Ecriture-Lecture




SUR FOND D\\\\\\\'ABEILLES



CHAPITRE 1
Fatigué, en nage, il s?assit au pied d?un pin, et
regarda les ruches qu?il venait de transhumer sur les
bruyères des Landes. L?intérêt de cette transhumance,
était que si l?année se révélait favorable, il pouvait, en
laissant ses ruches sur cet emplacement, faire deux
récoltes. Une première sur la bruyère Erica, et l?autre
sur la bruyère Callune. Ces deux bruyères dont les
floraisons s?échelonnent entre Juin et début novembre,
se trouvaient en abondance en ce lieu que Pierre avait
repéré l?hiver précédant. Le miel de callune, surtout,
était d?un bon rapport à l?exportation, en Allemagne en
particulier.
Il sortit de sa musette un thermos et se servit
successivement deux gobelets de menthe à l?eau.
Pour une fois, il avait du effectuer seul cette
transhumance. Habituellement, sa femme Roxane venait
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avec lui, mais sa grossesse était déjà bien visible, pour
qu?elle se livre à des travaux de force.
Le moment le plus agréable de la transhumance,
il commençait à le vivre. Lorsque toutes les ruches sont
en place, il est enfin possible se décontracter, se reposer,
se rafraichir, puis retourner vers les ruches. Pour le
plaisir.
Devant les dernières ruches déchargées, les abeilles
commençaient leur vol de repérage du nouvel
emplacement de leur maison, (vols que les apiculteurs
appellent le soleil d?artifice) cependant que dans les
ruches posées les premières, des abeilles revenaient déjà
avec des culottes de pollen coloré sur les pattes arrières.
C?était un merveilleux spectacle que de les voir
travailler, spectacle dont Pierre ne se lassait jamais,
mais, il se rendit compte, pour la première fois, que
c?était bien moins agréable quand on se trouvait seul.
En temps normal, il était toujours accompagné de
Roxane. Ils aimaient venir s?asseoir entre deux ruches,
et dans le bourdonnement des abeilles au travail, ils les
regardaient voler autour de l?entrée de la ruche, pour
bien repérer la situation de la maison où elles devaient
revenir avec leur provende : nectar, pollen, propolis ou
eau.
Il y avait une autre raison pour que Pierre apprécie
un peu moins, ce jour là, le spectacle charmant. Il se
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faisait un peu de mauvais sang pour Roxane. Oh, ce
n?était pas le fait qu?elle soit enceinte qui l?inquiétait.
Non. De ce côté-là, tout allait bien. Elle était allée la
veille passer une échographie, et tout se déroulait
normalement. Non, ce n?était pas cela. Mais depuis
plusieurs semaines, Roxane, naturellement rieuse,
extravertie, semblait préoccupée par quelque chose. Il
lui avait posé la question, la veille, avant de s?endormir,
et Roxane, qui ne savait pas lui mentir, lui avait
répondu :
- C?est vrai, Pierre, j?ai un problème, mais je ne
peux t?en parler, car cela concerne une autre personne.
Cependant, tu peux me faire confiance, cela n?aura
aucune répercussion sur notre couple.
Pierre, avait une confiance absolue en sa femme, et il
n?était triste, que parce que Roxane, l?était, et qu?il ne
pouvait l?aider.
En agitant ces pensées, il était revenu vers la
musette pour boire un autre gobelet. Le temps était
lourd, et très certainement un orage allait prochainement
éclater.
Il retourna une dernière fois au milieu de ses
ruches, pour leur dire au revoir, et constata que les
abeilles, rentraient en très grand nombre. Pierre se
demandait toujours, comment, une ruche, dont
l?espace est relativement restreint, pouvait contenir
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ce flot ininterrompu d?abeilles qui rentraient par
milliers.
Ce retour massif et précipité était un signe
certain. Dans quelques minutes, la pluie allait
tomber.
Pierre se dépêcha de remettre dans son camion,
tout le matériel qu?il avait utilisé : brouette spéciale,
sangles, hausses en surnombre etc, et sautant au
volant, il prit la route du retour.
Le camion n?avait pas parcouru 50 mètres qu?une
pluie drue, se mit à tomber.
Durant une partie du trajet vers sa maison, dans le
Gers, il essaya de deviner le problème qui
préoccupait tant Roxane. S?il ne pouvait le deviner,
en revanche, il était à peu près certain que c?était le
frère de Roxane qui était à l?origine du problème.
Ce frère ainé de Roxane, Jean, était un garçon qui
avait été, physiquement, gâté par la nature. Elancé,
athlétique, il avait un beau visage sympathique et
rieur, tous ces atouts expliquaient ses succès
féminins.
Malheureusement Jean, à 28 ans souffrait d?une
terrible allergie.
Une allergie au travail.
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Il était allé en classe jusqu?à 16 ans parce que
c?était obligatoire, et que ses parents l?avaient exigé,
mais dès la quatrième, ils arrêtèrent de se heurter à
la nonchalance du gamin, puisque légalement, il
pouvait abandonner ses études. La famille espéra un
moment que si Jean n?était pas doué pour les études,
c?est qu?il préférerait exercer une profession
manuelle. Malheureusement, il ne s?agissait pas de
choix d?activité, mais de paresse hors du commun
tout simplement.
Sa soeur Roxane, pensa que peut être,
l?apiculture, qui était pour elle la plus merveilleuse
des activités attirerait son frère. Mais Jean était
depuis plus d?un an chez sa soeur et son beau frère,
refusait absolument de travailler au rucher car il
détestait « ces bestioles qui piquent », Il ne voulait
pas, dans la cour, nettoyer les ruches mortes, parce
que c?était salissant, ni à la miellerie, parce que tout
ce miel l?écoeurait. On ne peut pas dire, que pour ne
pas travailler, il se soit trouvé à court
d?arguments?..
Pierre, au volant de son camion, repensait à tout
cela, mais se dit que Roxane avait compris depuis
longtemps que son frère ne travaillerait jamais, et
ce n?est pas cela qui pouvait la préoccuper à ce point
là, ces derniers jours.
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Il décida de ne plus y penser pour l?instant, et
d?apprécier le moment présent.
Pierre adorait conduire sous la pluie. Il ne roulait
pas très vite, à une vitesse aussi uniforme que
possible, et le bruit de fond du moteur, accompagné
de la cadence de métronome des essuies glaces le
plongeaient dans un état très agréable
d?engourdissement voluptueux.
Arrivé à 8 kilomètres de Condom, il tourna sur
la droite pour emprunter le chemin de sa propriété.
Après avoir garé le camion sous le hangar, il entra
dans la maison, où Roxane tout aussitôt vint se jeter
dans ses bras.
- Tout s?est bien passé ?
- Tout aurait été parfait?Si tu avais été avec moi.
Tu sais combien il est agréable, les ruches étant
en place, d?aller voir, ensemble, nos abeilles se
repérer et ramener les premières culotes de
pollen. Sans toi, ce spectacle manque de charme.
- Menteur, répondit Roxane en souriant, je suis
certaine que tu as beaucoup aimé ces instants,
même sans moi.
- Nous n?allons pas nous disputer ma chérie.
Où est Jean ?
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- Je l?ai envoyé faire une ou deux courses.
C?est tout ce qu?il accepte de faire, et il ne rentrera
pas avant midi.
- C?est pour lui que tu te fais du mauvais sang ?
- Il y a quinze ans que je me fais du mauvais sang
pour mon frère.
- Tu as donc un autre problème ?
- S?il te plait ! Je ne peux t?en parler pour l?instant.
- Soit. Mais je suis malheureux de te voir très
préoccupée et de ne pouvoir t?aider.
- Ne te mets pas martel en tête, mon chéri, tu as
assez de problèmes avec notre exploitation qui
repose en totalité sur toi.
Je ne peux pas beaucoup t?aider en ce moment.
Tiens ! Au fait, j?ai réfléchi à une chose : Puisque je
ne peux pas faire ma part de travail, j?ai pensé en
profiter pour aller chez mes parents durant quelques
jours. Cela ne t?ennuie pas trop ?
- Tu sais très bien que lorsque tu n?es pas là, j?ai
l?impression de ne pas être complet. Mais, ton
idée est bonne, cela te fera du bien d?aller passer
quelques jours auprès de tes parents, et de te
reposer. Nous nous téléphonerons tous les jours.
Je vais demander à ma mère de venir s?occuper
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de la maison, elle ne demande que ça. Depuis la
mort de mon père, la solitude lui pèse.
Le lendemain matin, Pierre allait chercher sa
mère, et dans l?après midi, il emmenait Roxane à la
gare d?Auch.
Jean était très satisfait de la vie qu?il menait chez
sa soeur et son beau frère. Bien sûr au début, il avait
du se battre pour ne pas travailler, mais maintenant
tout le monde savait qu?il était inutile d?insister.
C?était comme une maladie : Il était paresseux. Il
acceptait tout juste de temps en temps, d?aller faire
quelques courses, car cela lui permettait de
s?absenter une demi-journée, en donnant
l?impression de faire quelque chose.
Cependant, si Jean était paresseux, il ne faut pas
croire qu?il restait au lit ou dans un fauteuil toute la
journée. Absolument pas. Il se levait assez tôt, et
passait la plus grande partie de la journée dehors, à
faire on ne sait quoi. D?ailleurs, lorsqu?on le voyait,
on n?avait pas l?impression qu?il s?agissait d?un
garçon lymphatique. Il semblait au contraire assez
vif, et au cours des conversations, on pouvait se
rendre compte qu?il n?était dépourvu ni
d?intelligence, ni de connaissances, ni d?esprit.
Pierre reconnaissait d?ailleurs ces qualités à son
beau frère, qui était pour lui un cas très curieux qu?il
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ne comprenait pas. Une chose était certaine, c?est
que Jean étant le frère de Roxane, il n?était pas
question de le mettre à la porte.
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CHAPITRE 2
PIERRE
Je viens d?avoir 30 ans. Je n?ai pas à me
plaindre de la vie.
Très tôt, vers l?âge de 10 ans, j?allais aider
un voisin de mes parents à faire sa récolte de
miel. Mon intervention, au début, consistait
simplement, à tourner la manivelle de
l?extracteur, dans lequel l?apiculteur mettait les
cadres désoperculés. Peu à peu je pris une part
plus importante aux travaux de miellerie, puis,
avant l?extraction je vins faire la récolte des
cadres au rucher, et pris de passion pour cette
activité, je fus bientôt capable d?allumer
l?enfumoir, d?ouvrir, seul, les ruches et de
juger des interventions à effectuer.
« Ton bac d?abord », disaient mes parents
auxquels j?avais fait part de ma décision de
devenir apiculteur professionnel. En fils
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obéissant, je passais mon bac et partis une
année, faire un stage, chez un apiculteur
professionnel de ma région, le sud ouest.
Jusque là, je n?avais acquis que la technologie
du miel. Durant mon stage, je m?initiais aux
productions du pollen, et surtout de la gelée
royale, cette dernière, marquant un peu
l?aristocratie de la profession.
Les récoltes de gelée royale s?effectuent tous
les 3 jours, et chaque fois, avant d?ouvrir les
ruches, on ressent le plaisir des joueurs, car les
paramètres de réussite sont nombreux, et l?on
ne sait jamais si la récolte sera bonne ou
mauvaise ( voire nulle, si la reine, malgré les
précautions prises, est venue dans la partie
orphelinée)
A la fin de mon stage, avec l?aide de mes
parents, et un prêt que j?avais obtenu, j?ai pu
acheter mes 100 premières ruches, et mon
matériel de miellerie de base, que j?installais
dans l?ancienne buanderie de la maison de mes
parents.
Comme je vivais chez eux, je n?avais pas de
frais, et tous mes gains furent consacrés à
l?achat de ruches nouvelles, si bien qu?à 22 ans
j?avais une exploitation rentable de 300 ruches,
et produisais miel, pollen, gelée royale, et
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propolis, que je vendais dans des magasins de
diététique.
J?étais en quatrième, lorsque j?avais fait la
connaissance de Roxane Arnaud qui était en
cinquième. Je peux dire, que dès la première
année, nous savions que nous étions destinés
l?un à l?autre. Très vite, je l?emmenais chez
mon voisin pour les récoltes de miel, et l?on
peut dire, que notre amour, s?était développé
en même temps que notre passion commune
pour l?apiculture.
Peu avant mon mariage, j?ai acheté une petite
propriété par la SAFER.
Nous sommes mariés depuis trois ans. Pas
une seconde, je ne l?ai regretté, et je me plais à
croire qu?il en est de même pour elle. Notre
premier enfant, va naitre dans 5 mois.
Depuis un an, le frère de Roxane vit avec
nous. Au tout début, j?ai pensé qu?il allait
pouvoir s?intéresser à mon activité, et m?aider
dans cette profession qui demande de
nombreux travaux manuels. Mon illusion fut
courte. Jean étant littéralement inapte au
moindre effort. A ce point là, ce n?est plus de
la paresse, c?est une pathologie.
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Ce garçon reste une énigme pour moi. La
nature l?a doté d?un physique avantageux, il est
loin d?être inintelligent, et comme il lit
beaucoup, il a une culture qui quelquefois me
sidère. C?est fou le nombre de choses inutiles
qu?il connait, et j?ai l?impression que tous les
domaines retiennent son attention.
J?avais pensé un temps qu?il avait été mal
aiguillé, et que l?on aurait du lui faire
poursuivre des études, mais selon ses propres
aveux, il ne pouvait pas s?intéresser à des
études utilitaires. Après avoir interrompu
prématurément ses études, il s?était intéressé
successivement à la littérature, à la
philosophie, à l?ésotérisme? Un curieux
garçon en vérité !
Au demeurant, très sympathique, ses succès
féminins sont nombreux, aussi bien parmi les
intellectuelles que celles qui n?ont qu?une
formation primaire.
Son oisiveté étant une sorte de maladie,
non seulement on ne pouvait lui en vouloir,
mais on en arrivait à le plaindre.
Jean n?est pas un bonhomme à paresser au
lit ou dans une chaise longue. Non. Je ne sais
pas ce qu?il peut fabriquer toute la journée,
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mais il se lève chaque jour relativement tôt, et
sa toilette faite, il quitte la maison. J?ai tenté à
plusieurs reprises de lui demander ce qu?il
faisait de ses journées. Il m?avait répondu
d?une façon évasive, mais avec son beau
sourire :
« Oh, je bricole ». Et je n?avais pu en tirer
plus de précisions.
Une seule fois, j?ai essayé de lui dire qu?il
pourrait bricoler à la maison, mais il m?a
simplement répondu d?un ton assez sec :
« Ca n?a rien à voir » marquant par là qu?il
n?entendait pas poursuivre cette discussion.
Roxane et moi travaillons beaucoup, mais
nous avons une vie matérielle très correcte.
C?est ce qui nous permet de garder Jean, sans
trop de problème, mais j?ai prévenu Roxane
(qui était d?autant plus d?accord avec moi que
cette hypothèse lui paraissait exclue) qu?en cas
d?années plus difficiles, matériellement, nous
serions obligés de dire à Jean de se faire
entretenir ailleurs.
Que Roxane ne puisse croire qu?un revers
de fortune, pourrait nous atteindre, était une
bonne chose. Il était préférable qu?elle ne se
fasse pas trop de mauvais sang. Mais, moi, je
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sais, que nous restons à la merci d?une
hécatombe dans nos ruchers, due à un nouveau
pesticide, où un nouveau prédateur, et notre
production, dans ce cas là, risquerait de chuter
brutalement, tout en affaiblissant notre cheptel
pour les années suivantes.
Nous avons déjà perdu jusqu?à 60 ruches
en une année, ce qui représente, pour une
exploitation de 300 ruches, une perte
conséquente de 20%. Bien sûr, j?ai la chance
de savoir produire de la gelée royale, qui ne
nécessite pas beaucoup de ruches, mais en
revanche un gros travail, Alors, il m?est
toujours possible, en cas de nécessité, de forcer
sur ce produit très demandé, mais, ma
production, demeure limitée par mon temps
disponible.
Enfin, globalement, je n?ai pas à me
plaindre, et indépendamment du rapport, mes
abeilles me ménagent des moments tellement
magnifiques, que je ne pourrais jamais,
personnellement, les trouver dans une autre
profession.
Ma femme, mes abeilles, et bientôt mon
fils. Non je n?ai pas à me plaindre de la vie.
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CHAPITRE 3
ROXANE
Mes parents vont être heureux de m?avoir chez
eux pour plusieurs jours. Et je dois avouer, que
malgré mon amour profond, indéfectible, pour
Pierre, j?ai besoin de prendre un peu de
distance. Non pas vis-à-vis de mon mari bien
sûr, mais de mon frère.
Je connais bien mon frère, ou plus
exactement, je croyais bien le connaitre, mais
aujourd?hui, je me pose des questions.
Mon jugement à son sujet était simple et net.
Jean est un garçon qui a été gâté par la
nature dans de nombreux domaines. C?est un
très bel homme, athlétique, et élégant. Voilà
pour le physique.
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Par ailleurs, il est intelligent, et il a l?esprit
curieux. Sans avoir besoin d?être un gros
bûcheur, s?il avait travaillé normalement, il
aurait pu poursuivre de hautes études sans
aucune difficulté.
Enfin, il a un excellent fond. Il est doux,
gentil, pas méchant pour deux sous.
