Ecriture-Lecture






Avertissement


« Nous sommes des morts en permission » ( Lénine)
Ne voulant pas faire concurrence à Madame Simone Weil qui vient de publier « Ma vie » l?auteur a choisi le titre de « Ma permission »
L?auteur raconte donc « sa permission » au cours de laquelle il exerça 3 activités distinctes.
Après nous avoir parlé de sa jeunesse et de ses 5 années passées durant la guerre au Prytanée militaire, il nous raconte comment, au cours de sa première activité, il fut amené à parcourir le monde et en particulier l? Afrique Noire, dont il nous rapporte quelques anecdotes savoureuses et des légendes.
Reconverti à l?Apiculture, l?auteur nous parle de ses recherches, et des produits nouveaux qu?il a mis au point.
Il nous dit enfin comment à un âge avancé il s?est lancé dans la littérature, ou plus exactement il s?amuse à inventer et écrire des histoires.



















DU MEME AUTEUR CHEZ LE MEME EDITEUR



LIVRES PARUS



EVADONS NOUS
NAPOLEON EST REVENU
VAGABONDAGES
QUATRE FOIS TROIS COUPS TOME 1
QUATRE FOIS TROIS COUPS TOME2
COCKTAIL
ESCAPADES
AVATAR
BALLADES DANS LES COEURS


A PARAITRE


LES SOURIS DANSENT
DES CARACTERES
LABYRINTHE





















AVANT PROPOS


C?est Lénine qui disait :
« Nous sommes des morts en permission »

Je vais entreprendre ici, le récit de ma permission.
Certes je ne parlerai pas des évènements ( pourtant parfois très cocasses) de ma vie sentimentale, pour une raison facile à comprendre : Elle met en cause d?autres personnes que moi.
A la suite de ma jeunesse, un peu spéciale puisque j?ai vécu la période de la guerre dans une école militaire, j?ai eu au cours de ma vie trois activités.
La première, (celle avec laquelle j?ai pu élever mes enfants) dans le corps des Inspecteurs d?Assurances. C?est dans l?exercice de cette fonction que j?ai été amené à effectuer de nombreux voyages dans le monde et en particulier en Afrique Noire.
La seconde m?a permis d? exercer ma passion pour les abeilles. Son corollaire a été la recherche,dans ce domaine, et la mise au point de nombreux produits nouveaux ainsi que la prise de Brevets

La troisième activité,à laquelle je ne pensais pas du tout il y a deux ans, et que j?exerce en ce moment est l?écriture, avec son corollaire l?Edition En 3 ou 4 mois, j?ai eu le plaisir de voir acceptés 13 livres par des Editeurs.
C?est de tout cela dont je vais vous parler.












CHAPITRE 1

Ma jeunesse


Je suis né à La Flèche, dans le Prytanée militaire , ou mon père était instructeur. En ce temps, les mères n?allaient pas en clinique pour accoucher. On accouchait à la maison. Et la fenêtre de la chambre de mes parents donnait sur la cour d?honneur du Prytanée. Fils d?officier, j?étais destiné à revenir au Prytanée . J?en reparlerai.

Pendant toute ma jeunesse et jusqu'à la fin de mes études, je vins passer mes vacances à Grillon. C?est ce petit village du Vaucluse qui a constitué l?axe autour duquel a gravité toute ma jeunesse, et ou se déroulèrent tous les évènements qui me restent en souvenir.
En effet durant les années scolaires, il ne se passait jamais rien de notable. Vraiment rien. Un peu comme s?il s?agissait de périodes neutralisées, occultées.
Au hasard des mutations annuelles de mon père, je suis allé en classes à Troyes, à Grenoble, à Avignon, au Maroc( à Mekhnès à Port Lyautey et à Mazagan). Mais à part quelques vagues souvenirs du Maroc, il ne me reste rien de ces années scolaires ( sauf celles au cours desquelles j?étais au Prytanée militaire). Seules les vacances m?ont laissé des souvenirs nombreux, heureux, précis, colorés, pleins de soleil et des chansons de mes s?urs.
A coté de notre maison était une ferme ou je passais dans mes jeunes annèes, en particulier jusqu'à 13 ou 14 ans, des journées entières.
J?admirais beaucoup ces fermiers, qui contrairement à ma mère, n?avaient que très peu de choses à acheter, et n?avaient par conséquent, pas besoin d?argent.
.Pour avoir 3 ?ufs ou un pain ma mère devait donner de l?argent. Eux non. Et je trouvais ça formidable.
Ils avaient des légumes, frais à la belle saison, en conserve en hiver, un verger qui leur fournissait tous les fruits poussant dans la région, des lapins, des poules, le lait des chèvres, le miel de leur dizaine de ruches, les saucissons et jambon de leurs cochons, des ?ufs?. etc
En fait, ils n?achetaient que quelques produits exotiques, comme le café ou le sucre.
En ce qui concerne le pain j?aimais beaucoup le système.
Après les moissons, les cultivateurs apportaient des sacs de blé chez le boulanger. Chaque famille avait un carnet, sur lequel s?inscrivaient des comptes qui auraient pu donner matière de création de problèmes arithmétiques.
Pour chaque 100 kg de blé, à la suite de savants calculs qui faisaient entrer en ligne de compte la transformation du blé en farine, les transports, les rendements puis le prix de la confection du pain, on avait droit à tant de kilos de pain.
J?allais souvent chercher le pain de notre voisine avec ce carnet. Pas besoin d?argent. Je prenais selon le cas, 2 ou 3 gros pains, la boulangère les inscrivait sur mon carnet
Le principe économique des paysans de l?époque était simple : On gagnait de l?argent en vendant une partie des récoltes, et on dépensait le moins possible d?argent pour la nourriture ( qui représentait alors, un fort pourcentage des dépenses pour des gens « normaux » comme mes parents par exemple)
Quand on avait pas mal d?économies, on essayait d?acheter des terres,.
Mon cerveau d?enfant était charmé par ce genre de vie, et avant de vouloir être successivement aviateur, polytechnicien, Saint Cyrien, Ingénieur agronome,et Ambassadeur, mon rêve avait été d?avoir une très grande ferme, avec des grosses bêtes, chevaux, vaches, et des champs immenses?..que je faisais travailler par un personnel nombreux et tout dévoué aux intérêts du patron?.
Vers 13 ou 14 ans, je complétais ce tableau idyllique et virgilien en introduisant dans le cadre une très jolie femme amoureuse de moi, et capable de cuisiner le porc après la « tue cochon » tout en restant toujours suprêmement élégante et féminine en toutes occasions.
Ils sont vraiment chouettes, ces rêves d?enfant !!!!


