Ecriture-Lecture




LE CARNET JAUNE



CHAPITRE 1


Dans l?étude sombre et austère de Maître Janselme, 5 fauteuils avaient été installés devant le bureau notarial. Le maître des lieux, déjà assis derrière son immense bureau ministre dont toute la périphérie était occupée par des dossiers, formant comme une muraille protectrice, nous invitait à prendre place devant lui.
Je pris un fauteuil de bout, sachant qu?Albert et Claire viendraient tout naturellement occuper les fauteuils centraux, les plus proches du notaire.
Je n?étais qu?une employée, sans lien avec la famille. De plus, j?étais la plus jeune des personnes présentes, et mon caractère un peu timide aidant, je voulais me faire la plus petite possible, et ne parler que si l?on m?interrogeait.
Le notaire allait ouvrir et nous lire le testament de Paul Mangin, l?homme d?affaires richissime, et je savais que des chiffres énormes seraient lancés, qui n?auront pas une grande signification, ni intérêt pour moi.
Paul Mangin avait eu 3 enfants. Albert, l?aîné (que ceux qui ne l?aimaient pas, et ils étaient nombreux appelaient : Son enflure).
Je le connaissais assez peu, mais c?est vrai, qu?au premier abord, il n?était guère sympathique, monopolisant toujours la conversation, et parlant avec le ton de l?homme qui possède des vues sur n?importe quel sujet.
Il n?y avait que les moments où le patriarche, Paul Mangin, était là, que par magie, cet homme suffisant devenait un humble courtisan..
Paul Mangin étant couché dans son cercueil, Albert allait pouvoir être en permanence à l?image qu?il voulait donner.
Sa s?ur Claire, était une femme de caractère, beaucoup plus intelligente que son aîné, elle savait tour à tour se montrer humble ou cassante selon les circonstances, et c?était incontestablement Claire l?élément de valeur de l?hoirie.
La cadette, Rose, était, en tout, à l?opposé de son frère. Aussi mince qu?il était volumineux, aussi humble et effacée qu?il était arrogant et toujours au premier plan.
La quatrième personne présente, en dehors du notaire, était un jeune africain que Paul Mangin avait eu d?une indigène lors de ses voyages en Afrique, et qu?il avait reconnu. Son prénom lui avait été donné par sa mère : Officiellement, il était Karim, mais depuis qu?il était en France, son père l?avait baptisé Georges, et personne ne se serait avisé de l?appeler autrement.
Ma présence à cette réunion s?expliquait par le fait que depuis 4 ans, j?étais la secrétaire particulière de Paul Mangin. Cette présence avait été requise par Maitre Janselme, et j?en avais déduit que mon patron avait du me laisser une petite prime pour services rendus.
Comme d?habitude, Albert s?était emparé du crachoir, et chacun se demandait si le notaire aurait la possibilité, de lui couper habilement la parole, pour lire le testament.
Pour l?instant, de sa voix au volume maximum, il regrettait bruyamment la disparition du droit d?aînesse, droit qui permettait de ne pas émietter les héritages, et de conserver à une famille la pérennité de ses domaines et en conséquence, de son aura.
Ce qu?il n?ajouta pas, mais était la véritable motivation de son plaidoyer pro domo, c?est que le droit d?aînesse, aurait fait de lui, l?héritier de toute la fortune, et en particulier de l?Entreprise.
Après s?être raclé la gorge, le notaire, profitant d?une fin de phrase de Albert, parvint à placer un retentissant :
- S?il vous plait, mesdames et Messieurs, je vais ouvrir devant vous le testament de Paul Mangin et vous lire son contenu.
A la tête que fit Albert, on comprit qu?il n?appréciait pas, d?avoir été interrompu dans sa péroraison, mais il dut penser assez vite, qu?il serait bon d?avoir la confirmation de ce qu?il pensait déjà savoir( la direction de la société pour lui), car la colère qui allait éclater se transforma rapidement en un air attentif. Il ne put s?empêcher cependant de dire encore un mot :
- Allons Maître ! Dépêchons. Nous avons du travail qui nous attend.
Malgré la solennité du moment, toutes les personnes présentes esquissèrent un sourire, car tous savaient qu?en dehors de la chasse, à laquelle il s?adonnait avec passion, ainsi que le tennis, Albert n?avait aucune autre activité.
Après avoir soigneusement et proprement ouvert une grande enveloppe Kraft, avec son coupe papier, Maître Janselme commença la lecture.

Après les formules d?usage, il en vint aux dispositions proprement dites.
La propriété restera en indivis entre mes quatre héritiers. C?est en tous cas ce que je désire.
Mon fils Albert étant incapable de diriger mon usine de construction de machines outils, il est préférable de le laisser se livrer à la seule activité qu?il sache exercer : la chasse. Il recevra, de la Société un salaire mensuelle de 5.000 euros à titre de public- relation de mon entreprise.
Ma fille Claire, en qui je reconnais mes propres qualités, assurera la Direction Générale de mon usine, et recevra 41% des actions que je possède, ce qui avec les 10% qu?elle possède déjà la rendra majoritaire
Mon portefeuille d?actions mobilières(en dehors des actions de ma société, bien sûr) sera réparti entre mes quatre héritiers. Afin de rééquilibrer les parts, Ma fille Claire recevra 10% des actions de mon portefeuille, les 3 autres 30% chacun, des actions.
Ma cadette Rose, a un atout appréciable : son physique agréable. Je vais la rendre plus attirante encore en lui attribuant une dot de 100.000 euros.
Mon petit Georges auquel je profite de cette occasion, pour lui dire quelle affection je lui porte, devra pouvoir choisir s?il préfère rester en France ou retourner dans le pays rejoindre sa mère. Lui aussi recevra100.000 euros.
Enfin, il y a ma chère secrétaire Maud Lambert. Pour elle aussi, je veux profiter de cette occasion pour lui dire ma profonde affection
. J?ai apprécié ses qualités professionnelles. A mon décès, elle deviendra Directrice générale adjointe de Claire. Je désire qu?elles travaillent toutes deux en bonne intelligence, et je ne doute pas qu?une fructueuse collaboration, pourra s?instaurer entre elles.
Arrivé à ce point de lecture de mon testament, je suis certain qu? Albert est en train de hurler à la spoliation.
Je lui demande de bien réfléchir. Il n?a aucune valeur humaine, et c?est par pure bonté d?âme que j?ai constitué pour lui une sorte de pension viagère déguisée en salaire. Je lui conseille vivement de ne pas essayer de mettre des bâtons dans les roues de Maud et de Claire, car je donne pouvoir à ces deux dernières, de supprimer cette pension, si elles se trouvent d?accord pour le faire. Je sais mon pauvre Albert qu?elles ne le feront que si tu te montres particulièrement odieux. Te voilà prévenu.
Fait à??.
( A suivre)



Au cours de la lecture du testament, il est vrai qu? Albert n?avait cessé de pousser des hauts cris, chaque fois qu?une volonté du patriarche était exprimée. Il voulait faire rompre le testament pour débilité mentale du testateur, proclamait que c?était une honte, etc.
Ce n?est que vers la fin du testament, quand le testateur s?était adressé directement à lui, que Albert arrêta ses vitupérations, et c?est tête basse qu?il entendit que Maud et Claire pouvaient lui supprimer sa pension.
Il se leva le premier, et sans dire un mot, sans même saluer le notaire, il sortit, courbé, comme écrasé par la honte.
Les autres assistants se levèrent, allèrent serrer la main du notaire, et nous sommes partis ensemble sans prononcer un mot.
Nous étions venus à pied, la propriété familiale n?étant située qu?à 4 ou 500 mètres de l?étude.
Loin devant nous, Albert rentrait à pas rapides. Il allait sans doute s?enfermer dans sa chambre pour réfléchir à ce qui venait de se passer.
Claire vint prendre mon bras. Georges, silencieux, marchait à notre droite, et Rose à notre gauche..

Claire me dit qu?elle était heureuse de la décision prise par son père de la nommer Directrice générale. La Direction de l?entreprise, était évidemment ce qu?elle espérait depuis longtemps. Elle a eu la gentillesse d?ajouter que si son père ne l?avait pas stipulé dans son testament, son intention, à elle, était déjà de me proposer un poste assez important. Elle ne me dit pas que c?était celui de Directrice adjointe
Je l?avoue, je me sentais un peu dépassée par cette énorme promotion à laquelle, je n?avais jamais pensé, évidemment, puisque je ne suis qu?une employée, alors qu?il y avait trois et même quatre enfants.

Se tournant justement devant ce quatrième enfant, Karim, dit Georges, Claire fut très gentille avec lui.
- Vous voilà à la tête d?un capital intéressant. Inutile de vous dire que j?en suis très heureuse. Nous ne nous connaissons pas beaucoup, puisque vous n?êtes chez nous que depuis 3 mois. vous avez tout le temps pour prendre une décision. Mais à priori, préféreriez vous retourner en Afrique, ou travailler avec nous ?
Il répondit très gentiment à son tour, qu?il allait en effet réfléchir, car il ne s?attendait pas à cette générosité de la part de monsieur Paul Mangin.
Il ajouta qu?il avait fait ses études à Dakar, et qu?il avait un diplôme d?économie, ce que pour ma part j?ignorais jusqu?à ce jour. Il demanda enfin, s?il pouvait avoir une audience de la nouvelle patronne dans deux ou trois jours, lorsqu?il serait en mesure de lui faire part de ses projets. Claire, bien entendu l?accepta, et nous sommes rentrés dans la propriété ou nous avons pris le thé ensemble. Ensemble, mais sans Albert, qui manifestement boudait dans un coin.

CHAPITRE 2



Nous le revîmes au repas du soir. Il avait la mine sombre, et ne prit pas part à la conversation durant tout le repas. Ce n?est qu?au moment de sortir de table qu?il prit la parole.
- Je ne le cache pas, je suis humilié par la façon dont père m?a traité dans son testament. Il est évident que je ne me laisserai pas faire. Dans quelques jours, je vous proposerai un arrangement. Si nous n?arrivons pas à un accord, je n?hésiterai pas à faire trancher le litige par un tribunal.
Je vous laisse le soin de préciser au personnel que jusqu?à nouvel ordre, mon petit déjeuner me sera servi dans ma chambre à 8 heures, et que je prendrai tous mes repas à l?extérieur. Enfin, j?aurai à ma disposition exclusive la Citroen C. Pas d?objection ?
- Aucune répondit Claire, qui me demanda ensuite de venir à son bureau à 9 heures, le lendemain matin.
C?est avec un immense soulagement que je me suis retrouvée seule. Ce qui venait de me tomber sur la tête était énorme et inattendu.
Bien sûr, je savais que Monsieur Mangin m?appréciait comme secrétaire, il me l?avait d?ailleurs dit plusieurs fois.
Quand j?avais été convoquée pour l?ouverture du testament, j?avais pensé qu?il allait me laisser une petite prime, mais l?idée qu?il allait faire de moi le bras droit de Claire, ça, non, l?idée ne m?avait même pas effleurée.
Mes sentiments étaient mélangés. Il y avait le plaisir de constater qu?une personne avisée me jugeait digne de remplir des fonctions élevées, il y avait la crainte de ne pas être à la hauteur, il y avait une autre crainte, ce sont les croche-pieds que les autres membres de la famille pourraient me faire, vexés qu?ils devaient être, par la place qui m?était faite alors que je ne suis qu?une employée, très jeune de surcroît.
A ce moment là, ma nomination, dans mon esprit était une chose inéluctable, puisque il s?agissait des dernières volontés du patron.. Ce ne fut que plus tard, devant les difficultés survenues, que je songeais qu?il y avait pour moi une porte de sortie : je pouvais refuser le poste et demander à rester simple secrétaire. L?idée était basique, mais je l?avoue sous le choc de la lecture du testament, elle ne me vint pas à l?esprit. Les dernières volontés de monsieur Mangin étaient pour moi, sacrées.
Le lendemain matin, j?avalais un bol de café, sans même me mettre à table, je n?avais pas très faim. J?avais surtout hâte de me trouver dans le bureau de Claire pour savoir ce qu?elle avait à me dire. Je ne pouvais me fier à ce qu?elle m?avait dit la veille, en sortant de chez le notaire où toute heureuse de se voir confier les destinées de la société, elle ne pouvait être qu?euphorique.
( A suivre)



Le ton qu?elle allait adopter vis-à-vis de moi, après une nuit de réflexion, était donc très important et risquait de conditionner le climat de nos futures relations. Comment avait elle reçu l?injonction de son père de me prendre comme adjointe ? Dans mon esprit, je le répète, il n?était pas question de discuter les dispositions prises par monsieur Mangin, pas plus pour elle que pour moi.
Après une douche rapide, je mis mon tailleur préféré, le gris à parements rouges, et tout en m?habillant, je songeais que j?allais devoir changer toute ma garde robe. Un membre de la direction ne peut pas s?habiller comme une secrétaire.

En rentrant dans le bureau de Claire, j?eus un pincement au c?ur. Elle m?avait dit d?entrer, mais sans lever la tête, elle continuait à écrire, à écrire, et j?ai aussitôt pensé qu?elle désapprouvait ma nomination, et voulais me le faire sentir, en me laissant « droguer »
La scène ne dura qu?une minute, mais pour moi, ce fut une éternité.
Lorsqu?elle leva la tête, elle me fit un gentil sourire, s?excusa ne m?avoir fait attendre, puis m?expliqua :
- Si je perds le fil d?une idée, je ne suis pas certaine de le retrouver. Souvenez vous de cela puisque nous allons travailler ensemble, ce n?est pas de l?arrogance de ma part, mais une simple défiance envers ma mémoire.
Bien entendu, mes craintes s?envolèrent.
Nous avons eu une longue conversation, et j?eus la confirmation qu?elle se préparait depuis longtemps à ses nouvelles fonctions.
Elle avait des projets de développement, grandioses, dans toutes les parties du monde.
- Nos centres de production sont essentiellement basés en France. Pour l?instant cela ne présente pas trop d?inconvénients, mais nous devons prévoir les évolutions économiques du futur qui peuvent se manifester très rapidement.
Je veux d?une part organiser des zones de production dans le secteur dollar, car les fluctuations des taux de change, doivent pouvoir être amorties en portant nos efforts de production soit sur le secteur Euros, soit sur le secteur dollar.
Par ailleurs, nous devons également tenir compte des coûts de main d??uvre, qui sont très importants dans notre activité. J?envisage donc des créations de centres de production en Afrique, dont nous sommes proches par la langue.
Je tiens à vous dire que j?approuve entièrement le choix de mon père de faire de vous mon bras droit. Vous allez vous installer dans ce bureau qui était le mien, et je prendrai possession de celui de mon père.
Je ne vous cache pas que nous aurons peut être à nous défendre contre certains membres de ma famille.
Albert est idiot, mais méchant et il tentera de nous embêter. Rose, je vous le dis, n?est pas simplement la jeune fille timide et effacée que vous connaissez. J?espère me tromper, mais, méfiance?.
Quand à Georges, je l?avoue, je ne le connais pas vraiment. Il a l?air gentil, mais là encore, prudence.
Je voudrais qu?en toutes circonstances, vous et moi fassions bloc. N?hésitez pas à me faire part de vos observations et éventuellement de vos craintes. Je peux compter sur vous ?
Je l?assurais de mon entière collaboration et de ma parfaite loyauté vis-à-vis d?elle.
Après cette première prise de contact, nous avons étudié plusieurs dossiers, sur lesquels elle a bien voulu me dire que mon opinion lui avait rendu de grands services.
Je dois dire que je ne connaissais qu?assez peu Claire. J?étais la secrétaire de son père, et c?est tout juste si j?avais été amenée à deux ou trois reprises à faire de petits travaux pour elle.
Après notre première entrevue, j?étais persuadée que la Société était entre de bonnes mains, et que Claire savait écouter, s?informer et ensuite prendre les décisions qui lui incombaient.
Claire m?avait proposé de prendre tous mes repas de midi, pendant la semaine, avec la famille. J?avais accepté volontiers, cela m?évitait de retourner chez moi entre midi et deux heures.
Au cours de ces repas, je pus constater que Claire avait eu parfaitement raison de me mettre en garde contre Rose. Cette très jolie jeune fille n?était pas timide et effacée, comme j?avais pu le penser jusqu?alors. C?était une petite peste, qui à deux ou trois reprises voulut me laisser entendre que si je mangeais à leur table, je n?en étais pas moins une étrangère, d?un rang inférieur. Je n?eus jamais le temps de lui répondre. Chaque fois, immédiatement, Claire, la remit à sa place en lui disant qu?elle aurait préféré m?avoir pour s?ur, plutôt que cette petite fille mal élevée, incapable de faire autre chose que de se pomponner à longueur de journée.
Si j?avais pu percer à jour le vrai caractère de Rose, en revanche, je ne pus me faire une opinion sur Georges. Il parlait très peu. Ce n?était pas de la timidité car lorsqu?une question lui était posée, il répondait avec assurance, et toujours intelligemment.
( A suivre)