C?est le portrait d?un homme merveilleux
que je viens de faire.
Et pourtant?.
Oui ! il y a un pourtant..
Jean est dans l?impossibilité d?avoir une vie
normale, c'est-à-dire de travailler même un
minimum pour assurer sa subsistance.
Je viens de dire là, tout ce que je pensais de
Jean, persuadée de le connaitre parfaitement.
Mais depuis près de trois semaines, je
commence à me demander si je connaissais
mon frère si bien que cela.
Ce qui m?a mis la puce à l?oreille, c?est une
conversation téléphonique, entendue tout à fait
par hasard.
Je triais du pollen à l?aide de brucelles, et
exceptionnellement je m?étais installée dans la
cuisine, et non pas dans la miellerie, un peu
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chaude par ce temps presque caniculaire
malgré la saison encore peu avancée.
J?entendais parler au téléphone, mon frère
qui se trouvait dans la pièce à côté, la salle à
manger. Comme je n?avais pas entendu de
sonnerie, j?en avais conclu que c?était lui qui
avait appelé. Mon frère disait :
« Ecoute, mon vieux, je fais ce que je peux,
mais tu sais que les moyens mis à ma
disposition sont limités. Je ne peux pas
accomplir des miracles, il faut me laisser du
temps. En revanche, je vous demande à tous,
de me faire confiance, et j?obtiendrai les
résultats que vous escomptez. Il me faut un peu
de temps, et j?y parviendrai. »
Après un moment d?écoute, la voix de Jean
s?éleva de nouveau :
« Non ! Je suis formel ! Personne ne se doute
de rien, même ma soeur qui est pourtant une
fine mouche. Mon beau frère non plus.
D?ailleurs, lui, en dehors de ses abeilles, rien
ne retient vraiment son attention.
A bientôt Bob. Je te tiens au courant. »
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Je m?étais arrêtée de travailler,
complètement retournée par ce que je venais
d?entendre.
Ainsi mon frère que non considérions tous,
moi la première, incapable d?avoir la moindre
activité, semblait bien en avoir une, et
certainement peu avouable, d?après les
quelques mots entendus.
Une autre constatation me revint à l?esprit.
Jean était là depuis plus d?un an. Il était logé,
nourri, blanchi, mais je ne lui avais jamais
donné un euro, et Pierre non plus, j?en suis
certaine. Or à plusieurs reprises, nous avons vu
arriver Jean, avec une paire de chaussures
neuves, du linge de corps, de jolies chemises et
même une fois avec un complet neuf. D?où
tirait-il l?argent ?
Lorsqu?il était revenu avec son complet, je le
lui avais demandé mais il m?avait répondu
évasivement qu?il avait gagné un pari avec un
copain.
Ma première crainte ne se réalisa pas
(j?avais peur qu?en venant dans la cuisine, et
constatant ma présence, il aurait su que j?avais
entendu sa communication téléphonique) mais
il était sorti par la porte-fenêtre dans la cour, en
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revanche j?avais une autre crainte, qui, elle, ne
me quitte plus. A quel trafic se livre mon
frère ? Mon frère Jean que j?aime beaucoup,
n?est pas ce que nous pensons, et il se livre
sans doute à des activités qui ne semblent pas
très catholiques. Que dois-je faire ?
Normalement, je devrais en parler à Pierre,
pour lequel je n?ai jamais eu de secret, et qui
est le bon sens personnifié. Lui, me dirait que
faire. Mais Pierre, je le sais, se fait beaucoup
de mauvais sang pour notre exploitation. Il
croit que je ne m?en rends pas compte, mais je
sais parfaitement les risques que nous courrons
avec toutes les pertes d?abeilles que nous
subissons. Je suis plus lucide, qu?il ne le pense
et c?est beaucoup mieux comme ça. Il me croit
dans une quiétude totale, et cela l?aide dans son
combat pour la survie de notre exploitation.
Décidemment, non, je ne vais pas donner un
souci de plus à mon mari chéri.
Je suis bien contente d?aller chez mes
parents. J?espère que la distance géographique
me permettra d?oublier un peu les causes de
mes tourments.
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Le fait est, que mes parents ont été si
heureux de m?avoir un peu pour eux, que je me
suis laissée gâter, et que mes problèmes sont
passés à l?arrière plan.
Chaque soir, nous nous téléphonions,
Pierre et moi. Par un accord tacite, nous ne
parlions que des petits problèmes de la vie
courante. Nous ne parlions ni de problèmes
professionnels, ni de Jean.
Je dois avouer que mon séjour chez mes
parents a été très agréable, et lorsque je suis
revenue chez moi, je me sentais reposée, et le
problème de Jean me semblait moins important
que lorsque je suis partie.
Pourtant mes craintes sont revenues à la
vitesse, grand V. Le lendemain de mon retour,
après le petit déjeuner, alors que nous étions
tous les trois dans la salle à manger, Jean nous
dit :
« Il faut que je m?absente pour 48 heures. Je
rentrerai demain soir.
C?est Pierre qui, un peu ironique bien sûr,
lui répondit :
- Ah bon ? Tu as trouvé une activité à ton goût ?
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- Une activité, c?est beaucoup dire. Non. Je vais
simplement essayer de rendre service à un
copain. J?espère y parvenir car il se fait pas mal
de tracas. Allez ! A demain soir !
Il est sorti, et Pierre l?a suivi de près, pour aller
dans un rucher. Mon adorable mari, n?avait rien
trouvé d?anormal dans l?attitude de Jean. Il est vrai,
qu?il ne possédait pas les mêmes éléments que moi.
Pourtant, peut être était-il plus subtil que je ne le
pensais, car au déjeuner que nous prenions donc en
tête à tête, Pierre me dit :
- Je ne te cache pas qu?il m?intrigue un peu ton
frangin. Ce garçon est très sympathique, mais j?ai
du mal à le comprendre. Il n?a pas l?attitude de
quelqu?un qui, ne fichant rien de la journée, en
est un peu honteux. Il est parfaitement à l?aise, et
ne semble pas miné par le moindre remords.
D?autre part, je ne lui donne jamais d?argent. S?il
en est de même pour toi, je me demande
comment il peut faire des achats vestimentaires.
Tu ne trouves pas cela un peu curieux ?
- Tout d?abord, je te confirme que je ne lui ai pas
donné un euro. Et moi aussi je suis un peu
surprise comme toi, que ne travaillant pas, il
puisse faire des achats. Tu trouves cela curieux,
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moi, je te l?avoue, cela m?angoisse un peu?..pas
mal, même.
- Alors demain soir, j?aurai une explication avec
lui. Que je le trouve curieux, ce n?était pas très
grave, mais si cela t?angoisse, cela je ne peux le
supporter. Demain soir, nous en aurons le coeur
net.
Pendant quelques minutes, j?ai essayé de
dissuader Pierre d?engager une discussion avec Jean
à ce sujet. J?aurais préféré attendre un peu, pour
essayer de recueillir quelques éléments
supplémentaires. Après tout, je me faisais peut être
une montagne, d?un fait sans grande importance.
Mais Pierre n?en démordait pas : Du moment que
l?ignorance m?angoissait, il fallait que cela cesse, et
j?ai du donner mon accord pour qu?au dîner du
lendemain, nous abordions le problème, en refusant
cette fois ci, tous les faux-fuyants que Jean utilisait
habituellement.
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CHAPITRE 4
LA BLESSURE
Pierre partit de bonne heure pour faire sa
tournée de livraisons dans le Gers et les
Landes.
La veille, Roxane avait téléphoné à une
dizaine de commerces de diététique, à Auch,
Mirande, Mont de Marsan et Dax. Elle avait
pris les commandes de cartons de miel, pollen,
et gelée royale, et avait étiqueté tous les pots.
C?était une bonne tournée avec plus de 1000
euros de commandes.
Au volant de son break, Pierre pensait au
problème posé par Jean, et il était bien décidé,
à se montrer très ferme pour obtenir des
éclaircissements sur les véritables activités de
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son beau frère. En aucun cas, il ne voulait
risquer des ennuis, surtout pour Roxane. En
mettant les choses au pire : Si Jean se livrait au
trafic de drogue, il est évident que ceux qui le
logeaient, depuis plus d?un an, pourraient être
suspectés d?être au courant de cette activité
illicite.
Pierre rentra chez lui vers 18 heures. Jean
n?était pas encore revenu, et Roxane, se
montrait nerveuse. Elle appréhendait la
discussion qui aurait lieu lors du dîner.
Normalement, le repas du soir avait lieu aux
alentours de 20 heures. Pierre et Roxane,
attendirent jusqu?à 20 heures 30, et Jean,
n?étant toujours pas rentré, ils se mirent à table.
Lorsqu?ils allèrent se coucher, vers 22
heures 30, Jean n?était toujours pas là.
Le lendemain matin, alors que Pierre et sa
femme déjeunaient, ils virent Jean qui sortait
de sa chambre, le bras droit en écharpe, et
boitant légèrement.
Très pâle, mal peigné, les conquêtes de ce
dandy ne l?auraient pas reconnu?.
Prévenant leurs questions, Jean leva sa
main valide, et leur dit.
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- Pas de panique !! Je vais vous expliquer. Ce
n?est pas grave. Tout d?abord, j?ai une faim de
loup.
En fait, cette dernière affirmation était
complètement erronée, car Jean se contenta de boire
un bol de café.
- J?étais en voiture avec un copain, et nous avons
eu un accident avec un autre véhicule dont le
conducteur a pris la fuite. Je suis légèrement
blessé au bras, et j?ai reçu un coup à la jambe,
mais rien de grave.
- Tu as bien mauvaise mine ! As-tu vu un médecin
demanda Roxane ?
- Non, non, c?était inutile, ce n?est pas grave.
- Ton pansement au bras n?a pas été fait par un
professionnel, je vais te le refaire, et voir ta
blessure.
- Non, non, je te dis que ce n?est pas grand-chose.
Laisse ! Ca va bien comme ça.
- Ecoute Jean, tu choisis : Ou j?appelle le médecin
ou tu me laisses voir ta plaie.
Jean hésita un long moment et finit par
accepter que sa soeur lui refasse son pansement.
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Après avoir enlevé la bande qui avait été posée
un peu n?importe comment, Roxane vit que la
blessure, profonde, avait été faite par un projectile
qui était entré dans le gras du bras d?un côté et était
ressorti de l?autre.
- Ce n?est pas un accident d?automobile que tu as
eu. Cette blessure en séton a été faite par une
balle, j?en ai la certitude.
Pierre qui était venu également voir la
blessure, confirma le diagnostic de sa femme.
- Maintenant, Jean, dit-il à son beau frère, il va
falloir que nous ayons une explication sérieuse.
Nous t?hébergeons depuis plus d?un an, et nous
ne voulons pas risquer d?être accusés de
complicité. Il faut que tu nous dises ce que tu
fais, car, il est inutile de nous dire que tu ne fais
rien de spécial. Nous ne te donnons pas d?argent
et tu fais des dépenses vestimentaires. Où
trouves-tu l?argent ? Et surtout, sois franc! Ne
nous raconte pas des histoires !!
Jean hésita encore longuement, mais en
définitive, il ne voulut rien dire. Il prétendit qu?il
n?était pas maitre d?un secret, qu?il ne pouvait rien
révéler pour l?instant, mais qu?en tout état de cause,
il n?y avait rien d?illicite dans son activité.
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L?insistance de Pierre n?eut aucun effet, et devant
le silence obstiné de Jean, malgré le risque de
déplaire à Roxane, il posa un ultimatum.
- Jean, tu ne veux pas nous dire ce que sont tes
activités, soit. Alors écoute-moi bien : Nous
allons te ficher la paix durant quinze jours. Dans
deux semaines, soit tu nous dis franchement ce
que tu fais, soit tu pars. Ce ne sont pas des
paroles en l?air. Il n?y aura pas de rémission. Tu
as quinze jours, pas un de plus.
Maintenant, en ce qui concerne ta blessure, je
comprends que tu ne veuilles pas faire appel à un
médecin qui serait dans l?obligation de signaler qu?il
avait du soigner une blessure par balle, ce qui
t?apporterait pas mal de désagréments. Roxane va
donc te soigner d?une façon classique, en
désinfectant ta plaie. Ensuite, je t?appliquerai un
remède à moi. Tranquillise-toi. Il ne s?agit pas d?un
truc de mon invention. C?est au contraire un très
vieux remède. Les légionnaires romains avaient
dans leur paquetage un morceau de propolis, qu?ils
mettaient sur leurs blessures, après les batailles.
C?est un produit que les abeilles rapportent à la
ruche, et grâce auquel, d?ailleurs, l?atmosphère
d?une ruche est très saine, alors que dans un espace
réduit, des dizaines de milliers d?insectes vivent
dans l?humidité et la chaleur, conditions
33
normalement propices au développement des
microbes de toutes sortes.
Je mettrai donc de la propolis sur ta plaie, ce
produit est à la fois un analgésique et un antibiotique
puissant, aussi, j?espère que nous n?aurons pas à
regretter de ne pas avoir appelé un médecin.
Je te le répète, tu as quinze jours pour nous parler
ou trouver un autre gîte. D?accord ?
Jean acquiesça gravement de la tête, sans
laisser deviner la solution à laquelle il allait
s?arrêter.
Il y avait une semaine que cette explication avait
eu lieu, Pierre, venait de partir dans un rucher, Jean,
qui depuis sa blessure, n?était plus sorti en ville,
était remonté dans sa chambre après le petit
déjeuner, quand à Roxane, elle vaquait à des travaux
ménagers.
Un véhicule entra dans la cour. Une jeune femme
en sortit, et vint frapper à la porte d?entrée. Roxane
vint lui ouvrir, et fut surprise de voir si tôt, cette
femme inconnue qui demandait à voir Jean Arnaud.
Ce dernier avait du la voir par sa fenêtre, car il
descendit rapidement les escaliers, dit à la jeune
34
qu?il ne pouvait la recevoir, et, brutalement, referma
la porte sur elle.
Roxane, furieuse de constater l?incivilité de son
frère, ouvrit de nouveau la porte, et dit à
l?inconnue :
- Veuillez excuser mon frère?.si vous le pouvez.
Moi, je vais vous recevoir. Entrez !
- Je t?interdis?..commença Jean,
- Fiche moi la paix. Je suis chez moi et je reçois
qui je veux !
- Mais tu ne sais pas?????.
- Justement, je veux savoir. Monte dans ta
chambre. Suivez-moi madame.
Pendant que Jean remontait dans sa chambre,
en secouant la tête, en marque de désapprobation,
l?inconnue suivit Roxane vers le salon. Les deux
jeunes femmes installées dans des fauteuils, Roxane
questionna.
- Pouvez-vous me dire la raison pour laquelle vous
vouliez voir mon frère. Je crois qu?il doit avoir
des problèmes en ce moment, et je voudrais
l?aider. Pouvez-vous m?éclairer ?
- Je m?appelle Claire Marion. Votre frère,
madame Foulon, est un homme remarquable.
35
Oui, vraiment remarquable ajouta-t-elle
pensivement. Mais je ne sais pas plus que vous,
ce qui se passe. Jean est un ami?.et même un
peu plus. Je vous avoue que je l?aime, et je
pensais jusqu?à ces derniers jours qu?il m?aimait
aussi. Son attitude a radicalement changé ces
derniers temps, je ne l?ai pas vu depuis une
dizaine de jours, il ne m?a pas donné de ses
nouvelles, et j?ai vu tout à l?heure qu?il était
blessé au bras. C?est vous qui pouvez m?éclairer.
Que s?est-il passé ?
- Je n?en sais rien. Il ne veut pas parler. Mais
comme vous le connaissez bien, dites-moi si
vous savez ce que sont ses occupations. Que
vous a-t-il dit ?
- En dehors du fait qu?il est représentant de
produits diététiques, je ne crois pas qu?il ait
d?autres activités. En tous cas, il ne m?a rien dit
d?autre.
- Il vous a dit être représentant en produits
diététiques ?
- Oui, pourquoi ? Ce n?est pas vrai ?
Roxane se demanda si elle devait répondre à
cette question et préféra finalement dire qu?elle
savait qu?il sortait beaucoup mais qu?elle ignorait
totalement ce qu?il faisait.
36
Un très long silence plana entre les deux jeunes
femmes. S?il n?y avait eu le bruit des volets
agités par le vent d?autan violent, qui soufflait
depuis deux jours, on aurait pu entendre les
respirations de Claire et Roxane, tant la maison
était calme..
Soudain, Jean fit irruption dans la pièce, et
demanda à Claire de partir. Il s?engageait à parler
dans huit jours, à sa soeur, ainsi qu?à Claire, mais
demandait instamment, que d?ici là, on ne lui
pose aucune question.
Claire se leva et regardant Jean droit les yeux,
lui dit qu?elle voulait croire en lui, et que pour sa
part, elle attendrait les 8 jours demandés avant de
savoir la vérité. Puis, elle prit congé sans
parvenir, malgré ses efforts, à cacher quelques
larmes.
Jean remonta dans sa chambre, et Roxane
retourna à ses occupations.
Lorsque Pierre rentra, en fin de matinée, sa
femme le mis au courant de la curieuse visite
qu?elle avait reçue, ainsi que de la prétendue
profession exercée par Jean.