Lorsque je n?allais pas chez nos voisins immédiats, j?allais chez une cousine qui avait un troupeau d?une trentaine de moutons et 2 chèvres.
C?était une très vieille personne d?au moins quarante ans mais que j?aimais bien parce que lorsque j?arrivais, elle me disait
« Tu veux du lait bourru ? »
Ma réponse était toujours affirmative et elle prenait un bol, allait dans l?étable et se mettait à me traire un bol de lait de chèvre. C?est ce lait, tiède, juste après la traite, que l?on appelle le lait bourru. Un vrai régal !
Si ma visite était interessée, elle ne concernait pas uniquement le lait bourru.
J?avais à peu prés dix ans lorsque, pour la première fois, elle me demanda : veux tu aller garder les moutons ? Bien sûr, je le voulais !!! et cela devint une habitude.
Lorsque je venais chez elle, j?allais garder les moutons. La cousine mettait dans une musette un morceau de pain, une grosse barre de chocolat, et une bouteille contenant un mélange d?eau et de pippermint, c'est-à-dire de menthe.
Je m?étais confectionné un baton, taillé dans une branche de saule et que j?avais peint avec le fond d?une boite de peinture bleue claire qu?avait utilisé mon père. Ce bâton de pâtre restait en permanence chez la cousine.
Je partais donc, la musette en bandoulière, le bâton à la main, avec une trentaine de moutons, deux chèvres et mon adjoint en la personne de Mirza un efficace chien berger.
La prairie était à 500 mètres de la maison. Elle était bordée par un petit ruisseau, ou plus tard je vins braconner des écrevisses. Il y avait un très grand saule dont le feuillage arrétait les ardeurs du soleil, et au pied duquel j?avais construit une petite hutte en branches. C?était mon poste de commandement et ma salle à manger ou je déposais ma musette en arrivant.
Les moutons se mettaient tout de suite à brouter. Lorsque quelques uns d?entre eux se détachaient du troupeau, je lançais mon adjoint :
« Va, Mirza, Va »
Et Mirza toute heureuse de sa mission partait en aboyant, faisait rentrer dans le rang les indisciplinés, et rabattait tout le troupeau vers moi.
Le crépitement de toutes ces pattes piétinant le sol, c?était pour moi comme le roulement de tambour qui aurait été exécuté en mon honneur. Je commandais à une petite armée. J?étais ivre de pouvoir .
Un jour, alors que j?étais parti par un temps clair et chaud, une foule de nuages vint couvrir le ciel, et la température, en quelques minutes perdit plusieurs degrés. Il faisait froid.
La cousine qui s?était rendue compte de ce changement de temps, vint me chercher. Elle me trouva transi et en pleurs. Elle se mit à me frictionner énérgiquement et moi je ressentais très fort deux sentiments contraires. La honte et l?orgueil.
La honte d?avoir pleuré
L?orgueil d?avoir été fidèle au poste. D?avoir accompli ma mission malgré le froid. J?aurais pu entrer avec le troupeau. J?étais resté. Mais, en définitive, l?orgueil était plus fort que la honte.

































CHAPITRE 2


LE PRYTANEE

Je vais parler d?une période qui fut sans doute la plus noire de ma vie.. C'est en quelque sorte un documentaire sur des années que peu d?entre vous ont pu connaître.
Durant les 5 ans de la guerre, j'étais au Prytanée militaire. C'est une école ouverte aux fils d'officiers.
Lorsque mon père m'avait demandé: » Veux tu aller au Prytanée militaire? » J'avais 12 ans. J'ai aussitôt vu l'uniforme bleu, la vareuse avec la double rangée de boutons dorés, le ceinturon en cuir, le képi à fond rouge.
Bien sûr que je voulais !!!!
Hélas!
Le Prytanée est normalement dans la Sarthe, à La Flèche. Je l?ai dit , je suis né dans le Prytanée militaire (ancien château de Henri IV) ou mon père était instructeur.
Mais pendant la guerre, le Prytanée s'était replié en zone dite libre, (qui ne le fut d?ailleurs que jusqu?en 1942), tout d?abord à Valence, puis de 1942 à 1944 le petit Prytanée ( de la 6ème à la 1ère) s?était installé à Briançon.
Il paraît que le ciel de Briançon est le plus beau de France. Je ne peux en porter témoignage. Je n'avais à cette époque aucun souci esthétique. Seulement 3 sources de préoccupations
-J'avais froid.
- J'avais faim
- Loin derrière ces préoccupations, il y avait les études, causes d'ennuis (jamais de satisfactions) somme toute mineurs à côté des deux autres.
Durant plus de 15 ans je n'ai pas pu parler de cette période. Même à mes proches.
Pendant mes cinq ans au Prytanée, avec mes camarades, nous avons essayé de nous évader en pensée, en parlant de nos vies « d?avant », évoquant nos pays ou nous avions été si heureux. Nous nous connaissions tous, et c?est pendant cette période, que j?ai connu un sentiment en voie de disparition : la camaraderie. Car si c?est un phénomène beaucoup plus rare que pour les espèces vivantes, un sentiment peut aussi disparaître faute d?être utilisé.
En effet, ce sentiment naît d?une vie en communauté, dans la même chambre, (d?où le nom de camaraderie). Or il n?y a plus de service militaire et bien peu de dortoirs de nos jours. C?est pourquoi, la vraie camaraderie est en voie de disparition. Ce sentiment est bien différent de l?amitié ou du copinage.
C?est la certitude de faire partie d?un groupe homogène, ou tous les éléments sont solidaires les uns des autres, ou la rudesse domine, mais ou les sentiments ont leur place, à condition qu?ils soient recouverts du voile de la pudeur. Entre camarades, on ne s?embrasse pas bien sûr, mais on ne se serre pas la main non plus. La camaraderie est un sentiment viril.
Nous savions tout les uns des autres. Je suis capable aujourd'hui encore, de dire ou étaient domiciliés les parents de chacun de mes camarades. Reliaud à Gannat, Maisonnet à Sore dans les Landes, Poulet à Lyon.......et quels étaient les traits dominants de leurs caractères.
Lorsque, bien plus tard, j'ai eu mon premier poste d'Inspecteur divisionnaire, j'avais Gannat dans ma circonscription. Sur la liste de nos clients, il y avait Georges Reliaud mon camarade. J'étais sorti du Prytanée depuis 13 ans. Je n'ai pas pu aller le voir. La seule pensée que nous allions parler de cette période m'était insoutenable. Si par un hasard extraordinaire, il lit ces lignes, qu?ils reçoive ici mes excuses


