir, puisque tu aimes ailleurs. Et
pourtant, je suis très malheureuse.
PAUL
C?est normal. Me tromper, moi ! Quel
honte pour toi!!
58
CAROLINE
N?en fais pas trop quand même !!
D?abord, qui c?est, cette bonne femme ? Je
la connais ?
PAUL
D?abord, ce n?est pas « une bonne
femme ». C?est une femme très bien qui est
séparée de son mari. Et non, tu ne la
connais pas. Et toi ? Qui est ce, ce gigolo ?
CAROLINE
Pourquoi dis tu que c?est un gigolo ? C?est
un homme très bien qui est avocat. Lui
aussi est séparé de sa femme.
PAUL
L?un n?empêche pas l?autre. On peut être
avocat et gigolo à la fois.
CAROLINE
59
Tu es d?une mauvaise foi !! Premièrement
il n?est pas plus jeune que moi, et je ne suis
pas une vieille qui cherche un gigolo
comme tu le dis.
Un temps
Moi non plus, je ne peux admettre que tu
me trompes.
PAUL
Nous sommes idiots. C?est de l?amour
propre. Rien que de l?amour propre.
CAROLINE
C?est vrai que je n?aime pas l?idée que tu
me trompes, et pourtant?
PAUL
Pourtant quoi ?
CAROLINE
Et pourtant?Je te l?avoue, ça me fait
plaisir que mon infidélité te touche.
60
PAUL
Elle me touche, elle me touche?.Mon
amour propre et c?est tout !
CAROLINE
En es tu certain ? Peut être sommes nous
plus attachés l?un à l?autre que nous ne le
pensions ?
PAUL
Hein ? Tu crois ?
Un autre silence
CAROLINE
Comment s?appelle t elle cette??..Cette
dame ?
PAUL
Elle s?appelle Jeanne CARLIER
CAROLINE
61
Quoi ?
PAUL
Quoi, quoi ?
CAROLINE
Décidemment c?est de famille ! Tu
coasses toi aussi ! Ta maîtresse s?appelle
Jeanne Carlier ?
PAUL
Je viens de te le dire. Tu la connais ?
CAROLINE
Pas du tout. Mais je connais Jacques
Carlier, son mari. C?est lui !
PAUL
C?est lui ? Qui lui ? Celui avec lequel tu
me trompes ?
CAROLINE
Oui. C?est curieux, hein ?
62
PAUL
Curieux, curieux?c'est-à-dire
que c?est vaudevillesque ?C?est
ridicule?Nous sommes ridicules, voilà !
Un temps
CAROLINE
Et encore, tu ne sais pas le plus beau !
PAUL
Quoi encore ?
CAROLINE
Tu sais que les Carlier ont une fille ?
PAUL
Oui. Elle s?appelle Marie, je crois.
CAROLINE
Précisément. Hé bien figure toi que nos
deux enfants sont plus ou moins amoureux
de Marie.
PAUL
63
Mais, c?est fou ça ! On tourne en rond
CAROLINE
En autarcie complète si j?ose dire. Rien ne
sort de nos deux familles.
PAUL
Je ne comprends pas que tu puisses avoir
le goût ? le mauvais goût devrais je dire- de
plaisanter. Je te l?ai dit : Nous sommes dans
une situation ridicule.
CAROLINE
Si on prend un peu de recul, c?est
amusant !
PAUL
Même avec le recul, cela reste ridicule? ;
CAROLINE
Tu l?as fait exprès ?
PAUL
64
Quoi ?
CAROLINE
Ce jeu de mot. Ridicule, recul?.
PAUL
Regarde- moi dans les yeux, Caroline ! Tu
ne trouves pas que la situation est bien trop
grave pour que l?on s?amuse à plaisanter ?
CAROLINE
Si. Nous venons d?apprendre, l?un sur
l?autre, des choses qui nous bouleversent.
Nous ne savons plus où nous en sommes. Je
ne vois plus ce qui est important et ce qui
l?est moins. J?aimerais pouvoir réfléchir
calmement à tout ça. Si tu veux, après le
dîner, nous irons nous enfermer dans le
salon, et nous ferons le point.
PAUL
65
D?accord. Mais d?ici là, pas un mot aux
enfants !
CAROLINE
Si tu veux. D?ailleurs c?est bien inutile.
PAUL
Bien sûr que c?est inutile ! Ils n?ont pas à
connaître nos problèmes. Je vais à mon
cabinet !
Paul sort.