CHAPITRE 3



Le premier week end suivant ma nomination, je passais une grande partie du samedi à renouveler ma garde robe, et le Dimanche après m?être offert une grasse matinée, je passais des heures à compulser les petites annonces immobilières, car il est évident qu?avec mon nouveau statut, je n?allais pas me contenter de ce petit studio que je louais un petit prix, c?est vrai, mais qui était très exigu.
Avec le recul, je peux bien l?avouer, cette promotion énorme et inattendue m?avait un peu tourné la tête.
C?est fou la vitesse à laquelle je m?étais faite à ma nouvelle condition, et lorsque j?étudiais les petites annonces, ce n?était pas pour trouver un petit appartement à louer, ni même un grand, c?était pour acheter une villa, avec un jardin assez conséquent. Bien sûr, j?avais tout de suite été un peu surprise par le coût élevé de mon projet, mais je ne continuais pas moins mes recherches, sans trop tenir compte des prix. En somme, je faisais des projets « non fric »
A la fin de la semaine suivante, nous avons eu la surprise de voir arriver Albert pour le repas de midi.
Il tint tout de suite à se justifier en précisant :
- J?ai prévenu très tôt ce matin les cuisines que je serai là.
- Tu es toujours chez toi, lui répondit Claire, et c?est toi qui avais pris la décision de prendre tes repas dehors.
- Et je continuerai aussi longtemps que la situation n?aura pas été éclaircie. Je suis venu aujourd?hui pour vous faire une proposition.
- Si ta proposition ne vient pas à l?encontre des dispositions prises par papa, nous t?écoutons.
- Papa n?était pas dans son état normal quand il a rédigé ce testament
- Tu aurais du mal à le prouver. Papa est resté sain d?esprit jusqu?au bout, et ce testament a été fait un an avant sa mort. Par ailleurs, la précision de ses dispositions, prouve qu?elles ne sont pas l??uvre d?un homme à l?esprit dérangé.
- Je me réserve pourtant la possibilité de demander l?annulation de ce testament. Mais pour l?instant, je veux essayer de rester sur un terrain amiable.
Papa a répartit des rôles à certains, des legs à d?autres. Je suis prêt à respecter ses volontés, à une condition.
Je suis l?aîné, et cela, rien ni personne ne pourra le changer. Au moins sur le plan moral, cela me donne des droits.
Papa a commencé son testament en nous disant qu?il aimerait que la propriété reste en indivis. Il n?a fait qu?exprimer un v?u, car il sait très bien que « nul n?est tenu de rester dans l?indivision »
J?ai donc tout pouvoir de faire mettre en vente la propriété familiale, et c?est ce que je suis décidé à faire, si je n?ai pas satisfaction, d?ici deux mois.
Papa a prévu diverses nominations et il m?a confiné dans un rôle de public- relation. Je ne puis m?en contenter, c?est une question d?amour propre.
Père n?a pas précisé qui serait le Président du Conseil d?administration. Je veux être ce Président. Claire, tu peux le faire, puisque tu es majoritaire. Par ailleurs je te laisserai volontiers la direction effective de l?entreprise.
Alors voilà, c?est très simple : D?ici deux mois le conseil d?administration me nomme Président, ou je mets en vente la propriété, et personne d?entre nous n?est, actuellement, en état de la racheter. Ce bien familial ira chez des étrangers.
Réfléchissez, toi surtout Claire, qui possède les pouvoirs. Je reviendrai déjeuner demain à midi pour avoir votre décision de principe.
Albert se leva de table et s?efforça de sortir dignement, mais, boudiné dans son complet un peu juste, il était toujours un peu ridicule.
Après un court silence, tout naturellement, c?est Claire qui prit la parole.
Nous allons devoir réfléchir à la proposition d?Albert. Avez-vous quelque chose à dire ?
Je n?étais pas concernée par ce problème, avant tout familial, et je le dis à Claire qui me répondit.
- Il est exact que vous ne faites pas partie de la famille, mais à titre de Directrice Générale adjointe, votre présence n?est pas déplacée.
-
C?est la fausse timide Rose, qui prit la première la parole.
- Albert est un crétin, mais je trouve son idée excellente. Moi aussi je pourrais faire mettre en vente la propriété, et moi aussi je vais réfléchir à ce que je pourrais demander comme compensation.
Georges intervint à son tour. Il avait une voix grave, posée, et s?exprima calmement.
- Je sais que ma position est un peu spéciale. Je suis un cocktail de sangs blanc et noir, et de plus bien qu?ayant été reconnu, je suis né hors mariage. Il est donc bien évident que je n?exigerai jamais quelque chose pour moi. Comme je fais tout de même partie de la famille, je tiens à dire à Rose qu?elle va certainement réfléchir aux inconvénients qu?il y a pour tous d?exiger certaines choses en usant de chantage. Nous avons la chance de pouvoir tous bénéficier d?une belle propriété, faisons en sorte de la garder. Vous savez, il est tellement agréable d?être en bons termes les uns avec les autres que cela mérite quelques petits sacrifices, même d?amour propre.
- Mon frère lui répondit Claire, la raison parle par ta bouche, et je suis certaine que Rose doit t?approuver, car elle est intelligente.
Devant ce compliment, Rose ne put que dire :
- Je voulais plaisanter, car il est évident que nous sommes tous attachés à cette maison.
Claire avait fort bien man?uvré vis-à-vis de Rose, mais il était certain qu?Albert, imbu de sa qualité d?aîné, et énormément vexé par les termes employés dans le testament (en vérité, très durs) ne se laisserait pas fléchir par une plaidoirie, même de Georges
( A suivre)


Claire proposa à Rose et à Georges de se réunir dans son bureau pour prendre une décision définitive, puis se tournant vers moi, elle me dit :
- Vous n?avez pas la possibilité d?avoir une position personnelle sur cette question, mais vous pourrez vous joindre à nous, uniquement pour le cas ou nous aurions à vous consulter.
Le lendemain nous nous retrouvions tous les quatre dans le bureau de Claire. Pour bien marquer que je ne faisais pas partie du groupe décisionnaire, je suis allée m?asseoir sur un canapé, à plusieurs mètres des frères et s?urs. Mon attitude n?avait pas échappé à Claire qui me fit un petit sourire de connivence et de remerciement.
La réunion ne fut pas très longue.
Claire prit la parole pour dire qu?il fallait absolument qu?un accord interviennent entre les trois héritiers présents, qu?elle donnerait son avis en premier lieu et que chacun pourrait s?exprimer librement.
Elle dit comprendre un peu l?attitude d?Albert qui avait été traité d?incapable dans le testament. Sa vexation était donc bien normale. Au fond, que demandait il ? Il voulait que vis-à-vis de l?extérieur, il occupe une poste honorifique. Ce poste, pouvait lui être donné sans risque, puisque les grandes décisions étaient prises par le Conseil d?administration, sur lequel, bien que Président il n?aurait aucun pouvoir, et que la mise en ?uvre de ces grandes décisions étaient confiées à la Directrice Générale. Pour sa part, donc, Claire pensait que l?on pouvait donner satisfaction à Albert, à condition, puisqu?il n?aurait aucun travail effectif à fournir qu?il se contente des 5000 euros mensuels prévus dans le testament.
Georges dit qu?après réflexion, il était arrivé aux mêmes conclusions que Claire. Et il ajouta : c?est une décision intelligente
Lorsque les regards se tournèrent vers Rose, on se demanda un moment si elle n?allait pas de son côté faire des difficultés, mais la dernière phrase de Georges, l?amena à se montrer conciliante.
- Puisque c?est une décision intelligente, je m?y rallie bien sûr.
N?ayant pas été questionnée, je n?eus pas un mot à dire, et je me contentais de penser que Claire décidement, était digne des fonctions qu?elle occupait, la structure mentale de son esprit lui permettant d?aller immédiatement au c?ur du problème.
Lors du repas de midi, Albert vint un peu en retard, sans doute pour marquer qu?il n?attendait pas avec impatience de connaître le sort fait à sa demande, mais il avait du prendre sur lui, car en fait, il ne put réprimer un petit tremblement de sa voix lorsqu?il questionna :
- Avez-vous étudié ma demande, et puis je connaître votre décision ?
- Nous y avons réfléchi en effet, et nous sommes prêts à faire droit à ta demande, sous condition.
-
Nous te demandons de t?engager à ne pas mettre en vente la propriété. D?ailleurs, si tu le faisais, très rapidement, le conseil d?administration nommerait un autre Président. Par ailleurs, nous ne changeons rien aux dispositions financières prises par père : Tu toucheras donc 5000 euros mensuellement. Tu ne percevras aucun jeton de présence, et d?ailleurs, ta présence lors des conseils d?administration sera inutile.
Enfin, tu n?interviendras à aucun moment dans la marche de la société, et lorsque ta signature sera nécessaire, tu devras la donner sans commentaire.
C?est tout. Si tu respectes nos demandes tu seras nommé et restera Président de notre Société. Nous t?écoutons.
Albert avait obtenu satisfaction. Auprès de ses amis du club de tennis et de la société de chasse, il devenait monsieur le Président, et cela suffisait pour panser son amour propre blessé à la lecture du testament. Mais il ne pouvait être question qu?il accepte sans mettre encore une condition. Il se rendit compte d?ailleurs lui-même du ridicule de cette condition en l?énonçant.
Je veux que des cartes de visite soit établies avec mon titre et que la société prenne en charge le coût de ces cartes.
Claire parvint à ne pas sourire, en lui répondant que sa demande allait de soi, et que la société lui offrirait volontiers des cartes de visite.
Lorsque Albert fut sorti, Claire nous dit seulement.
- C?est notre frère. J?en ai un peu honte??

CHAPITRE 4

Durant les trois premiers mois, Claire et moi avons collaboré d?une façon très étroite. J?avoue que je me révélais à moi-même. Je parvenais moi aussi à aller très vite au point important d?un problème, et nous nous trouvions toute deux sur la même longueur d?onde.
Claire n?avait pas de domaine réservé. Elle me parlait de tous les problèmes de la société, qu?ils soient d?ordre commercial, technique, social ou financier.
Nous fonctionnions dans une symbiose absolue.
Mais notre collaboration, notre connivence, s?arrêtaient à la porte de la société. Nous n?étions pas amies. Jamais nous ne parlions de nos problèmes personnels, à moins qu?ils ne soient liés à la marche de l?entreprise. Je ne savais rien de sa vie privée, elle ne savait rien de la mienne. Il est vrai que la mienne était réduite à sa plus simple expression. J?étais toujours dans mon studio en attendant de trouver la maison de mes rêves, et sur le plan sentimental, c?était le calme plat, au point que j?étais résignée à n?être et à ne rester qu?une femme d?affaires . J?avais eu trois ans auparavant une liaison qui avait durée 2 ans. J?en été sortie toute cabossée, et inconsciemment j?avais la conviction que les histoires d?amour étaient vouées à de tristes fins. Le travail seul pouvait donner de saines et durables satisfactions.
Albert, dont l?égo ne se rassasiait pas de son titre de Président, et qui distribuait en abondance et avec condescendance ses cartes de visite, ne mettait jamais les pieds à la société. Il avait repris ses repas en famille, et monopolisait la parole pour nous raconter les ragots qu?il avait ramassé sur les gens lors de ses activités sportives5963. Ses histoires n?intéressaient personne, et seul, Georges, par politesse, réussissait à intercaler une remarque, d?ailleurs toujours spirituelle, et que fort heureusement Albert ne comprenait pas, car elle était faite gentiment à ses dépens. Claire et moi, savions que nous ne serions plus embêtées du côté de Monsieur le Président, comme je m?amusais à l?appeler de temps en temps.
Il n?en était pas de même du côté de Rose.
Chaque semaine, le lundi, elle venait au bureau, et nous posait des questions sur la marche de la société. Chaque fois, en arrivant, elle éprouvait le besoin de justifier sa présence, en nous rappelant qu?elle détenait 10% des actions de la société.
En général, ses questions portaient sur des points de détail, ce qui prouvait qu?elle n?avait pas une vision globale de notre affaire.
Un jour, pourtant elle nous dit, avec un petit air sérieux et compétent :
- Il me semble que la société fait du sur place. Il serait bon que des capitaux nouveaux viennent s?investir. A ce propos, je suis en mesure de trouver ces capitaux. Je vais me marier à un homme très riche, qui sur ma demande est disposé à mettre quelques billes dans notre société. Vous voyez que je sais défendre nos intérêts.
- Nous venons d?enregistrer une augmentation du chiffre d?affaires de 12 % pour le trimestre écoulé par rapport à celui de l?année dernière. Je crois que beaucoup de Sociétés aimeraient faire du « sur place » dans les mêmes conditions, lui répondit Claire. En ce qui concerne les capitaux, nous parvenons à nous autofinancer, mais bien sûr, je reste ouverte à toutes propositions. Peux tu nous donner les coordonnées de ton fiancé, que d?ailleurs, nous aimerions recevoir à notre table.
- Il s?appelle Henri Blache. Tu as du en entendre parler. C?est un type formidable.
- Hé bien invite ce type formidable pour un dîner de la semaine prochaine
( A suivre)



Lorsque Rose fut partie, Claire me dit que si ce Henri Blache était bien celui auquel elle pensait, c?était quelqu?un qui avait en effet pas mal d?argent, mais ressemblait beaucoup à Albert, en ce sens qu?il ne
fichait rien. Son argent venait de ses parents.
Le lendemain, au cours du repas, Rose nous annonça que son fiancé, Henri Blache, viendrait partager notre repas le mardi suivant.
Il est vrai que dans ma vie, je n?ai pas eu souvent l?occasion de rire et de m?amuser. Je dois dire que ce dîner du mardi, fut mémorable. Le seul ennui est que nous devions nous retenir pour ne pas rire ouvertement, ce qui ne fut pas facile du tout.
Henri Blache s?était présenté à nous, et il faut bien reconnaître, que s?il n?était pas beau, il avait une certaine allure, était très élégant. Il ne connaissait pas Albert qui ne perdit pas l?occasion de se présenter comme étant le Président de la Société.
A partir de ce moment là, durant tout le repas, ce fut une joute entre Henri et Albert, chacun voulant monopoliser la parole. A ce petit jeu, ils firent à peu près match nul, mais ce qui fut cocasse, c?était le dialogue de sourd qui eut lieu. Albert, n?écoutait pas ce que disait Henri, il guettait seulement le moment où il pourrait reprendre la parole. Alors, il parlait de la chasse et du tennis, les deux seules activités humaines, vraiment nobles, et auxquelles une personne de qualité se devait de se livrer exclusivement. Lorsque Henri, parvenait à reprendre la parole, c?était pour parler du golf, la seule activité digne d?un homme d?une certaine classe..
Les arguments étaient tellement ridicules, enfantins, que le reste de la table avait bien du mal à conserver son sérieux. Seul, Georges put glisser un mot.
Henri venait de dire que l?exercice du golf réclamait toutes les qualités humaines : Force, souplesse, intelligence tactique, sang froid, et c?est alors qu?Henri cherchait une autre qualité à l?actif du golf que Georges lui dit :
- Je partage entièrement votre façon de voir. Mais, monsieur, il me semble que c?est une activité un peu trop archaïque et guerrière. On donne de grands coups de bâton, ce qui est barbare on projette des balles, comme dans les guerres, et l?on sacrifie de grandes étendues de terre, pour se livrer à des luttes, au lieu de les consacrer aux récoltes. Par ailleurs, je suis sans doute ignorant, mais passer son temps à mettre de
petites baballes dans de petits trous, non seulement ne me semble pas une activité très productive pour l?humanité, mais s?apparente aux jeux de jeunes enfants.
D?un ton condescendant, avec un hochement de tête qui devait dénoter sa commisération pour une méconnaissance aussi flagrante de cette noble occupation, Henri lui répondit que seuls, les pratiquants du golf avaient la possibilité d?en parler avec quelque crédit. Il y a des choses qui resteraient totalement inaccessibles, aux communs des mortels.
En d?autres circonstances, avec d?autres personnages, cette déclaration aurait pu déclancher un froid, mais comme Henri et Albert continuaient à se disputer la parole, cette grossièreté passa inaperçue.
Vers la fin du repas, Rose demanda à Henri s?il ne voulait pas parler affaire.
- Si fait, ma chère répondit il. Mais ce n?est peut être pas le lieu, et surtout, cela importunerait ces dames.
Puis se tournant vers Albert, il lui dit
- Je pense, Monsieur le Président, que les discussions doivent se dérouler à notre niveau. Prenons donc rendez vous.
La séquence comique était terminée, et c?est évidemment Claire qui reprit les choses en main.
- Cher monsieur, dit elle à Henri, j?assume la Direction générale de notre société, et s?il doit y avoir des discussions, c?est avec moi qu?elles doivent se dérouler.
- Mais, Mais?répondit Henri un peu déstabilisé, un Président, c?est au dessus du Directeur général, ce me semble.
- Pas chez nous monsieur. Je détiens le pouvoir réel. Mais je vais vous parler franchement : Si vous n?avez que de l?argent à nous apporter, il est inutile que nous perdions du temps. Maintenant si vous avez des idées novatrices pour notre société, je vous recevrai avec plaisir.
- Mais enfin, avec l?argent, on peut tout faire !
- Détrompez vous. Il est souvent nécessaire, mais jamais suffisant.
( A suivre)



C?est alors que Rose intervint comme une furie.
- J?ai mon mot à dire : Je suis actionnaire. Je prétends qu?avec de l?argent nous pourrions augmenter notre production. Je demande que Henri entre dans notre Société et qu?il lui soit attribué 40% des parts. Il mettra l?argent qu?il faudra. N?est ce pas Henri ?
- Tout à fait ma chère. Pour une femme, vous avez la tête bien faite. C?est cela, je veux 40% des actions, et notre affaire travaillera à l?international sur une grande échelle !!.
- Il faudrait que la majorité de notre conseil d?administration soit d?accord.
- Hé bien réunissez le !
- C?est fait, monsieur. Je possède 51 % des actions, et je suis contre l?entrée d?un nouvel actionnaire.
Se retournant alors vers Albert, Henri demanda
- Mais enfin, vous êtes Président ! C?est à vous de prendre les décisions.
- Je suis Président, mais je ne possède que 10% des actions. Et pour être franc, je suis, moi aussi, opposé à l?entrée d?un nouvel actionnaire. Ma s?ur se débrouille très bien. Certes, elle joue moins bien que vous au golf (quoique ce serait à vérifier) mais en ce qui concerne les affaires, excusez moi, mais vous ne pèseriez pas lourd.
En dehors de Rose qui était outrée, nous étions, Claire, Georges et moi, surpris mais heureux de la sortie de Albert. L?esprit de clan avait pris le dessus, et il faisait avec nous, front commun contre le fantoche.
Henri boudait manifestement, Rose, n?ouvrait pas la bouche, même pour manger. Elle repoussait tous les plats qu?on lui présentait d?un air irrité, et lorsque Claire proposa de passer au salon pour prendre cafés et digestifs Henri et Rose se levèrent et prétextèrent un rendez vous extrêmement important pour prendre congé.