LE FROID.
Briançon est à 1300 mètres . De Novembre à Avril on est dans la neige.
Chaque matin, il faisait encore nuit, nous avions rassemblement dans la cour, pour effectuer ce que l?on appelait la séance de « décrassage »
L'adjudant ( en civil, car il n'y avait plus d'armée française, nous étions les seuls en uniforme) L?adjudant de service, donc, nous serinait: « Vous êtes les seuls à représenter l'avenir de la Patrie, nous allons faire de vous des hommes...etc)
L'adjudant, donc, entrait dans les rangs et passait 2 doigts sous notre chemise pour s'assurer que nous n'avions pas mis un pull, par dessous. Pas de pull??..Pas de poule mouillée !! Car la tenue était la suivante.:Brodequins, short de sport. Chemise.
Durant des mois, la température oscillait entre moins 15 et moins 20.Nous étions frigorifiés. Dans la nuit blafarde, , nous pratiquions les « sautillements jambes tendues » « pas de gymnastique » « sauts groupés » et autres « flexion, rotation »
Le pire de tout, le moment que nous appréhendions le plus, était celui des pompes( 15 ou 20 selon l'humeur du juteux). Nos mains sur la neige....je ne comprends pas qu'il n'y ait jamais eu de mains gelées. Ce régime était fait pour nous endurcir. En fait, depuis, j'ai toujours été frileux, et par le nombre de mes rhumes, je mérite le Guiness. En revanche, il est vrai que durant mes 5 ans de Prytanée, je n?ai jamais eu le moindre rhume.
Dans notre dortoir, le dortoir Cambronne, nous étions trente. Il faisait un froid glacial Le soir, pour nous coucher, nous avions décomposé 10 mouvements que nous accomplissions ensemble et au commandement, pour avoir le courage de nous allonger dans les draps glacés. C'est notre chef de chambre, Berest qui commandait la man?uvre. Bien entendu, nous couchions en caleçons longs et avec des chaussettes.
Lorsque nous étions « en tenue de nuit » Berest commandait. Au 1 nous étions à genou sur le lit, au 2 nous ouvrions le lit. Au 3 tout le monde debout. Au 4 accroupis etc jusqu'à 10 ou nous étions allongés, claquant des dents.(aussitôt après nous nous remettions en boule)
Le plafond du dortoir était haut, voûté et peint en vert foncé. Le matin , nos respirations avaient fait des stalactites tombant du plafond. A la tête de nos lits, une barre en bois servait de support à nos gants et serviettes de toilette, la plupart du temps, gelés.
Nous faisions notre toilette dans une grande pièce attenante au dortoir. Cette pièce, longue d'une quinzaine de mètres, était aménagée d'une façon simpliste. Une murette en brique de 1metre 50 de haut, et de 8 ou 10 mètres de long, au milieu de la pièce, était entourée d?un bac.
Autour de la murette, à mi hauteur, un tuyau en plomb courait. Il était percé de 15 trous de chaque coté de la murette. Il n'y avait qu'un robinet qui faisait couler l'eau des 30 trous à la fois.
Les jours des très grands froids, le tuyau était gelé. L'adjudant nous donnait des journaux que nous allumions et promenions sous le tuyau pour le dégeler.
A vrai dire, tous ces efforts ne servaient pas à grand chose. Car nos toilettes tenaient plus du simulacre que d'une vraie toilette. Un petit coup de brosse à dents, une petit coup de gant sur le devant du museau, et nous avions fait le maximum.
Une fois par semaine, le Samedi après midi, nous avions douche. C'était un moment merveilleux. Le local était chauffé, l'eau très chaude. Malheureusement, toute l'école devait passer en quelques heures, et notre douche, dés son début était accompagnée par une litanie « Allons, pressons, pressons, les camarades attendent » Les adjudants changeaient, mais le texte était toujours le même.
Bien que la frugalité de nos repas ait été une donnée constante, nous devions tout de même de temps en temps aller aux toilettes. C'était là encore, une corvée épouvantable.
Les toilettes n'étaient pas dans la caserne elle même. Du coté opposé à la cour principale, il fallait traverser une cour d'une quinzaine de mètres de large. Les toilettes étaient des bâtiments d'un agencement très rudimentaire .On entrait dans un couloir. Sur notre gauche une douzaine de box , fermés par des portes à mi hauteur( sur lesquels on posait, à cheval notre ceinturon pour indiquer que le box était occupé)
Le box lui même était des plus simples. Dans le sol en ciment, un trou avait été ménagé, trou qui donnait directement sur un torrent( sans en être certain, je crois me souvenir que c'était la Guisanne).
Par ce trou, un vent glacé montait, ce qui fait que nos séjours en ce lieu étaient les plus brefs possibles .D'ailleurs, nous n'allions jamais seuls dans ce local.
De temps en temps, l'un de nous disait « Qui vient au pot? » Il y avait toujours 4 a 5 voix pour répondre » Moi! »Et nous partions en groupe. Pendant notre court séjour dans les box, nous chantions, jurions, nous tentions par tous les moyens de ne plus penser à ce courant d'air glacé sur nos fesses. Certains maladroits manquaient le trou. C'étaient toujours les mêmes. Nous les connaissions. Aussi notre chef de classe avait décidé que ces maladroits n'auraient droit qu'aux 2 box du bout .Et avec un esprit remarquable,( ce n?est pas pour rien qu?il était notre chef) il avait décrété: » Ils n'ont qu'à se démerder! »



LA FAIM

La grande compagne du froid était la faim.
Bien entendu, il n'y avait pas de foyer pour acheter quoique ce soit., et nous avions en tout et pour tout, les festins mitonnés par les cuisines.
Le matin un quart de café( sans café bien sur. Il n'y en avait plus depuis longtemps, c'était de l'orge grillé, dans de l'eau tiédasse)et « la boule à 16 ». C'est a dire qu'une boule d'un pain noir et dense, était divisée minutieusement en 16 par l'un de nous, désigné spécialement, du fait de la sûreté de sa main.
Nous mangions lentement, mais la tranche était mince et bien vite terminée.
A midi, au réfectoire, nous étions par table de six, avec un chef de table chargé de nous servir en parts strictement égales. Rutabagas et topinambours étaient les vedettes de nos repas. Et les jours ou nous avions des pommes de terre, nous le regrettions presque, car les rations étaient encore plus petites.
Nous avions quelquefois du bouillon avec du vermicelle. Mais, je ne sais comment les » riz pain sels »( c'est le nom donné aux gens de l'intendance) se débrouillaient, mais il y avait toujours des bestioles indésirables( je n'ai jamais su si c'était des charançons ou des vers). Fort heureusement, ces bestioles, une fois cuites montaient à la surface, et il suffisait que le chef de table » écrème les indésirables avec une louche..............
Cette faim permanente se traduisait pour moi, par des crampes d'estomac, pour lesquelles j'avais trouvé une parade partielle: Chaque jour, vers 17 heures, j'avalais 2 quarts d'eau, ce qui atténuait la douleur.
Nous avions assisté une fois à l'arrivée des rutabagas, et nous avions su dans quelle cave ils étaient entreposés.
Nous avons alors organisé des commandos, qui, la nuit, à tour de rôle, allaient à la pêche au rutabaga. Nous attachions à une ficelle, l'anse d'un couteau ouvert, et le couteau était lancé par le soupirail. Il y avait plus d'échecs que de réussites, mais nous parvenions tout de même à pêcher quelques rutabagas que nous partagions ensuite entre tous les camarades du dortoir. Nous les mangions crus, évidemment, et dans l'obscurité pour ne pas alerter l'adjudant de service.
De temps en temps, l'un de nous recevait un colis. Ce jour là, le bienheureux venait au réfectoire, bien sûr, mais ne mangeait pas. Selon l'importance du colis, il sautait 1, 2 quelquefois 3 repas. Ces repas étaient vendus aux enchères en 2 parties. Le pain, et le reste du repas. Comme nous avions tout de même un code de l'honneur, les repas ne pouvaient être vendus qu'à ceux de la table. L'argent gagné n'avait qu'une utilisation: Acheter plus tard le pain ou le repas d'un autre heureux destinataire d'un colis. Manger autre chose ,pour celui qui recevait un colis, manger un peu plus pour deux autres, c'était ce qui constituait nos vraies joies.