Seule en scène, Caroline murmure :
CAROLINE
C?est surtout inutile parce qu?ils en savent
déjà un gros morceau?.
Le rideau tombe
66
Le rideau se lève toujours sur le même
décor. Jean est seul en scène, assis en
travers du fauteuil, les jambes par dessus
l?accoudoir, comme d?habitude. Il est
entouré de livres et de cahiers de notes. Il
travaille sérieusement
Au bout de quelques secondes ; Luc entre
LUC
Salut, frangin ! A force de travailler, tu
vas te faire une hernie au cerveau !
JEAN
Ca, c?est un risque que tu ne cours pas.
LUC
Chacun son truc. Toi, tu penses, moi,
j?agis !
JEAN (fermant son bouquin)
Bon. Si j?ai bien compris, tu as des choses
à me dire. Comme j?en ai un peu marre des
Mérovingiens, je t?écoute.
67
LUC
D?abord, je tiens à préciser que je ne suis
pas manichéen. Il n?y a pas que deux
catégories Il y a ceux qui pensent, et ceux
qui agissent, c?est vrai, mais moi, avant
d?agir, je pense, je peux faire les deux..
JEAN
D?accord ! Tu es un type formidable Et le
fruit de tes cogitations ?
LUC
C?est que nous n?avons pas le droit de
cacher à Marie ce que nous savons au sujet
de nos parents. Aussi, et c?est là que
l?homme d?action intervient, j?ai pris la
décision de lui demander de venir ici, et
doucement, avec tact, tout les deux, nous lui
expliquerons ce qui se passe.
JEAN
68
Tu aurais pu m?en parler avant. Je ne suis
pas certain que ce soit une bonne chose de
la tenir au courant. Réfléchis, puisque tu dis
que tu en es capable. Actuellement, elle ne
sait rien. Elle ne se pose aucune question. Si
elle apprend que nos parents
opèrent?..Une sorte de troc conjugal, en
changeant chacun de partenaire, ça va la
perturber, c?est certain. Et pour un intérêt
nul.
Alors je crois qu?il vaudrait mieux ne rien
lui dire.
LUC
L?autruche ! Toujours la politique de
l?autruche ! Mais bon sang, tu admets que
tôt ou tard, elle le saura, tu l?admets ? Alors
mieux vaut que ce soit par nous. Nous
saurons mieux nous y prendre.
JEAN
69
Et comment vas-tu faire ? Tu vas lui dire :
« Voilà, mon papa couche avec ta maman et
ton papa couche avec ma maman, mais ce
n?est pas grave du tout, puisque tout reste
dans la famille ?
LUC
Bien sûr que non. Et tout d?abord, il
faudra éviter les mots trop crus. Ne pas
parler de cocufiage, mais d?amour?
JEAN
Je persiste à penser que mieux vaudrait ne
rien lui dire. Tiens ! Prends ton exemple :
Tu ne préférerais pas que papa et maman
s?entendent bien comme avant?
LUC
Je n?en sais rien. D?un côté je préférerais
qu?ils n?aient pas de problème qui les
perturbe, mais d?un autre côté, j?aime bien
70
qu?il se passe quelque chose. Que l?on sorte
de la routine.
JEAN
Si pour sortir de la routine, on est encore
plus malheureux, je ne vois pas l?intérêt.
LUC
Bien sûr, toi tu préfères la routine, tu
aimes que rien ne bouge?
A ce moment là, Caroline entre dans le
salon. Elle a un air joyeux.
CAROLINE
Bonjour les enfants. Je suis contente de
vous voir ensemble. Je vous avais parlé hier
de certains problèmes avec votre père. Nous
avons eu une longue conversation hier soir
Tout est arrangé. De plus, nous avons
décidé de partir ensemble tout à l?heure
71
pour un petit voyage en Espagne. Une
huitaine de jours.
LUC
Quoi ? Si vite ? Tout est arrangé ?
CAROLINE
Tu as l?air de le regretter.
JEAN
Juste avant que tu n?entres dans la pièce, il
me disait qu?il aimait bien qu?il se passe
quelque chose. Il est immature. Moi je suis
très heureux, que votre petite mésentente ait
pris fin avec papa.
LUC
Evidemment, je suis content moi aussi.
Mais je regrette que cela en fasse souffrir
d?autres.
JEAN
72
Tu parles ! Tu t?en fous des autres !
D?abord tu ne les connais pas. Ce que tu
regrettes, c?est que les choses rentrent dans
l?ordre.
CAROLINE
Arrêtez de vous chamailler les enfants.