- Chouette ! Essaya de plaisanter Pierre, avec un
beau frère représentant en diététique, notre
chiffre d?affaires va doubler en un rien de temps.
37
Cette plaisanterie ne dérida pas Roxane, et le
déjeuner qui suivit ne se déroula pas dans une
ambiance très gaie. Heureusement, Pierre ne
manquait pas de sujet de discussion avec ses
abeilles, et il raconta, comment dans la matinée, il
pensait avoir pu sauver une ruche orpheline, en la
transportant hors du rucher, pour mettre sur l?ancien
emplacement une ruche contenant un cadre de
couvain frais, sur lequel les abeilles de vol, revenant
à leur lieu habituel, allaient mettre en route un
élevage royal.
Mais, ce jour là, Roxane avait la tête ailleurs, et
ne contribua pas à alimenter la conversation qui
s?éteignit, laissant planer un silence des plus
désagréables.
Après s?être levé de table, et en sortant de la salle
à manger, Jean confirma ce qu?il avait dit le matin
aux deux jeunes femmes.
- Dans une semaine, donc, vendredi prochain, je
vous expliquerai tout. D?ici là, ne vous mettez
pas martel en tête : Mes activités ne sont pas
illicites. Faites moi confiance pour quelques
jours, et ne parlons plus de tout cela jusqu?à
vendredi.
Jean une fois sorti de la pièce, Pierre
s?employa à rassurer Roxane.
38
- Je suis persuadé que Jean nous dit la vérité. Il n?a
pas une activité inavouable, et il nous en parlera
dans une semaine. Pour l?instant, donc, n?y
pensons plus, et attachons nous à régler nos
propres problèmes.
Pierre avait décidé de créer 30 ruches
nouvelles. Pour cela, il allait dans les jours qui
viennent, mettre en route un élevage de reines.
C'est-à-dire, que dans une ruche, orphelinée pour
l?occasion, il allait offrir aux abeilles, des cupules
fixées sur des baguettes, et dans lesquelles, sur une
mini-goutte de gelée royale, il grefferait des larves
d?origines quelconques, mais âgées de moins de 18
heures.
12 jours plus tard, il disposerait d?une trentaine
de cellules de reines prêtes à éclore qu?il n?aurait
plus qu?à introduire dans des paquets d?abeilles
provenant des ruches les plus fortes.
C?était un travail minutieux mais que Pierre
adorait faire, car cette opération lui donnait
l?impression de dominer son sujet, de gérer et
maitriser intelligemment son exploitation.
Dans la semaine, Roxane faisait des courses chez
Leclerc, lorsque son caddy fut très légèrement
heurté par un autre, poussé par une jeune femme.
39
C?était Claire, et le hasard ne devait pas avoir une
grande part dans cette rencontre.
Roxane en eu d?ailleurs très vite la confirmation,
car Claire lui dit :
- Je voulais vous voir. J?ai accepté d?attendre 8
jours pour savoir ce que Jean me cachait, mais, je
l?avoue, c?est plus dur pour moi que je ne
l?aurais cru. Savez-vous quelque chose de
nouveau ?
Roxane lui raconta les brefs propos tenus par
Jean à ce sujet. Ils étaient rassurants, puisque il était
formel : Il n?exerçait aucune activité illicite. Il
suffisait donc d?attendre, et comme l?on était déjà
mardi, il n?y avait plus que trois jours, pour savoir.
Lorsque les deux femmes se séparèrent, Roxane
put constater que ses paroles apaisantes n?avaient
pas eu beaucoup d?effet, car, à bout de nerfs, Claire
s?était mise à pleurer.
40
CHAPITRE 5
La veille de la grande explication, le jeudi, donc,
Jean partit de bonne heure. Il avait toujours le bras en
écharpe, et sa soeur, craignant qu?il n?ait des difficultés
pour diriger sa bicyclette, avec le vent toujours
extrêmement violent, lui proposa de l?amener en voiture
où il le désirait.
Jean remercia mais préféra y aller seul. Il rassura
sa soeur en lui disant avec un grand sourire, qu?il lui
restait un très bon bras qui saurait maintenir fermement
le guidon. Il est incontestable, et Roxane le remarqua,
que le sourire n?avait pas duré très longtemps, et que
malgré ses efforts pour ne pas le laisser paraitre, le
jeune homme était très tendu.
A midi, Roxane avait préparé le repas pour deux
puisque Jean avait prévenu qu?il ne rentrerait que le
soir. A midi, contrairement à son habitude, Pierre n?était
pas là. Elle regretta amèrement d?être une des rares
personnes à ne pas posséder de téléphone portable, et
41
elle se jura de remédier à cette véritable infirmité, très
rapidement.
A partir de midi et demi, Roxane fut très inquiète, et
comme elle savait que Pierre devait aller au rucher de
Marinier, elle prit sa voiture pour aller le rejoindre.
A 100 mètres du rucher, elle aperçut la
camionnette de son mari, et son coeur se mit à battre
violemment. Il était anormal que Pierre soir resté au
rucher à cette heure avancée.
La camionnette était vide.
Elle appela Pierre, mais personne ne répondit. En
arrivant à proximité des ruches, elle vit Pierre couché
sur le sol, face contre terre, et de nombreuses abeilles
qui tournaient autour. Affolée, elle se précipita vers son
mari. Insensible aux quelques piqures qu?elle reçut, elle
tourna Pierre sur le dos, et se rendit compte qu?il était en
vie, et avait gardé son voile d?apiculteur. Il battait des
paupières, et finit par ouvrir franchement les yeux.
Voyant Roxane, il fit un sourire et prononça les mots
classiques : « Où suis-je ? »
- Au rucher, mon chéri, mais il faut partir, il y a
beaucoup d?abeilles furieuses.
Pierre se releva avec peine, s?appuyant sur sa
femme, et ils s?éloignèrent du rucher.
42
Débarrassés des abeilles, les deux jeunes gens
s?assirent sous un pin, et Roxane demanda ce qui
s?était passé.
- Je venais d?ouvrir une ruche, dit-il, lorsque j?ai
eu la sensation d?une présence. Je me suis
retourné, et j?ai vu un homme derrière moi, un
bras en l?air, tenant un gourdin qu?il s?apprêtait à
m?asséner sur le crâne. D?un pas de côté, j?ai pu
échapper au coup, et je suis parti en courant.
J?ai immédiatement pensé que mes abeilles
pouvaient me défendre. J?ai donc volontairement
renversé une ruche, tout en courant, et aussitôt
les abeilles, furieuses, se sont attaquées à nous.
Moi, j?étais protégé par mon voile et habitué aux
piqures. Mais l?homme complètement affolé, est
parti en courant et en criant. Cependant, il n?avait
pas lâché sa matraque, et, passant à côté de moi,
il parvint à m?administrer un coup sur le crâne.
Je ne me souviens de rien, depuis ce moment là,
et je viens juste de me réveiller. A propos :
Quelle heure est-il ?
- 1 heure 30 lui répondit Roxane.
- Cela fait donc plus de deux heures que cela s?est
passé.
43
- Il faut absolument que tu ailles te faire examiner
à l?hôpital. Tu es resté longtemps sans
connaissance.
Avant de quitter le rucher, ils examinèrent les
abords pour recueillir éventuellement des indices
qui permettraient d?identifier l?agresseur de Pierre.
Ils ne trouvèrent qu?une corde, solide et longue, qui
semblait prouver que le, ou les agresseurs, voulaient
seulement assommer Pierre, pour le ligoter, et sans
doute l?emmener. Mais pourquoi ? Il était
impossible de donner une réponse à cette question,
quoique, l?un et l?autre, sans vouloir en parler,
pensèrent aux activités encore inconnues de Jean.
Pierre était sans force, et c?est Roxane qui mit un
voile et alla fermer la ruche sur laquelle travaillait
Pierre lors de son agression, puis elle replaça la
ruche renversée par Pierre sur son support. Ils
laissèrent la camionnette au rucher, et Roxane, avec
son véhicule, emmena directement Pierre à l?hôpital.
Il avait un violent mal de tête, mais ses idées
étaient claires. Le médecin qui l?examina estima
plus prudent, cependant, de le garder en observation
jusqu?au lendemain.
En fin d?après midi, avant qu?elle ne quitte
l?hôpital, Pierre dit à Roxane de ne pas aller déposer
une plainte à la gendarmerie avant d?avoir vu Jean.
44
Elle ne répondit pas mais le regard qu?ils
échangèrent, prouvait qu?ils avaient les mêmes
arrières- pensées.
De fait, lorsque Jean rentra et fut mis au
courant par sa soeur de ce qui s?était passé, il pâlit et
murmura : « Les salauds ! C?est de ma faute »
- Maintenant, tu ne peux plus te taire ! Tu dois
nous dire ce qui se passe. Qui sont ces gens qui
ont attaqué Pierre, et pourquoi ?
- Je ne peux pas tout te dire, mais tu sauras les
grandes lignes.
Depuis 7 ans, je travaille pour les services
spéciaux français. Je dois donc être disponible à tous
moments. Pour cela, bien que cela m?ait été très
difficile, surtout au début, j?ai du laisser s?accréditer
l?idée que j?étais un incurable paresseux. J?ai du
mentir à tout le monde, et passer pour un pauvre
type, mais, c?est un désagrément que j?avais
implicitement accepté en entrant dans les services
secrets.
Je ne peux te parler de l?affaire sur laquelle je
me trouve actuellement, mais sache que je détiens
un document depuis hier soir, et qu?un service
étranger fait tous ses efforts pour me le reprendre.
45
Ils ont cru que Pierre devait être fatalement au
courant de l?endroit où j?avais mis ce document,
puisque j?habite chez lui, et ils ont voulu le
kidnapper pour le faire parler. Nous allons nous
enfermer dans la maison, et demain, il faudra que
j?aille voir Pierre à l?hôpital pour le mettre au
courant, et pendant ce temps, jusqu?à midi, je te
demande de ne pas sortir, et de rester barricadée
dans la maison. En fin de matinée je reviendrai, et
nous aviserons. Je te demande pardon pour tous ces
désagréments que je vous apporte, mais une fois
cette affaire réglée, je te promets de partir, et vous
n?aurez plus d?ennuis venant de moi.
Roxane était partagée entre la crainte de savoir
que son frère exerçait une activité dangereuse, et
l?immense joie de savoir que loin d?être un
paresseux, il avait des occupations nobles, au
service de son pays.
Le lendemain matin, après s?être assuré que sa
soeur refermait bien la porte derrière lui, Jean se
rendit à l?hôpital, où il eut du mal à voir Pierre, car
les visites n?étaient autorisées que l?après-midi.
Il obtint un passe droit de 10 minutes, et révéla à
son beau frère ce qu?il avait dit, la veille à Roxane,
puis demanda :
46
- As-tu pu voir celui qui t?avait attaqué ? Peux-tu
le décrire ?
- J?étais penché sur une ruche, lorsque j?ai senti
une présence. Je me suis retourné, et comme
j?avais la tête baissée, je ne sais même pas s?il
était grand ou petit. Le seul petit détail que je
peux te donner, c?est qu?il était blond, très blond,
et c?est pourquoi j?ai pu voir cette
caractéristique, mais je ne peux rien te dire
d?autre, et je crains de ne pouvoir t?aider.
- Détrompe-toi. Je vois parfaitement de qui il
s?agit. Merci. Si tu peux sortir dans l?après midi,
téléphone-nous, et je viendrai te chercher. Je ne
veux pas que tu coures d?autres risques.
- Sans te questionner sur ta mission elle-même,
peux-tu me dire au moins si tu vas garder
longtemps ce document qui nous met tous trois
en péril.
- Ta question est bien normale. Ce soir, à 18
heures, deux envoyés de Paris viendront en
prendre livraison.
- Et d?ici là, pas de risque ?
- Si, bien sûr, mais je vais les assumer seul. Ne
crains rien. D?ailleurs, le document n?est pas
vraiment chez toi.
47
- Qu?est ce que ça veut dire : » Pas vraiment chez
toi »
Je ne peux pas t?en dire d?avantage. Excusemoi
!
A ce moment une infirmière entra pour dire
à Jean qu?il ne pouvait rester plus longtemps, car le
médecin allait passer, et Jean s?en alla.
Au moment où il s?apprêtait à franchir la sortie
principale de l?hôpital, il s?immobilisa brusquement.
Appuyé contre le capot d?une voiture, fumant une
cigarette, un homme blond qui ne semblait pas se
cacher, paraissait attendre quelqu?un.
Jean vérifia que son pistolet était bien en place,
enleva le cran de sécurité et se dirigea d?un pas ferme
vers l?homme blond.
- James, dit-il lorsqu?il arriva auprès de lui, mon
beau frère et ma soeur ignoraient tout de mes
activités jusqu?à hier soir. Ils ne savent rien de
notre affaire, je t?en donne ma parole d?honneur,
et il est donc inutile que tu t?attaques à eux.
Le dénommé James éclata de rire, et en un
français correct mais un accent américain nasillard
prononcé, répondit, que la parole d?honneur d?un
espion en mission n?avait bien sûr aucune valeur ;
Puis, il lui dit que son beau-frère lui avait joué un
48
vilain tour avec ses sales bestioles qui s?étaient
précipitées sur lui, l?avaient abondamment piqué, et
qu?il avait un compte à régler avec lui.
- Je te conseille de lui ficher la paix, parce que je
n?accepterai pas que tu t?attaques à quelqu?un de
ma famille.
- Arrête de me faire rire ! répondit James. Depuis
quand fait-on des sentiments dans notre métier ?
Ma parole, si je ne te connaissais pas depuis des
années, je pourrais penser que tu es un débutant.
La partie n?est pas terminée et je la gagnerai, peu
importe les moyens. Tu n?as pas hésité, toi, à
faire des choses pas très jolies pour arriver à tes
fins. Souviens-toi de l?affaire Brown. Alors pour
les leçons de morale, tu t?adresseras à un autre.
Jean s?éloignait déjà lorsque James lui cria
qu?il avait un scoop pour lui : Le rendez-vous de 18
heures était annulé.
Comment James avait-il eu connaissance de ce
rendez vous ? Etait-il exact que ce rendez vous était
annulé, et dans ce cas, pourquoi avoir prévenu son
adversaire ? Manoeuvre psychologique volontaire
pour montrer qu?il était le plus fort, à moins que
James ait simplement commis une erreur humaine
en voulant se venger de ne pas avoir réussi à
capturer Pierre.
49
En tout état de cause, il fallait que Jean sache, si
vraiment son rendez-vous était annulé, et il appela
de son portable, son chef direct. Ce dernier lui dit
qu?il allait justement l?appeler pour lui dire que le
rendez vous de 18 heures n?aurait pas lieu, les deux
envoyés spéciaux ayant eu un accident de la route,
certainement provoqué.
Jean lui raconta qu?il venait d?être mis au
courant par James, qui semblait diriger la mission
adverse. Comment ce James avait-il pu être mis au
courant de cette rencontre et de son annulation ? Il y
avait sans doute une taupe dans le service et cette
suggestion de Jean sembla recevoir l?approbation de
son chef.
Il était normal qu?il soit au courant de l?accident
automobile, s?il en était l?instigateur. En revanche,
pour avoir eu connaissance de l?entrevue, de son
heure précise, et des personnes qui devaient y
assister, il fallait en effet que quelqu?un du service
ait pu les renseigner.
- Il y a quelque temps déjà que j?ai des soupçons à
ce sujet dit-il. Sur une autre affaire dont tu ne t?es
pas occupé, Jean, il y a eu des choses très
curieuses qui prouvaient que nos adversaires
étaient au courant de nos plans. Pour notre affaire
en cours, je t?envoie deux autres camarades, mais
50
il faut que jusqu?à demain midi, tu trouves une
cachette sûre, pour ce que tu possèdes.
- O.K. J?ai une petite idée. Demain 12 heures
devant la mairie.
- J?espère qu?ils y seront?et toi aussi, avec?. le
témoin à passer.
- Ca ira, Bob. Je suis sur mes gardes.
En arrivant à environ 200 mètres de la maison de
Pierre, Jean aperçut un véhicule en stationnement
immatriculé dans le 75. Ce fait n?était pas
absolument exceptionnel, mais assez rare, même
dans cette période de l?année, et Jean vérifia une
nouvelle fois que son arme était prête au service.
Au lieu d?entrer normalement par la cour devant
la maison, il fit le tour, afin d?aborder la maison
par derrière, en passant devant la miellerie.
Il ne vit rien de suspect, et comme la porte de
la buanderie, la seule qui se trouvait à l?arrière de
la maison, était fermée, il revint par devant et
appela Roxane. Il n?eut aucune réponse, malgré
de nombreux appels. La porte d?entrée était
fermée, et il était certain que quelque chose
s?était passé.
Au pas de gymnastique, il revint vers le
véhicule immatriculé en 75. Elle était partie.
51
Il revint à la maison, et constata que sur le côté
droit, une échelle posée contre le mur, avait du
servir à pénétrer dans la maison en passant par la
fenêtre d?un ancien grenier.
Jean monta à son tour, appelant toujours sa
soeur par acquis de conscience, mais il savait déjà
qu?elle avait été enlevée. Pourquoi dans ces
conditions n?étaient-ils pas repartis par la porte
normale ? Sans doute pour ne pas risquer de se
retrouver face à lui, Jean, ce qui effectivement
aurait bien pu arriver. Dans la salle à manger,
quelques chaises étaient renversées, prouvant que
Roxane avait essayé de se défendre, et sur la
table, la feuille d?un cahier avait été arrachée, sur
laquelle des mots en français avaient été tracés
avec quelques fautes.