Un jour d?hiver, il faisait évidemment un froid de canard, nos chefs eurent une idée lumineuse.
Ils nous emmenèrent au bord d?un torrent enjambé par un petit pont. Il tendirent par-dessus le torrent, et en diagonale pour que le chemin soit plus long, un grosse corde, et nous expliquèrent comment nous devions nous y prendre. Les deux pieds, croisés au dessus de la corde, nous progressions en avançant les mains l?une après l?autre.
Par une température agréable, l?exercice n?aurait pas présenté de grande difficulté, sauf une petit appréhension de passer au dessus d?un torrent. Mais par ce froid extrême, et mains nues, bien entendu?.
Trois au quatre camarades passèrent cependant sans encombres. Devant moi, se trouvait Poulet, le Lyonnais. Je n?en menais pas large. Lui non plus. Mais il devait démarrer.
Arrivé au milieu de la corde, ses mains d?abord, saisies par le froid, puis ses pieds lâchèrent et, brisant des plaques de glace, mon camarade tomba dans le torrent. Je voyais, déformé par la réfraction des plaques de glace, son corps emporté par le courant .
Il fut très vite repêché. Il était rouge comme une écrevisse. Rapidement, les chefs le déshabillèrent, et le frottèrent énergiquement. Enveloppé dans des couvertures, une dizaine de minutes plus tard, il pouvait prononcer quelques mots. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, il n?eut même pas un rhume, et ne fut même pas emmené à l?infirmerie lorsque il arriva au quartier
Après cet épisode qui aurait pu être dramatique, j?étais certain que l?exercice allait s?arrêter là. Grave erreur !
Pendant que l?on ramenait Poulet à la caserne, tout le reste de la classe dût passer sur cette maudite corde. Moi le premier. Nos chefs n?étaient pas allés jusqu?à chronométrer nos temps de passage. Dommage. J?ai certainement été l?un des plus rapide . Quelle frousse !!!

Je dois dire cependant que durant ces dures années, j'ai eu une semaine de paradis.
Il paraît que les topinambours contiennent de l'arsenic. C'est en tous cas ce que l'on disait alors et je n'ai pas vérifié depuis.
Toujours est il qu'un matin, je me suis réveillé jaune comme un citron, et avec des nausées. Visite médicale, diagnostic: ictère, et infirmerie. Miracle : Je n?avais pas faim !!!
L'infirmerie était un bâtiment donnant sur la cour principale et juste en face du portail d'entrée de la caserne. L'infirmerie était chauffée, les draps étaient blancs( alors que les nôtres étaient marrons et plus proches de la tôle ondulée que du tissu.)
Je n'avais pas faim.. Je n'avais pas froid. Tout était douceur. C?était extraordinaire.
Le matin nous entendions le clairon sonner le réveil. Nous savions que les camarades partaient pour la séance de « décrassage », et nous étions bien au chaud dans notre lit. De plus, cerise sur le gâteau, nous n'allions pas aux cours. J'ai un souvenir vivace et merveilleux de cette semaine.
Je vais terminer par une anecdote qui aurait pu très mal tourner.
La caserne qui jouxtait la notre était occupée pas des Allemands.
Un jour, nous revenions du ski, et en arrivant prés de notre caserne, nous avons vu que sur notre mur d'enceinte, tous les 10 mètres, un Allemand était assis, pieds pendants vers l'intérieur de la caserne et pistolet mitrailleur sous le bras.
Bien entendu nous nous sommes mis au pas cadencé pour passer le poste, à l'entrée, et nous avons constaté que toute l'école était rassemblée. On nous attendait. Le Directeur de l'Ecole ( un prof, puisque nous n'avions plus d'officiers) était entouré de plusieurs officiers Allemands.
L'un d'eux en un Français impeccable malgré un accent germanique prononcé nous tint à peu prés ce discours.
« La nuit dernière, Ces 2 panneaux ( ils étaient tenus par un autre allemand) ont été déposés dans notre caserne ».
La caserne qui jouxtait la notre était en effet occupée par des troupes allemandes.
Il s'agissait de panneaux que nous devions mettre sur les fenêtres dés la tombée de la nuit, pour la « défense passive »
Sur ces panneaux, diverses inscriptions telles que. « Les boches sont foutus » « Vive de Gaulle »
« Raus, les Teutons » et autres gentillesses à l'égard de nos voisins.
L'officier ajouta. » J'ai donné une semaine à votre Directeur pour trouver les coupables et nous les livrer. Passé ce délai, les occupants du dortoirs Cambronne, partiront en Allemagne »
J?étais dans le dortoir Cambronne.
Pourquoi nous? Nous l'avons su peu après. Les Allemands avaient fait sentir les panneaux à des chiens policiers, qui étaient bêtement( c'est le cas de le dire) entrés dans notre dortoir. Nous n'avons jamais su ce qui avait pu attirer ces sacrées bestioles. Pas de la nourriture en tous cas !!! Peut être la flemme, parce que nous étions le seul dortoir au deuxième étage, alors que tous les autres étaient au troisième ?
Nous avions tous décidé bien sur de ne pas nous laisser emmener en Allemagne. Nous devions nous évader en cours de route. Mais pour cela, il fallait mettre au point une technique
Fort heureusement, l'un d'entre nous avait un oncle qui s'était évadé d'Allemagne en sautant d'un train en marche, et il avait expliqué à son neveu comment il fallait faire.
Nous passions nos journées, sous la direction de « celui qui savait » à faire des roulés boulés. Tout d'abord en sautant du pied de notre lit, dans l'allée centrale de notre chambrée. Puis pour tenir compte de la vitesse du train, nous courions dans l'allée centrale, sautions sur le pied de notre lit, puis resautions aussitôt dans l'allée centrale en faisant un roulé boulé.
Nous étions sûrs que ce n'était pas l'un de chez nous qui avait fait le coup, mais les jours passaient, nous avions de plus en plus la frousse d?être déportés et rien ne se passait.
Le sixième jour, 2 élèves de rhétos( qui n'étaient même pas dans notre bâtiment et nous étions en 4ème) sont allés se dénoncer auprès de l'aumônier. Après moult conciliabules entre les dirigeants de l'Ecole, le Directeur prit sa décision. Les 2 coupables ont été mis dans le train pour Valence et le lendemain matin (les élèves étant hors de portée) le Directeur est allé voir les Allemands pour dire que les coupables avaient été trouvés, et renvoyés définitivement de l'Ecole.
Heureusement pour nous, à cette époque, les troupes d'occupation étaient des territoriaux, c'est à dire des Allemands âgés ( certains avaient fait la guerre précédente) et ils étaient relativement pacifiques. Ce fut notre grande chance. Il n'y eut aucune suite.
Lorsque je parle de boches, je me fais engueuler par Marie,( à la demande de Marie, je substitue au verbe « engueuler » celui de « réprimander » ) mais que voulez vous, le passé pèse sur nous. Je suis pour l?Allemagne à côté de la France dans l?Europe. Mais en sport, si un Français ne peut gagner, je souhaite au moins que ce ne soit pas un Allemand. C?est illogique, contraire à la raison, mais, le passé s?impose et se fiche de la Raison.
Moi qui ne voulais pas en parler, cela me fait du bien maintenant, de me remémorer tout cela. . Mais par ailleurs, curieusement , j'ai l'impression de raconter une histoire qui est arrivée à un jeune garçon qui n'a que de lointains rapports avec moi.
Je sais, c'est inconséquent. Et j'arrive parfaitement à ressentir l'angoisse qui m'étreignait lorsque nous tentions de plaisanter, en criant « Nach Poméranie », ou bien : Pour « Berlin en voiture », et autres formules destinées à cacher notre peur. Pas très cohérent tout cela, c'est vrai .Mais bon sang que c'est loin, à l'autre bout de ma vie....