CHAPITRE 5



Je dois dire que je ne chômais pas. Claire et moi avions un travail harassant sur les épaules, et nous étions toutes deux sur les genoux, lorsque, après trois mois d?un travail insensé, elle me fit appeler dans son bureau.
- Maud, je saisis d?abord cette occasion pour vous dire combien votre collaboration m?est précieuse. Notre affaire se développe à une vitesse foudroyante, mais le revers de la médaille, c?est que nous sommes l?une et l?autre, crevées, au bout du rouleau. Nous ne pouvons continuer dans ces conditions. Aussi ai-je pris la décision d?embaucher un Directeur commercial, qui d?une part nous déchargera d?une grande partie de nos taches actuelles et qui d?autre part, aura, lui, le temps de se déplacer à l?étranger pour accroître notre réseau avec plus d?efficacité en allant sur place.
Je vous charge de la première partie de ce recrutement. Vous allez susciter des candidatures soit par annonces soit en prenant contact avec de grandes Ecoles du Commerce. Vous recevrez les candidats et quand vous en aurez sélectionné 4 ou 5, je prendrai le dossier en mains et je ferai mon choix. Cette mission doit être la priorité pour vous, car je voudrais d?ici un mois, être en mesure d?embaucher un Directeur commercial.
Un mois, cela me parut bien court pour dénicher un homme de valeur, mais cela nous déchargerait d?un travail important, aussi me suis-je attaquée à ce problème en mobilisant le reste de mes forces.
Ce fut pour mois une expérience curieuse et quelquefois déstabilisante. J?ai eu l?occasion de recevoir de pauvres hommes, au chômage depuis longtemps et qui après de multiples tentatives vaines pour se recaser étaient devenus des losers. Ils faisaient des efforts désespérés pour se mettre en valeur, mais ils ne croyaient pas eux-mêmes dans leurs possibilités et, c?était pour moi, débilitant.
D?autres, fraîchement émoulus d?Ecole de Commerce, estimaient au contraire qu?ils n?avaient plus grand-chose à apprendre, et que j?avais une chance inouïe d?avoir la possibilité d?embaucher un Directeur Commercial de leur classe.
Un échantillonnage abondant passa par mon bureau, et trois semaines après avoir débuté ma mission, je pus dire à Claire que j?avais sélectionné 4 candidats.
- C?est bien, Maud. Je vais les recevoir. Passez moi les quatre dossiers sans me donner votre avis, pour ne pas m?influencer. En revanche, mettez sous enveloppe la liste de vos candidats par ordre de préférence. Après les avoir tous reçus, nous ouvrirons ensemble votre enveloppe, et nous comparerons nos opinions.
Cette seule façon de procéder prouvait combien Claire tenait compte de mes avis, et ce fut pour moi, une immense satisfaction.
En 48 heures, Claire avait reçu les 4 candidats, et aussitôt après me convoqua dans son bureau.
Elle me tendit une feuille sur laquelle elle avait indiqué les noms par ordre de préférence. Elle me demanda mon enveloppe dans laquelle j?avais précisé mon propre choix.
Nous avons lu ensemble nos listes respectives, et toujours ensemble nous avons éclaté de rire.
- Décidemment, nous étions faites pour collaborer dit Claire en se levant de son fauteuil pour venir m?embrasser. Il y a que sur les 3 et quatre que nous avions un ordre inversé, mais cela n?avait pas une grande importance puisque nous n?en n?embaucherions qu?un.
-Vous allez convoquer ce Pierre Vidal qui a eu nos faveurs, pour demain matin neuf heures, et nous le recevrons ensemble, me dit elle.
Personnellement, je crois bien avoir choisi ce Pierre Vidal pour ses qualités professionnelles, mais je dois avouer, que s?il s?était agi d?un concours de beauté masculine, mon choix aurait été le même.
Grand, brun, athlétique, les traits virils, c?était un beau spécimen de l?humanité. Sa voix à la fois grave et douce, donnait immédiatement une impression de sécurité quand on était à ses côtés, et lorsque je le vis entrer dans le bureau de Claire, je ne pus m?empêcher de me poser la question : Est-ce que la patronne, elle aussi, a été frappée par la beauté de ce garçon ?
Je dois dire qu?après la discussion qui dura deux heures, nous étions persuadées, Claire et moi, que nous avions fait le bon choix.
Il prit ses fonctions au début de la semaine suivante, et très vite, nous avons pu constater que sa présence nous déchargeait d?une bonne partie de notre travail.
Lorsqu?un problème se posait, il en étudiait minutieusement tous les aspects, sans à priori, puis il prenait une décision, sans jamais revenir en arrière. Il ne se passait pas un jour sans que Claire et moi, nous nous félicitions de notre choix.
( A suivre)


CHAPITRE 6


Je n?avais que peu de temps pour m?occuper de mes propres affaires. Le travail prenait la plus grande partie de mon temps, j?arrivais difficilement à dégager un samedi après midi, et ma seule petite douceur, était la grasse matinée du Dimanche, que je ne pouvais d?ailleurs pas trop prolonger, car ménage, lavage, repassage me mangeaient une bonne partie de la journée consacrée au repos dominical.
Malgré une situation matérielle assez importante, je ne voulais pas prendre de femme de ménage, car j?avais toujours l?ambition d?acheter une jolie villa, et je devais faire des économies.
J?avais parlé à Claire de mes recherches, et c?est elle qui en fait me trouva la perle que je cherchais.
C?était une villa de 120 mètres carrés de plain pied, avec un jardin- parc de 3500 mètres carrés. Je dus prendre un très gros crédit, mais j?avais une confiance absolue dans mon avenir.
Lorsque j?emménageais dans mon nouveau palace, mes pauvres meubles étaient un peu ridicules, et plusieurs pièces étaient complètement vides.
Certes, l?arrivée de Pierre Vidal, comme je l?ai dit, nous avait, Claire et moi, déchargées d?une grande partie de notre travail, mais le développement constant de notre activité créait de nouvelles occupations, et Claire et moi, plaisantions souvent, en constatant que plus nous travaillions, plus nous avions de nouveaux travaux à effectuer.
Trois mois après son entrée dans l?entreprise, Pierre Vidal avait demandé à voir Claire pour une discussion générale, et elle m?avait demandé d?assister à l?entretien.
Il commença par nous dire qu?il avait maintenant une idée assez complète de notre activité, et qu?il en était arrivé à des conclusions qu?il voulait nous communiquer.
Nous fabriquions des machines outils. Le créneau était excellent, mais nous fabriquions trop d?articles différents pour pouvoir sortir des prix réellement compétitifs.
Pierre estimait que nous aurions intérêt à nous spécialiser, et il pensait que nous devrions nous consacrer aux appareils de levage, et d?attaquer le marché des ports maritimes.
La manutention dans les ports, est primordiale et nous pourrions, tant sur le plan de la fabrication que sur le plan commercial, concentrer nos efforts dans ce domaine.
Personnellement, je n?avais pas poussé mes réflexions aussi loin, mais il me semblait en effet, que nous fabriquions trop de machines différentes, ce qui nous mangeait beaucoup de temps pour une efficacité insuffisante.
Claire sembla intéressée par l?exposé de Pierre Vidal. Elle lui promit de réfléchir à tout cela et fixa un autre rendez vous pour le début de la semaine suivante.
Lorsque Pierre fut sorti de son bureau, elle me demanda ce que je pensais de ces propositions.
- J?avais la vague intuition que nous dispersions trop nos efforts, mais je n?étais pas allée plus loin dans mon analyse. Je dois dire que Vidal est assez convaincant, et pour l?instant, je ne vois pas d?argument allant à l?encontre de ses projets.
- Je me demande si c?est un avantage ou un inconvénient, mais, nous avons, Maud, la même façon d?envisager les problèmes, et nos points de vue se rejoignent toujours.
Je ne veux pas prendre de décision précipitée, car il est certain que si nous décidons de nous spécialiser, cela va modifier considérablement notre organisation de production. Continuons donc à réfléchir chacune de notre côté, et avant de recevoir Vidal, nous confronterons nos opinions, bien que, ajouta Claire en riant, je sois persuadée que nous aurons, une fois encore, des analyses identiques.
Les quelques jours qui suivirent ne nous n?apportèrent rien de bien nouveau dans nos réflexions, et lorsque nous nous sommes retrouvés avec Pierre, dans le même bureau, ce fut pour lui dire que nous souscrivions à sa proposition.
- Il est certain, dit Claire, que nous allons revoir tout notre système de production, et choisir exactement les outils dans la fabrication desquels nous allons nous spécialiser.
- Dans ce domaine, j?ai une proposition à vous faire. Vous aviez, avec juste raison, décidé de décentraliser nos centres de production. Je pense que nous pourrions étudier la possibilité d?implanter une succursale à Casablanca.
Un voyage sur place nous permettrait de visiter le port pour étudier le matériel qui nous ouvrirait les marchés les plus rentables, et tout à la fois, d?étudier les possibilités d?acquisition de terrain, et de recrutement de la main d??uvre.
Qu?en pensez vous ?
- Je souscris à votre projet, mais je pense que cette étude de marché est considérable et il me semble, que vous ne seriez pas trop de deux pour mener cette étude à son terme dans un délai raisonnable. Maud, voulez vous participer à cette étude ? Voulez vous aller à Casablanca ? Vous vous répartirez le travail sur place. J?aimerais que votre voyage n?excède pas une semaine, car j?ai besoin de vous deux ici.
Bien entendu, j?étais d?accord. Un petit voyage, même s?il y avait beaucoup de travail au bout, ne me déplaisait pas.
Bon. D?accord. Le fait de faire ce voyage en compagnie de Pierre ne me déplaisait pas non plus, et notre départ fut fixé au vendredi soir suivant, pour travailler jusqu?au bout, ici, et commencer notre étude dès le samedi matin.
( A suivre)


CHAPITRE 6






Je n?ai pas encore eu le temps de parler de Pierre Vidal, l?homme. Il est vrai que je ne connaissais de lui que ce qu?il y avait dans son dossier de candidature.
Il avait 30 ans. Avait fait l?Ecole supérieure de Commerce. Fils unique, il s?était marié à 24 ans. Le mariage n?avait duré que 2 ans.
C?est au cours de notre voyage au Maroc que j?en appris un peu plus. Il s?était marié avec une amie d?enfance, dont le père dirigeait une petite entreprise de travaux publics.
Au moment du divorce, son beau père lui avait demandé de se trouver une autre situation, car sa fille voulait elle-même venir travailler avec son père.
Il donna immédiatement sa démission et prit « en attendant » un poste subalterne, qu?il occupait encore lorsqu?il était entré en contact avec nous.
Durant notre voyage, nous n?avons pas une seule fois abordé les problèmes professionnels et en arrivant à Casablanca, je savais pas mal de choses à son sujet, et il savait presque tout sur moi.
La seule petite allusion au travail qu?il fit, c?est lorsqu?il me dit :
- Vous êtes plus jeune que moi, mais je ne suis pas gêné de travailler sous vos ordres. Vous êtes à votre place.
J?avais une profonde admiration pour cet homme, et l?entendre prononcer un tel jugement me fit un effet curieux. D?un côté, bien sûr, j?étais extrêmement flattée et d?un autre côté ; quelque chose en moi, me gênait, protestait : Je ne veux pas lui être supérieure !!
Cet homme était d?une perspicacité, d?une finesse inouïe, car il ajouta :
- Je ne suis pas gêné, mais je sens bien que vous, vous l?êtes. Permettez moi de dire que vous avez tort. Je vous ai dit que je vous considère à votre place, car actuellement, vous possédez plus de connaissances que moi sur la maison. Mais il est possible que les choses s?inversent par la suite, je n?en sais rien, mais si cela devait arriver, je vous le dirais avec la même netteté.
Cet homme était beau comme un Dieu d?une capacité professionnelle élevée, d?une sincérité profonde, il devait bien y avoir par ci par là quelques petits défauts. Je décidais d?en trouver quelques uns durant notre séjour au Maroc. Il y a quelque chose d?énervant dans la perfection?. chez les autres.
Au début de notre premier dîner, pris en tête à tête, à une table cachée du reste de la salle par un bac contenant 4 palmiers nains, nous avons, pour la première fois depuis notre départ de France, abordé notre mission.
- Il y a dit Pierre une partie de notre enquête qui doit être effectuée au port, et une autre dans la ville même de Casablanca.
Au port, il faudra dans un premier temps se faire une idée des engins de levage utilisés, dans un second temps, entrer en contact avec le service du matériel pour glaner le maximum de renseignements sur l?âge moyen des engins utilisés, les projets d?achats, les procédures d?achat utilisées( achats de gré à gré ou appel d?offre) , enfin tous les éléments qui nous permettront de savoir l?importance du marché potentiel dans un délai de 5 ans.
En ville, il faudra, dans un premier temps, recueillir des renseignements sur le prix des terres dans les environs proches de Casablanca, puis dans un second temps, faire une étude du marché du travail ( main d??uvre disponible, sa technicité, les salaires moyens, le poids des charges sociales.
Vous êtes le chef, à vous de décider de la répartition des tâches.
- Pierre,( au fait appelons nous par nos prénoms, ce sera plus simple) vous avez su faire l?analyse des démarches à effectuer mieux que je n?aurais pu le faire. Il n?y a donc pas au cours de cette mission, de hiérarchie entre nous, et nous discuterons d?égal à égal.
Je propose que vous vous occupiez des enquêtes
à effectuer au port et moi, de celles qui se dérouleront en ville. Qu?en pensez vous ?
- C?est la répartition que je vous aurai proposée moi-même.
Durant le reste du repas, nous n?avons plus effleuré notre mission, et nous avons parlé de choses et d?autres, mais sur un plan général, comme si nous hésitions mutuellement à dévoiler nos personnalités.
Je retirais cependant de cette conversation une certitude : Pierre avait une culture étendue, et des connaissances très fines, particulièrement en littérature.
J?ai loyalement essayé de trouver enfin un défaut, dans ces connaissances non seulement révélées mais peut être étalées??.Cependant, tout aussi loyalement je dus reconnaître qu?il n?en était rien. Pierre s?exprimait avec simplicité et justesse. Et puisque j?étais en veine de loyauté, pour la première fois, je dus m?avouer que je commençais à tomber amoureuse de lui.
Zut !! Pour une fois que je ressentais une attirance pour un homme, il fallait que je tombe, sur un subordonné, moi qui, très vieux jeu sur ce point, attend d?un homme qu?il me protège et qu?il me domine.
Fort heureusement, Pierre restait très discret, mon attirance pour lui n?avait pas la force d?une passion, et je pouvais dominer mes sentiments pour donner toujours la priorité à notre mission.
Bien entendu, Pierre et moi prenions tous nos repas ensemble, toujours à la même table, et si nous ne connaissions pas encore les traits de caractère fondamentaux de l?autre, nous connaissions nos goûts en littérature et en peinture.
Après le dîner, chaque soir, je téléphonais à Claire pour lui faire part de l?avancement de notre enquête, et jusqu?à la veille de notre retour, nos conversations ne roulaient que sur des problèmes professionnels.
Notre enquête terminée, et qui s?avérait positive, nous devions revenir en France dans la journée de Samedi.
Le vendredi soir, j?avais Claire au bout du fil qui, après mon rapport quotidien, me demanda :
- Si vous me parliez un peu de Vidal, en tant qu?homme. Qu?en pensez-vous ? Vous avez eu l?occasion de vous voir souvent, et donc de vous connaître.
- Vous savez, Claire, aussi bizarre que cela puisse paraître, je ne sais pas grand-chose sur lui de plus que lorsque nous sommes partis pour Casablanca.
Nous avions beaucoup de choses à nous dire sur le déroulement de notre enquête, et les seuls éléments que je puis vous rapporter, c?est que votre Directeur commercial est un fin lettré, qui a une culture artistique assez développée.
- Ce n?est déjà pas si mal. Mais vis-à-vis de vous, quelle attitude a-t-il ?
- Ma foi, tout à fait normale. Je peux ajouter que c?est un homme bien élevé, mais c?est tout.
-

Après avoir raccroché, je me demandais pourquoi Claire m?avait posé des questions sur Pierre, l?homme lui-même, et je pensais que peut être, sous ses dehors de femme d?affaires, battait également un c?ur de femme.
La pensée que Claire pouvait ressentir un doux sentiment pour Pierre, me fut assez désagréable, j?en fais l?aveu. Mais, bon, il était bien possible que Pierre se fiche éperdument de Claire, ou de moi, comme femme.
Dans l?avion, nous avons discuté de choses et d?autres, comme des personnes qui se connaissent, sans plus.
En débarquant, Pierre me dit.
- Je vais vous dire au revoir. Nous nous reverrons lundi au bureau et je suppose que madame Lambert va vouloir nous entendre dès notre arrivée.
Nous nous serrâmes la main, et je vis Pierre s?éloigner, me laissant interdite devant cette séparation presque brutale.
Quelques minutes plus tard, je revis Pierre, qui après avoir récupéré sa valise, s?éloignait en compagnie d?une femme à la démarche jeune, et que je décidais être très jolie, bien que ne l?ayant vue que de dos.
( A suivre)



CHAPITRE 7



Chaque dimanche, c?était devenu traditionnel, je déjeunais chez Claire, et je rencontrais toute la famille.
Albert continuait à blablater, tentant de faire respecter au moins sur ce terrain, son droit d?aînesse, mais le pauvre (c?est vrai qu?il commençait à me faire pitié) n?arrivait plus à s?imposer. Sans attendre qu?Albert ait terminé une phrase, l?un de nous (c?était la plupart du temps Georges) lançait une autre discussion en élevant un peu la voix, et d?autres répondaient sans se soucier de ce que pouvait dire Albert.
Nous avons vu de jour en jour Albert s?éteindre jusqu?au jour où il nous déclara.
- Je vous supplie de ne pas vous en vexer, mais, je ne pourrais plus assister à nos repas dominicaux. Pardonnez moi si je vous manque, mais je pense que vous me comprendrez. J?ai fait la connaissance d?une femme remarquable, très belle, très riche, et elle ne peut supporter de rester une journée sans me voir.
Sans rire, Claire lui répondit qu?il y avait peut être une solution, qui permettrait à tout le monde de bénéficier de sa présence, c?est que cette dame vienne déjeuner avec lui.
Le pauvre Albert s?embrouilla dans une réponse très confuse, dans laquelle nous avons cru comprendre que cette dame, ayant des enfants en bas âge ne pouvait quitter son domicile.
Après le départ d?Albert, nous avons en riant proposé à Georges d?effectuer une enquête au sujet de cette merveilleuse inconnue, et la réponse de ce dernier nous surprit grandement.
- Je veux bien me livrer à cette petite enquête, d?ailleurs cela m?amusera, mais je voudrais, si cela vous est possible, que vous me preniez un peu plus au sérieux. C?est vrai que j?ai la peau noire, mais dans mon sang, rouge comme le votre, j?ai autant que vous un peu de celui de votre père. J?apprécie votre gentillesse, mais j?aimerais utiliser les connaissances qu?il m?a été donné d?acquérir, si possible, dans le cadre de votre société.
Cette requête s?adressait pratiquement à Claire, qui le comprit aussitôt et lui répondit qu?elle le recevrait dans son bureau le lendemain à 10 heures.
Le lendemain matin, Claire vint me rejoindre dans mon bureau, comme elle le faisait souvent avant de commencer une journée de travail.
- J?ai été surprise, comme vous sans doute, par la demande de Georges. Qu?en pensez vous ? Que pourrions nous en faire ?
Je m?étais déjà posée la question, aussi ma réponse fut rapide.
- Il est évident que l?on ne peut proposer un poste subalterne à votre frère. J?ai pensé que nous pourrions parler du problème à Vidal, et s?il est d?accord, peut être pourrions nous confier à Georges de prendre la direction de notre succursale que nous allons ouvrir à Casablanca.
La réaction de Claire fut brutale et inattendue.
- Pourquoi faudrait il demander l?avis de Vidal ? Jusqu?à nouvel ordre, c?est moi, la patronne, non ?
- Mais?..Claire, vous m?avez bien demandé mon avis !
- Cela n?a rien à voir. Vous êtes mon bras droit, lui, n?est qu?un employé. Un haut employé, mais un employé.