« On la tien, mon pote, et tu la revera vivante
que si tu nous donne le papié, ce soir a 18 heures
a l?endroi prévu . Fais attention, on ri pas. »
52
CHAPITRE 6
Jean qui normalement était assez sûr de lui, se
sentit désarmé devant ses adversaires. Ils tenaient
sa soeur, et cela inhibait non seulement ses
facultés d?action, mais même de réflexion. De
plus, Roxane étant enceinte, il craignait des
conséquences graves sur sa grossesse.
Il s?exhorta au calme, et tenta de se mettre à la
place de ses adversaires. Il savait qu?ils ne
feraient pas du mal à Roxane pour le plaisir. Tout
comme lui, ils n?étaient pas sadiques, mais ils
avaient une mission à accomplir, et ils feraient
tout pour qu?elle soit couronnée de succès.
Lorsque Pierre avait dit que son assaillant
était blond, il avait immédiatement reconnu
James. Or Il y avait dans le village voisin un
couple d?anglais, chez lequel James allait
53
souvent, et Jean sentait que c?est chez gens là
que James avait du emmener Roxane.
Jean se demandait s?il devait en premier lieu
prévenir Pierre du kidnapping de sa femme, et
réflexion faite, il préféra tenter quelque chose
avant. S?il parvenait à la libérer, cette histoire se
bornerait à une aventure dont Pierre connaitrait
tout de suite l?heureuse issue.
Jean sauta dans le véhicule de Roxane, dont
la clé de contact était toujours astucieusement
(???) cachée sous le tapis de sol. Et il se rendit
dans le village voisin, où habitaient les anglais. Il
laissa son véhicule à 4 ou 500 mètres de la
maison, et fit un grand détour pour aborder la
maison par derrière. C?était une villa de
construction récente, entourée d?un jardin bien
entretenu. Au nord de la maison, une haie de ifs,
permit à Jean de s?installer un long moment pour
épier les éventuels va et vient des occupants, sans
risquer d?être aperçu. Une télévision était en
marche, et au bout d?un quart d?heure, Jean vit
passer deux personnes devant la petite fenêtre du
premier. C?était la seule ouverture sur le mur
nord, et Jean pensa que c?était de ce côté qu?il
pouvait pénétrer dans le jardin, avec le minimum
de risques d?être aperçu.
54
Entre les troncs de deux ifs, il parvint avec
beaucoup de difficultés à traverser la haie, et il se
trouva dans le jardin, où, à découvert, le risque
était le plus grand de se faire voir. Aussi, d?un
pas vif et souple, il se dirigea vers le mur, où
collé contre lui, il ne pouvait être vu depuis la
petite fenêtre. Il longea le mur vers le côté ouest,
et du s?arrêter à l?angle.
Une dame, qu?il reconnut être l?Anglaise,
étendait du linge sur des fils.
Il retourna alors vers le côté est. Après un
moment d?observation en restant à l?angle, il
longea le mur Est, jusqu?au niveau d?une baie, au
rez de chaussée. Par bonheur, elle était ouverte.
Jean écouta un moment pour savoir si des
personnes étaient dans la pièce. Il n?y avait aucun
bruit de voix, mais des sortes de raclement, et
Jean se demanda s?il n?avait pas la chance de
tomber sur la pièce où était « entreposée » sa
soeur. Il risqua un oeil par la fenêtre. Roxane était
bien là, couchée sur le sol, ligotée solidement, et
elle essayait par des mouvements inutiles de
détacher ses liens. Elle ne risquait pas de se
libérer, et c?est pourquoi ses geôliers n?avaient
pas jugé nécessaire de fermer la fenêtre
55
Jean n?hésita pas. Il bondit dans la pièce, son
couteau déjà sorti, coupa les liens, et libéra sa
soeur en quelques secondes, tout en lui faisant
signe de se taire. Il aida Roxane, dont les
membres ankylosés et la grossesse ne facilitaient
pas les mouvements de gymnastique, à sortir
dans le jardin. Ils longèrent le mur Est, puis celui
du Nord. A voix basse, Jean expliqua à Roxane
qu?il lui faudrait passer à travers la haie d?ifs, ce
dont elle se jugeait incapable, et elle le lui dit.
- Reste là, plaquée contre le mur, personne ne te
verra. Je vais aller dans la haie, et avec mon
couteau, je vais aménager un passage. Lorsque ce
sera prêt, je te ferai signe, et tu viendras le plus
vite possible. Pendant ton trajet, je te couvrirai
avec mon revolver, et si quelqu?un t?apercevait je
serai en mesure de te protéger.
Sans attendre d?avantage, Jean bondit jusqu?à
la haie, et, à l?intérieur, à l?abri d?éventuels regards,
il élagua quelques branches pour ménager un
passage.
Dix minutes plus tard, les deux jeunes gens se
trouvaient dans la voiture de Roxane, et rentraient à
la maison.
Pendant toute l?opération, la jeune femme avait
fait preuve d?un cran admirable, quand à Jean il était
56
regardé par sa soeur avec une admiration non
dissimulée.
- Je préfère que tu me regardes comme ça, que
comme durant toutes ces dernières années !
- Tu es drôle ! Tu as tout fait pour passer pour un
incurable paresseux, bon à rien, alors que tu es
un héros.
- Un héros, tu exagères un peu ! Tu as pu
constater que tout a été très facile.
- Je commence à penser qu?avec toi, rien n?est
difficile.
- Là, tu fais erreur. Je suis loin d?avoir rempli ma
mission. Je n?ai pas encore gagné. Tu vas rester
ici pendant que dans l?après midi, j?irai chercher
Pierre à l?hôpital. Je ferai le tour de toutes les
pièces pour m?assurer que personne ne peut
entrer.
Je connais bien James. Il ne va pas rester sur cet
échec. Nous devons être prudents, très
prudents?
Au début de l?après midi, après s?être assuré
que toutes les issues de la maison étaient bien
fermées, Jean se rendit à l?hôpital pour aller
chercher son beau frère.
57
Il raconta à Pierre le kidnapping de Roxane, et
comment il avait pu aller la délivrer. Il insista sur
le courage de la jeune femme, qui sortait de cette
aventure sans aucun dommage corporel, mais le
futur papa, restait très inquiet, car ces heures très
agitées vécues par la jeune femme, pouvait
l?avoir psychiquement marquée.
Avant de sortir de l?hôpital, Jean s?assura que
James n?était pas dans les parages, et la voie
étant libre, ils rentrèrent sans encombre chez
Pierre.
Ce dernier après avoir longuement réfléchi,
demanda à son beau frère :
- Puisque ton rendez vous de 18 heures est à l?eau
et qu?il va falloir attendre demain, la fin de
matinée pour que tu te débarrasses de ton
document, es-tu certain qu?il soit en sécurité d?ici
là ?
- Les heures d?attente vont être longues, car je
sais que James va tout tenter pour le récupérer, et
pour tout dire, je ne suis pas sûr à cent pour cent
que ma cachette soit inviolable. Au point où nous
en sommes, je peux te le dire : J?ai mis le
document dans le trou du vieux chêne, à côté de
la mare. James n?est certainement pas seul, et
s?ils sont nombreux &agr


Les heures d?attente vont être longues, car je
sais que James va tout tenter pour le récupérer, et
pour tout dire, je ne suis pas sûr à cent pour cent
que ma cachette soit inviolable. Au point où nous
en sommes, je peux te le dire : J?ai mis le
document dans le trou du vieux chêne, à côté de
la mare. James n?est certainement pas seul, et
s?ils sont nombreux à faire des recherches, peut
58
être l?un d?eux pensera-t-il à inspecter les arbres.
As-tu une autre idée de cachette ?
- Oui. Je te propose la chose suivante. Tu vas
mettre ton document dans un plastique, pour le
protéger, et j?irai le mettre dans une ruche
peuplée. Mes abeilles seront les meilleures
gardiennes, et ils ne viendront pas les embêter.
L?important c?est que nous puissions agir sans
être observés.
- C?est moi qui dois remettre le document à mes
collègues de Paris, c?est moi qui le détiens, c?est
évidemment moi, que James et sa bande vont
surveiller. Je vais donc les emmener sur une
fausse piste. Pendant ce temps, tu iras récupérer
le document, tu l?envelopperas dans un plastique,
comme tu l?as proposé, puis tu iras le mettre dans
l?une de tes ruches. Bien entendu, nous resterons
en contact permanent par nos portables. Demain,
nous mettrons au point une autre opération pour
que je puisse livrer le document à mes collègues.
Mais il faut que tu réfléchisses bien. J?ai en face
de moi des gens décidés. Il est normal que je
coure des risques dans les heures qui suivent,
mais tu serais également en danger, si tu me
donnais un coup de main, et tu n?as, j?insiste sur
ce point, aucune obligation à m?aider.
59
- Ne te tracasse pas pour moi. Si je vais t?aider,
c?est parce qu?ils ont voulu s?en prendre à
Roxane, et que c?est devenu une affaire
personnelle. Je ferai tout pour les mettre en
échec.
Roxane elle-même, approuva Pierre, et elle se
proposa pour participer elle aussi, si c?était
nécessaire.
Pierre lui répondit qu?elle pouvait en effet faire
quelque chose : C?était de se barricader dans la
maison, de prendre toutes les précautions pour ne
pas être inquiétée elle même, afin que Jean et lui,
puissent agir, sans avoir la moindre crainte à son
sujet, sur sa sécurité.
- Délivre nous de cette préoccupation de te savoir
en danger, et tu nous auras bien aidés.
C?est à ce moment qu?on frappa à la porte
d?entrée. Aussitôt, Jean sortit son revolver, et
demanda à sa soeur et son beau frère, de monter au
premier étage. Il alla lui-même vers la porte pour
voir qui était là.
Sans hésiter, prenant son fusil de chasse au
passage, Pierre demanda à Roxane de le suivre, et ils
montèrent l?escalier.
60
Assuré qu?ils étaient arrivés au premier étage,
Jean ouvrit la porte. C?était Claire Marion qui se jeta
aussitôt dans les bras de Jean
- J?avais si peur mon chéri. Je ne sais pas
pourquoi, mais il me semblait que tu courais des
risques, ces jours-ci.
Jean ne semblait pas particulièrement heureux
de voir la jeune femme. Il fut même carrément
désagréable.
- Bien. Tu as vu que j?étais encore en vie. Tu es
rassurée ? Alors maintenant tu vas partir et nous
aurons une explication dans deux ou trois jours.
D?ici là, je te demande, non, je ne te demande
pas, j?exige, que tu me fiches la paix. J?ai été
clair ?
- Mais enfin, Jean, tu sembles m?en vouloir,
pourquoi ?
- Réponds d?abord à cette question. Pourquoi
penses-tu que je puisse être en danger ?
- Je ne sais pas. Une intuition?
- Ouais ! Une intuition??Que faisais-tu il y a
quelques jours avec un homme blond ?
- Un homme blond ? Je ne vois pas. Je ne connais
pas d?homme blond, je ne te comprends pas. Tu
es jaloux ?
61
- Réponds ! Tu ne connais pas d?homme blond ?
Alors, si tu ne comprends pas, moi, je commence
à comprendre. Il s?appelle James. Tu nies
toujours le connaitre ?
Claire se mis à pâlir et sembla un moment
désarçonnée, puis elle reprit le dessus.
- Ah ! Tu veux parler de James ? C?est vrai qu?il
est blond, maintenant que tu m?en parles, mais
cela ne m?avait pas frappée, et je le connais très
peu. C?est vrai que nous nous sommes rencontrés
par hasard, il y a quelques jours, mais nous
n?avons échangés que des propos anodins. Tu ne
vas pas me reprocher de discuter avec un autre
homme. Ou alors, mais c?est merveilleux ! Tu es
jaloux, mon amour !!
Comme elle tentait de se jeter de nouveau dans
ses bras, Jean la repoussa.
- Claire ! Je te l?ai déjà demandé : Fiche-moi la
paix ! Compris ?
- Mais enfin, Jean ! Tu me dois au moins des
explications !
Jean réfléchit un moment, puis, prenant
Claire par le poignet, et l?attirant dans la maison, il
lui dit :
62
- Tu veux des explications ? Après tout pourquoi
pas ? Nous allons nous expliquer. Suis- moi !
Curieusement, c?est maintenant Claire qui ne
semblait plus pressée de poursuivre la discussion, et
Jean dut littéralement la trainer par le bras jusqu?au
salon. Il la fit asseoir dans un fauteuil, tira une
chaise pour s?installer juste devant elle, et la
questionna.
- Bon. Tu vas répondre à mes questions. Et je te
conseille d?être précise. J?aurai la possibilité de
recouper tout ce que tu vas me dire. Depuis
quand connais-tu James ?
- Je te l?ai dit : Depuis quelques jours
- Ce n?est pas une réponse. 10 ans cela fait aussi
quelques jours : 3650 environ.
- Oh, non ! Cela ne fait pas dix ans.
- Alors combien ?
- Zut ! Tu n?es pas un juge d?instruction, et je ne
suis pas une inculpée !
- Je ne suis pas un juge d?instruction, c?est vrai.
Mais, si, tu es inculpée !
- Par qui ?
- Par moi. Je vous accuse, James et toi, de faire
partie d?un service d?espionnage étranger.
63
- C?est ridicule ! Je ne répondrai pas à une seule
de tes questions. Maintenant laisse-moi partir.
Jean réfléchit un moment.
- Ton aveu me suffit. Tu peux partir !
Elle se leva, il en fit de même, et
l?accompagna jusqu?à la porte. Au moment où elle
sortait, il lui dit simplement, sur un ton ironique de
faire ses amitiés à James.
Bien sûr, la partie étant en cours, il aurait été plus
prudent de garder Claire sous bonne garde, pour la
mettre hors d?état de nuire, mais Jean savait que sur
le plan psychologique, en la laissant partir, il
marquait un point. Il faisait savoir à ses adversaires
qu?il se sentait assez fort, assez sûr de lui, pour la
libérer.
Pierre et Roxane redescendirent quand ils surent
que Claire était partie, et Jean leur indiqua que la
jeune femme faisait partie de ceux qui essayaient de
lui prendre le document. Il expliqua également la
raison pour laquelle il l?avait laissée partir, ce que
Pierre n?approuva pas.
- Quand même, nous aurions pu la séquestrer ici,
et cela faisait une adversaire en moins. Mais c?est
toi le chef ! Tu sais certainement ce qu?il faut
faire.
64
- Merci, Pierre. Maintenant nous allons opérer le
transfert du document. Je vais sortir, en prenant
ostensiblement des précautions pour passer
inaperçu, mais pas trop quand même, car il faut
qu?ils me suivent. Lorsque je serai assuré qu?ils
seront sur mes traces, et que tu pourras agir
tranquillement, avec mon portable, je te dirai
simplement « BIP », et ce sera pour toi le feu
vert, pour aller chercher le document dans le
chêne près de la mare, et aller le mettre dans une
de tes ruches. Lorsque tu seras revenu chez toi, tu
pourras me téléphoner que c?est terminé.
- O.K. Mais pourquoi ce Bip ?
- Parce que je ne veux pas qu?ils me voient
téléphoner, cela pourrait leur mettre la puce à
l?oreille. Il faut donc que ma communication
avec toi soit très brève, et que je me débrouille
pour qu?elle soit invisible pour les autres.
D?autres questions ?
- Non. J?attends ton « Bip »
Jean partit, mais au lieu de se diriger vers le
portail, il contourna la maison pour prendre le petit
sentier, derrière la maison, qui était bordé de part et
d?autre par des haies de buissons.
Ce n?est que près d?une demi-heure plus tard
que le portable sonna, et que Pierre entendit le Bip
65
de Jean. Il alla aussitôt vers la mare, puis, après
avoir bien vérifié que personne ne pouvait l?avoir
suivi, il prit une grosse enveloppe dans un creux du
chêne, qu?il mit immédiatement entre sa chemise et
sa peau.
Il avait décidé d?aller mettre cette enveloppe,
dans une ruche, au milieu de son rucher le plus
proche de son domicile à moins d?un kilomètre.
Allumer son enfumoir, choisir une ruche très
active, l?ouvrir, enlever un cadre de rive et poser
l?enveloppe entourée d?un plastique, ne lui
demandèrent que quelques minutes. Après quoi,
Pierre tourna un moment aux alentours du rucher,
pour s?assurer que personne ne se trouvait dans les
parages, puis il rentra chez lui, appela Jean, pour lui
dire simplement : « C?est fait ».
Ce n?est que deux heures plus tard que Jean
revint chez Pierre. Il avait tenu à brancher ceux qui
le filaient sur une fausse piste, et pour cela était allé
dans un village, était entré dans une vieille maison
inhabitée, y était resté pendant un quart d?heure,
pour que James et sa bande, perdent leur temps, par
la suite, à passer cette vieille maison au peigne fin.
Pierre, Jean et Roxane discutèrent le soir pour
mettre au point la récupération du document.
66
Il y avait un risque. Les adversaires avaient su
qu?une réunion devait avoir lieu la veille et ils
avaient pu neutraliser les deux envoyés de Paris.