De nombreuses années après ma sortie du Prytanée, je suis retourné à la Flèche. J?ai revu dans la cour d?honneur, la
fenêtre de la chambre de mes parents ou je suis né..
J?ai vu également l?immense dalle de marbre sur laquelle sont inscrits les noms de tous les anciens du Prytanée morts pour la France.
Les larmes aux yeux, j?ai lu le nom de la moitié de mes camarades du dortoir Cambronne, morts soit en Corée, en Indochine ou en Algérie.
J?ai eu et je ressens toujours le sentiment de les avoir laissé tomber, et toute ma vie j?ai traîné ce sentiment de culpabilité ridicule peut être , mais réel











CHAPITRE 3
LA FAC

Ayant échoué au bac, je n?ai pu rester au Prytanée. Ce fut je dois le dire une Libération personnelle qui suivit de peu , la grande LIBERATION. Après avoir passé mes bacs à Valence, j?entrais en fac de Droit. La première année de Droit à la Faculté libre de Marseille, puis les deux autres années à Aix en Provence.
Après les années noires du Prytanée,,ce furent des années merveilleuses. Nous avions la possibilités de manger à notre faim, et les cours en Fac n?étant pas obligatoires, nous étions une petite bande de 4 qui ne faisions qu?une apparition de temps en temps dans les amphithéâtres .
En haut du cours Mirabeau, à droite, il y avait un café, le Leydet ou nous allions jouer au ping pong, et à gauche, un autre café, « les 2 G » ( Les deux garçons ) ou nous faisions d?interminables parties de bridge, qui malheureusement (nous le regrettions presque sincèrement) se prolongeaient beaucoup trop, pour que nous puissions songer à aller au cours.
Mais nous avions la conscience tranquille, car chaque fois nous prenions l?engagement de ne pas rater les cours du lendemain. Malheureusement, le lendemain, la partie était tellement acharnée que nous ne pouvions l?abandonner pour aller en fac.
Nous étions une petite bande de copains, mais nous n?étions pas toujours ensemble. Car la drague est une « activité individuelle », qui prenait une grande part de notre temps.
J?étais était devenu un expert de la drague, ce que j? appelais » la drague psychologique »
On ne s'improvise pas « dragueur psychologue ». Il fallait un sacré bagage. Et j?estimais en toute objectivité que je possédais de sérieuses techniques..
Lorsque je repérais une jolie petite étudiante, je me débrouillais pour m'introduire dans son entourage. Sans me faire remarquer. Durant cette première étape, j?étais simplement observateur.
J? écoutais parler ma prochaine proie. Je notais ses réactions, bref , je déterminais dans quelle catégorie je pouvais la placer. Car la « drague psychologique » est une drague « sur mesure ». On n'utilise pas les mêmes armes avec une cérébrale qu'avec une fleur bleue.
Bien sûr, il y avait des armes efficaces dans tous les cas. Faire rire permet au dragueur de marquer des points précieux.
Aussi j? avais quelques histoires minutieusement mises au point.
Pour avoir un effet maximum il faut utiliser des histoires mimées. De façon à cumuler les effets des mots et des mimiques. Mon morceau de gloire était « l?appendice » sur lequel j?enchaînais avec « l'histoire du gluteur ». Ces histoires assez longues et à suspense donnaient de bons résultats.
Pour les sentimentales, fleurs bleues, je possédais d'autres armes.
Il y avait d'abord un poème de Prévert: Barbara. Mais ce poème devait venir au bon moment.
Lorsque le soir était tombé, assis sur un banc, une murette ou dans l'herbe, le poème devait être murmuré à voix basse. Dans la nuit, je sentais toujours les frémissements de ma compagne, et un petit silence suivait toujours la fin du poème « Loin, très loin de Brest, dont il ne reste .... rien.... ».
Je savais tirer les cartes. C'est à dire, que je savais trouver dans les cartes une histoire plausible dans laquelle apparaissait la jeune étudiante et un jeune homme qui n'était pas désigné comme étant moi, bien sûr, mais qui dans l'esprit de la jeune fille ne pouvait être un autre que moi.. Ce fait acquis, c'était un jeu que de prévoir ce qui allait leur arriver.
Pour les cérébrales, je sortais de mon arsenal deux armes redoutables.
La dialectique Hégélienne du Maître et de l'Esclave, sur laquelle j? enchaînais avec le marxisme, Engels et Marx.
Cela avait présenté un grand avantage pour moi même, qui avais du potasser ces questions.
Une autre arme pour les intellectuelles était le Déterminisme, avec Spinoza. Et une destruction systématique de l'existentialisme . Même si la jeune fille avait été séduite par JP Sartre, la démolition de sa théorie était toujours à mon avantage.
Il y avait une arme que je trouvais déloyale, car elle était trop facile. C'était la danse.
Il suffisait d'inviter une jeune fille à danser, pour que d'elle même, elle se précipite dans vos bras.
Sans effort, une bonne partie du chemin était fait. Ce n'était pas très sport.
Pas sport, mais que voulez vous ? Je ne pouvais quand même pas me priver de danse pour ne pas profiter de ses avantages. D'ailleurs, après ce facile premier pas, j? utilisais d'autres armes pour l'amener....à rendre les armes
Les jours, les semaines et les mois passaient, merveilleux, mais avec une vitesse consternante.
Au début du mois de Mai, mes copains et moi sacrifiions une partie importante de notre « argent de poche » ( au 2 G, nous ne prenions plus que 1 café pour 4 (sous l??il bienveillant du garçon qui connaissait bien notre problème) pour acheter les cours polycopiés. Théoriquement ces cours devaient servir aux révisions, mais pour nous, il s?agissait de notre tout premier contact avec chaque matière.
Et le 15 mai, je partais chez mes parents,à Grillon, un petit village du Vaucluse,dont j?ai déjà parlé ou je « bachotais » comme une brute, à un rythme bien rodé : 3 heures de travail, une heure de bicyclette, le repas de midi puis 3 heures de travail, et sports divers?
6 Heures de bachotage par jour, c?était bien suffisant. A mon goût. Mais pas à celui des examinateurs qui en première et deuxième année voulurent absolument me revoir en Septembre.
Après les années affreuses du Prytanée, et avant les choses sérieuses, c'est-à-dire l?entrée dans la vie active, ces années de fac furent douces, denses, et merveilleuses