Je m?inclinais bien sûr devant sa volonté, mais je me demandais la raison de cette sortie. La seule explication que je pus trouver, c?est qu?elle se sentait devenir amoureuse de Pierre, et qu?elle était vexée par ce qu?elle considérait comme une faiblesse.
Lorsque, à 10 heures, Georges vint au rendez vous, Claire me convoqua dans son bureau.
S?adressant à Georges, elle dit :
- J?ai beaucoup réfléchi à ta demande Georges (je pense que nous pouvons nous tutoyer, entre frère et s?ur, le vouvoiement est ridicule), et je pense en effet utiliser tes compétences dans le cadre de notre société.
Je projette d?ouvrir une succursale à Casablanca. Cette succursale que je veux importante, sera à la fois un centre de production, et s?occupera de la commercialisation de nos engins élévateurs dans tous les ports africains.
Nous ne serons opérationnels que dans 6 mois, si notre plan peut être suivi. Ce délai sera mis à profit pour que se fasse ta formation. C?est Maud qui se chargera d?établir le rythme de ton stage. Qu?en penses tu ?
- Le plus grand bien sur tous les plans.
- Qu?est ce que ça veut dire : « sur tous les plans ? »
- Cela veut dire que ce genre d?activité va me plaire, j?en suis certain, et que d?autre part confier ma formation à Maud me fait également très plaisir.
Sur cette déclaration qui fit sourire Claire mais qui me gêna beaucoup, nous sommes sortis, Georges et moi pour aller dans mon bureau.
- Georges, je crois que le plus rationnel est de prendre les choses dans l?ordre chronologique. Avant de vendre des engins de levage portuaires, vous devrez les fabriquer sur place. Il est donc logique de commencer votre stage, par notre atelier de fabrication. Nous ne disposons que de six mois pour vous rendre opérationnel, et complètement autonome. C?est court. Le plan technique est le plus important. Nous allons donc consacrer 4 mois à l?atelier. Je pense que nous pourrons détacher pour vous les confier, 3 ou 4 employés d?ici ; Profitez de votre stage, pour jauger le personnel, et déterminer celui qui pourra être votre chef d?atelier à Casablanca.
J?appelais le chef d?atelier et lui confiait Georges en lui précisant qu?il n?avait que 4 mois pour le former entièrement.
En fin de matinée, je rencontrais Pierre Vidal qui m?attaqua aussitôt.
- Je viens de l?atelier où se trouvait un nouvel employé. C?était un africain. On m?a dit que c?est le demi-frère de mademoiselle Mangin, et qu?il est destiné à prendre la direction de la succursale de Casablanca. Est-ce exact ?
- C?est parfaitement exact.
- Pourquoi ne m?en a-t-on pas parlé ? Je suis un peu à l?origine de notre implantation au Maroc, de plus, comme Directeur commercial, j?aurai (à moins qu?il y ait là encore quelque chose de changé) à piloter sur le plan commercial le chef d?agence.
J?étais un peu surprise par le ton véhément utilisé par Pierre, aussi est ce sèchement que je lui répondis :
- Jusqu?à nouvel ordre, c?est Claire Mangin la patronne. C?est elle qui prend les décisions et si vous avez des doléances à exposer, c?est à elle et non à moi que vous devez vous adresser.
- Soit. J?y vais immédiatement.
Tiens, tiens !! Ce n?est pas un ange ce Pierre !! Je savais bien que je finirai par lui trouver des défauts. Il est susceptible et coléreux.
( A suivre)


Ce n?est que le lendemain, que je sus ce qui s?était passé entre Pierre et Claire. Cette dernière était venue dans mon bureau avant le commencement de la journée de travail. Elle avait les traits tirés, et aborda immédiatement le problème.
- Vidal est venu hier dans mon bureau. Il est rentré sans même avoir frappé, et a utilisé des mots que je ne peux lui pardonner. Il m?a dit qu?il ne pourrait continuer à travailler dans les conditions actuelles. Il ne pouvait admettre que l?on embauche une personne destinée à occuper un poste important, mais qui serait néanmoins sous sa coupe, sans que l?on lui demande au moins son avis. Il m?a dit, les yeux étincelants de colère :
- Je vous donne 24 heures pour réfléchir. Ou vous vous excusez en m?assurant que pareille chose ne se reproduira plus, ou je pars.
Et, sans me laisser le temps de prononcer un mot, il est sorti de mon bureau en claquant la porte.
Maud, je ne sais que faire. Sur le plan professionnel, il est irréprochable, mais je ne peux le laisser me parler sur ce ton. Donnez-moi votre avis.
- Je vais vous parler franchement, Claire. Vous avez commis une erreur en ne le consultant pas. D?ailleurs vous vous en souvenez, je vous avais dit de le faire, et vous m?aviez répondu que c?était vous la patronne. D?un autre côté, c?est vrai, vous ne pouvez laisser passer son écart de conduite.
Après un instant de réflexion, j?ajoutais.
- Je ne sais si ma proposition est la meilleure. Je vous la soumets et vous jugerez.
Il ne vous est pas possible de reculer, ni l?un, ni l?autre, seule une tierce personne, peut dénouer la situation. Je me propose pour tenter d?arranger les choses.
Nous pourrions nous réunir tous les trois, j?exposerai la situation en indiquant que des erreurs ont été commises de part et d?autre, et que si vous le reconnaissiez, les fautes s?annuleraient et tout repartirait comme auparavant.
Claire resta silencieuse un long moment. Son amour propre en prenait un sacré coup.
Puis elle me dit.
- Allez dans votre bureau, Maud. Dans 10 minutes, Vidal et moi nous vous rejoindrons, et ?..vous nous ferez votre petite leçon.
Je me demandais si je ne m?étais pas trop avancée en proposant de jouer les « bons offices ». Je n?avais que des mauvais coups à prendre, mais les dés étaient jetés, et je me rendis dans mon bureau pour attendre les deux protagonistes.
Fort heureusement, ils arrivèrent à peu près en même temps. J?aurais été gênée de me retrouver longtemps avec l?un des deux en attendant l?autre.

Il m?appartenait de prendre la parole, ce que je fis.
- Nous avons la chance de collaborer dans une société en plein essor, et de faire un travail passionnant. Pour la pérennité de cette situation un accord entre nous est indispensable.
Nous fournissons un travail considérable, et nous avons souvent les nerfs à fleur de peau, ce qui fait que personne n?est à l?abri d?une erreur. Ce n?est pas s?abaisser que de le reconnaître, bien au contraire. Je suis persuadée qu?une explication franche effacera les petites blessures de susceptibilité.
- Je vais parler la première, puisque je suis en haut de la hiérarchie m?interrompit Claire, et qu?il m?appartient de prendre mes responsabilités.
Je reconnais qu?en nommant mon demi-frère Georges à la direction de Dakar, je n?ai considéré que l?aspect familial, alors que de toute évidence, cela intéresse la société et j?aurais du vous en parler, Vidal. J?ai commis une erreur.
Je m?attendais à ce que Pierre à son tour fasse amende honorable, mais il resta muet.
Le silence devenant gênant, je repris la parole
- Il me semble, Pierre, que de votre côté, très énervé, vous avez eu des mots et des attitudes, un peu?.excessives vis-à-vis de notre Directeur Général.
- Je n?ai pas eu l?impression d?être sorti de mon rôle. Mais, ainsi que vous le dîtes, nous sommes sur le plan hiérarchique soumis aux décisions de notre Direction Générale. Aussi, bien entendu, si mon attitude est jugée répréhensible, j?accepterai la sanction qui pourrait m?être infligée.
Pierre était très habile. Il ne se reconnaissait aucun tort, et de plus renvoyait la balle dans le camp de Claire, qui devait, elle, prendre une décision.
Je n?eus pas le temps de réagir, que Claire tout aussi habilement retournait à son tour, la situation.
- J?ai reconnu avoir commis une erreur. Vous pensez avoir eu une attitude normale. Je suis d?un avis contraire. Lors de notre dernière discussion, vous avez explicitement envisagé votre démission. La décision vous appartient. Prenez vos responsabilités.
Ayant dit, Claire se leva et sortit de mon bureau. Quelques secondes plus tard, Pierre en fit autant sans prononcer une parole.
( A suivre)



CHAPITRE 8





Huit mois passèrent. Il ne fut plus question de cet incident. Pierre était toujours à son poste, et nos affaires se développaient en avance sur nos prévisions. Depuis deux mois Georges était parti à Casablanca, et poursuivait la mise en route de notre succursale.
Chaque Dimanche, je continuais à venir déjeuner chez Claire.
Un Vendredi, Claire me dit :
- Je serai absente Dimanche, mais que cela ne vous empêche pas de venir déjeuner à la maison, comme d?habitude.
Je me demandais où elle voulait aller, elle qui ne s?absentait jamais, mais elle ne me donna aucune précision.
Il m?avait semblé, ces jours derniers que les rapports entre Pierre et Claire s?étaient nettement améliorés. Ce n?était qu?une impression, mais je trouvais qu?ils échangeaient des regards plus amicaux qu?auparavant.
Je continuais à être attirée par Pierre, mais je n?avais jamais rien fait qui puisse le lui faire comprendre, quand à lui, il restait toujours correct, même amical, mais sans plus.
Il me revint en mémoire, la jeune femme qui attendait Pierre à l?aérodrome, le jour de notre retour de Casablanca, et cette absence de Claire déclencha en moi le besoin d?en savoir plus, sur ce mystérieux Pierre.
J?avais son adresse dans son dossier, mais je n?avais jamais eu la curiosité d?aller voir où il habitait.
Je profitais du Dimanche où Claire s?absentait, pour prendre ma voiture et aller à l?adresse de Pierre.
J?eus la première surprise, de constater qu?il s?agissait d?une imposante maison, en grande partie cachée par les arbres d?un parc. Comment Pierre pouvait-il avoir les moyens de résider dans une aussi merveilleuse maison ?
Je garais ma voiture dans une rue adjacente et revins sur mes pas. A travers la grille, et malgré une haie de ifs, je parvins à voir, par un trou opportun un spectacle qui me tétanisa.
Sur une grande terrasse, devant une porte fenêtre, une table et des chaises étaient disposées.
Trois sièges étaient occupés par Claire, par Pierre, et par une autre femme qui pouvait bien être, par son allure, celle qui était venue le chercher à sa descente d?avion.
Le maintien des trois personnages, je le reconnais, était parfaitement correct, pourtant je sentis un goût amer dans la bouche et une subite boule dans la gorge.

J?essayais de me raisonner : Après tout, rien ne s?oppose à ce qu?ils se voient en dehors du travail, le Dimanche, puisque moi-même je suis chaque week-end chez Claire. Mais la raison n?avait aucune influence sur les sentiments, et j?étais tout à la fois outrée, malheureuse, comme une femme trompée.
Je suis restée plusieurs minutes à les regarder. Ils discutaient calmement, et je décidais de rejoindre ma voiture pour rentrer chez moi. Arrivé à ma voiture, j?eus envie de les revoir encore une fois.
Je revins à mon poste d?observation. La jeune femme inconnue n?était plus là. En revanche, Pierre et Claire, debout, étaient enlacés, et sous le coup, j?ai cru que j?allais perdre connaissance.
Je n?avais pas eu l?occasion de le dire, mais Claire était une belle femme. Certes, elle n?était pas très féminine,un peu androgyne, on sentait en elle la femme d?affaires, mais elle était grande, bien proportionnée, et il n?y avait rien d?extraordinaire, à ce qu?elle plaise à un homme comme Pierre, pas insensible aux valeurs humaines.
J?ai attendu d?être chez moi, pour pleurer, ce que je n?avais plus fait depuis ma plus tendre enfance, mais je dois dire que ce jour là, je rattrapais tout mon retard.
Le lundi, en me réveillant, j?avais encore les yeux gonflés et je passais pas mal de temps à me faire des bains d?yeux, si bien que, fait rarissime, je suis arrivée en retard au bureau.
Lorsque Claire me vit arriver, elle vint vers moi. Elle semblait très heureuse et ses propos
étaient en contradiction avec son attitude.
- Enfin ! Maud ! J?étais très inquiète !! Mais vous avez une mine épouvantable ! Vous ne vous sentez pas bien ?
Je mis « ma mine épouvantable » sur le compte d?une atroce migraine qui avait durée toute la nuit.
- Rentrez chez vous, Maud !! Nous remettrons à demain la conférence que nous devions avoir avec Monsieur Vidal.
Je remarquais tout de suite qu?elle avait parlé de "monsieur Vidal", alors que d?ordinaire elle parlait toujours de Vidal. En voulant se montrer plus distante avec lui, elle trahissait sa proximité nouvelle, et je m?enfuis dans mon bureau pour verser les 4 ou 5 larmes qui me restaient.
Dans le couloir, je rencontrais Pierre, qui fut, je pense, surpris que je ne m?arrête pas pour le saluer, mais j?avais conscience d?avoir une tête impossible, et je ne voulais pas qu?il puisse me voir aussi moche.
Je n?étais entré dans mon bureau que depuis 5 minutes, lorsque le téléphone sonna. J?aurais aimé qu?on me fiche la paix, mais je finis tout de même par décrocher. C?était Pierre.
- Maud, il faut que je vous voie, c?est urgent !
- Vraiment très urgent ?
- Oui, très !
Fataliste, je lui ai dis de venir, et rapidement j?ai essayé de me poudrer un peu le visage.
Lorsqu?il entra, il me dit tout de suite :
- J?en étais certain. Ca ne va pas Maud ! Vous êtes décomposée. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
- Non !! Surtout vous. Vous aviez une chose urgente à me soumettre. Je vous écoute.
- C?est fait, mais justement, vous ne m?écoutez pas !
- Ca veut dire quoi ?
- Tout simplement qu?il m?avait semblé que vous étiez toute retournée, et qu?il fallait rapidement que je sache ce que vous aviez.
- Il ne s?agit pas d?un problème concernant la société. Donc, vous n?aviez rien à me dire ?
- Je n?ai jamais dit qu?il s?agissait de la Société.
Je n?ai pas pu me retenir, et je me suis mise à pleurer. Tout en cachant mon visage, je lui criais de partir, que je ne voulais pas qu?il me voie dans cet état. Il me répondit que s?il avait une part de responsabilité dans mon chagrin, il n?était pas question qu?il s?en aille avant que nous ayons eu une explication.
- Vous n?avez pas d?explication à me donner. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez en dehors de la Société.
Il prit alors une chaise, et vint s?installer près de moi.
( A suivre)



- Il faut que je vous fasse un aveu, Maud. Dés notre première entrevue, pour la visite d?embauche, j?ai été attiré par vous.
- Menteur !!!! Vous n?êtes qu?un bellâtre ! Vous collectionnez les femmes, ça vous amuse ?
- Mais enfin, je ne vous comprends pas. Où avez-vous vu que je collectionnais les femmes ?
- Et la jeune femme qui vous attendait à l?aérodrome à notre retour de Casablanca ?
- C?était ma s?ur, Brigitte. Et puis ?
- Et puis, et puis?..Que faisait Claire chez vous, dans vos bras ?
Pierre qui depuis que j?avais parlé de ses femmes, avait pris un air moqueur, changea littéralement au nom de Claire. Il semblait affreusement gêné.
- C?est elle qui vous a parlé ?
- Non, ce n?est pas elle, mais je sais, et ça me suffit.
Pierre faisait non avec la tête et semblait la proie d?un affreux dilemme. D?un ton las, il finit par me dire.
- Je ne sais comment vous avez pu l?apprendre, mais voici exactement ce qui s?est passé hier après midi.
-
Au cours d?une conversation, j?avais dit à Claire que je vivais avec ma s?ur dans une maison de famille qui avait été construite en 1700. Elle m?a dit qu?elle aimerait bien voir cette maison ancienne, qui sur le plan architectural devait receler des trésors. Que voulez vous que je fasse ? Je l?ai invitée à déjeuner hier.
Après le repas, nous nous sommes installés ma s?ur, Claire et moi sur la terrasse, devant la maison.
A un moment, le téléphone a sonné. Ma s?ur s?est levée pour décrocher dans le salon.
C?est alors qu?à ma grande surprise, Claire s?est levée à son tour, est venue vers moi, a pris mes deux mains pour me faire lever, et s?est jetée dans mes bras, en me disant qu?elle agissait comme une folle, mais que justement, elle m?aimait à la folie.
J?entendis les pas de ma s?ur qui revenait, je le lui dis, et elle retourna s?asseoir. Par la suite, pas une seule fois nous n?avons été seuls. Je crois qu?elle est persuadée que ses sentiments sont partagés, mais c?est faux. Je vous ai dit ce qu?étaient mes sentiments. Après ce qui s?était passé avec Claire, je me sentais obligé de vous dire que je vous aimais.