Comment être certain qu?ils ne connaissaient pas le
nouveau rendez vous du lendemain à midi devant la
mairie ? Bob avait dit à Jean que seuls, lui-même et
les deux envoyés, étaient au courant, mais la
dernière fois également il n?y avait pas plus de
monde au courant, alors ?
Pierre, qui contrairement à ce qu?avait dit Jean,
était capable de penser à autre chose que ses
abeilles, amena la conversation sur Claire Marion.
- Cette jeune femme, se prétend amoureuse de
Jean. C?est très possible, il y en a beaucoup
d?autre dit Pierre en souriant. Mais elle est dans
le camp adverse, et ça, c?est incontestable.
Alors je me suis posé la question. Elle évolue
entre deux camps. Or, nous cherchons quelqu?un
qui joue double jeu. Pourquoi ne serait-ce pas
elle ? Il serait intéressant de savoir si par hasard,
elle n?aurait pas des relations avec ton siège,
Pierre. C?est peut être elle qui est le mouton noir
que vous cherchez.
Après un moment de réflexion, Jean pensa que
cette idée méritait d?être creusée, et il décida de
téléphoner à Bob, son chef.
67
- Bob, as-tu entendu parler de Claire Marion ?
- Non, pourquoi ?
- C?est mon beau frère qui a eu cette idée. Parce
que cette jeune femme qui se dit amoureuse de
moi, est également très liée avec James, alors, il
a pensé : Pourquoi pas avec quelqu?un de chez
nous ?
- Toi, tu es certain de ne lui avoir rien dit à cette
Claire ? ?
- Absolument !
- Ce nom ne me dit rien. Mais tu sais très bien que
dans notre milieu, les noms?..N?aurais tu pas
une photo d?elle ?
Jean se souvint qu?il y a un mois environ, ils
étaient allés Claire et lui, à Saint Jean de Luz, et
s?étaient fait photographier ensemble devant l?église
où Louis XIV et l?infante d?Espagne s?étaient
mariés.
- Bob, je t?envoie une photo d?elle. Fais une
enquête immédiate, car si elle est dans le coup,
notre rendez vous de demain pourrait avoir du
plomb dans l?aile. Je ne lui ai rien dit, sauf?que
je lui parlerai avant deux jours, ce qui pourrait lui
avoir mis la puce à l?oreille.
68
Quelques minutes plus tard, Jean expédiait par
internet la photo. Moins de 5 minutes après la
sonnerie de son portable retentit. C?était Bob, avec
une voix déformée par l?émotion, ce qui renseigna
immédiatement Jean sur le fait qu?il était arrivé
quelque chose de grave.
Il faut dire que Bob et Jean se connaissaient bien,
et depuis pas mal d?années. Ils avaient affronté
ensemble des situations extrêmement périlleuses, au
cours desquelles, Bob avait toujours fait preuve d?un
sang froid remarquable. Pour que Bob soit affecté,
donc, il fallait que la situation soit très difficile, ce
qu?il ne tarda pas du reste à savoir.
- Jean demanda Bob, aurais-tu une deuxième
photo de celle qui se fait appeler Claire Marion.
Sur celle que tu m?as fait parvenir, une partie de
son visage est dans l?ombre de son chapeau. Je
suis malheureusement à peu près certain de qui il
s?agit, mais je veux parvenir à une certitude.
- Je dois en avoir une autre, je te l?expédie
immédiatement. Mais peux-tu me dire à qui tu
penses ?
- Il y a peu de chance que je me trompe: Cette
soi-disant Claire Marion, est sans doute mon
ancienne femme.
69
- Ah bon !!! C?est en effet curieux, mais ce n?est
pas dramatique
- Attends, attends ! Laisse-moi finir ! Tu ne le
savais sans doute pas, mais elle est d?origine
américaine, et je crains bien que dans notre
présente affaire, nous soyons elle et moi dans des
camps opposés. C?est un premier point.
Par ailleurs, et c?est cela qui serait le plus grave,
si je ne fais pas erreur, lorsque nous nous
séparés, elle est partie avec quelqu?un qui était,
et qui est toujours chez nous. Mais envoie-moi
une autre photo et quand j?aurai une certitude,
nous reparlerons de tout cela.
Peu après avoir reçu la deuxième photo, Bob
téléphona de nouveau.
- Il n?y a pas d?erreur. Claire a pour véritable
prénom Dorothée. Elle est née Whitewood.
Depuis, elle s?est peut être remariée et a changé
de nom, mais elle n?a certainement pas changé
de prénom, donc elle s?est présentée à toi sous
une fausse identité.
Nous annulons l?opération de demain. Il est en
effet très possible qu?en face, ils soient au courant
du nouveau rendez vous, alors ne courons pas de
risque. Je ne fais pas partir mes gars, je lance une
70
enquête serrée ici et je te tiens au courant. Surtout,
veille bien sur le document. A bientôt, vieux !


CHAPITRE 7
Jean mit au courant, sa soeur et Pierre, du
nouveau développement de l?affaire. Ils allaient
devoir rester sur leur garde quelques jours de plus,
mais il suffisait de ne pas bouger, et d?attendre de
nouvelles instructions de Paris. Quand au document,
placé sous la vigilance des abeilles, il était
certainement en sécurité.
Il était cependant probable, que les adversaires,
eux, ne resteraient pas inactifs, et qu?ils prendraient
des initiatives.
Cela s?avéra exact, mais Jean n?aurait pas pensé
qu?en face, ils se manifesteraient de la sorte.
Le lendemain matin, Pierre était parti dans un
rucher, armé d?un pistolet que lui avait confié Jean.
Ce dernier et Roxane étaient à la maison, quand on
frappa à la porte d?entrée.
72
Jean alla ouvrir, et trouva Claire sur le pas de la
porte.
- Je suis heureuse que tu sois là. Je n?ai réalisé
qu?après être parti l?autre jour, car ton accusation
était tellement ridicule?.Je n?ai pas rêvé, tu
m?as bien dit que je faisais partie d?un service
d?espionnage étranger ?
- Exact, et alors ?
- Alors ? C?est tout simplement débile ! Comment
as-tu pu penser cela une seule seconde ?
- Plus d?une seconde. Je le pense encore.
- Mais enfin, qui a pu te mettre cette idée ridicule
dans la tête ?
- Entre ! Nous allons nous expliquer.
Claire suivit Jean dans le salon, et après s?être
assise, c?est elle qui attaqua.
- Je veux absolument tirer cette affaire au clair.
- Au clair ? Moi aussi. D?ailleurs, à propos de
claire, pour commencer, Claire n?est pas ton vrai
prénom.
- Mais c?est idiot ! Quel est mon prénom, selon
toi.
- Dorothée.
73
Elle marqua nettement le coup, et dut faire un
visible effort pour continuer à jouer son rôle.
- Je me demande qui a bien pu t?intoxiquer avec
cette cargaison de mensonges. Je m?appelle
Claire Marion. Veux-tu voir mes papiers ?
Elle fouilla dans son sac et en sortit une carte
d?identité qu?elle tendit à Jean. Il la repoussa de
la main.
- Je ne doute pas un instant que tu possèdes une
carte d?identité au nom de Claire Marion. Mais tu
n?as pas toujours eu cette identité. Alors inutile
de poursuivre ta comédie.
Sortant son pistolet, Jean ajouta.
- Puisque tu as eu la bonne idée de venir ici, tu vas
y rester, jusqu?au règlement définitif de notre
problème.
Puis il appela sa soeur.
- Roxane, j?ai vu dans le hangar une corde assez
longue. Peux-tu aller la chercher ? Nous allons
garder notre visiteuse quelque temps.
Claire se leva, furieuse, et, protestant toujours
de son innocence, elle dit ne pas vouloir rester une
seconde de plus chez des fous.
74
Le claquement de la sureté enlevée, la ramena à
plus de raison.
- Mais enfin, Jean, je t?aime, tu le sais ! Pourquoi
ces accusations qui n?ont ni queue ni tête ?
- Lorsque je le jugerai opportun, je répondrai
peut être à tes questions. Pour l?instant, tu vas
rester avec nous.
Claire se débattit, mais Jean parvint à la ligoter
sur une chaise, et comme elle poursuivait ses
invectives, il lui posa un bâillon, en lui disant
qu?il le retirerait quand elle serait devenue plus
sage.
Une heure plus tard, le portable de Jean
sonna.
- Allo ? C?est James. Je trouve que Claire met
beaucoup de temps pour revenir de chez toi.
Heureusement, j?ai pris mes précautions, et
Pierre a eu la gentillesse de venir chez moi.
Alors, les choses sont simples : nous allons faire
un échange.
Il est évident, n?est-ce pas, que Pierre a plus
de valeur que Claire, puisque c?est un homme
(James eut un rire gras) Dans ses conditions,
l?échange se fera sur les bases suivantes : Tu libères
Claire, tu me donnes le document, et je te restitue
75
Pierre en pleine forme. Comme tu penses sans doute
que je bluffe, je vais te faire entendre Pierre.
- Allo ? Jean ? Ils m?ont eu, mais ne cède pas. Dis
à Roxane que je l?aime.
James reprit l?appareil.
- Il est très courageux ton beau frère. Mais il ne
sait pas, que dans notre métier, seul le but
compte, et qu?à sa naissance, son fils risque
d?être orphelin de père. Tu sais, toi, que je ne
plaisante pas.
Je te laisse discuter avec ta soeur, et je te
téléphonerai à 15 heures pour connaitre ton choix. A
tout à l?heure.
Roxane, après que son frère lui ait fait part du
coup de fil de James, était en pleurs.
- Ecoute, Jean, toutes vos petites histoires, j?en ai
assez. Ce n?est pas notre affaire. Je veux que
Pierre soit vite libéré. Donne à ce James ce qu?il
te demande, qu?on en finisse !
- Je te comprends, Roxane, et si je pouvais me
substituer à Pierre, je le ferais volontiers, mais je
suis désolé, je ne peux pas céder.
Elle eut beau crier, menacer, prier, Jean
resta inflexible, et lorsque James, téléphona à 15
heures, il lui répondit :
76
- Tu le sais James, dans notre milieu, la mission
passe avant tout. Je ne céderai pas. Si tu exécutes
Pierre, j?exécuterais Claire, et comme je
conserverais mon document, cela fera deux morts
pour rien. Pour rien du tout. Alors, faisons un
échange de personne, et restons en là.
- Je te donne jusqu?à 18 heures pour réfléchir
encore, et discuter avec ta soeur. Si à 18 heures,
tu me confirmes ta position, j?exécuterai Pierre
immédiatement. En ce qui concerne Claire, tu
feras ce que tu voudras. Je n?ai pas de lien
particulier avec elle. C?est mon dernier délai. A
18 heures.
La communication terminée, Jean sortit
dans la cour pour téléphoner à Bob, hors la présence
de sa soeur, et le mettre au courant de l?évolution de
la situation.
Le rapport de Jean terminé, un long
silence s?établit, puis Bob décida :
- Nous avons trop peu de temps devant nous.
James doit te téléphoner dans 3 heures, il faut
absolument que tu gagnes tu temps. En fait, tu
vas discuter sur les modalités de l?échange, pour
que ce dernier ne se fasse que demain matin.
Voici ce que nous allons faire. James veut un
document authentique. Il l?aura. Je vais te faire
77
parvenir un document concernant ce nouvel alliage,
ultra léger et d?une résistance remarquable. Il est
authentique, mais très incomplet. Je sais qu?ils en
connaissent déjà quelques éléments, et je retirerai
deux ou trois autres données qui paraissent
secondaires et sont en faits primordiales.
Le document que tu détiens, lui, est complet,
alors que celui que je te fais parvenir, n?est
pratiquement pas utilisable.
Je fais immédiatement porter ce document qui
arrivera dans la nuit chez Boyer, que tu connais, à
Condom. Tu dois te débrouiller avec ça. Tiens-moi
au courant des modalités et de l?heure que vous
aurez arrêtées avec James, et peu après, tu remettras
le vrai document secret à qui je te dirai. Ca marche ?
- O.K. Je vais essayer de gagner du temps.
Jean, rentra dans la maison et confia à sa soeur
qu?il allait donner le document à James pour sauver
Pierre. Il ne lui parla pas de la substitution du
document. Il était inutile d?aviver les craintes de
Roxane.
Avec une précision militaire, à 18 heures précises,
James téléphona à Jean.
- Tu as gagné. Contre mon avis, mon chef, refuse
de risquer une vie humaine qui ne fait pas partie
78
de nos services. Le sens du service n?est plus ce
qu?il était. Bien qu?il s?agisse de mon beau frère,
moi, je n?aurais pas lâché.
Les choses étant ce qu?elles sont, nous allons
mettre au point une procédure d?échange, mais dans
ce domaine, j?ai carte blanche, et tu feras ce que j?ai
décidé.
Mon beau frère n?était au courant de rien. Il
ignorait tout, encore il y a quelques jours, de mes
activités. En revanche, Claire fait partie de vos
services et à encore des choses à m?apprendre.
Alors, bon ! J?ai perdu, mais je veux essayer de
tirer quelques renseignements de ta collaboratrice.
Voici ce que je te propose. Ou du moins, ce que je
décide.
L?échange aura lieu dans un lieu public. Je te
donne rendez-vous demain matin à 8 heures, dans le
hall d?arrivée de la gare d?Agen.
Tu viendras avec Pierre. Je viendrai avec Claire et
le document. Le document sera dans la poche de
Claire, et nous n?aurons qu?à échanger deux
personnes. Pour que tu sois rassuré, je laisserai
Claire prendre connaissance du document, et avant
l?échange, elle pourra te confirmer que c?est le
document authentique qu?elle aura dans sa poche.
79
James essaya d?obtenir que l?échange ait lieu
plus tôt, le soir même, mais Jean se montra ferme.
- Ce n?est pas de gaité de coeur que je vais te
remettre ce document pour l?obtention duquel je
me suis battu depuis de longs mois. Mais dans un
domaine où je suis le seul maître, c'est-à-dire la
mise au point des conditions de l?échange, je te
l?ai dit, je ne céderai pas.
James pensa qu?après tout, il n?était pas à
quelques heures près, l?important était d?avoir le
document, et il donna son accord sur la façon de
procéder.
A deux heures du matin, Jean se leva pour aller
chercher le document à Condom. Il ne prit pas la
voiture et partit silencieusement par l?arrière de la
maison à bicyclette.
La nuit était à son premier quartier, un petit vent
désagréable soufflait de côté, le ciel était
complètement dégagé et, en ce mois de Juin, la
température nocturne, exceptionnellement basse, ne
devait pas dépasser les 4 ou 5°.
- Quel métier ! Bougonna Jean par plaisanterie, car
il pensait exactement le contraire. Il aimait cette
vie pleine de risques, mais jamais monotone,
avec des phases d?activité intense et des plages
d?oisiveté.
80
Il se demanda quelle décision il aurait prise
s?il avait dû, soit livrer le véritable document, soit
abandonner Pierre à son sort. Honnêtement, il ne
pouvait répondre à cette question, mais arriva vite à
la conclusion qu?il était inutile de se mettre martel
en tête, puisque Bob avait trouvé une solution
intelligente. C?était heureux car Jean n?aurait
vraiment pas su que faire.
Le document qu?il possédait, concernait donc un
matériau extraordinaire découvert par un chercheur
polonais de génie Kolosky. Il était parvenu à créer
un alliage comprenant dans des proportions très
précises, 7 minéraux et trois polymères. Il possédait
deux caractéristiques : Il avait une résistance deux
fois supérieure à celle de l?acier, et surtout, sa
densité n?était que de 0, 540
L?inventeur avait appelé son produit le
Kolonium, mais les services français l?avaient
débaptisé, et du fait de sa principale caractéristique,
la légèreté, l?avaient appelé le Légérium
Les Américains avaient eu vent de cette
découverte. Ils étaient allés voir Kolosky, lequel,
malgré le paquet de dollars qui lui était offert, ne
voulait traiter qu?avec son propre gouvernement.
Les Américains ont donc un peu bousculé le savant,
qui, malheureusement, de santé fragile, mourut
d?une crise cardiaque.
81
Ils cherchèrent la fameuse formule dans tous les
coins où Kolosky était susceptible de l?avoir
camouflée. Ils ne trouvèrent rien.
Bob, fut, Jean ne sait comment, au courant de
l?existence de ce nouvel alliage, découvert en
Pologne. Il lança ses propres agents et eut la chance
dans un premier temps, d?avoir un petit aperçu de la
formule, puis tout dernièrement d?avoir en totalité le
compte rendu d?expérience, et la formule définitive.
C?est ce compte rendu qui était en possession de
Jean.
Le document tronqué expédié par Bob, arriva
par avion spécial, et Jean, donc, le récupéra chez
Boyer, un correspondant du service.
Tout comme l?aller, le retour s?effectua sans
problème. James était persuadé avoir gagné la
partie, et n?avait pas jugé opportun d?assurer la
surveillance nocturne de Jean.
C?est avec un grand soupir de satisfaction qu?il
retrouva son lit, au chaud, jusqu?à 6 heures 30.
Roxane s?était chargée de garder Claire. Elle
savait qu?elle était la monnaie d?échange contre son
mari, aussi prit-elle toutes les précautions pour que
la jeune femme ne puisse pas s?enfuir, tout en la
faisant bénéficier de sa gentillesse naturelle.