Je ne parlerai pas longuement de mon service militaire. Tout simplement parce que cette période a été vécue par beaucoup d?autres et n?a rien eu de remarquable.
Je dirais seulement que nous étions 3 copains en fac qui étions des fils de colonel. Nous nous étions mis d?accord pour que nos pères interviennent afin de nous diriger tous les trois à l?école des officiers d?intendance à Montpellier. Nous pensions que dans une région agréable, nous prendrions des chambres en ville, nous aurions une activité modérée et de tout repos.
Mais nos pères étaient de vrais officiers qui ne voulaient pas favoriser leur progéniture. Pas de népotisme, bien au contraire. Et c?est ainsi que je fus envoyé dans l?Infanterie, à Saint Maixent, le second Bru était affecté dans la cavalerie à Saumur quand au troisième Blanc il se retrouva dans le Génie à Tours.
Par représailles j?avais décidé de « coincer la bulle » c'est-à-dire d?en faire le moins possible.
Cependant, au moment des examens de fin de stage, je me trouvais à l?infirmerie à la suite d?une intoxication alimentaire. Ai-je été favorisé du fait que je ne n?étais qu?un pauvre malade ? Ou est-ce simplement de l?atavisme qui jouait ? toujours est il que je me suis vu sortir avec un bon rang de 34 ème sur 600 et quelques.
On choisissait son affectation en fonction de son rang de sortie. J?avais repéré un poste dans un bataillon de Chasseurs Alpins à Villefranche sur mer ( plus tard, j?ai su qu?on les appelait avec dédain « les chasseurs de la côte zéro ».)
Lorsque mon tour de choisir est arrivé, ce poste était encore libre. Je sautais dessus évidemment.
Malheureusement, en arrivant à Villefranche, j?appris que c?était le siège de la demie brigade composé de 3 bataillons dont l?un était à Barcelonnette. Au vu de mon séjour au Prytanée à Briançon, j?ai été catalogué comme un spécialiste de la montagne et envoyé au 11ème BCA de Barcelonnette. Adieu la côte d?azur, les bains de mer et les jolies baigneuses !!
En fait, si j?ai rejoint mon poste avec un cafard monstre (j?avais peur que Barcelonnette ne soit un Briançon bis) cette année à Barcelonnette fut des plus agréables.
Je n?ajouterai qu?un détail, pour prouver la véracité de cette affirmation Je devais être démobilisé en Octobre. Afin de faire une saison de ski, nous avons, un camarade, Rémi Paoli sous lieutenant comme moi, « rempilé » de 6 mois. Ce fut une période extrêmement joyeuse.
Je dois à la vérité d?ajouter une seconde motivation. Nous savions, qu?une fois démobilisés, c?est la vraie vie, la vie active, avec la recherche du travail, la fin de notre liberté, qui nous attendait.























CHAPITRE 4

VOYAGES



Les périodes estudiantine et militaire étant terminées, il fallait bien entrer dans la vie active. Je lisais donc les petites annonces. Un jour, je suis tombé sur :
« Cherchons Licencié en droit pour postes en province »

Cette annonce du Figaro avait manifestement été faite par quelqu?un qui ne pouvait penser qu? à moi?..
Dès lors, il n?était pas question de décevoir ce gentil scripteur?J?y répondis donc et fus convoqué immédiatement par une Compagnie d?assurances.
En fait, il s?agissait d?être formé à la carrière d? Inspecteurs divisionnaires d?assurances, pour aller en Province??..après un stage?.. à Paris, de 3 ans.
Ce n?était pas vraiment ce que je cherchais. Pas très chaud pour passer 3 ans à Paris, et par ailleurs, je n?avais qu?une notion très vague d?un assureur qui n?était à mes yeux, qu?un bonhomme qui faisait du porte à porte pour placer des contrats
J?ai donc demandé à réfléchir, et un mois plus tard, je recevais une lettre de la même Compagnie qui supposait que mon hésitation venait du fait que je ne trouvais pas à me loger à Paris. La lettre me disait qu?il ne fallait pas que j?hésite d?avantage : ils pouvaient pour moi régler ce problème.
Devant tant de sollicitude, et comme je n?avais rien trouvé d?autre, comme situation digne des capacités que je me supposais, je vins donc à Paris pour faire ce fameux long stage .
Dans mon esprit, bien sûr, ce n?était qu?une solution provisoire. Comme bien souvent, ce provisoire dura, et me vit parvenir en quelques années, au plus haut grade de l?Inspection, je fus nommé Contrôleur général.
Mon premier poste en Province fut en Auvergne.
Ayant franchi en 3 ans les trois échelons de l?inspection divisionnaire, je me retrouvais beaucoup trop jeune pour espérer une nomination d?Inspecteur Général. Or, à cette époque, j?étais ambitieux. Très ambitieux.
Je finis par trouver un groupe d?assurances qui cherchait un Inspecteur ayant vocation à devenir rapidement Inspecteur général, après un stage( encore !) pour effectuer des missions à l?étranger.
Après 3 mois de stage à Paris, et une première mission en Afrique équatoriale de 6 mois, je mis à ma direction le marché en main : J?étais nommé Inspecteur Général ou je démissionnais. J?obtins satisfaction et c?est ainsi que je fis de nombreux voyages à l?étranger, en Afrique Equatoriale, Occidentale, Orientale, au Moyen Orient, aux Caraïbes etc..

Je partis par une soirée glaciale de début février, pour ma première mission, et mon premier grand voyage en avion.
Durant notre bref atterrissage à Bordeaux, l?hôtesse nous annonça qu?il faisait moins 14 degrés. Quelques heures plus tard, on nous annonçait notre arrivée à Douala une température au sol de 35 degrés . C?était beaucoup, mais dans mon esprit, nullement excessif.
En revanche, lorsque la portière de la carlingue fut ouverte, une bouffée d?air chaud saturé d?humidité envahit l?avion. Je me demandais, comment, à moins d?être poisson, il était possible de vivre dans cette atmosphère liquide.
J?ai cru ma dernière minute arrivée. Pourtant ; je vis dans l?aérogare des gens qui s?agitaient, parlaient, tout à fait normalement, et je pensais que peut être il me serait possible à moi aussi de m?habituer à ces conditions inhumaines.
Je me souviens toujours de l?immense plaisir ressenti en pénétrant dans la chambre climatisée de mon hôtel.