Ce qui est certain, c?est que nous allons tous les trois vivre des moments difficiles.
Je dois le dire, pas un seul instant je n?ai mis en doute ce que m?avait dit Pierre. Cela cadrait parfaitement avec ce que j?avais vu, et puis, Il faut bien l?avouer, j?avais envie de le croire.
Nous sommes restés un long moment silencieux, réfléchissant, chacun de notre côté, jusqu?à ce que mon téléphone sonne. C?était Claire.
- Allo, Maud, je cherche partout Monsieur Vidal. Vous ne savez pas où il est ?
- Il est ici. Je vous le passe.
Pierre prit le téléphone. Je vis à la crispation de ses traits, quel effort sur lui-même, il devait déployer.
Leur conversation dura plusieurs minutes, et je compris ce dont il s?agissait, car Pierre, à mon intention, répétait souvent ce qu?elle lui demandait.
Notre succursale de Casablanca, avait commencé sa production, et Claire s?était mis en tête d?aller faire une tournée d?inspection au Maroc, en compagnie de son Directeur commercial.
Pierre était réticent, estimait que cette visite était trop précoce et ne servirait à rien, qu?il valait mieux planifier cette visite dans 3 ou quatre mois, car à ce moment, ils pourraient travailler utilement sur le plan commercial, en ayant déjà en stock, plusieurs engins de levage.
Avant de raccrocher, Pierre dit à Claire.
- C?est cela. Nous reparlerons de ce problème de vive voix.
Puis s?adressant à moi :
- Lorsque nous avons été interrompus par le coup de fil de Claire, j?allais vous proposer, Maud, de partir le week-end prochain, dans un endroit merveilleux, à une cinquantaine de kilomètre.
- Et quel est cet endroit merveilleux ?
- C?est un hôtel confortable, situé au milieu d?une forêt?.
- Où, sans doute, vous avez l?habitude d?emmener vos conquêtes ?
Aussitôt après avoir prononcé ces mots, je les regrettais, mais c?était trop tard, ils étaient dit, et la réponse de Pierre ne se fit pas attendre.
- Pourquoi cette agressivité, Maud ? Non, je n?amène pas des conquêtes dans cet hôtel. Je n?y suis allé qu?une seule fois. Je travaillais dans la Société Valayer, et un séminaire avait été organisé en ce lieu. Je m?étais juré d?y revenir un jour avec l?élue de mon coeur.
- C?est vrai je suis un peu nerveuse. Veuillez m?excuser. Je veux bien que vous me faisiez connaître ce lieu enchanteur.
- Merci. Si vous permettez, je viendrai vous chercher Samedi matin à 9 heures chez vous.
- Vous savez ou je réside ?
- Vous avez bien su trouver où j?habitais, il me semble ?
- Je ne suis pas de force pour lutter contre vous, lui dis je. Je vous attendrai donc Samedi à 9 heures.
( A suivre)


Une heure plus tard, j?étais convoquée chez Claire qui voulait recueillir mon avis sur l?intérêt d?une visite prochaine à Casablanca. Je lui répondis que je n?avais pas d?avis particulier, mais qu?un vrai travail commercial ne pourrait pas être effectué avant plusieurs mois. Avant de sortir de son bureau, j?en profitais pour lui dire que le Dimanche suivant, je ne pourrais assister au repas dominical (c?était la première fois, que je rompais avec ce rite) étant appelé à me rendre à l?extérieur.
Claire me regarda longuement mais ne me dit pas un mot.


CHAPITRE 9


Bien avant l?heure prévue j?étais prête, et attendais Pierre avec impatience. Il arriva enfin.
Je ne l?avais jamais vu aussi beau, aussi élégant, aussi attirant.
Nous sommes montés dans sa voiture, et nous n?avons pratiquement pas parlé. Nous étions ensemble, côte à côte, dans un petit espace qui nous isolait du reste du monde. Notre dialogue s?est résumé à ces quelques mots.
Nous étions à mi chemin lorsqu?il me dit :
- Que nous sommes bien !!
Et je lui répondis :
- Oh oui, alors !!!
Nous avions tout dit. Nous étions en parfaite communion.
Nous sommes entrés dans une forêt. L?hôtel se trouvait au milieu des arbres, avec un petit lac sur le devant, complètement isolé, puisque le premier village était à plus de 10 kilomètres.
C?est vrai que c?était un lieu enchanteur. Des massifs de fleurs, et à cinquante mètres de l?hôtel, trois chemins partaient dans la forêt, dans des directions différentes. De plus nous avions la chance d?être tombés sur une journée magnifique, et les oiseaux pépiaient joyeusement dans les branches.
J?ai ressenti un moment de gêne, c?est lorsque, arrivés à la réception, Pierre demanda une chambre.
J?ai été bêtement surprise qu?il n?en demande qu?une, et puis, j?ai vite réalisé qu?en acceptant de venir en week end avec lui, j?acceptais tacitement de dormir avec lui.
Lorsque nous nous sommes retrouvés seuls dans la chambre, après que le bagagiste eut déposé nos valises, je me sentais empruntée, « pas à la hauteur », et Pierre avec un tact dont je lui sus gré, me proposa :
- Si nous allions faire une promenade en forêt ?
J?étais bien sûr d?accord, et nous sommes partis par l?un des petits chemins. Je tenais son bras, et je sentais sa chaleur tout contre moi. Mon bonheur était infini.
Contrairement à notre voyage en voiture, nous avons beaucoup parlé, moi de ma jeunesse, de mes études, de ma grande chance d?avoir pu accéder à un poste éminent, alors que je n?étais qu?une simple secrétaire. Je lui parlais de la famille de Claire, de son frère aîné, de sa jeune s?ur, de son demi frère. Il me demanda : Savez-vous comment on appelle les gens du genre du frère aîné de Claire, tel que vous me l?avez décrit ? Devant ma réponse négative, il me dit : « Ce sont des cons glorieux ».
Je dis avouer que, si l?expression était un peu triviale, elle dépeignait assez bien le personnage.
Pierre, de son côté, me donna quelques précisions complémentaires à ce que je savais déjà.
Il s?était marié et avait été embauché par son beau père, pour s?occuper de la partie commerciale, sans avoir le titre de Directeur commercial. Le ménage n?avait jamais été sans nuage, et lorsque la décision fut prise d?une séparation et d?un divorce. Le beau père, sans lui demander directement sa démission, lui dit que sa fille allait entrer dans la société avec le titre de Directeur commercial. Il n?était pas question qu?il travaille sous les ordres de son ancienne femme, aussi n?y avait-il qu?une solution : donner sa démission.
Il était nécessaire qu?il retravaille très vite, ne serait ce que parce que, ayant avec sa s?ur, hérité de la grande maison familiale, aux charges assez lourdes, il fallait que des revenus entrent.
Il trouva un poste assez subalterne dans la société Valayer, c?est d?ailleurs lors d?un séminaire de cadres de cette société qu?il connut l?hôtel dans lequel ils se trouvaient.
Sa s?ur avait été mariée, et devenue veuve à la suite d?un accident du travail de son mari. Elle touchait une petite pension de réversion, qui ne lui permettrait pas de vivre sans son frère.
Ils vivaient donc ensemble, et une profonde affection unissaient le frère et la s?ur.
Notre longue promenade terminée, nous sommes rentrés à l?hôtel pour prendre une douche et nous habiller avant de descendre dîner.
Nous nous sommes embrassés à plusieurs reprises, et je dois dire que n?avons vraiment apprécié le repas, ni l?un ni l?autre, car nous étions impatients qu?il se termine et que nous puissions monter dans notre chambre.
Je ne savais pas ce que l?avenir allait me réserver, mais j?avais la certitude le lendemain matin, que, jamais, non jamais, je ne connaîtrai une nuit aussi merveilleuse. Je ne croyais pas possible que d?autres aient pu connaître une telle communion des corps et des esprits.
( A suivre)



Ce sentiment de plénitude, et une bienfaisante fatigue ont fait que nous ne pouvions nous résoudre à nous lever, et nous n?avons même pas eu la force de commander un petit déjeuner.
Nous avons pris notre repas de midi, dans notre bulle. Lorsque nos mains ne s?étreignaient pas, ce sont nos regards qui plongeaient l?un dans l?autre.
Aimer, être aimée, c?était pour moi une enivrante nouveauté. Il y avait donc d?autres joies que celles données par le travail ?
Mais ce week end enchanteur, comme toutes choses eut une fin. Il avait été entendu que nous prendrions le dîner du dimanche soir chez Pierre, avec sa s?ur Brigitte. Maintenant nous le regrettions, mais elle nous attendait.
Brigitte m?accueillit assez gentiment, mais je sentais bien qu?elle faisait des efforts pour ne pas laisser percer ses véritables sentiments. S?ur exclusive, comme il y a des mères exclusives, elle sentait bien qu?entre Pierre et moi, un courant puissant passait, et elle sentait qu?elle perdait une grande partie de ses pouvoirs sur son frère.
Elle vivait sans doute dans la hantise de voir arriver une femme qui allait capter toutes les attentions de Pierre à son détriment.
Cette sourde hostilité, je la ressentis particulièrement lorsque Pierre se leva pour me raccompagner chez moi.
- Ne t?attarde pas, lui dit elle, tu sais que nous devons regarder ensemble la suite de notre feuilleton à la télévision.
- Si je ne suis pas rentré à temps, tu me raconteras lui dit- il.
Avec un air méchant et têtu, elle lui répondit :
- Si tu n?es pas là, je ne le regarderai pas !!!
Lorsque nous nous sommes retrouvés dans la voiture, j?ai carrément posé la question à Pierre.
- Il me semble que votre s?ur,
(Oui, nous avions décidé de continuer à nous vouvoyer malgré notre intimité, cela nous éviterait des impairs dans le travail) ne m?aime pas beaucoup. Elle doit craindre qu?une autre femme ne vienne lui enlever un peu de la grande affection que vous lui portez.
- Vous voyez juste. Je l?aime beaucoup, mais elle ne viendra jamais se mettre en travers de mes sentiments pour vous. Et c?est parce qu?elle le sent bien, qu?elle est malheureuse. Si elle est quelquefois désagréable avec vous, hors ma présence (car en ma présence, elle ne le sera jamais) dîtes lui seulement : « Brigitte, je ne vous prends rien, c?est lui qui me donne ». Et vous verrez qu?elle se calmera en songeant que c?est moi le responsable.


CHAPITRE 10


Le lundi matin, la première personne que je rencontrais dans les locaux de la société était Claire. Elle m?examina un instant et me dit :
- Je ne vous demande pas si vous avez passé un excellent week-end, vous êtes rayonnante.
Je me suis demandé si c?était une simple constatation, ou s?il y avait une nuance de dépit dans cette réflexion. Comme nous avons aussitôt parlé de problèmes professionnels, je n?ai pas eu de réponse à donner à sa question, dans l?immédiat.
En fin de matinée, Claire me demanda de venir à son bureau. Elle me fit asseoir et me dit que nous allons attendre un peu, Monsieur Vidal devant se joindre à notre conversation.
Quand il arriva à son tour, Claire lui dit :
- Vous semblez être en pleine forme, vous avez du passer un excellent week-end, VOUS AUSSI.
Il semblait bien que notre précaution à Pierre et à moi, de continuer à nous vouvoyer pour ne pas commettre d?impair, était bien inutile. Notre bonheur sautait à la figure.
Pierre répondit cependant :
- Je suis heureux que vous ayez, VOUS AUSSI passé un excellent week end.
- Oh ce n?est pas à moi que je pensais. Mais revenons à des choses sérieuses. Casablanca a pris du retard dans la fabrication?
Et pendant plus d?une heure nous avons parlé des problèmes posés par notre succursale marocaine, et nous avons décidé d?envoyer deux de nos bons ouvriers pendant un mois à Casablanca, pour tenter de résorber le retard.
Aucun doute. Claire avait senti qu?entre Pierre et moi, quelque chose s?était passé, et au moment de nous séparer, elle dit :
- J?ai bien réfléchi. Nous ne pouvons nous permettre de rater nos débuts en Afrique du nord. En conséquence, Monsieur Vidal, nous irons passer la semaine prochaine à Casablanca. Départ vendredi soir. Ma chère Maud, vous allez devoir tenir la maison durant mon absence, mais je n?ai aucune crainte?.si vous n?êtes pas absorbée par d?autres préoccupations.
- Soyez sans crainte, Claire, je n?ai pas de préoccupation, tout se passera bien.
Nous avions décidé Pierre et moi de passer le prochain week end ensemble. C?était à l?eau.
( A suivre)


Comme l?incognito de notre amour devenait impossible, nous avons décidé de revenir sur notre décision précédente. Nous ne devions pas déjeuner ensemble durant la semaine, hé bien, pourquoi nous cacher maintenant ? Nous avons pris ostensiblement nos repas en tête à tête. Et Claire nous a fait la gueule durant toute la semaine.
Ils partirent donc le vendredi soir, et Pierre me téléphona dès son arrivée à Casablanca. Il me dit que durant tout le trajet, Claire n?avait pas ouvert la bouche, et qu?il avait fait semblant de lire. Il prévoyait une semaine exécrable.
Le Dimanche, je vins déjeuner dans la maison familiale.
Albert était là, toujours pareil à lui-même, il monopolisait la conversation et parlait essentiellement de ses relations du club de tennis ou de la Société de chasse.
Habituée à sa logorrhée, je ne prêtais qu?une oreille distraite à ses propos, jusqu?à ce qu?il s?adresse à moi.
- Alors, Maud, vous êtes satisfaite par Pierre Vidal ?
Je sursautais immédiatement, pensant qu?il faisait allusion à nos rapports privés, mais mon embarras ne dura pas, car il ajouta.
- Il a parait-il des qualités professionnelles assez exceptionnelles, je le sais par son ancien patron qui fait partie de notre société de chasse.
- Il est vrai que monsieur Vidal est un excellent Directeur commercial et votre s?ur et moi n?avons qu?à nous louer de ses services.
- Cela ne m?étonne pas. Sur le plan professionnel, c?est une valeur.
Comme il avait insisté sur le mot « professionnel », je ne pus m?empêcher de dire.
- Bien sûr, à titre privé je ne le connais pas beaucoup, mais il semble très bien aussi.
- Oh, ça !!!!
Que voulait il dire ? Albert qui d?ordinaire parlait sans arrêt, semblait prendre un malin plaisir à rester sur une insinuation, sans donner de précision, ce qui m?amena à questionner moi-même.
- Vous semblez penser que la personne privée ne vaut pas le professionnel.
- Si je le pense, c?est parce que c?est vrai. C?est un arriviste amoral doublé d?un play-boy qui collectionne les bonnes fortunes.
Son ancien Directeur m?a dit qu?il avait fait des pieds et des mains pour épouser sa fille, afin d?être embauché par son beau père. Il s?occupait de la partie commerciale sans avoir le titre de Directeur commercial, parce que le beau père, pas fou, se méfiait beaucoup. Il avait raison. Ce Vidal a eu la bêtise de croire quand il fut marié, qu?il avait acquis une position inexpugnable, et passait d?une maîtresse à l?autre. Mais sa femme en eut marre. Elle se fit nommer Directeur commercial chez son père. Son mari avait le choix entre, devenir l?adjoint de sa femme, ou partir. Son amour propre lui interdisait la première solution, et il partit.
Par la suite il trouva une autre situation, mais là encore, il coucha avec la fille du patron, et il était sur le point d?être flanqué à la porte, quand vous l?avez embauché. Un remarquable professionnel, mais un triste sire.
J?étais effondrée. Et je ne sus pas le cacher, car, Albert, qui pourtant en général ne s?occupait que de lui-même, remarqua ma pâleur.
- Mais enfin, Maud, ce que je vous raconte, n?a pas d?incidence sur le plan professionnel. Alors du moment qu?il est efficace dans son travail, sa vie privée n?a pas d?importance.
- Vous avez raison, trouvais-je la force de lui répondre, mais j?avoue que je me faisais une autre opinion de lui. Etes vous certain du sérieux de vos sources ?
- Bien sûr. Il est très connu ce Vidal, et plusieurs personnes m?en ont parlé, et toutes dans le même sens. Un remarquable commercial, une pourriture comme homme.
Malgré l?assurance d?Albert, j?avais du mal à le croire. Et puis l?image de Claire dans ses bras, devant la porte fenêtre se reforma devant mes yeux. C?est vrai, que Pierre ne semblait pas s?être fait voler un baiser, et que son bras était bien autour du cou de Claire.
C?était un effondrement.
Je ne me souviens plus de la fin du repas ni de mon départ.
Quand j?ai repris contact avec les réalités, je me trouvais dans ma voiture, derrière mon volant, arrêtée devant chez moi. J?avais conduit d?instinct, et après avoir garé ma voiture, les mains tremblantes, j?ai eu beaucoup de mal à ouvrir la porte de ma maison.
Je me suis jetée sur mon lit et j?ai pleuré, pleuré?Lorsque j?ai pu réagir, j?ai regardé mon réveil, il était onze heures du soir.
( A suivre)