82
Jean avait apporté un matelas dans la chambre
de Roxane sur lequel dûment ligotée, Claire fut
couchée. Roxane veilla cependant à ce Claire puisse
dormir assez confortablement.. Roxane ferma sa
porte à clé, et mit cette dernière sous son oreiller.
Après le petit déjeuner pris ensemble, Jean confia
à Claire, libre de ses mouvements, le document, en
l?invitant à en prendre connaissance.
- J?y tiens, lui dit-il parce que James doutera sans
doute de son intérêt et je veux que tu puisses le
rassurer afin que l?échange de votre liberté contre
celle de Pierre, puisse s?effectuer
convenablement.
- Je ne te le cache pas, je suis un peu surprise
que tu nous donnes ce document dit Claire, après
l?avoir parcouru. Ce nouveau matériau va
bouleverser toutes les économies, dans tous les
domaines : l?aviation, la marine, l?automobile? .
Je ne comprends pas. Et quand je ne comprends
pas, je deviens très méfiante. Je sais que Pierre
est ton beau frère, mais que pour le sauver, tu en
viennes à nous donner ce document, c?est
impensable. Il y a un truc.
- Quel truc veux-tu qu?il y ait ? Tôt ou tard, vous
auriez eu connaissance de cette découverte, et
nous aurons toujours l?avantage, d?avoir un peu
83
d?avance sur vous. Alors pourquoi sacrifier des
vies humaines, celle de Pierre, et la tienne.
Elle regarda Jean, visiblement surprise de ce
souci avoué d?économiser des vies humaines. On
sentait que la jeune femme ne parvenait pas à se
faire une opinion : S?agissait-il d?une manoeuvre, ou
Jean était-il de bonne foi ?
A sept heures du matin, Jean, Claire et Roxane
qui voulut à tout prix les accompagner, montaient
dans l?automobile, pour se rendre à Agen.
Ils étaient encore dans la cour, lorsque James,
accompagné d?un homme, l?arme au poing,
surgirent par le portail. Ils furent suivis par un autre
homme qui soutenait Pierre, lequel semblait bien
mal en point.
En tenue d?apiculteur qu?il portait au moment du
rapt, son visage était émacié, et du sang séché
maculait ses joues. Il avait les mains liées derrière le
dos. En le voyant, Roxane hurla et Pierre apostropha
James.
- Salaud !! Qu?est ce que vous lui avez fait ? Tu
sais parfaitement qu?il n?est pas dans le coup.
- Du calme ! Riposta James, ce n?est pas grave.
Mais tu sais ce que c?est, j?ai un jeune qui vient
d?arriver, alors quand on débute, on fait de
84
l?excès de zèle, et il a voulu le faire parler.
Comme ton beau frère ne pouvait rien dire, parce
qu?il ne savait rien, il l?a un peu bousculé, mais il
s?en remettra.
A ce moment, se produisit un fait inattendu.
Durant la conversation entre Jean et James, Claire
avait vu que, sur la plage arrière de la voiture, il y
avait un soudogaz et un briquet dont Pierre se
servait pour allumer son enfumoir. Elle s?en était
emparée, avait allumé le soudogaz, puis, après avoir
sorti le document de son sac, elle se mit à crier à
l?attention de James.
- Tu es un salaud. J?ai le document, et pour l?avoir
lu, je peux te dire qu?il est d?une extrême
importance. Il s?agit bien de ce nouveau
matériau très résistant et extrêmement léger. Ils
ont été très corrects avec moi, alors que toi, tu as
agi comme un sauvage. Tu me dégoutes. Alors,
si tu ne fiches pas le camp immédiatement toi et
tes gars, en laissant Pierre ici, je brûle le
document en moins de deux secondes. Tu veux
courir le risque ?
Elle tenait le soudogaz et le document côte à
côte, pour bien marquer qu?en une fraction de
seconde, elle pouvait y mettre le feu.
85
Visiblement, James était pris de court par
l?attitude de Claire, et il resta figé un instant,
avant d?essayer de parlementer.
- Mais enfin, Claire, ne fais pas l?imbécile ! Que se
passe-t-il ? Nous avons gagné. Nous allons
libérer Pierre, ils vont te libérer et tout sera fini.
- Ils m?ont traité humainement, alors que vous
avez brutalisé un homme qui n?y était pour rien.
Ils m?ont confié le document et je ne suis même
pas menottée. Je te jure que je brûlerai le
document si tu fais un pas en avant, et je le
brûlerai aussi si tu ne pars pas immédiatement.
Dépêche-toi !
James essaya de s?adresser à Jean :
- Je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais peu
importe. Ce document, tu me le donnes, oui ou
non.
Mais c?est Claire qui répondit.
- Le document, c?est moi qui le possède, ce n?est
plus lui. Je te jure que si tu ne pars pas
immédiatement, je le brûle.
Comme James ne bougeait pas, elle approcha
la flamme du document qui commença à brûler.
- Non, non, hurla James, nous partons ! Mais je te
revaudrai ça. Les trois hommes sortirent de la
86
cour, et Roxane jaillit de la voiture pour se
précipiter vers Pierre qui tenait à peine de bout.
Voyant la fuite de James, Claire avait éteint les
flammes du document, sous son pied.
Jean, aidé par Roxane, soutinrent Pierre pour
entrer dans la maison. Jusqu?à ce que les trois jeunes
gens soient à l?intérieur, Claire avait gardé le
soudogaz allumé, prête à remettre le feu au
document, en cas de retour de la bande. Cette
précaution s?avéra inutile.
Pierre fut allongé sur son lit, et Roxane, aidée
par Claire, nettoyèrent les plaies sur le crâne, qui à
vrai dire étaient plus spectaculaires que profondes ;
En revanche, elles virent avec horreur, que le torse
de Pierre était constellé de brulures de cigarettes, et
il souffrait le martyr. Malgré l?opposition de Pierre,
et l?attitude gênée mais neutre de Jean, qui, par
profession n?aimait pas faire appel aux autorités
légales(les médecins étant tenus de signaler les
blessures suspectes qu?ils avaient eues à soigner)
Roxane appela un médecin.
Le médecin arriva peu après, désinfecta les plaies,
et fit une piqure antalgique.
Lorsqu?il partit, Jean l?accompagna, et eut une
longue conversation avec lui. En revenant, il avait
l?air soulagé et dit que le médecin ne signalerait pas
87
les curieuses blessures de Pierre. Ce dernier
commençait à moins souffrir après la piqûre et
s?endormit très rapidement. Il n?avait pas fermé
l?oeil durant les 24 dernières heures.
Ayant barricadé la maison, l?arme toujours prête
à l?emploi, il téléphona à Bob, pour le tenir au
courant du développement de la situation.


CHAPITRE 8
Les problèmes qui se présentaient étaient
multiples. Tout d?abord, James certainement
doublement furieux, de son échec d?une part, et de
la trahison de Claire d?autre part, n?était pas homme
à passer à autre chose. Il allait mettre au point une
contre attaque, pour récupérer le document.
Autre problème : Pierre était momentanément
hors service, or c?est lui qui savait dans quelle ruche
il avait mis le véritable document.
Enfin, il fallait éclaircir le problème de Claire.
Avait-elle agit sous le coup de la fureur en
constatant la sauvagerie de James, mais allait-elle
revenir à sa place naturelle, ou plus exactement la
place qu?elle avait choisie, auprès de James ? Ou
89
avait-elle l?intention de changer du tout au tout, soit
en se ralliant à Jean, soit en se retirant purement et
simplement de toute cette histoire ?
Roxane, lorsque Pierre fut endormi, dit à son
frère qu?elle devait absolument aller récolter le
pollen pour le faire sécher rapidement et assurer sa
conservation.
Jean poussa de hauts cris. Pas question que
Roxane sorte alors que les autres pourraient la
capturer de nouveau, mais, entêtée, la jeune femme
ne céda pas, et après avoir confié la maison à Claire,
à laquelle il avait décidé de faire confiance, Jean dut
accompagner sa soeur, en lui prêtant un révolver.
Avec deux armes, ils avaient de quoi se défendre.
Les abeilles ramassent le pollen des fleurs,
c'est-à-dire l?élément mâle des plantes, qui leur sert
à préparer la bouillie destinée à la nourriture des
larves. Elles les stockent dans de petites cavités, sur
leurs pattes arrières, et lorsqu?elles rentrent à la
ruche, on dit qu?elles ont des culottes de pollen.
Pour récupérer une partie de ce pollen rapporté,
on oblige les abeilles à entrer par une grille dont les
trous font 4 millimètres et demi de diamètre. C?est
en passant par ces trous, qu?elles perdent environ le
dixième de leurs culottes, qui tombe dans un tiroir
90
aéré. Ce sont ces tiroirs qu?il faut vider tous les deux
jours, trois au grand maximum, car il importe de
faire sécher le pollen rapidement dans une étuve
thermostatée à 40°, afin d?éviter que le pollen ne
moisisse.
La tournée des divers ruchers (seuls, ceux qui
sont à proximité sont dotés de trappes à pollen, les
ruches éloignées, comme celles dans les Landes
entraineraient des frais de transport trop importants)
cette tournée dura deux heures, et il ne se passa rien
de particulier.
La seule chose vraiment nouvelle pour Roxane,
c?était de voir son frère, qu?elle avait considéré
durant des années comme un paresseux
pathologique, travailler vite et bien.
A la maison non plus, il ne s?était rien passé.
Pierre dormait encore, et Claire avait commencé à
préparer un repas.
Pierre souffrait un peu moins. Mais il se faisait
du mauvais sang pour son exploitation. On se
trouvait dans une période de l?année que l?on
appelle la haute saison, et qui détermine en grande
partie les revenus annuels.
Rassuré de savoir que la récolte de pollen avait
été faite, il demanda de participer aux discussions
concernant l?affaire de Jean.
91
Ce dernier avait pris à part Claire pour essayer de
déterminer dans quel camp elle se trouvait.
Après l?avoir remerciée pour son intervention
efficace, il lui posa carrément la question. Elle lui
répondit d?une façon aussi directe.
- Je ne sais si tu es au courant, mais j?ai été la
femme de Bob, ton chef direct. Nous avons
divorcé il y a 5 ans. J?ai fait la connaissance d?un
membre important des Services de
renseignements français, Max. J?ai été sa
maitresse pendant quelques mois. Après notre
rupture, Bob, que je continuais à voir, m?a dit
exactement « qu?il n?avait pas confiance à 100
pour cent en Max »
- Mais James, comment l?as-tu connu ?
- Oh ! Il y a longtemps. Pas 10 ans comme tu
l?avais suggéré souviens-toi, mais 5 ou 6
certainement. J?étais encore avec Bob, et nous
nous sommes rencontrés dans une réception
mondaine. C?est assez amusant, mais c?est Bob
qui m?a présentée James Par la suite nous nous
sommes revus?
- Et tu es devenue sa maitresse et sa
collaboratrice ?
92
- Pas sa maitresse. Mais il m?avait demandé un
petit service. Comme il connaissait Bob, et après
avoir demandé conseil à mon ancien mari, je le
lui ai rendu. Par la suite, comme je lui avais
refusé un second service, il m?a dit que
maintenant j?étais mouillée dans une affaire
d?espionnage, et que j?étais obligée de continuer.
C?est ce que j?ai fait. Il me tient toujours, mais je
m?en fiche. Il arrivera ce qui arrivera mais je vais
arrêter.
James m?avait beaucoup parlé de toi, et
m?avait dit combien tu étais un homme peu
intéressant, sans scrupule, soucieux seulement
d?obtenir des résultats professionnels qui te
serviraient pour obtenir des promotions. Il a fait tant
et si bien, que j?ai accepté de travailler pour lui,
contre toi.
Je dois dire que lorsque j?ai fait ta connaissance,
j?ai failli refuser, car il me semblait que tu n?étais
pas celui que m?avait décrit James, et puisque c?est
l?heure de vérité, je ne te cache pas que tu ne
m?étais pas indifférent. Sur ce point, je ne t?ai pas
joué la comédie.
J?ai passé des journées très pénibles, me
demandant toujours si j?avais raison de continuer à
me battre contre toi.
93
Quand j?ai vu l?attitude sauvage, cruelle, de
James, et que je l?ai comparée avec ta méthode
professionnelle, mais humaine, j?ai compris en une
seconde que j?avais fait fausse route, et je suis
heureuse d?avoir pu t?aider.
Je vais continuer à te parler sincèrement. Avec
James, ma collaboration est terminée, mais je n?ai
pas l?intention de travailler pour toi. Je veux rester
en dehors de toutes ces activités parallèles, pour
lesquelles d?ailleurs, je ne suis pas faite.
Je me propose, d?avoir avec James, la même
conversation franche qu?avec toi. Puis-je m?en
aller ?
- Bien sûr, tu peux partir. Mais je pense que pour
l?instant, il vaudrait mieux que tu ne coupes pas
les ponts avec James. Tu risquerais de le rendre
fou de rage. Je ne te demande pas de m?aider,
mais simplement de rester neutre. J?espère que
nous aurons l?occasion de nous revoir. A toi de
décider.
- Je te ferai certainement signe un de ces jours.
Claire, alla embrasser Pierre et Roxane, puis
partit.
Deux jours se passèrent avant que Pierre ne
puisse reprendre une partie de ses activités.
94
La grande miellée arrivait à grands pas et il était
temps de mettre des hausses supplémentaires sur les
ruches. Pourtant, il était difficile de sortir de la
maison, sans courir le risque de rencontrer James et
sa bande, qui certainement devaient préparer
quelque chose.
Il devenait urgent de se débarrasser du document,
mais assez curieusement, Bob ne semblait pas
pressé de le récupérer. Lorsque Jean lui demandait
de terminer rapidement cette affaire, il répondait :
- Il faut laisser passer un peu de temps. James et sa
bande vont se lasser, ils vont baisser leur garde,
et nous pourrons faire venir ce document sans
courir le risque d?être intercepté. Rien ne presse !
Le document que tu possèdes, est d?une telle
importance, que nous devons accepter de perdre
quelques jours, pour atteindre une sécurité
complète.
- Tu en parles à ton aise ! Je suis chez ma soeur et
mon beau frère, or, à cause de nous, ils sont
condamnés à l?inaction alors que c?est le moment
des gros travaux dans leur exploitation apicole.
- Ce sont de bons français. Ils comprendront.
95
Un matin, alors que Bob ne voulait toujours
pas bouger dans l?immédiat, Jean se mis en colère et
lui dit.
- Je regrette, il est impossible de continuer comme
ça ! Puisque tu ne veux rien faire, je vais me
débrouiller tout seul, et c?est moi qui vais te
l?amener à Paris.
- Je t?interdis de faire ça !! Il faut que nous soyons
assurés à 100 pour 100 que le document arrivera
à Paris. Tu sais ce qu?il représente pour nous. Si
tu venais seul, malgré toutes les précautions que
tu prendrais, tu risquerais d?être intercepté. Il
n?en est pas question.
- Comme il n?est pas question que j?oblige mon
beau frère à ne pas faire son travail, nous
sommes dans une impasse.
- Mais non, ce n?est pas une impasse ! Tu attends
quelques jours, et c?est tout.
- 24 heures. Je te donne 24 heures pour que tu
mettes sur pied une opération pour récupérer ce
document. Si tu ne fais rien, je monterai seul à
Paris, et je te remettrai à la fois le document et
ma démission. Je te rappelle demain à la même
heure.
96
Puis ne voulant pas entendre les récriminations
de Bob, Jean coupa la communication.
Deux minutes plus tard, Bob le rappelait.
- Je t?interdis, tu m?entends bien, je t?interdis de
m?apporter ce document, sans prendre les
précautions indispensables. Je suis ton chef, ne
l?oublie pas.
- C?est parce que je ne l?oublie pas que je te
remettrai ma démission.
- Je la refuserai.
Allons, que se passe-t-il ? Nous nous
connaissons depuis longtemps. Que t?arrive-t-il ?
- Ce qui m?arrive ne te regarde plus.
Et Jean, de nouveau, coupa la communication
97
CHAPITRE 9
JEAN
Deux fois de suite, je viens de raccrocher au
nez de Bob. Nous nous connaissons depuis
longtemps et nous avons rempli ensemble des
missions périlleuses. Mais il y a de vilaines
pensées qui me tournent dans la tête.
Il est évident que je détiens un document
d?une valeur incommensurable, et qu?il faut
absolument que notre service puisse le posséder.
Je ne peux pas tout laisser tomber, et je n?en ai
d?ailleurs pas l?intention.
En menaçant de donner ma démission, je
voulais enregistrer la réaction de Bob. Il n?est pas
revenu sur sa position. Il ne veut pas que le
document arrive à Paris trop vite. Pourquoi ?
98
Oui, pourquoi ? Un petit travail s?est fait dans
mes cellules grises.
Tout d?abord, Bob m?a dit qu?il soupçonnait
quelqu?un de nos services, de jouer le double jeu.
D?après ce que m?a dit Claire, il doit s?agir du
dénommé Max. Si c?est exact, pourquoi est-il
encore en fonction ? Dans notre métier, il n?y a
pas de place pour le doute. On ne garde pas un
agent douteux.
Ensuite, Bob lui-même m?a dit que notre
premier rendez vous, n?était connu que de lui, de
moi, et des deux envoyés??.. qui ont eu un
accident automobile. Si nous avons été trahis, ce
ne peut être que par l?un de nous quatre.