Puisque j?en étais à évoquer des moments désagréables, avant d?arriver à des épisodes plus agréables, je dois vous le confesser :
Je n?aime pas l?avion ( et c?est un euphémisme). Quand je monte dans ces lourdes carcasses métalliques, lourdes, très lourdes, beaucoup plus lourdes que l?air, je pense qu?elles ne voleront pas ;
Et lorsqu?elles volent, ce ne peut être qu?à la suite d?une succession de miracles. Mais qu?un miracle, un tout petit miracle fasse faux bond, et nous nous écraserons.
Un fois, venant de Beyrouth, nous volions vers Tananarive. A l?escale du Caire, l?hôtesse nous avait distribué des journaux.
Après m?être assuré que tous les miracles étaient bien au rendez vous : (décollage avant la fin de la piste, claquement du train d?atterrissage, arrivée au vol horizontal de l?altitude de croisière, pas de bruit anormal du coté des réacteurs, mines sereines des hôtesses ( très important la mine des hôtesses), je pris mon journal, et mes yeux tombèrent évidemment sur un accident aérien.
Un avion venait de s?écraser sur le Mont Cameroun. Le journaliste expliquait :
« Le pilote venait de dire : nous allons survoler le Mont Cameroun. Nous allons un peu perdre de l?altitude pour vous permettre de mieux voir, lorsque l?avion fut pris par un trou d?air. Il n?y a aucun survivant ».
Or exactement 3 semaines avant, jour pour jour, j?étais sur ce vol. Ce qui me procura un frisson très désagréable
Quelques heures plus tard, j?étais encore, bien sûr, sous le coup de cette affreuse nouvelle, pensant que peut être dans l?avion se trouvaient des personnes de Douala que je connaissais, lorsque le commandant de bord prit la parole :
« Nous allons survoler le Kilimandjaro. Nous allons perdre un peu d?altitude pour que vous puissiez mieux voir ces cimes merveilleuses. »
Je me souviens très bien de mes pensées du moment( je vais seulement édulcorer quelques mots )
« Crétin, espèce de crétin ! tu ne lis pas les journaux ? Les trous d?air, tu connais ? Pas possible que tu ne connaisses pas l?accident sur le Cameroun, alors quoi ? c?est par bravade ? crétin, crétin, crétin, mais non ne descends pas !!!! »
Mais il descendait, et à chaque instant j?attendais le décrochage dans un trou d?air. Je n?ai pas vu un centimètre carré du Kilimandjaro, et je suis resté en apnée jusqu'à ce que je ressente que l?on remontait.
Mais ce n?est pas tout. Ce crétin a voulu faire de l?esprit avant l?atterrissage
« Mesdames et Messieurs, nous arrivons à Tananarive. C?est en sortant de l?aéroport que va commencer la partie périlleuse de votre voyage. Soyez prudents sur les routes. »
L?infâme crétin !!!!nous avions échappé( à mon avis de justesse) à une catastrophe épouvantable, et il venait nous dire que nous allions courir plus de risques dans une voiture dont les 4 roues seront bien posées sur notre bonne terre. Le crétin !!






Le Cameroun est mon état préféré de l'Afrique Noire. Peut être parce que c'est dans ce pays, que j'ai pris le premier contact avec l'Afrique. Peut être, aussi, est ce parce que je le connais un peu mieux, pour y être allé 7 fois.
Lors de mon premier voyage, arrivé la veille à Douala, j'étais invité à déjeuner chez notre Agent général. Une énorme hélice, censée nous rafraîchir brassait l'air chaud et humide. Mais la cuisine était excellente et servie par un boy très stylé.
Comme j'en faisais mon compliment à mon hôte,il me dit: « C'est celui qui nous sert, qui fait la cuisine. C'est une perle, Jean, et beaucoup d'Européens essayent de me le faucher. Tiens je vais vous raconter une anecdote à son sujet.
Il y a 3 mois environ, Jean, qui normalement rit tout le temps, était triste, triste, depuis des jours, et j'ai fini par lui demander ce qu'il avait:"
- Ah! pat'on, je suis malheu'eux. Je peux pas acheter ma femme, elle a beaucoup pa'ents, et c'est t'és beaucoup ché'."
- Tu la connais depuis longtemps?
- Oh oui, pat'on. 5 ans
- Ah,bon. C'est sérieux. Ecoute, dis à sa famille que Dimanche on fera palabre
- Ah, merci Pa?on, je vais tout à l'heure au village de la famille.;
Le Dimanche , vers 8 heures nous sommes donc partis en voiture avec Jean au village à une heure de " tu prends ton pied la route"Toute la famille était réunie devant une grande case. Et c'est vrai qu'elle était nombreuse cette famille.
Et nous avons " commencé palabres". Il y avait les oncles les tantes, les parents, les cousins .Les discussions étaient acharnées: 3 litres de vin de palme à l'un, une paire de poulet à un autre, un litre d'huile, un petit transistor etc etc....A midi, nous avions fait à peu prés le tour de la question...Mais ce n'était pas terminé. Bien sûr je n'ai pas de vin de palme, ou de poulets...et il fallut après un repas rapide, reprendre les conversations, pour convertir en francs CFA chaque" cadeau"..
Enfin vers 17 heures, un accord complet était intervenu. Je pris donc avec Jean et sa toute nouvelle femme, le chemin du retour.
En arrivant devant la case de Jean, ce dernier, seul , descendit de la voiture. Alors, en riant, je lui dis:- Hé, Jean, tu oublies déjà ta femme? Et il me répondit- Pat'on, c'est toi qui a payé, ce soir elle est a toi! J'ai bien entendu refusé cette offre, mais elle est significative de l'esprit de justice de mon précieux Jean. »
Pour nous, européen, cela peut prêter à rire. Mais réfléchissez à ce qu?une telle attitude peut représenter comme esprit de justice, subornant d?autres sentiments moins nobles comme la jalousie?







SOUVENIRS DU GABON

Lorsqu?un bagnard, à Cayenne, terminait son temps, il était bien sûr libéré, mais il était interdit de séjour en métropole pour une durée égale à celle de sa condamnation au bagne.

La plupart de ces interdits de séjour partaient en Afrique, juste en face, au Gabon( La Guyane et le Gabon sont sur le même parallèle .)
Et c'est parce que ces hommes trouvaient la Liberté au Gabon, que la capitale de ce territoire s'est appelée Libreville. Tous les anciens forçats montaient des exploitations forestières, principale richesse de ce pays.. Et on appelait ces anciens forçats les " puent la sueur"
Un " pue la sueur" avait crée un belle exploitation forestière au Gabon. Il avait mis pas mal d'argent de côté pour le jour tant attendu, ou sa peine d'interdiction de séjour en France étant levée, il pourrait rentrer en Métropole..