Il fallait que je réagisse. Je suis allée prendre une douche, j?ai mangé un fruit, pris un cachet pour dormir, qui ne me fit aucun effet. J?en pris un second, et j?avais l?impression de venir juste de m?endormir lorsque mon réveil sonna.
J?étais encore dans un état second quand je suis arrivée à mon bureau. Heureusement, le travail me prit en main, et en l?absence de Claire, je pus mesurer le travail énorme qu?elle abattait ordinairement.
Je savais que Pierre allait me téléphoner le soir chez moi, et je n?arrivais pas à décider quelle position je devais prendre. Fallait il s?efforcer d?être normale, pour attendre une explication de vive voix à son retour, ou était il préférable de lui dire immédiatement qu?il était un triste sire avec lequel dorénavant les rapports se limiteraient aux nécessités professionnelles ?
Certes, il m?était difficile de mettre en doute les révélations faites par Albert. Il n?avait aucun motif pour me raconter des histoires, et il n?avait pas l?envergure nécessaire pour me donner le change. Non. Il avait dit la vérité.
Mais je ne pouvais m?empêcher de penser que peut être, Pierre avait changé et qu?il m?aimait vraiment d?un amour profond. Je me donnais les raisons d?y croire. Après tout, quel intérêt avait-il à me faire la cour ? Je ne suis pas la patronne, et professionnellement je ne pouvais rien lui rapporter.
Lui faire une scène, par téléphone, alors qu?il était sincère avec moi, aurait été ridicule, mais surtout dangereux pour notre amour.
Il valait mieux attendre son retour pour avoir une franche explication. Lorsque l?on est face à face, en dehors des mots, il y a des attitudes, des expressions qui permettent de débusquer plus facilement la vérité.
Comme prévu, il me téléphona le lundi soir, et mon c?ur battait fort tandis que je décrochais. Saurai-je paraître naturelle, et répondre aux mots d?amour qu?il allait sans doute prononcer ?
Mes craintes s?envolèrent très vite. Je ne me savais pas capable de jouer aussi bien la comédie, et j?en fus à la fois très fière et un peu honteuse.
Il me dit que la journée avait été atroce, car à certain moment, Claire restait dans un mutisme agressif, ou, lorsqu?elle parlait, c?était pour contrer tout ce qu?il disait ou voulait faire sur le plan professionnel.
Il me dit, vingt fois qu?il m?aimait, qu?il n?avait jamais connu un sentiment aussi puissant, et qu?il avait hâte de me tenir entre ses bras. Je fis en sorte d?être au diapason, et je crois que j?y parvins, finalement sans trop d?effort. Après tout, peut être me disait-il la vérité ?
Cette semaine là, ne fut pas la plus agréable de ma vie. Heureusement, il y avait le travail, mais les soirées étaient atroces.
Avant le coup de fil de Pierre, je me demandais si je serai à la hauteur, et si je ne laisserai pas échapper un mot qui puisse lui faire douter de mes sentiments.
Après son coup de fil, je me remémorais et disséquais chacun de ses mots, j?essayais de me souvenir de ses intonations, et chaque soir, invariablement, j?aboutissais toujours à la même conclusion : M?aimait il vraiment ? Je n?en savais rien.
Il devait rentrer en France avec Claire le samedi matin, et nous étions convenus que nous déjeunerions ensemble à midi.
J?avais décidé de partir de chez moi à 11 heures 30, pour être la première au restaurant. Je voulais avoir le temps de bien m?installer, d?être à l?aise dans le cadre, pour attaquer l?explication que je ne voulais pas différer.
Je terminais de me faire une beauté, il était environ 11 heures et quart, lorsque l?on sonna à la porte. Je pensais, comme cela arrivait de temps en temps, que c?était ma voisine qui venait me demander un petit service, comme lui fournir une baguette de pain pour lui éviter d?aller en ville.
En ouvrant la porte, je fus surprise de trouver sur le pas de la porte, une Claire, qui semblait tout à la fois heureuse, et gênée.
Je me demandais ce que signifiait cette visite inattendue, mais, elle ne me laissa pas longtemps dans le doute. Dès qu?elle fut dans mon salon ou elle m?avait précédée, elle se tourna vers moi, et me dit.
- Maud, j?ai beaucoup d?affection pour vous, j?ai toujours été franche et directe avec vous, et je le serai toujours. Aussi, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je suis la maîtresse de Pierre. Surtout, ne vous méprenez pas. Je ne viens pas vous narguer, mais je sais que vous avez pensé un moment qu?entre Pierre et vous, quelque chose de sérieux pourrait se construire. Il s?en est rendu compte, mais, je n?ose pas vous dire que c?est moi qu?il aime. Alors comme je ne veux pas qu?il y ait quelque chose de trouble entre nous, je viens vous le dire.
Claire était restée debout pour me parler, mais moi, je m?étais laissée tomber sur le canapé, tétanisée, et le silence plana un long moment. Puis je parvins à reprendre mes esprits.
- Merci Claire pour votre sincérité, mais Pierre vous a-t-il dit que nous déjeunions ensemble à midi ?
- Ah bon ? Il a sans doute décidé au dernier moment de vous dire la vérité. Au fond, j?aime mieux ça.
- En fait ce déjeuner est prévu depuis plusieurs jours, et il me l?a confirmé hier soir.
- Il vous a téléphoné hier soir ?
- Il m?a téléphoné chaque soir, pour me dire son amour et son impatience de me tenir dans ses bras.
Claire essayait de sourire, mais je voyais bien qu?elle commençait à se poser des questions.
- Sans doute, par délicatesse, voulait il vous avertir, peu à peu, de la situation.
- Ah bon ? Vous appelez « avertir peu à peu » le fait qu?il m?ai dit textuellement hier soir.
« Mon amour, cette semaine avec Claire a été atroce, je suis heureux de pouvoir demain enfin vous prendre dans mes bras ». Le moins que l?on puisse dire, c?est qu?il modulait très, très doucement les révélations de rupture qu?il devait me faire !!
Claire se laissa tomber à côté de moi sur le canapé. D?une petite voix, elle me demanda :
- Il vous a vraiment dit ça ?
( A suivre)


- Claire ! Pourquoi mentirais-je ? D?ailleurs je vais vous raconter ce que j?ai appris Dimanche.
Et je lui racontais tout ce que m?avait dit Albert.
J?ai cru un moment qu?elle allait s?évanouir, mais c?était une femme d?une force morale peu commune, et après m?avoir demandé un verre d?eau, elle reprit la totalité de ses moyens.
- Je dois vous l?avouer, je tombe de haut. Oui de haut. J?étais tellement certaine qu?il m?aimait comme un fou, et moi, de mon côté?.Bref, il faut voir les choses en face. Il s?est joué de nous. Maintenant, d?après tous les éléments que nous possédons, nous pouvons comprendre qu?il ait essayé de me rendre folle de lui?.jusqu?au mariage, mais, vous, Maud ? Ne vous vexez pas, mais que pouvait-il attendre de vous ?
- Vous me vexez si peu, que je me suis posé moi-même cette question. Pourquoi moi ? Et, je le confesse, je n?avais trouvé qu?une réponse à cette question. Puisqu?il ne pouvait rien attendre de moi sur le plan professionnel, c?est qu?il m?aimait vraiment.
En fait l?explication est plus simple. Pierre est non seulement un arriviste, prêt à n?importe quoi pour avoir une haute position sociale, mais c?est aussi un coureur, avide de succès féminins. Je suis victime de ce penchant.
A vrai dire, c?est une autre question que je me pose. En se déclarant amoureux fou de nous deux, comment pouvait- il espérer s?en sortir, puisqu?il sait parfaitement que nous sommes très proches ? Il n?est pas très inintelligent, alors ?
- Vous savez, Maud, l?intelligence ne s?exerce jamais dans tous les domaines. Il y a des hommes supérieurement intelligents, qui sont capables de bêtises inconcevables. En ce qui concerne Vidal (j?ai noté au passage qu?elle n?utilisait plus son prénom) il est tellement sûr de lui, qu?il doit se dire qu?il arrivera toujours à s?en sortir.
Le téléphone se mit à sonner, et je sentis tout à coup que j?avais la chair de poule. J?étais certaine que c?était Pierre, et je le dis à Claire, avant de décrocher. C?était lui en effet, et je mis aussitôt le micro d?ambiance pour que Claire puisse suivre la conversation.
- Et alors, Maud ? Je suis déjà au restaurant. Vous ne m?avez pas habitué à être en retard.
- Claire est ici, et toutes deux, nous vous souhaitons bon appétit.
Puis je raccrochais.
- Je ne sais pas si j?ai bien fait, mais je ne pouvais pas discuter avec lui
- Ce n?est pas plus mal. Il sait maintenant, et doit se rendre compte qu?il a perdu sur tous les plans. Je vais vous laisser, maintenant. Nous nous verrons Lundi. J?irai dans votre bureau en arrivant, et nous déciderons de la conduite à tenir vis-à-vis de Vidal.


CHAPITRE 11

Je passais un dimanche atroce. A certain moments, je me disais que Pierre, ne pouvant rien attendre de moi professionnellement, c?est tout simplement parce qu?il m?aimait, et à d?autres, je me persuadais que là n?était pas la question et que son attitude vis-à-vis de Claire, même s?il m?aimait, était impardonnable.
Le lundi matin, je pense que Claire devait guetter mon arrivée par la fenêtre de son bureau, car à peine avais- je enlevé mon manteau qu?elle frappait à ma porte.
J?avais bien vu ce matin, avant de partir, que je n?avais pas très bonne mine, mais la pauvre Claire était sans doute encore plus touchée que moi. Elle faisait peine à voir. Néanmoins, sa voix était assurée, et l?on sentait qu?une volonté de fer la soutenait.
- Je suppose, Maud, que vous avez du réfléchir à notre problème avec Vidal. Faites moi part de vos cogitations, je vous dirai par la suite ce que je pense de mon côté.
-
Pour avoir pensé à ce problème, je l?avais fait !!, et je lui répondis :
- Il me parait établi que Pierre Vidal est un être méprisable, et pour ma part, il me serait difficile de le côtoyer chaque jour.
Par ailleurs, objectivement, sur le plan professionnel, je ne vois pas ce que l?on pourrait lui reprocher, bien au contraire, c?est un homme de grand talent. Il ne me semble pas possible de le licencier, et je ne vois qu?une solution : lui demander sa démission. Mais voudra- t- il la donner ?

- Je l?avais déjà remarqué, nous avons la même façon d?aborder les problèmes. Je suis arrivée aux mêmes conclusions que vous. Je vais le convoquer pour lui demander sa démission. Maintenant??je vais vous demander une chose que vous n?êtes pas obligée d?accepter, bien sûr. J?aimerais que vous soyez là quand je vais recevoir Vidal. Il me semble, que si nous sommes toutes les deux devant lui, il sera plus déstabilisé, et il n?osera pas refuser de me donner sa démission.
- Bien sûr, Claire, je serai présente lors de votre entrevue.
- Merci, Maud.
Au moment où elle allait sortir de mon bureau, une idée me traversa l?esprit.
- Attendez, Claire ! Une idée me vient?Mais comme elle arrive juste, je ne sais pas si elle est intéressante.
- Dites toujours !
Et Claire revint s?asseoir en face de moi.
- Nous ne voulons plus voir ce bonhomme, nous sommes d?accord ?
- Evidemment
- D?un autre côté il a une valeur professionnelle assez exceptionnelle.
- Toujours d?accord. Et alors ?
- Alors j?ai pensé qu?il y avait peut être une solution. Si Georges est d?accord évidemment. Pourquoi ne pas proposer à Georges de venir ici prendre le poste de Directeur commercial, qui à mon avis est tout à fait dans ses cordes, et envoyer Vidal prendre la direction, de notre succursale de Casablanca. Qu?en pensez vous ?
' ( A suivre)



Claire réfléchit un instant, puis en souriant me dit :
- Je rends grâce à mon père qui avait décelé dans sa secrétaire de grandes qualités. Je ne sais pas, si les deux intéressés seront d?accord, mais votre idée mérite qu?on l?étudie de près. Je dois dire, que si votre proposition se réalise, cela me donnerait un apaisement personnel. J?étais décidée à demander la démission de Vidal, mais une chose me gênait : Je faisais intervenir des considérations personnelles, dans une décision professionnelle. Pour moi, c?était dévalorisant. Quoiqu?il en soit, merci Maud. Je vais entrer en contact avec Georges, et voir sa réaction en évoquant son possible retour en France.
- Voulez-vous que je le fasse ? Puisqu?il faut être prudent, puisque ce n?est qu?une hypothèse, je serais moins gênée que vous puisque c?est à vous qu?appartiendra la décision définitive. Moi, je ne ferais qu?une marche d?approche, un sondage, et s?il y avait un problème avec Vidal, refusant d?aller à Casablanca, il sera plus facile, pour vous, de reculer ensuite.
- D?accord, Maud. Je vous fais confiance. Merci encore.
Claire partie, je m?accordais quelques minutes pour me détendre avant de commencer mon travail.
J?étais nerveusement épuisée, et physiquement aussi car je n?avais pas beaucoup dormi depuis la visite chez moi de Claire. J?étais assez mécontente de moi, car si j?acceptais d?enregistrer le fait que Vidal avait été un triste sire auparavant, je ne pouvais avoir, au fond de moi, l?espoir que les sentiments de Pierre à mon égard étaient réels. Après tout, il pouvait avoir été touché par la grâce de l?amour, et regretter son passé tumultueux.
Ma raison pouvait bien s?inscrire en faux contre cette hypothèse, par instant, je ne pouvais m?empêcher d?espérer.
Je décidais de sortir de ma torpeur, et de téléphoner à Georges. Je n?eus pas de chance, il était absent de son bureau, occupé par des réunions touchant un important contrat avec les autorités marocaines. Cela me fit penser que mon idée n?était peut être pas mauvaise. Georges semblait plus attiré par les problèmes commerciaux que techniques.
Sa secrétaire me dit, qu?il serait là en début d?après midi, et je laissais tomber provisoirement ce problème, pour régler diverses questions comptables que nous avions avec un très gros client, un litige étant né sur des délais de paiement. A cette occasion, et je trouvais cela cocasse, je dus défendre la position prise par Pierre.

Juste avant midi, Claire revint dans mon bureau. Je pensais qu?elle voulait savoir la réaction de Georges à notre éventuelle proposition, et je lui dis que je n?aurai l?intéressé au bout du fil, qu?en début d?après midi.
Elle me remercia tout en me disant que ce n?était pas le but de sa visite. Elle avait un papier à la main qu?elle me tendit.
C?était une lettre par laquelle, Pierre donnait sa démission, en termes volontairement administratifs et sans aucune explication.
La lecture de la lettre terminée, je dis à Claire.
- Nous sommes au moins tranquilles. Il ne s?accrochera pas. J?ai du mal à le reconnaître, mais il marque un bon point. Je pensais que l?arriviste ne lâcherait pas le morceau sans compensation, et voilà, que de lui-même, et sans rien nous demander, il part.
- Vous lui attribuez bien rapidement des bons points, Maud. Vous aimez toujours ce salaud ?
Elle avait élevé la voix pour me faire cette remarque, et je sentis la fureur monter brusquement monter en moi.
- Si vous aviez pu entendre le ton sur lequel vous m?avez parlé, vous en concluriez que vous aussi, vous l?aimez encore.
- Je ne vous permets pas, commença t elle à dire?? Puis se laissant tomber sur une chaise, d?une pauvre petite voix, elle ajouta :
- Nous sommes ridicules, moi la première. On ne peut pas tordre le cou aussi facilement à nos sentiments quand ils atteignent cette force.
Elle se leva, vint m?embrasser et en tentant de sourire, elle ajouta :
- Que nous sommes bêtes, mon Dieu, que nous sommes bêtes !!! Je me demande s?il ne serait pas plus intelligent d?accepter purement et simplement sa démission. Je crains, que même s?il était au Maroc, il continuerait à nous empoisonner la vie.
- S?il n?y avait que nous deux, vous auriez parfaitement raison, mais il y a la société, et pour elle, Pierre Vidal peut faire beaucoup de bien. Il me semble que deux éléments peuvent jouer pour nous deux, s?il part à Casablanca. D?une part la distance, qui ferait que nous le verrions assez peu souvent, et d?autre part le temps, qui cicatrisera nos blessures. Alors, dans l?intérêt de la société, je crois que nous aurions avantage à le conserver
- Vous m?énervez Maud, vous avez plus de bon sens que moi !
Mais son sourire démentait ce que ces mots auraient pu avoir de blessant.
Dans l?après midi, je pus avoir Georges au téléphone. Je fus très prudente et commençais à lui demander s?il était content de ses fonctions, quelle était pour lui la partie intéressante, etc.
De ses réponses, je pouvais conclure qu?en effet, Georges se sentait plus à l?aise dans le domaine commercial qui recelait une partie « challenge » qui lui plaisait. On pouvait mesurer les résultats de son travail. Par ailleurs, il aimait particulièrement les contacts humains.
( A suivre)


- Indépendamment du travail lui-même, comment vous sentez vous au Maroc ?
- Je serais mal venu de me plaindre, puisque celle qui va devenir ma femme est Marocaine.
Aïe !! Pensais-je, il ne va jamais vouloir quitter le Maroc. Et je décidais de brusquer les choses.
- Georges, tout d?abord, je me réjouis et je vous félicite pour votre prochain mariage. Par ailleurs, je vais vous le dire franchement, toutes les questions que je vous ai posées avaient un but, c?était de vous poser une question principale.
Si, - car ce n?est encore qu?une hypothèse- vous aviez la possibilité de revenir en France, quel serait votre réaction ?
Il resta un moment silencieux et je le laissais réfléchir. Il finit par dire.
- Bien entendu, cela dépendrait du poste qui me serait offert.
- Puisque nous sommes dans les hypothèses, disons, comme Directeur Commercial.
- Ah, bon ! Vous avez des problèmes avec Monsieur Vidal ?
- Nous pourrions en avoir.
Son silence fut plus long que la première fois.
- Je comprends très bien que ce ne soit qu?une hypothèse. Mais, si d?aventure, il m?était proposé de venir prendre le poste de Directeur commercial en France, j?accepterais, à condition que ce ne soit pas dans l?immédiat. Je dois me marier je vous l?ai dit avec une marocaine, dans trois mois. Ce n?est qu?après mon mariage que je pourrais rejoindre mon poste.
- Merci, Georges pour vos réponses précises. Je vous dirai très rapidement si cette hypothèse est tombée à l?eau ou si le cas se présente réellement.