Enfin, notre adversaire est James, dont l?alliée
était Claire. James a été mis au courant du
rendez vous. Or Claire m?a dit que c?était par
Bob qu?elle avait fait la connaissance de James,
au cours d?une réception. Ne peut-on penser à
une connivence entre Bob et James ? Je
commence à le croire.
Il faut avouer que tous ces éléments réunis
sont troublants.
Pourtant, je veux remplir ma mission, et non
seulement je suis seul, contre nos adversaires,
99
mais il faut de plus, que je me méfie de mon chef
direct.
Si j?ai vu juste, je sais que Bob ne fera pas de
sentiment. Il va essayer de m?éliminer.
Je vais donc, dans un premier temps, faire un
rapport concernant mes doutes. Je vais le confier
à Pierre, avec pour mission, si je devais
disparaitre d?une façon brutale, de le transmettre
au général Janot, le grand patron de mon service.
Après quoi, je prendrai le risque de monter
seul à Paris, pour remettre le document au
général. Avec James et sa bande, plus Bob,
contre moi, je suis réaliste : j?ai peu de chance de
réussir, mais je ne peux pas faire autrement, je
dois tenter ma chance. Je vais demander à Pierre
de récupérer le document, et je vais partir
immédiatement à Paris, avec la voiture de
Roxane.
Après en avoir discuté pendant une heure,
Roxane, Pierre et moi, nous avons décidé de faire
les choses de la façon suivante.
Je ne voulais pas au départ que Roxane
intervienne, mais elle a tant insisté, que Pierre et
moi avons cédé.
100
Pierre et Roxane, partiraient donc en camion
au rucher. Ils auront chacun un pistolet. C?est
Roxane qui récupérerait le document dans la
ruche, pendant que Pierre assurera sa protection
avec son arme.
10 minutes après le départ du camion, je
partirai avec le véhicule de Roxane. Au rucher,
je prendrai le document au vol. Si James épiait
dans les alentours, Pierre et Roxane, le temps
qu?il rejoigne son véhicule j?aurais un peu
d?avance, et partirais aussitôt sur Paris.
Pierre aurait voulu m?accompagner dans la
capitale, mais j?ai tenu ferme. Ils avaient lui et
ma soeur couru assez de risques, il fallait que
cela se termine et qu?ils reprennent leurs activités
normales.
Dans une heure, Roxane et Pierre partiront au
rucher, et peu après, le temps de leur laisser le
temps d?allumer l?enfumoir et de récupérer le
document, j?irai les rejoindre. D?ici là, je vais me
vider l?esprit et penser à autre chose que mon
travail.
Lorsque la dernière fois, Claire et moi, nous
nous sommes quittés, j?ai eu une sensation
nouvelle pour moi. J?étais malheureux de la voir
partir. Il est certain, que j?avais particulièrement
101
apprécié son attitude, lorsqu?elle nous avait
défendu contre James, en menaçant de brûler le
document. Elle m?avait impressionné par son
calme, son cran, sa détermination, qui en a
imposé à trois hommes armés. J?ai donc pour
elle, respect et admiration.
Est-ce suffisant pour expliquer ce trouble
ressenti lors de notre séparation ? J?ai trop
l?habitude de regarder les faits en face, pour le
croire.
Je n?ai jamais eu de vie sentimentale. Tout
simplement parce que je savais que je n?y avais
pas droit. Un homme qui mène une vie
aventureuse, instable, dangereuse, ne peut
demander à une femme d?avoir un tel mari.
C?est aujourd?hui que je me rends compte,
combien la raison derrière laquelle je m?abritais,
était ridicule. Si je n?ai jamais eu de vie
sentimentale, c?est tout simplement parce que je
n?avais jamais rencontré une femme qui m?attire
suffisamment pour que je me pose la question :
Suis-je prêt à abandonner ma vie actuelle pour
mener une existence normale avec femme et
enfants ?
Je l?ai dit, j?adore mon activité, mais, si Claire
me demandait de l?abandonner, que ferais-je ? Le
102
seul fait de me poser la question, est déjà
extraordinaire. Mais il faut que je reste lucide : la
question ne se poserait que si, de son côté, Claire
se sentait vraiment attirée par moi. Je ne veux
pas perdre de vue que, travaillant avec James,
elle était dans son rôle en jouant à la femme
amoureuse, pour essayer de recueillir des
renseignements sur mon activité. Alors, je ne
peux tenir compte des déclarations d?amour dont
elle m?a abreuvé.
Bon. La petite séance sentimentale est
terminée. Il faut maintenant que je finalise cette
affaire en cours, et la conclusion n?interviendra,
que lorsque j?aurais remis en main propre, ce
foutu document au général.
Une seule chose est certaine. James ne restera
pas inactif. Je ne peux me contenter de prendre le
document au rucher, et tranquillement
d?emprunter l?autoroute pour aller à Paris. Je ne
me fais pas d?illusion. Le véhicule de Roxane est
connu, et je serais vite intercepté par les
correspondants de James. Il va falloir jouer serré.
Je vais devoir changer plusieurs fois de véhicule.
Par les sociétés de location de voiture, ils auront
assez vite les caractéristiques du véhicule que je
conduis, aussi, faudra-t-il que j?en change, avant
qu?ils n?aient la possibilité de m?intercepter.
103
J?envisage également de parcourir
éventuellement des tronçons en train, pour les
déstabiliser.
Il y a encore un autre élément, sur lequel je n?ai
pas de certitude, mais??
Si Bob joue le double jeu, il aura senti mes
réticences à son égard, quand j?ai donné ma
démission. Alors, comme il me connait bien, il
sait que je tenterai d?aller seul, porter le
document à Paris, et James et lui vont peut être
mettre leurs moyens en commun.
La situation est compliquée, mais je ne peux
pas reculer.
Je vais prendre une carte, faire mon plan, et
puis, le départ de Roxane et Pierre marquera le
début de la fin de l?opération?..


CHAPITRE 10
Une dernière fois, Pierre tenta de dissuader
Roxane de venir au rucher avec lui. Il avait
employé tous les arguments possibles, mais elle
était restée inflexible : Attendre, seule, à la
maison, pendant que son mari et son frère
courraient des risques, était une épreuve qu?elle
ne pourrait supporter.
En dernier ressort, Pierre avait bien essayé de
lui dire, que s?il fallait fuir, ce serait beaucoup
plus facile pour lui s?il était seul, plutôt
qu?accompagné d?une femme enceinte. Rien n?y
fit. Elle demanda seulement que Pierre lui
explique bien le fonctionnement du pistolet.
Comme convenu, Pierre et Roxane partirent
au rucher où se trouvait le document, et peu
après, Jean, au volant du véhicule de Roxane, prit
la même direction.
105
Arrivé près du rucher, il constata en souriant,
que sa soeur, et son beau frère, tels de vrais pros,
assis par terre, dos à dos, pour ne pouvoir être
pris à l?improviste, le pistolet à la main,
l?attendaient.
Jean ne descendit pas de la voiture, prit le
document que lui tendait Pierre, et avant de
redémarrer leur dit :
- Je laisserai le véhicule de Roxane sur le parking
de la gare à Agen. Je mettrai dans le parcmètre ce
qu?il faudra pour 4 ou 5 heures de stationnement.
A plus tard.
Jean était à l?entrée de Condom, lorsqu?il vit
Claire, au bord de la route qui lui faisait signe de
s?arrêter. Il hésita un seconde, puis s?arrêta prenant
vivement son pistolet à la main.
- Je te guettais. James a su, je ne sais pas
comment, ton départ pour Paris aujourd?hui, et tu
as un comité d?accueil, qui t?attend, à la sortie
de Condom. Il faut que tu contournes la ville. Ne
parle à personne de l?itinéraire que tu veux
prendre. Même à ton service. Pars vite, Je t?aime.
Bonne chance.
Jean n?avait aucune raison de mettre en doute
les renseignements fournis par Claire, et fit un
106
détour de kilomètres, pour éviter la sortie de
Condom.
Tout en conduisant, les sujets de réflexion ne
manquaient pas. Entre la déclaration d?amour de
Claire, et sa difficile mission en cours, il y avait de
quoi alimenter ses cellules grises. Puis il se dit que
les problèmes sentimentaux n?avaient aucune
raisons de se développer s?il se faisait descendre
avant son arrivée à Paris. Il concentra donc tous ses
efforts sur la nécessité d?échapper aux pièges que
James et sa bande allaient lui tendre.
Dans les quelques mots prononcés par Claire,
quatre avaient particulièrement frappé Jean.
« Même à ton service » avait elle dit en lui
conseillant de ne parler à personne de son itinéraire.
Aurait-elle aussi des doutes en ce qui concerne
Bob ?
Jean ne fit jamais plus de 150 kilomètres dans le
même véhicule, qu?il rendait à une agence de la
société à laquelle il l?avait loué, pour ensuite, en
louer un autre dans une société différente. Il ne prit
jamais l?autoroute, et n?hésitait pas à négliger les
itinéraires les plus directs, pour prendre le chemin
des écoliers, et déjouer d?éventuels pièges de James.
Jean avait à Paris un camarade, Jacques, avec
lequel il avait fait son service militaire, et il décida
107
de descendre chez lui, s?il n?y avait pas
d?impossibilité. Il lui téléphona, et entendit une voix
féminine lui dire que son mari, Jacques, n?était pas
encore rentré, mais qu?il serait certainement très
heureux de revoir un vieux copain. Il était donc
attendu, et le fait qu?il n?arriverait que vers 10
heures du soir n?était pas grave, puisqu?eux-mêmes
se couchaient toujours assez tard.
Décidemment, les choses s?avéraient plus faciles
qu?il ne l?avait craint, et il décida de s?arrêter dans
un café pour boire une bonne bière fraiche.
Il prit une précaution, dont il avait l?habitude,
puis appela le garçon pour lui passer commande.
Il calcula que dans une quinzaine d?heures, très tôt
le lendemain, il pourrait mettre un point final à cette
affaire, en remettant le dossier du Légerium au
général, et il pourrait alors tourner ses pensées vers
des horizons plus agréables, et plus pacifiques.
Il venait d?appeler le garçon pour lui régler sa
consommation, lorsque derrière lui, James surgit, fit
le tour de la table, et vint s?installer devant lui.
Il avait un large sourire, et après avoir, de son
mouchoir, essuyé la sueur qui perlait sur son front, il
lui dit :
108
- Mon salaud ! Tu m?en as donné du mal. ! Je
croyais bien que tu allais m?échapper, et je m?en
serais voulu toute ma vie.
Comme le garçon venait pour encaisser, James
lui dit :
- Deux autres bières. Tout sera pour moi.
Lorsque le garçon se fut éloigné, James reprit
- Bon. Tu as perdu. Tu vas me remettre ce fameux
document. Ne fais pas cette tête, la prochaine
fois, c?est peut être toi qui gagnera. Il faut être
beau joueur. Vois-tu, j?ai toujours pensé que tu
étais très fort, mais qu?en définitive, je le suis
plus que toi. Et aujourd?hui, j?en apporte la
preuve. Je reconnais que tu m?as donné du fil à
retordre, mais ce qui compte, c?est le résultat
final, tu es bien d?accord ?
Pendant que James, tout heureux de l?avoir
retrouvé, et d?avoir gagné la partie se laissait aller à
une logghorée joyeuse, Jean avait eu le temps de
réfléchir.
- Je ne fais pas la tête. Pas du tout même ! C?est
vrai, je t?admire d?avoir pu me retrouver malgré
toutes mes précautions, et les distances
parcourues. Je t?adresse mes sincères
félicitations.
109
- Merci. Tu te montres finalement beau joueur. Tu
avoues avoir perdu. Maintenant, donne-moi ce
fichu document.
- Attends, attends ! Je crois qu?il y a un quiproquo.
Je t?ai félicité pour avoir su me retrouver, mais tu
n?as pas gagné la partie. A vrai dire, tu l?as
perdue, puisque tu n?as pas le document.
- Je ne l?ai pas, mais tu vas me le donner.
Regarde !
De son index levé, il fit voir que le café où ils se
trouvaient faisait également Hôtel.
- Je ne vais pas te demander de te foutre à poil
devant tout le monde, pour me permettre de
récupérer le document, mais tu vas prendre une
chambre, et je saurai bien le trouver, soit sur toi,
soit dans ta valise.
Il appela le garçon et demanda une
chambre. Jean se taisait, et, il resta impassible
lorsque le garçon répondit qu?il allait leur
envoyer la réceptionniste.
James gardait une main dans sa poche pour que
Jean sache, qu?il était tenu en respect par son
pistolet, et ils montèrent dans une chambre.
Après avoir fermé la porte à clé, James demanda
à Jean de se déshabiller entièrement, ce qu?il fit sans
110
aucune difficulté. Les vêtements furent tâtés un à un
sans aucun résultat.
- Bon. Tu peux te rhabiller dit James, qui
saisissant la valise commença à la fouiller
méthodiquement, mais ne trouva rien qui
ressemble à un document.
A sa mine déconfite, on pouvait voir que James
se demandait s?il n?avait pas crié victoire trop tôt.
- Tu es un petit malin, hein ? Mais ne triomphe
pas. Je le trouverai ce satané document sur ce
nouvel alliage révolutionnaire. Je le retrouverai,
je t?en donne ma parole.
Il réfléchit un moment, et en conclusion,
décida que c?était dans la voiture qu?il se
trouvait.
Après que Jean eut fini de se vêtir, il lui passa
une paire de menottes aux poignets, et le faisant
allonger sur le lit, il fit passer ses jambes de part
et d?autre d?un barreau métallique du lit, et lui
passa une autre paire de menottes aux chevilles.
Ainsi immobilisé, Jean ne pouvait s?enfuir,
mais il put cependant lui dire.
- James, tu perds ton temps. Je n?ai plus le
document. Il est parti sur Paris, et c?est parce que
111
je venais de m?en débarrasser, que soulagé et
décontracté, je prenais une bière, cool.
- Je ne te crois pas. Je vais prendre tes clés de
voiture, et je te fiche mon billet que je ne
reviendrai pas les mains vides. D?ici là, reste
bien sage.
James était moins sûr de lui qu?il voulait le
laisser paraitre. Jean lui paraissait bien calme. Les
fouilles des vêtements et de la valise, n?ayant donné
aucun résultat, il avait déjà commencé à se poser des
questions. Et maintenant, l?insolente décontraction
de Jean, lui faisait craindre qu?en effet, il n?avait
plus le document.. Néanmoins, il s?efforça de faire
bonne figure, et sortit de la chambre sur une
plaisanterie.
- Pour passer le temps, compte les fleurs sur la
tapisserie. Avant que tu n?arrives à 1000, je serai
là avec le document, et j?aurais le plaisir de
t?entendre dire : j?ai perdu. Reste sage, et à tout à
l?heure.
Lorsque James revint dans la chambre, il
avait beaucoup perdu de sa superbe, et agressif il
dit à Jean.
112
- Un fait est certain. Tu es en mon pouvoir. Tu vas
donc me dire exactement où est le document.
Inutile de me raconter des salades. Je veux
simplement t?éviter de faire une erreur. Tu as pu
constater que je ne suis pas seul, et si je me rends
compte que tu m?emmènes en bateau, je n?ai
qu?un coup de fil à donner, et ta chère soeur, son
bébé à venir ainsi que son mari, risquent d?avoir
de graves, très graves ennuis. Alors tache d?être
sérieux. Où est ce document ?
- Je vais tout te dire, puisque tu as perdu.
Puisqu?apparemment, tu m?as suivi ou fait
suivre, tu sais que j?ai pris de l?essence à 15
kilomètres d?ici. Une voiture est venue se ranger
près de la mienne. Tu le sais n?est-ce pas ? Deux
de mes collègues étaient à bord. Ce sont eux qui
ont le document, mais je ne pourrais pas te dire
où ils sont allés, parce que, je te le jure, je ne
connais rien de leurs plans, ce qui dans notre
milieu est, tu le reconnaitras, tout à fait normal.
James se grattait la tête, et ne se souciait plus
de donner le change. Il resta silencieux si longtemps
que Jean reprit.
- Nous sommes dans des camps différents mais
nous faisons le même métier. Comme je te l?ai
dit tout à l?heure, et je te le confirme, je t?admire
d?avoir pu me retrouver. Alors, comme tu as
113
réglé les consommations à la terrasse, permets
moi, à mon tour de t?offrir un dîner, et nous
parlerons de tout, sauf de cette affaire, terminée
pour toi comme pour moi.
James ne parvenait pas à digérer son échec.
Il lui dit qu?il n?envisageait pas de prendre un repas
avec un adversaire, et que la partie, n?était pas
encore terminée. Mais l?on sentait qu?il s?agissait là
plus d?une attitude que d?une évidence ressentie.
Ils restèrent quelques minutes à discuter de chose
et d?autre. Dans la conversation, Jean glissa, que son
travail étant terminé, il allait en premier lieu passer
une bonne nuit, dans la chambre qu?il avait retenue.
Le fait que Jean n?envisage pas de continuer sa
route sur Paris, conforta James dans l?idée, qu?en
effet, le document n?était plus en possession de son
adversaire.