Croyez moi, il ne sort jamais rien de bon,
des affrontements. Nous l?avons constaté
votre père et moi.
LUC
Tranquillise-toi, maman. Ce ne sont pas de
vrais affrontements. On se titille, c?est tout.
Quand partez-vous ?
CAROLINE
Papa est à son cabinet, il ira directement à
l?aérodrome et m?a dit de vous embrasser.
Moi, je pars tout de suite pour prendre les
billets. Je vous ai mis de l?argent à la place
habituelle, dans la soupière. J?espère que
vous vous débrouillerez bien. Je vous
73
téléphonerai d?ailleurs une ou deux fois.
Tachez d?être sages Au revoir les enfants.
Caroline embrasse ses enfants et sort,
après être allée chercher sa valise dans la
pièce à côté.
LUC
Hé bien, voilà, voilà, voilà?Ils sont
quand même marrants les parents. Ils ne
savent pas ce qu?ils veulent. Un coup je
t?aime, un coup je ne t?aime plus? En tous
cas, la situation est nouvelle. Marie va
arriver. Qu?allons-nous lui dire ?
JEAN
La situation a évolué, mais ma position
reste la même. Nous ne devons rien dire à
Marie.
LUC
74
Tu choisis toujours la solution la plus
facile. Est-ce que tu te rends compte que la
mère de Marie va être très malheureuse, et
que par voie de conséquence, Marie va
traverser de durs moments ?
JEAN
Si nous la voyons malheureuse, nous
interviendrons, mais surtout, ne mettons pas
de l?huile sur le feu.
La sonnerie du portable de Jean retentit. Il
le sort de sa poche
JEAN
C?est un SMS. C?est de Marie.
Un temps
Elle me dit qu?elle ne viendra pas ce
matin. Elle est partie passer quelques jours
75
chez son parrain, et elle viendra nous voir
ici dès son retour.
LUC
Pourquoi est ce à toi qu?elle écrit et pas à
moi ?
JEAN
Ca !!! Tu n?auras qu?à le lui demander.
A ce moment la sonnerie du portable de
Luc. Il le sort vivement.
LUC
Ah ! C?est elle ! Elle me dit la même
chose qu?à toi.
JEAN
Comme ça, il n?y a pas de jaloux, elle est
bien cette petite !
LUC
C?est justement parce qu?elle est bien, que
c?est vers moi qu?elle viendra.
76
JEAN
Tu deviens vraiment pénible. Il faut que tu
places tout, dans un contexte de rapport de
force. Marie me semble être une petite
bonne femme parfaitement capable de se
faire une opinion par elle-même. Malgré
tous tes efforts, c?est le vrai Luc qu?elle
jugera, de même qu?elle se rendra compte
que Jean est vraiment tel qu?il lui apparaît,
sans artifice.
LUC
Et tu penses qu?en choisissant toujours le
beau rôle, tu ne places pas tous les
problèmes, sur un plan de rapport de
forces ?
JEAN
Cette discussion est débile. Il y a des
problèmes plus importants que nos petites
affaires de coeur.
77
Je n?arrive pas à comprendre comment
maman qui nous disait hier aimer un autre
homme, part aujourd?hui avec son mari
faire un voyage de noce bis.
LUC
Tu n?es pas très finaud. Moi, je comprends
très bien. Ils se sont rendus compte qu?ils se
trompaient mutuellement, ce qui en quelque
sorte annulait les fautes, et ils ont constaté
que finalement, ils avaient chacun de leur
coté été infidèle parce qu?ils croyaient que
l?autre ne l?aimait plus. En discutant, ils se
sont rendus compte, qu?ils restaient très
attachés l?un à l?autre ? Voilà ! C?est
élémentaire Mon cher Watson.
JEAN
C?est très possible. En tous cas, moi je
trouve ça très bien. Les choses rentrent dans
l?ordre, et c?est le principal.
LUC
78
Bon. Alors soyons pratiques. Nous nous
occuperons des repas, chacun un jour sur
deux. Aujourd?hui, c?est ton tour, moi j?ai
des trucs à faire.
JEAN
Ca m?arrange parce que demain, je n?aurai
pas une minute à moi. Je vais chercher de
l?argent dans la soupière et je vais aller faire
des courses.
LUC
Et moi, je vais téléphoner à une copine qui
voudrait jouer au ping- pong avec moi.
Jean sort de la pièce, Luc prend son
portable et forme un numéro
Le rideau tombe
79
Le rideau se lève sur le même décor. Jean
et Luc sont assis, toujours en travers sur les
fauteuils. Ils sont face à face.