Je fis aussitôt part à Claire que je venais d?avoir Georges au bout du fil, et elle décida de battre le fer quand il était chaud.
- Venez dans mon bureau. C?est en votre présence que je vais faire la proposition à Vidal. Je le convoque.
CHAPITRE 12

Je trouvais une Claire, très nerveuse à l?idée de revoir Pierre, et je la compris parfaitement, car elle comme moi, lorsque nous l?avions vu pour la dernière fois, nous étions follement heureuses, et persuadées que nous vivions un immense amour partagé.
Mais j?avais un petit avantage sur Claire. Moi, j?avais eu l?occasion de lui parler au téléphone, en sachant déjà ce qu?il était réellement.
Cinq minutes après mon arrivée dans le bureau de Claire, Pierre frappait à la porte.
Il entra. Je crois que je ne l?avais jamais vu aussi beau. Malgré un visage grave, il avait dans son attitude une élégance, une aisance assez remarquables malgré la situation qui devait être épineuse pour lui. Il se trouvait en présence des deux femmes auxquelles il avait fait des déclarations sans doute mensongères. Je dis sans doute, car je ne pouvais m?empêcher de penser qu?à moi, il disait peut être la vérité??
Comme Claire et moi restions silencieuses, c?est lui qui prit la parole
- Je vous ai remis ma démission. Je suis persuadé que c?est ce que vous désiriez. Normalement, je dois effectuer un préavis de trois mois. Il vous sera sans doute pénible de me voir rester encore trois mois, mais, je dois trouver une autre situation. Si cela devait intervenir rapidement, bien sûr, avec votre accord je partirai le plus tôt possible. Je tiens quoiqu?il en soit à vous assurer que je remplirai mes fonctions avec le même dévouement, et la même?.loyauté qu?auparavant.
Il avait hésité avant de prononcer le mot « loyauté » très conscient que l?on pourrait confondre les attitudes du Directeur Commercial et celles de l?homme. Je crois finalement qu?il avait sciemment utilisé ce mot.
Je dois dire que Claire m?a impressionné, car elle aussi avait réussi à prendre une attitude très calme, posée, et sa voix était parfaitement naturelle.
- Monsieur Vidal, j?ai en effet bien reçu votre démission. Nous en avons longuement discuté avec Mademoiselle Lambert.
Vous pouvez bien entendu maintenir votre démission. Nous avons pensé à une autre solution.
Nous envisageons de demander à mon frère Georges de venir prendre ici, le poste de Directeur commercial. Le poste de Directeur de notre succursale à Casablanca sera donc libre, environ dans trois mois. Nous vous le proposons.
Je remarquais que Claire parlait toujours de « nous », alors que bien évidemment c?était elle seule la patronne. C?était une façon de faire comprendre à Pierre, que ses deux victimes étaient d?accord sur la proposition qui lui était faite, et que loin de nous jalouser, nous faisions bloc contre lui.
Malgré tout l?empire qu?il avait sur lui-même, Pierre ne put cacher le soulagement que lui procurait notre proposition. Il est certain que sur le plan matériel, les charges de sa grande maison, et de sa s?ur lui posaient des problèmes qu?il fallait régler rapidement.
A Casablanca, il le savait, la situation matérielle de Georges était identique à la sienne actuellement.
Mais je pensais que le problème du devenir de sa s?ur allait le contraindre à réfléchir. Il n?en fut rien.
- Merci, pour votre confiance?..Sur le plan professionnel. Je vais avoir des problèmes à régler avec ma s?ur, mais je serai prêt à rejoindre mon nouveau poste dans trois mois.
- C?est bien dit simplement Claire.
Il hocha la tête et sortit.
Claire poussa un long soupir.
- Ce fut difficile, très difficile. La dernière fois que je l?avais vu???Oui, enfin, c?est terminé. Allons ! au travail !!!
Dans les jours qui suivirent, je me demandais si je n?avais pas fait une erreur en proposant que Pierre prenne la Direction de Casablanca dans trois mois.
Il y aurait eu une autre solution. Puisqu?il avait donné la démission, et puisqu?il avait besoin de faire son préavis de trois mois, pour des raisons matérielles, nous aurions pu lui proposer de lui régler ses trois mois, à condition qu?il parte tout de suite.
Pierre avait prévu depuis plusieurs semaines une réunion de nos représentants. Le directeur de Casablanca y était également convoqué. Nous ne pouvions annuler cette réunion, et nous nous sommes tous retrouvés dans une salle que Pierre avait louée en ville.
J?ai l?impression que tous devaient croire que Claire et moi étions des s?urs siamoises. Nous étions constamment côte à côte, instinctivement, comme pour être plus fortes.
Pierre était un merveilleux organisateur, et sur le plan professionnel ce fut une grande réunion.
( A suivre)



Il fit un exposé sur le développement futur de la société, et donna des précisions que Claire elle-même ne connaissait pas, mais qui étaient toutes judicieuses.
En terminant son laïus, il précisa que ce plan ne serait pas mis en ?uvre par lui-même mais par son successeur, Georges, qu?il présenta, bien que la plupart des représentants connaissaient déjà le frère de la patronne.
A la fin de la réunion, Pierre vint vers nous pour saluer notre départ. Claire ne put s?empêcher de lui dire :
- Je regrette, Monsieur Vidal que vous n?ayez pas jugé bon de me tenir au courant des projets de MA SOCIETE (elle appuya sur ces deux mots) concernant notre implantation au Liban. Vous avez donc trouvé un représentant à Beyrouth, qui aurait vocation à devenir directeur d?une succursale pour tout le moyen Orient ?
- Madame la Directrice Générale (là, il se foutait d?elle) seules des circonstances particulières m?ont empêché de vous parler de ce projet qui n?a pris forme que ces tous derniers jours. Je n?ai en vue croyez moi que le bien de la société.
- Nous verrons. Faites déposer sur mon bureau un rapport sur cette question dans les quarante huit heures.
Elle inclina la tête en signe d?adieu, et nous sommes sorties.
- Il m?énerve !! Qu?est ce qu?il m?énerve ce garçon !! me dit Claire.
- C?est vrai. Il est trop fort, il est trop beau?Il est trop salaud !! Mais dans deux mois, il aura débarrassé le plancher.
-
Dès le lendemain, Claire trouva sur son bureau un rapport clair et précis sur le marché du moyen Orient, et les perspectives qui vont s?ouvrir dès que le conflit israélo palestinien sera réglé, ce qui surviendra d?une façon inéluctable dans peu d?années.
Elle me fit lire ce document et nous avons du admettre que nous n?avions aucune restriction à apporter au projet de Pierre.

Nous étions à un mois de la double échéance du mariage de Georges auquel Claire et moi étions invitées, et du départ de Pierre qui devait prendre ses fonctions à Casablanca à la même date. Georges après un voyage de noce de 15 jours, viendrait prendre son poste de Directeur Commercial. Avec sa jeune femme, il avait été convenu qu?ils habiteraient provisoirement dans la grande maison familiale.
C?était un lundi. Comme pratiquement chaque jour, Claire était venue passer un moment dans mon bureau, où nous ne parlions jamais de problèmes professionnels. C?était notre petite récréation avant de commencer la semaine.
Par la fenêtre, je vis arriver la voiture de Pierre. C?était surprenant car il n?était jamais arrivé en retard, et chaque matin, il était au siège avant nous.
J?appelais Claire, et fumes surprises de constater qu?il mettait beaucoup de temps pour sortir de son véhicule.
Enfin, la portière s?ouvrit, et nous vîmes apparaître une jambe plâtrée et des béquilles. Puis Pierre, affreusement pâle.
Notre premier mouvement fut de nous précipiter dans les escaliers (nos bureaux sont au premier étage) pour aller voir ce qui s?était passé, mais Claire me retint par le bras.
- N?ayons pas l?air de nous précipiter vers lui. Allons dans le fond du couloir, et en revenant vers l?escalier, nous le rencontrerons??.comme par hasard.
Pour faire « plus vrai » c?est ce que nous avons fait. Nous sommes allées au bout opposé du couloir, et nous sommes revenus lentement vers les escaliers en faisant mine de discuter, jusqu?à ce que Pierre apparaisse sur les dernières marches, avec ses béquilles. Lorsqu?il arriva à notre hauteur, Claire demanda d?une voix la plus neutre possible.
- Il vous est arrivé quelque chose ?
- Il semble que ma s?ur n?apprécie pas mon départ pour Casablanca.
- C?est elle qui vous a fait ça ?
- Oui. Hier soir, elle est venue vers moi, les mains derrière le dos, et m?a demandé si j?avais décidé d?une façon irrévocable de partir au Maroc. Après ma réponse affirmative, elle s?est précipitée vers moi. Elle avait une barre métallique à la main, et s?est mise à taper sur ma jambe droite en criant : Je vais t?estropier, tu ne pourras pas partir.
Comme je souffrais atrocement, elle a téléphoné à l?hôpital pour qu?on m?envoie une ambulance. J?ai été plâtré, j?ai passé la nuit à l?hôpital et j?ai pu obtenir avec beaucoup de difficultés qu?on me laisse partir. C?est la raison de mon retard. Excusez moi.
- Je crois que vous feriez mieux de rentrer chez vous.
Non. Pour deux raisons. Je ne suis pas certain que ma s?ur me laisse entrer. Il faut qu?elle se calme. D?autre part, j?ai un rendez vous important. Je ne vous en avais pas encore parlé, ne sachant si cela se réaliserait, mais je crois que nous allons signer ce matin. Il s?agit de renouveler tous les engins de levage de Lattaquié, port important de Syrie, ce qui va constituer notre premier gros marché au moyen Orient, et vous explique mon projet d?une installation au Liban. Maintenant excusez-moi, il faut que j?aille m?asseoir.
( A suivre)


Alors qu?il s?éloignait, Claire murmura :
- C?est certainement un salaud. Mais quelle classe, sur le plan professionnel !!
Dans l?après midi, Claire me passa un coup de fil. Appelée par Pierre, elle venait de signer le contrat de Lattaquié.

Personnellement je ne savais plus où j?en étais. Certes, il avait déclaré son amour simultanément à Claire et à moi. Je devrais lui en vouloir à mort. Pourtant, son grave problème avec sa s?ur, sa remarquable conscience professionnelle, et toujours, cette énervante petite pensée que peut être, moi, il m?aimait vraiment, faisaient que j?avais une folle envie de le soigner, de lui remonter le moral, de le protéger contre sa s?ur qui semblait complètement folle. Cliniquement folle.
Le lendemain, vraiment par hasard cette fois, je me suis trouvée nez à nez avec Pierre.
Il était encore plus mal en point que la veille. Les traits tirés, pas rasé, j?ai eu beaucoup de mal pour ne pas le prendre dans mes bras.
- Ca n?a pas l?air d?aller, Monsieur Vidal ?
- Non, Mademoiselle Lambert. Je n?ai pu entrer chez moi hier. Ma s?ur avait un fusil de chasse et m?a dit que je ne pourrais pas prendre une seule de mes affaires, tant que je n?aurai pas abandonné l?idée de partir au Maroc. Je suis allé à l?hôtel, et il va falloir que je m?organise pendant un mois.
Je ne pus résister, et je décidais de lui venir en aide.
- Monsieur, Vidal, j?ai plusieurs chambres dans ma grande maison. Vous pouvez en occuper une jusqu?à votre départ, mais à une condition expresse. Je ne veux pas une seule allusion au passé, et il n?est pas question de le faire revivre. Il s?agit de ma part d?un simple geste de charité.
Il ne fit pas mine de refuser, et c?est très simplement, sobrement, qu?il me dit :
- Merci, Mademoiselle Lambert. Je vous dérangerai le moins possible.
Je trouvais que pour les remerciements, il était un peu avare, il aurait pu y mettre un peu plus?.Un peu plus de quoi ? De sentiments ? Je ne savais décidemment plus où j?en étais !

CHAPITRE 13

Le soir il arriva chez moi vers 20 heures. Il avait fait quelques courses, rasoirs, chemises, objets de première nécessité, et, il avait pris un rapide repas au restaurant.
Je lui fis voir les trois chambres dont je disposais, en dehors de la mienne bien sûr. Il choisit celle qui est la plus proche de l'entrée, bien qu?étant la plus petite, elle lui demanderait moins d?efforts.
Du fait qu?il n?avait pas voulu interrompre son travail, sa jambe semblait le faire beaucoup souffrir.
Je lui dis que le lendemain, à condition qu?il observe mes exigences, il pourrait dîner avec moi.
Il me remercia toujours aussi sobrement, et partit se coucher.
Le lendemain, au petit déjeuner, il était en meilleure forme. Rasé de frais, avec une chemise neuve, il redevenait l?homme séduisant d?avant.
Après quelques instants de gêne de part et d?autre, nous avons parlé affaires, et nous avons compris que par un accord tacite, nous ne discuterions dorénavant que de problèmes professionnels, ce qui nous permettrait de garder nos distances.
La semaine s?écoula, et puisque je n?ai pas de raison de me le cacher, je dois avouer que j?attendais avec impatience la soirée que j?allais passer avec Pierre.
Certes, il ne se départissait pas de la réserve que je lui avais imposée, et de mon côté, je veillais bien à ce que nos conversations ne dévient pas sur des sujets personnels. Le seul problème évoqué en dehors du travail, c?était sa santé. Il continuait à beaucoup souffrir de sa jambe, mais têtu comme une mule, il ne voulait pas prendre de repos.

J?appréhendais et espérais à la fois la venue du week end. Claire m?avait invitée à déjeuner le dimanche, mais j?avais prétexté un travail fou dans ma maison que j?avais délaissée ces temps derniers, pour refuser gentiment. Je vis bien qu?elle était surprise par mon refus, et elle devait se poser des questions sur mes projets du dimanche, car elle devait se douter que les soins de ma maison n?étaient pas absorbants au point de refuser un simple repas en commun.
Mais je m?en fichais. La présence de Pierre suffisait à mon bonheur. Je n?étais pas très exigeante?
( A suivre)