Pour le jour dit, bien en avance, il avait loué une place sur un paquebot pour la France, et il devait bien sûr, comme tous les" Africains" commencer son séjour par une cure à Vichy, histoire de se remettre le foie à neuf.
Arrivé sur le paquebot, il fit aussitôt connaissance d'une artiste du music hall, très connue à l'époque (dont je tairais le nom) Entre le "pue la sueur" et l'artiste, le courant passa aussitôt et une idylle s'ébaucha.
Au cours d'une conversation, la jeune femme dit:
- Il parait que Madère est splendide.
- Ah bon? Vous voulez y aller?
- Je l'espère...un jour...
- Pourquoi pas maintenant?
- Parce que c'est impossible. Le paquebot ne fait pas escale à Madère!
- Ce n?est pas un problème. Nous allons à Madère!!!!
Et le forestier alla voir le commandant qui lui confirma évidemment que c'était impossible
- Rien n'est impossible quand on a de l'argent. Voyez avec votre Compagnie, voyez les voyageurs. Je réglerai ce qu'il faudra. Nous allons à Madère.
Après bien des discussions, une escale de 3 jours fut prévue à Madère. Pour une somme colossale.
Le " pue la sueur" et sa belle purent vivre des moments inoubliables dans un cadre enchanteur.
Après les 3 jours, le bateau repartait pour la France, avec à son bord, la jeune artiste.
Quand au "pue le sueur".......complètement fauché, il revint au Gabon pour travailler quelques années et se payer enfin son séjour en France tant attendu??..


Il y avait à Libreville un ancien bagnard, propriétaire d'un exploitation forestière, mais qui, lui, s'était installé à Libreville.
Il avait une vieille Jeep, qui avançait en crachotant et était dépourvue de freins.
Lorsqu'il sortait avec son véhicule, il faisait monter à l'arrière, l'un de ses boys, habillé en marin.
A l'arrière du véhicule se trouvait une ancre marine dont la chaîne métallique était attachée à l'autre bout, au pare choc arrière de la jeep.
Lorsque, circulant dans Libreville, il voulait s'arrêter, il criait:
- Prêt à larguer, Matelot? Mouille l'ancre!!
Et le " marin" lançait l'ancre sur le sol. Les frottements finissaient par arrêter le véhicule??

Un autre "pue la sueur avait son exploitation forestière sur le fleuve.
Il avait décidé qu'aucun blanc ne pouvait passer en bateau devant chez lui sans s'arrêter 24 heures. Ses gens avaient une consigne. Si après 3 sommations le bateau ne s'arrêtait pas, ils devaient tirer au niveau de la ligne de flottaison.
Lorsqu'il fallait en arriver à cette mesure extrême,( ce qui n?arriva plus, au bout d?un certain temps, l?obligation d?arrêt étant connue de tous) durant les 24 heures de "l'invitation" le personnel du "Pue la Sueur" réparait le bateau.
Et durant ce court séjour, des caisses de champagne étaient méthodiquement vidées.

La traite, c'est à dire la vente des bois aux grossistes, avait lieu à Libreville une fois par an en Février.
Là, durant 8 jours, tous les "pue la sueur" et les négociants étaient réunis. Un bateau de femmes venait de France, et le jour comme la nuit, Libreville était un lieu d'orgies ou le champagne ne se commandait pas par bouteille, mais par caisse.
Le champagne jouait un grand rôle dans la vie du Gabon. Et je me souviens personnellement avoir bu du champagne à 9 heures du matin dans le bureau de Léon M'Ba, le Président de la République du Gabon à l'époque. ?.

L?Afrique est un vieux pays. Ce serait même le berceau de l?humanité. Comme dans tous les vieux pays, il existe des légendes.
J?ai ramené la première de Madagascar, la seconde du Cameroun.

La légende de l?ananas

Madagascar est une très belle île, dans laquelle, il n?y a pratiquement pas de bêtes féroces. En dehors de l?homme évidemment.
Ah, si pourtant. Il y a des crocodiles et des requins. Qui d?ailleurs se détestent cordialement.
Vous me direz que les requins vivants dans les eaux salées et les crocodiles dans des eaux douces, ils n?ont que peu de chance de se rencontrer.
Et pourtant, si. Ils se rencontrent dans les eaux saumâtres des estuaires
Un jour, il y a bien longtemps, une Maman crocodile se promenait avec toute sa progéniture dans les eaux saumâtres d?un fleuve qui se jetait dans la mer, lorsque soudain, elle se trouva en face d?un énorme requin.
La maman n?avait pas peur pour elle-même, elle était prête au combat, mais il fallait qu?elle mette ses petits à l?abri.
Alors, vite, vite, elle les rassembla derrière elle, puis d?un magistral coup de queue, elle les envoya dans les airs, pour qu?ils soient en sécurité à l?intérieur des terres.
Les petits crocodiles ont la tète plus lourde que la queue. Aussi, quand ils retombèrent, les tètes s?enfoncèrent dans la terre. Pour se dégager, ils agitèrent frénétiquement leur queue qui finit par se déchirer en lanières.
Mais les petits crocodiles ne purent se dégager. Alors, de leurs dents, des racines finirent par sortir. Sur les lanières de queue, des feuilles poussèrent. Un nouveau végétal était né : L?ananas.
Et c?est pourquoi, aujourd?hui encore, quand vous voyez un ananas vous pouvez constater qu?il est recouvert d?écailles, des écailles de petits crocodiles qui vous rappellent son origine.


La légende du Flamboyant

Il y a longtemps, très longtemps, Le Grand Génie d?Afrique, décida de créer une belle forêt avec des arbres divers, et pleine de petits oiseaux.
Il travailla en séries, en créant d?abord des bois divers, acajou palissandre fromager etc ?puis des feuilles diverses, puis des fleurs, puis des plumes?.
Et il vint monter sur place ses arbres et ses oiseaux.
Mais on peut être un Grand Génie et être un peu tête en l?air. Il avait mal compté.
Il constata qu?il avait un bois pour lequel il n?avait plus de feuilles ni de fleurs.
Il n?était vraiment pas beau cet arbre sans fleur, ni feuille ! Et comme les arbres ne sont pas toujours gentils entre eux, ils se moquèrent de lui et le baptisèrent : Le Laid.
Il était très malheureux Le Laid . Il avait bien demandé aux oiseaux de venir se percher sur ces branches pour servir de garniture?.Mais que voulez vous ? Les oiseaux préféraient aller sur les arbres qui avaient des feuilles pour les protéger de la pluie et du soleil, et des fruits pour les nourrir?.Alors le laid, tout nu au milieu des autres ne pouvait que pleurer un peu de sève, seul sans ami.
Un jour un orage terrible éclata sur la Forêt.
La foudre tomba et mit le feu aux grandes
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