Les deux hommes se séparèrent, et dès qu?il se
retrouva seul dans sa chambre, il téléphona chez son
ami Jacques. Il l?eut au bout du fil et lui dit, que du
fait d?un contre temps professionnel, il ne pouvait se
rendre à Paris, mais que ce n?était que partie remise.
En fait de bonne nuit, Jean resta éveillé un bonne
partie de la nuit, car il se faisait du mauvais sang
pour son document.
114
Bien sûr, il l?avait toujours en sa possession, il ne
l?avait pas remis à des collègues. Presque
mécaniquement, dès qu?il était porteur d?un
document important, il le scotchait à proximité de
lui, mais hors des regards. C?est ce qu?il avait fait en
arrivant à la terrasse du café. Il avait scotché le
document sous sa table.. Le gros danger, était qu?un
serveur, plus consciencieux, se mette à essuyer non
seulement le dessus, mais également le dessous des
tables.
Jean se leva très tôt pour être certain que la table
où il se trouvait hier, ne serait pas occupée.
En tâtant, il se rendit compte que rien n?avait
bougé, après avoir réglé sa note, il récupéra le
document et se dirigea vers sa voiture.
Il avait hâte de se retrouver sur la route, à l?abri
des poursuites de James, mais pour le cas où ce
dernier l?épiait, il était primordial que Jean conserve
une allure décontractée, et peu pressée.
Tout se passa normalement, et après avoir changé
une dernière fois de voiture, par précaution ; Jean
arriva à Paris, au pied de l?immeuble qui abritait les
services de renseignements. Il était onze heures.
Il aurait eu du mal à obtenir une audience du
général Janot, sans passer par la voie hiérarchique,
s?il n?avait pas eu l?occasion de rencontrer le
115
général à deux reprises, au cours d?opérations, dans
lesquelles il avait eu un rôle déterminant.
Dans le bureau de la secrétaire du général, il
écrivit ce simple mot :
Jean Arnaud, sollicite une entrevue urgente pour
un problème grave exigeant l?abandon de la voie
hiérarchique.
Il savait que la tournure même de ce petit mot
allait intriguer le général qui devrait le recevoir.
Ce qui eut lieu 5 minutes plus tard.
Après avoir présenté les respects de rigueur, et la
poignée de mains échangée, Jean installé dans un
fauteuil, raconta brièvement le déroulement de la
mission et remit au général le fameux document.
Puis il ajouta, alors que le général n?avait pas
prononcé un mot
- En fait, mon général, j?aurais pu rendre compte à
mon supérieur, de l?heureuse conclusion de cette
mission. Mais c?est au cours de cette dernière,
que j?ai été amené à me demander s?il n?y aurait
pas de fuite chez nous.
Curieux, que nos adversaires aient eu
connaissance du jour et de la date de notre premier
rendez, et que les deux camarades qui devaient venir
me contacter aient eu un accident de la circulation,
116
accident qui avait été sans doute, soigneusement
organisé.
Curieuse, l?attitude de mon chef hiérarchique
qui ne semblait pas pressé de récupérer le document,
comme s?il avait besoin de temps pour mettre au
point une opération afin de m?enlever le document.
Sans faire de paranoïa, j?ai trouvé curieux, que
James ait pu me retrouver en route, alors qu?il ne
m?avait pas suivi. Je lui avais dit m?être arrêté à
une station d?essence, c?était faux, et il ne l?a pas
relevé. Donc il ne me filait pas. Pour me
retrouver, il fallait donc qu?il ait reçu des tuyaux
de quelqu?un qui, me connaissant bien, savait
que je monterais immédiatement à Paris, et avait
pu prévoir mes points relais.
Voilà, mon général, ce que je tenais à vous
dire.
- Les éléments que vous m?apportez sont
gravissimes.
Il déballa le document que j?avais apporté, et
le lut rapidement. Puis regardant Jean par-dessus ses
lunettes, le félicita pour avoir mené à bien cette
délicate mission.
- Certes, lui dit-il, vous en avez réalisé de plus
périlleuses, mais certainement jamais d?aussi
117
importante. Nous sommes désormais en
possession d?une découverte faite par ce
chercheur polonais, et nous avons l?assurance
que nous sommes les seuls à la posséder, puisque
le pauvre professeur a été bêtement tué par un
service adverse. Songez que ce nouveau composé
de métaux à une résistance au choc, double de
celle de l?acier, et qu?il a une densité de 0,540.
Cette dernière caractéristique surtout, est
stupéfiante. C?est extraordinaire Nos propres
chercheurs vont pouvoir se régaler et trouver une
multiplicité d?applications pour ce matériau
révolutionnaire.
Vous avez bien mérité de prendre une
permission de, disons quinze jours. Allez, vous
reposer.
Il arrive dans la vie, que des raisonnements qui se
sont développés dans notre subconscient, donc à
notre insu, aboutissent à des conclusions, qui ne
nous sont pas connues.
C?est ce qui arriva à Jean qui s?entendit dire, avec
stupéfaction :
118
- Merci, mon général, mais mon intention est de
prendre une indisponibilité plus longue. Je vais
vous remettre ma démission, pour exercer des
activités différentes.
- Ah bon ? J?avais pourtant l?impression que
votre activité actuelle, dans laquelle vous
excellez, vous donnait satisfaction.
- En dehors de l?excellence, que vous m?attribuez
trop généreusement, mon général, c?est ce que je
pensais aussi. Je croyais avoir une activité
conforme à mes goûts mais, j?ai sans doute
évolué, et je ressentis le besoin « d?autre chose »
- Réfléchissez, réfléchissez bien, avant de prendre
la décision de nous quitter. Tenez, prenez
d?abord les 15 jours de détente que je vous avais
proposé, et vous verrez au bout de ce délai, si
vous maintenez votre position.
Jean serra la main du général, le remercia, et
s?engagea à réfléchir en effet durant deux
semaines avant de confirmer ou d?abandonner
son intention de démissionner.
Il sortait de l?immeuble où se trouvaient les
bureaux du général, lorsqu?il vit, adossé à la
portière d?un véhicule, un homme qui fumait une
cigarette, et le col de son imper relevé, un
119
chapeau très incliné sur la gauche tentait de ne
pas être vu par Jean.
Il allait passer devant lui, à une dizaine de
mètres, lorsque l?individu sortit un pistolet et lui
tira dessus en criant
- Idiot ! Va au diable !
Jean avait eu le réflexe, en une fraction de
seconde, de se jeter sur le côté, et la balle qui était
destinée à son visage l?atteint à l?épaule droite. Il y
avait peu de monde à proximité. Un homme et deux
femmes, qui terrorisés étaient partis en courant. Jean
se releva et pensa que la meilleure solution était
d?aller se réfugier dans l?immeuble qu?il venait de
quitter.
Lorsque, la secrétaire du général, le vit revenir
pâle, grimaçant de douleur, et tenant de sa main
gauche son bras droit ensanglanté, elle poussa un
cri, mais reprit rapidement son sang froid. Elle
téléphona immédiatement au service médical pour
que l?on envoie d?urgence un médecin, puis elle vint
vers Jean qui s?était laissé tomber sur une chaise.
Sans un mot, elle l?aida à enlever sa veste, puis sa
chemise. Elle n?avait pas grand-chose sous la main
pour presser sur la plaie, et tenter d?arrêter
l?hémorragie. Elle prit sa boite de mouchoirs en
120
papier, et en plaça plusieurs sur la blessure, en
attendant l?arrivée du médecin.
Le général qui avait entendu le cri de sa
secrétaire sortit de son bureau et jugea d?un coup
d?oeil de la situation.
Après s?être assuré que le service médical avait
été prévenu, il posa une seule question : Qui ?
Jean semblait souffrir beaucoup, mais il répondit :
- Pas de certitude, mon général, mais d?après la
voix?
A ce moment là le médecin arriva, Jean
s?interrompit et le général ne réitéra pas sa
question.
La blessure était profonde, Jean avait perdu
beaucoup de sang, et, après les premiers soins
donnés sur place, le médecin appela des
infirmiers pour qu?ils viennent avec une civière.
Les agents spéciaux blessés par balles ne
pouvaient être transportés dans les hôpitaux, sans
que cela engendre des enquêtes. C?est pourquoi,
il y avait dans l?immeuble un service sanitaire
médical bien organisé et doté des appareils les
plus sophistiqués.
121
Jean allait donc bénéficier de ces
installations.
Juste avant d?être emporté sur une civière,
Jean fit signe au général qu?il voulait lui parler.
A voix basse, il lui dit :
- Mon général, il faut vite vérifier si Bob est dans
son bureau, et s?il y est, il faudra voir s?il a un
imperméable cachou, un chapeau mou, léger et
gris ? Eventuellement, il serait bon de connaitre
les caractéristiques de son arme, et s?il a servi
récemment.
122
CHAPITRE 11
La balle qui était restée dans l?épaule fut extraite,
et dès que Jean se réveilla, après son anesthésie,
il demanda son portable pour appeler sa soeur,
qui très certainement devait macérer dans
l?inquiétude depuis son départ.
Il commença par lui dire que sa mission était
terminée, mais qu?il ne pourrait revenir dans le
Gers que dans quelques jours. Il lui parla de sa
blessure, en minimisant les choses au maximum.
Son second coup de fil, fut pour Claire. Il
tenait à la remercier pour son intervention à
Condom. Il ne voulut pas trop insister sur la
réussite de sa mission, car, après tout, elle avait
fait partie de ses adversaires, bien qu?elle ait
largement contribué à son succès.
Il ne lui cacha pas que sa blessure allait le
retenir sans doute une huitaine de jours à Paris, et
123
l?assura que dès son arrivée dans le sud ouest, il
l?inviterait à déjeuner.
L?hospitalisation dura en effet huit jours. Jean
avait eu le temps de réfléchir et de penser à ce
qu?il avait dit au général. En fait, il n?y avait plus
aucun doute dans son esprit. Il allait quitter les
services spéciaux. Ses projets d?avenir n?étaient
pas encore très précis, mais il partait avec un
atout important. Depuis qu?il était considéré
comme un incurable fainéant, il avait été hébergé
et nourri par ses parents d?abord, par sa soeur et
son beau frère ensuite. Certes les agents des
services spéciaux n?ont pas des salaires
mirobolants, mais comme son statut de fainéant
s?opposait à ce qu?il fasse de trop ostensibles
dépenses, il avait en banque, un bon petit capital
qui lui faciliterait sa reconversion.
A plusieurs reprises, il revécut la scène au
cours de laquelle, Claire, un soudogaz allumé
dans une main, un document dans l?autre, avait
crânement tenu tête à trois hommes armés, et
Pierre avait pour cette femme une profonde
admiration qui s?était muée à son insu en un
autre sentiment, dont il était le premier à
s?étonner de la force.
Le lendemain de son opération, le général
était venu voir Jean. Il lui avait dit que les
124
soupçons qu?il avait eus étaient parfaitement
fondés.
Bob, qui avait été un agent de premier
ordre, au service de son pays, avait été contacté,
peu après son divorce avec Claire (qui était bien
née Claire Marion, et n?avait jamais porté le
prénom de Dorothée) par les services américains.
Il ne put résister au pont d?or qui lui était offert,
et toutes ses tergiversations pour rapatrier le
document sur le nouveau matériau, étaient bien
dues au fait, qu?il voulait, sans se griller,
récupérer le document détenu par Jean.
Il devait être rongé par les remords, car
il avoua sa trahison, sans difficulté, et sembla
même être soulagé d?un grand poids en faisant sa
confession.
Pour essayer de sauver la partie, il avait
d?abord voulu tuer Jean, mais immédiatement
regretta son geste. Il n?est pas impossible de
penser que s?il n?avait pas été découvert, il se
serait livré de lui-même.
L?épaule encore douloureuse, le bras en
écharpe, Jean décida de s?offrir une folle
dépense, et de descendre dans le Gers en
ambulance. C?était la condition, qu?avait mise le
125
médecin pour le lâcher 3 jours avant l?expiration
du délai qu?il avait précédemment fixé.
Lorsqu?il arriva chez Pierre, il put constater
que Roxane avait pris de l?embonpoint, mais elle
était pleinement heureuse. Son frère n?était pas
un indécrottable paresseux, et il n?était plus en
mission, donc, ne courait plus de risque.
Son bonheur s?accrut encore, quand elle
apprit la décision de Jean de donner sa démission
pour mener enfin une vie plus normale.
- As-tu une idée sur ce que tu veux faire, lui
demanda Pierre ?
- Pas encore réellement. J?ai tout d?abord un autre
problème à régler. Mais, pour ne rien vous
cacher, je suis épuisé, et si vous le voulez bien, je
vais aller me coucher.
Le lendemain matin, Jean se leva tôt. Le temps
était magnifique. Le mois de Juillet avait été idéal
pour les abeilles de Pierre. Le soleil brillait durant le
jour, et toutes les deux nuits, il pleuvait. Les
montées de nectar étaient abondantes. La récolte de
miel « Toutes fleurs « avait été exceptionnelle. Et
sur le tournesol, le blocage de ponte ne s?était pas
trop fait sentir, puisque les populations étaient fortes
dans les ruches.
126
Maintenant qu?il n?avait plus à cacher qu?il
avait pas mal d?argent, Jean décida d?aller s?acheter
une voiture. Elle devait lui être livrée dans huit
jours. En attendant sa soeur lui prêtait son véhicule,
et il partit dans l?après midi chez Claire, à Auch.
De Paris, avant son départ il avait essayé de lui
téléphoner. Cela ne répondait pas. Dans la matinée il
avait essayé à trois ou quatre reprises, toujours en
vain. Il commençait donc à s?inquiéter.
Il sonna et frappa à la porte de son appartement
sans obtenir de réponse. Jean interrogea une voisine
qui lui dit que madame Marion était à l?hôpital, mais
il ne put obtenir aucune autre précision.
Très inquiet, il se rendit immédiatement à
l?hôpital. Elle était en chirurgie. Elle ne souffrait
sans doute pas d?une maladie mais d?une blessure, et
il pensa tout de suite à James.
Lorsqu?il entra dans la chambre de Claire, il fut
accueilli par un merveilleux sourire, qui dissipa
immédiatement ses craintes.
C?est en effet d?une blessure dont souffrait
Claire. Décidemment cette mission avait fait de
nombreuses victimes. Roxane avait été enlevée,
Pierre et Jean avaient été blessés, quant à Claire, elle
avait, à son tour, payé, son tribut, dans la lutte
127
livrée par plusieurs nations, pour l?obtention du
secret de fabrication du Légerium.
Claire raconta ce qui lui était arrivée.
Lorsque James avait conçu le guet-apens, à la
sortie de Condom, qui devait lui permettre de
récupérer le document, il avait pris la précaution de
mettre l?un de ses hommes à l?entrée de la ville pour
qu?il lui signale l?arrivée de Jean.
Cet homme avait vu Claire arrêter Jean, puis les
avait vus discuter. James n?avait aucun doute: C?est
elle qui avait fait échouer son plan, et il fallait la
faire payer pour cela.
Il dut attendre plusieurs jours pour assouvir sa
vengeance car sa priorité était de rattraper Jean sur
la route de Paris. De retour dans le sud ouest, James
savait que Claire irait voir Pierre et Roxane, et avait
pris ses dispositions.. Il ne s?était pas trompé.
C?était l?avant-veille, que Claire était allée sur la
route de Montréal pour rendre visite à ses amis, et
surtout, essayer d?avoir d?autres nouvelles de Jean.
Au croisement de la route qui menait à
Laressingle, un homme que James avait posé là,
dans ce coin souvent désert, la vit arriver à assez
vive allure. Il ne parvint pas à la faire stopper et ne
put que tirer, blessant Claire à l?épaule gauche. Elle
128
eut le courage et la présence d?esprit de ne pas
s?arrêter, et roula jusque chez Pierre, qui après lui
avoir donné les premiers soins l?avait faite
hospitaliser.
Cette fois ci, la gendarmerie ne put rester hors du
coup, d?ailleurs, cela n?avait plus une grande
importance, et une plainte fut déposée contre X.
Longuement interrogée, Claire, avec un aplomb
(que Jean trouva superbe) s?en tint à sa première
version. Elle ne comprenait pas. Elle allait voir des
amis apiculteurs quand un homme, un fou sans
doute lui avait tiré dessus. Elle ne pouvait donner
aucun autre renseignement. Ou il s?agissait d?un fou,
ou il s?était trompé de cible, car elle ne connaissait
personne qui lui veuille du mal.
Jean avait été blessé à l?épaule droite, Claire à
l?épaule gauche, les deux jeunes gens ne purent
s?empêcher de rire en constatant cette symétrie.
La blessure de Claire était beaucoup plus
superficielle, et elle put sortir de l?hôpital quarante
huit heures plus tard.
Pierre et Jean eurent de longues conversations à
l?issue desquelles, il fut décidé que les deux jeunes
gens allaient s?associer et agrandir l?exploitation.
Jean allait acheter une ferme dont les propriétaires
partaient à la retraite. Il ferait en outre l?acquisition
129
de 300 ruches supplémentaires ainsi que du matériel
de miellerie plus performant : Une picoteuse pour
l?extraction du miel de bruyère callune, un
extracteur 50 cadres, et un second camion.
En fin d?année, le petit Nicolas fit son entrée dans
le monde.
Quand à Claire et Jean ?..Mais c?est une autre
histoire.
FIN
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