Les samedi et Dimanche, Pierre en profita pour vraiment se reposer. Il passa son temps dans une chaise longue, soit dehors soit dans la maison, en dévorant les livres de ma bibliothèque. De temps en temps, sans être vue, je le regardais, et chaque fois, j?admirais le charme de cet homme qui aurait pu me rendre la femme la plus heureuse du monde, s?il m?avait aimé?.en exclusivité.
Durant ce week-end, pendant les repas, nous sommes sortis des discussions sur le travail. Mais c?était uniquement pour parler des bouquins qu?il avait lus. Il avait un sens critique très sûr, et son intelligence me ravissait, et me rendait malheureuse à la fois.
Cet homme avait l?art de m?écarteler.
Nous avions pris tacitement l?habitude évidemment de venir au bureau séparément. Lui, partant toujours le premier.
Le lundi matin, je venais à peine d?entrer dans mon bureau lorsque je vis une furie y pénétrer. Claire était entrée sans frapper, contrairement à son habitude. Elle avait les yeux exorbités, elle était mal peignée avec des mèches qui pendaient, elle, qui était toujours impeccable, et elle rugit :
- Ainsi, vous le revoyez, il habite chez vous et vous devez faire l?amour ensemble !!!Vous n?avez pas honte !! Avec ce vil imposteur ! Vous ne valez pas mieux que lui !!! Au fond je ne devrais pas m?étonner : Qui se ressemblent s?assemblent !! Vous me dégoûtez, Maud !!!!Si vous saviez comme vous me dégoûtez !!! Mais dites quelque chose !!Il est vrai que vous ne pouvez pas vous défendre, j?ai vu la voiture de ce pourceau dans votre cour !! Alors avouez, vous n?avez plus que cela à faire !!
C?est vrai que totalement surprise par cette entrée fracassante, je me rendis compte que je devais avoir l?air ridicule, statufiée et la bouche ouverte. Je me repris enfin, et tentais (je ne sais pas si j?y suis parvenue), de répondre d?un ton calme.
- Si vous voulez bien vous calmer, Claire, je vais vous dire ce qu?il en est.
C?est vrai que j?ai eu pitié de lui. Il a d?immenses torts envers nous, et croyez que je ne les oublie pas. Non, pas un seul instant je ne les oublie (Là, je me prenais en flagrant délit de mensonge) . Sa s?ur, devenue folle, un peu à cause de moi, puisque c?est moi qui ai eu l? idée de l?envoyer au Maroc, lui interdit de rentrer chez lui. Alors, à défaut d?autre sentiments pour lui (Tiens ? je mentais encore !!) j?ai eu pitié.
J?ai plusieurs chambres à la maison. Je lui en ai proposé une sous condition : Ne jamais parler du passé, ni tenter de le faire revivre. Voilà. C?est tout. Bien entendu, il ne s?est rien passé entre nous. Il est dans sa chambre, moi dans la mienne, et lorsque nous parlons, c?est uniquement du travail.
Vous ne pouvez rien me reprocher, Claire, non, je n?ai pas oublié ce qu?il nous a fait.
Elle s?était un peu calmée, mais ne voulait pas rendre les armes trop tôt, aussi me dit elle :
- Si, j?ai quelque chose à vous reprocher : Vous auriez pu m?en parler.
Soucieuse d?aplanir les choses je lui concédais :
- C?est vrai, j?aurais du vous en parler, mais j?ai eu peur que vous pensiez?..Ce que vous pensiez il y a cinq minutes.
- Si ce que vous me vous me dîtes est vrai, et pour l?instant je l?admets, cette situation ne peut durer. Il est anormal que cet homme habite chez vous !
Sournoisement, je lui dis :
- Il est bien normal Claire, que connaissant les faits, vous soyez tout comme moi accessible à la pitié. Si vous voulez, nous pouvons proposer à Monsieur Vidal de passer une nuit chez vous et une nuit chez moi.
Aussitôt la colère de Claire se raviva :
- Vous vous foutez de moi ? Cet individu sous mon toit ? Jamais !!!
-
- Bon. Alors laissons les choses en l?état. Croyez moi, Monsieur Vidal n?oublie pas non plus les torts qu?il a envers nous, et puis, dans moins d?un mois, il partira à Casablanca, et ne sera plus source de problème pour nous.
J?avais été blessée par la sortie de Claire, mais d?un autre côté, j?étais soulagée de la savoir au courant. Je ne sais pas si cela m?est propre, mais j?abrite perpétuellement des sentiments contraires.
Les jours suivants, Claire est restée assez froide à mon égard. Nous n?avons plus reparlé de Pierre, mais je sentais, qu?en arrière plan, il était toujours là, dressant un voile entre elle et moi.
Il avait été prévu que Pierre quitterait son poste un Vendredi. Il devait essayer de trouver un arrangement avec sa s?ur pour prendre quelques affaires personnelles, puis qu?il ait réussi ou non, il devait prendre l?avion le Dimanche, pour que dès le lendemain, Georges puisse le mettre au courant de ses nouvelles fonctions et des affaires en cours.
Ils avaient une semaine à passer ensemble, puisque Georges devait se marier le samedi suivant et partir immédiatement pour un voyage de noce de 15 jours, après lequel il reviendrait en France avec sa jeune épouse, et prendrait les fonctions de Pierre.
Claire et moi devions bien sûr assister au mariage, et nous avions décidé de partir ensemble le jeudi soir suivant.
Le vendredi matin, dernier jour de travail de Pierre comme Directeur commercial, il avait passé l?ultime nuit chez moi, et avec lui, je traversais mon jardin, car il avait laissé sa voiture dans la rue.
( A suivre)


Nous venions de franchir le portail de ma maison lorsqu?il me dit :
- Je vous avais promis de ne jamais parler du passé aussi longtemps que je serais chez vous. J?ai tenu ma parole.
Je viens de sortir pour la dernière fois de votre maison, et j?estime être libéré de ma promesse. Je tiens à vous dire deux choses. Merci, de m?avoir aidé pendant un moment difficile. Je vous en suis d?autant plus reconnaissant que j?admets avoir eu des torts immenses envers, vous. Enfin?. envers Claire aussi,
Mais ce n?est pas de même nature, parce que je vais vous dire une chose que vous ne croirez sans doute pas, mais je vous ai aime, vous et vous seule. Si j?en parle au passé c?est parce que j?ai parfaitement conscience de vous avoir perdue. Merci. Nous aurons rarement l?occasion, mais cela arrivera, de nous rencontrer lors de réunions de travail. Soyez certaine, que c?est la dernière fois que j?aborde des problèmes personnels.
Il partit vers sa voiture, et moi, je me suis précipitée dans mon jardin d?abord, dans ma maison ensuite, pour pleurer sans retenue.
Ainsi, il m?aimait vraiment, je n?avais pas tort lorsque je l?avais espéré dans un petit coin de mon c?ur. Mais d?un autre côté qui m?assurait qu?il n?allait pas dire la même chose à Claire tout à l?heure en quittant définitivement son poste ?
Décidemment, on a bien raison, de dire que la confiance, est comme une allumette : elle ne peut servir qu?une fois.
Il a fallu que je me refasse une beauté. Il ne fallait surtout pas, ce serait gravissime, que Claire s?aperçoive que j?avais pleuré le départ de Pierre.
La journée au bureau s?écoula sans que je le revoie, et je ne vis que sa voiture qui quittait la cour. Il allait essayer de parlementer avec sa s?ur pour passer la dernière nuit chez lui, et prendre quelques rares effets personnels. Il avait pris la décision de repartit à zéro à Casablanca, sur tous les plans, vêtements et objets divers.
Le soir je me sentis bien seule lorsque je me suis attablée pour grignoter quelques bricoles. Je n?avais pas faim, mais son absence m?oppressait, et j?y suis allée une fois encore d?une bonne crise de larmes.
Sur le plan sentimental, je ne suis pas très robuste.
Le lendemain matin, après une nuit longue, agirée,peuplée de nombreux cauchemars j?étais en train de prendre tristement mon petit déjeuner, regardant la chaise vide devant moi, lorsque le téléphone sonna.
Mon c?ur se mit à battre. Et si c?était lui ? S?il me demande de le rejoindre, j?irai n?importe où !
Ce n?était pas lui. C?était Claire, la voix déformée par les larmes qui me dit seulement.
- Pierre est mort, il a été tué par sa s?ur hier soir. Venez chez moi, nous avons des dispositions à prendre.

Je lui dis que j?arrivais et je pense que je lui ai répondu avec une voix à peu près normale, parce que sur le coup je n?ai pas réalisé. Je ne pouvais croire, je ne pouvais admettre que cet athlète qui dégageait une force sécurisante pouvait être tué par une femme, sa propre s?ur. C?était impensable, et pourtant, pendant que je roulais vers la propriété de Claire, la vérité s?infiltrait peu à peu en moi. Oui c?était vrai. Pierre était mort. J?étais une vraie fontaine en arrivant chez Claire, mais je n?eus pas à en être gênée parce qu?elle pleurait autant que moi.
Nous sommes tombées dans les bras l?une de l?autre. Je crois que c?est moi qui ai dit : Malgré ses défauts, c?était un homme remarquable, loin du commun, et que Claire, d?un signe de tête a acquiescé.
Entre deux sanglots, elle me dit qu?elle avait reçu la visite de deux policiers. Ils avaient été appelés la veille au soir par la s?ur de Pierre qui leur avait dit simplement :
- Je viens de tuer mon frère. Il ne partira pas au Maroc. Venez me chercher.
Les policiers trouvèrent sur les lieux, le corps de Pierre sur le tapis de la salle à manger. Il avait la tête ensanglantée, criblée de plomb. L?arme du crime, un fusil de chasse était à côté de lui, la s?ur, presque sereine, certainement folle, expliqua calmement qu?elle avait été obligée de lui tirer dessus pas deux fois, car il ne voulais pas rester avec elle, en France .
Le corps a été emmené à la morgue, quand à la s?ur, elle a été mise en garde à vue immédiatement ; et répondait très calmement aux questions qui lui étaient posées.
Nous avons décidé de prendre en charge les formalités de l?enterrement. Nous sommes allées toutes deux nous renseigner auprès des pompes funèbres, et avons pris toutes les dispositions pour que les obsèques aient lieu le mardi. En revanche, nous n?avons voulu, ni l?une ni l?autre, aller voir le corps à la morgue.
La seule autre décision que nous avons prise, était de ne rien changer à notre programme pour assister au mariage de Georges. Le surlendemain des obsèques de Pierre, nous partirons donc pour Casablanca.
Pour ne pas me laisser seule, Claire me proposa de coucher dans sa propriété. Je la remerciais chaleureusement, car je ne me voyais pas retourner dans ma maison, et revoir, la chaise qu?il occupait devant moi durant les repas, ou la chaise longue dans laquelle il aimait se reposer le week end.
Durant la matinée des obsèques, nous avions fermé les bureaux et l?atelier, afin que tout ceux qui le désiraient puissent assister aux funérailles.
Je crois que tout le personnel était là. C?était une bonne chose, car en dehors de sa s?ur, nous ne connaissions pas de membres de la famille pour les prévenir, Quand à la s?ur elle-même, elle n?aurait pas pu donner de renseignement sur l?éventuelle famille, car, elle avait du réaliser son acte, et ne tenait plus que des propos sans queue ni tête, dans lesquels revenaient comme une ritournelle « Il ne partira pas, il ne me laissera pas, il ne partira pas?. » Elle était toujours incarcérée et n?assista pas à la cérémonie.
Au cimetière, nous avons eu une surprise. Albert, le frère de Claire était là, et c?est lui qui lut un petit discours dans lequel il exaltait les qualités professionnelles du défunt. C?était tellement inattendu, que nous n?avons pu Claire et moi, nous retenir de sourire en nous regardant. Je ne sais qui lui avait écrit son speech, mais il était bien tourné.
Après avoir terminé sa lecture, il vint vers nous et expliqua d?un air important :
- Vous comprenez, il m?appartenait, comme Président de prononcer l?éloge funèbre de ce collaborateur de grande classe.
Ce fut la seule petite note joyeuse de cette effroyable journée.
( A suivre)



CHAPITRE 14









Nous partions le jeudi après midi, et nous nous sommes efforcés, Claire et moi, de faire notre travail, bien que l?ombre de Pierre semblait en permanence flotter à côté de nous, pour nous diriger peut être, mais pour nous réunir, c?était certain.
Nous avons assisté au mariage de Georges qui nous dit très gentiment que compte tenu des circonstances, il était prêt à se plier à nos demandes. Il pouvait soit, rester à son poste à Casablanca, soit prendre comme il en avait été convenu, ses fonctions de Directeur Commercial en France.
Nous lui avons demandé d?aller faire son voyage de noce, de ne penser à rien d?autre qu?à eux deux, et que nous aviserions à son retour. A vrai dire, je dis « nous » mais c?est moi, qui ces jours ci, prenait les décisions, jamais contestées par Claire, d?ailleurs. Je la croyais beaucoup plus forte que moi, mais à cette occasion, je pus constater qu?elle ne parvenait pas à se reprendre en main, et de temps en temps, elle posait sur moi un regard de reconnaissance.
Cette connivence retrouvée fit beaucoup pour me remettre assez vite d?aplomb.
De retour en France, Claire me demanda de trouver un nouveau Directeur commercial, et nous avons, après bien des hésitations décidé d?embaucher un professionnel chevronné de 55 ans, et bedonnant.
Je me demande, si dans notre choix, nous n?avions pas surtout été guidées par la crainte de trouver quelqu?un qui puisse ressembler à Pierre, et nous faire penser à lui.
J?étais allé voir Brigitte, la s?ur de Pierre en prison. Ses moments de lucidité étaient rares, et c?est heureux, parce que, pendant ces instants elle était pitoyable.
Un jour, où elle avait l?esprit à peu près clair, elle me demanda si je pouvais aller lui chercher quelques petits objets dont elle avait fait la liste.
J?ai demandé et obtenu du greffe, la clé de la maison, et c?est avec un battement de c?ur que je suis entrée dans la maison de Pierre. Dans le salon, sur le tapis qui n?avait pas été nettoyé, il restait des traces de sang, et je n?ai pu retenir mes larmes.
La liste à la main, je me suis mise en devoir de trouver, ses effets de toilette bien sûr, quelques vêtements, et un paquet de pelotes de laine et d?aiguilles. Il semblait que le tricot soit son passe temps favori.
Les objets réunis, je n?ai pu m?empêcher d?aller voir la chambre de Pierre. J?avais un peu l?impression de violer son intimité, mais ma curiosité fut la plus forte.
La chambre était en ordre parfait. Les placards étaient pleins de complets, dans les commodes, le linge de corps était soigneusement rangé, et sous l?une des deux fenêtres, un bureau, sur lequel, en dehors des garnitures habituelles (Sous-main, pot rempli de crayons, de pointes de différentes couleurs, un calendrier arrêté au jour de la mort de Pierre, ce qui me fit couler encore une larme) il y avait un carnet à couverture jaune, qui seul, ne paraissait pas avoir été rangé.
Je le pris et après une petite hésitation, je l?ouvris. Aussitôt, c?est mon prénom, Maud, qui me sauta aux yeux. Je pressais le carnet contre mon c?ur. J?étais persuadée qu?il recelait les réponses à bien des questions que je me posais. Avais je le droit de lire ce carnet ? Ou mieux, de « l?emprunter » ? Je préférais ne pas trop réfléchir et je le mis rapidement dans mon sac.
Je ne devais retourner voir Brigitte que le lendemain pour lui apporter ce qu?elle m?avait demandé. C?était très curieux. Elle avait tué l?homme que j?aimais, et je ne parvenais pas à lui en vouloir. Elle aussi adorait Pierre, et la malheureuse n?avait pas trouvé d?autres moyens, pour qu?il ne parte pas, que de le tuer. J?arrivais à la plaindre
Arrivée chez moi, ce n?est qu?après avoir pris une longue douche, et m?être drapée dans un vaste robe de chambre que j?aimais particulièrement, que je pris, dans mon sac, le carnet jaune.
Sa lecture ne me demanda qu?une petite heure. Il est vrai, d?une part, que je ne l?ai lu qu?à partir du moment où il parlait de notre premier entretien d?embauche, et que d?autre part, Pierre avait un style précis, mais concis.

Ma lecture terminée je pleurais une fois de plus, mais cette fois, je savais, j?étais certaine d?avoir manqué un grand, un authentique amour.
Pierre, dans son carnet, avait consigné toutes nos rencontres, son attirance pour moi qui s?était manifestée dès notre première entrevue.
Il parlait également de Claire, de l?intérêt qu?il avait à la rendre amoureuse de lui. Il disait son déchirement entre ce qu?il devait faire pour espérer un jour être à la tête d?une importante société, et ses véritables sentiments pour moi, qui ne pouvaient s?exprimer dans le mensonge.
Lorsque Claire et moi avions découvert son imposture, il écrivait qu?il méritait ce qui lui arrivait. Qu?il avait été fou de vouloir jouer sur les deux tableaux, qu?il n?aurait jamais du mettre en danger notre amour.
A plusieurs reprises, il retraçait nos conversations au cours desquelles, je lui marquais ma froideur, et chaque fois, il estimait que j?avais parfaitement raison de le mépriser.
D?une façon très lucide, très objective, il reconnaissait ses torts, tant envers Claire, qu?avec moi, et trouvait que nous avions l?une et l?autre fait preuve d?une grande élévation d?esprit, plaçant les intérêts de la Société au dessus de considérations personnelles, en lui offrant le poste de Casablanca plutôt que d?accepter purement et simplement sa démission.
Il parlait des soirées passées chez moi, alors que nous nous efforcions l?un et l?autre de maintenir nos rapports sur un plan impersonnel. Il disait son désir de me prendre dans ses bras, de me demander pardon, mais que mon attitude digne et ferme l?en empêchait.
Dans la matinée, Claire est venue dans mon bureau. Elle avait du pleurer une grande partie de la nuit, et me dit
- Je suis idiote, Maud, car il est des moments où je me dis que Pierre m?aimait vraiment. Le fait que je sois à la tête d?une entreprise, n?était qu?un hasard. Ma raison me dit qu?il n?en est rien, que c?était un arriviste dépourvu de moralité, mais il y a quelque chose de violent en moi qui me dit que c?est faux.
Jamais, jamais Maud, nous ne saurons la vérité.
Je lui ai répondu :
- Non, Claire, jamais nous ne saurons ! Nous devrons vivre sans savoir ce que Pierre Vidal était réellement.
J?avais fait le choix du silence.

CHAPITRE 15

Il y a quarante cinq ans que Pierre est mort. Je viens d?en avoir soixante quinze.
Cet homme a marqué toute ma vie. Je ne me suis jamais mariée. Cinq ans après les évènements que je viens de relater, j?ai connu un autre homme, Claude, avec lequel j?ai pensé pouvoir construire quelque chose de fort et de durable. Ce ne fut pas possible, parce que, sans arrêt, en surimpression apparaissait Pierre. Jamais, jamais, le pauvre Claude n?arrivait à une dimension comparable à celle de mon homme-étalon.
Nous avons Claude et moi, vécu un mois ensemble, et nous nous sommes séparés. Notre séparation a marqué la fin de ma vie de femme.
Je me suis consacrée avec Claire à mon travail. Jamais, je ne lui ai parlé du carnet jaune, et mon silence ne m?a posé aucun problème de conscience. J?étais, je suis toujours persuadée qu?il était préférable qu?elle entretienne un doute, plutôt que de savoir que c?est moi qu?il avait aimait.
Quelquefois, des années après la mort de Pierre, nous parlions de lui. Nous le faisions sereinement, sans effort, car l?une comme l?autre nous étions desséchées à l?intérieur.
Elle mourut à 55 ans. Dans son testament, elle demandait que Georges prenne la direction Générale de la société, en spécifiant que je devais rester à mon poste.
Je suis restée en fonction jusqu?à mes soixante cinq ans.
Hier, en faisant des rangements, je suis tombée sur le petit carnet jaune, que je n?avais lu qu?une seule fois. Je me suis mise à le relire, et j?ai eu besoin de mettre toute notre histoire par écrit.
Je me suis mise à écrire hier soir à 20 heures. Il va être cinq heures du matin. Je ne suis pas fatiguée, je n?ai pas sommeil. Je suis heureuse, parce que je sais que si je n?ai été femme que durant quelques mois, ces quelques mois, exceptionnels, se prolongent encore. J?aime Pierre, et il m?aime, pour l?éternité.

FIN
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