LUC
Ils ont du atterrir il y a plus d?une heure.
Ils ne devraient pas tarder à arriver.
JEAN
Oui. En tous cas, tout baigne. Maman
nous a téléphoné trois fois : elle était en
pleine forme. Deux fois, elle nous a passé
papa qui était lui aussi tout guilleret. Je
crois qu?ils vivent une nouvelle lune de
miel.
LUC
Une lune de miel, ça ne dure pas, et après,
c?est le train -train.
JEAN
80
Tu es horripilant. Tu préférerais qu?ils
s?engueulent à longueur de journée ?
LUC
Pas obligatoirement. Mais enfin, qu?il se
passe quelque chose.
JEAN
Hé bien, il se passe quelque chose. Tu
crois que des parents qui partent en voyage
de noce après 22 ou 23 années de mariage,
je ne sais plus, tu crois que c?est courant ?
LUC
Non, bien sûr. Ecoute ! Je crois qu?ils
arrivent.
Paul et Caroline entrent. Bronzés et de
bonne humeur, ils vont embrasser leurs
enfants.
PAUL
Alors, les garçons, on a été sages ?
LUC
81
Alors, les parents on a été sages ?
Tous rient.
CAROLINE
Nous avons fait un voyage très agréable.
Le temps était au beau fixe, nous sommes
allés sur la Costa Brava, à Blanès, et nous
avons passé toute une journée à Barcelone.
J?adore cette ville, et surtout la vieille ville,
avec ses petites ruelles étroites. Elles ont un
charme fou.
PAUL
Tu oublies que nous sommes allés aussi à
Montserrat. Nous ne ramenons que de
beaux souvenirs.
CAROLINE
C?est vrai, ce voyage était merveilleux, il
était (elle cherche son mot)
JEAN
Idyllique, peut être ?
82
CAROLINE
Oui, c?est ça. Idyllique.
JEAN
C?est bien. Nous sommes très contents,
Luc et moi
LUC (il regarde sa montre)
Zut !!Déjà !!Vous nous raconterez tout ça
ce soir, moi, il faut que je file, sinon je vais
être en retard à mon cours.
JEAN (qui regarde sa montre également)
Je vais prendre le même bus que toi. Il
faut que je passe par la bibliothèque. A ce
soir
Les enfants embrassent les parents et
sortent.
83
Restés seuls, Caroline et Paul s?installent
dans des fauteuils.
Paul Lève ses bras en V et s?étire en
poussant un cri de bien être.
PAUL
Je trouve que ce voyage à quatre était très
sympathique. Nous avons eu une riche idée
de le faire. Tout le monde est content. Les
enfants sont heureux parce qu?ils pensent
que leurs parents sont revenus à leurs
premières amours, et les quatre parents sont
heureux. Je dois dire que j?apprécie
beaucoup ton?ami. Nous sommes du
même milieu : Un médecin et un avocat
sont faits pour s?entendre. Nous avons eu
des conversations intéressantes, et nos avis
convergent sur de nombreux points.
CAROLINE
Ne serait ce que sur le fait que vous aimez
ou avez aimé les mêmes femmes.
84
PAUL
Oui, par exemple. Plus je réfléchis, plus je
trouve des avantages à la solution que nous
avons adoptée. Les enfants pensent que tout
va pour le mieux dans notre ménage, nous
nous pouvons nous laisser guider par nos
penchants, sans avoir de remords, et de
plus, cette situation un peu bizarre, met du
piquant dans la vie.
CAROLINE
Sans compter que nous avons gagné deux
amis. Tu m?as dit que tu t?entendais bien
avec Jacques, quant à moi, je crois bien que
Jeanne va devenir une vraie amie. Sous ses
dehors timides, c?est une femme très
cultivée.
PAUL (riant gentiment)
Figure toi que je m?en étais aperçu !!!!.
Elle est presque aussi cultivée que toi.
CAROLINE
85
Tu deviens galant avec moi, maintenant ?
Inutile de faire des efforts : J?aime ailleurs.
PAUL riant également)
D?accord, mais tu aurais pu me dire que
Jacques était presque aussi intelligent que
moi.
CAROLINE
Ecoute, nous mentons déjà beaucoup aux
enfants, je ne vais pas sortir un nouveau
mensonge. Surtout que celui là serait
énorme !
PAUL (gentiment)
Vieille vache !! Enfin, copains ?
Il tend la main vers sa femme qui la serre
en camarade
86
LE RIDEAU TOMBE
FIN
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