Ecriture-Lecture




LE BONHEUR SE PAYE D\'AVANCE



CHAPITRE 1


LE 10 Novembre 1999

Je m?appelle Pierre Duchêne.
Je peux maintenant me permettre de le dire, à 23 ans, docteur en droit, 1 mètre 84, 78 kilos, un visage viril, les filles étaient dans mon sillage, comme les dauphins accompagnant les bateaux.
Oui, je peux me permettre de le dire, car je parle d?une époque récente (Cinq mois), mais hélas révolue : J?étais un jeune homme séduisant qui attirait deux générations de femmes. Les jeunes, pour elles mêmes, et les mères, pour leurs filles??avec un inavouable espoir personnel.
Il ne s?est pas produit une catastrophe universelle. Non. Un simple, un tout bête accident d?auto.
4 jours de comas, trois mois et demi d?hospitalisation agrémentés de 5 opérations.
Mes dernières grandes vacances ont été occupées, mais pas comme je l?avais envisagé.
J?en suis sorti. Pas quoi de me plaindre me dit-on, puisque j?ai survécu. Ah ? Bon ! Alors, je vais essayer de ne pas me plaindre. Mais quand même !!
J?avais trouvé, pour la rentrée, un job dans le contentieux d?une multinationale. Tout était pour le mieux. Avant.
C?est lundi prochain que je devais commencer à travailler. Bien sûr, c?est tombé à l?eau. Alors, pour faire quand même quelque chose, j?ai décidé d?écrire. Je ne crois pas être doué dans ce domaine, aussi, je vais faire le plus simple. Je vais écrire, sans avoir recours à l?imagination. Je vais parler de moi. En toute simplicité. Il parait que lorsque l?on écrit, on parvient à ne plus trop penser à ses problèmes. C?est possible. Mais comme précisément je vais parler de mes problèmes, cela me semble être un cercle vicieux. Nous verrons bien. D?ailleurs, je n?ai pas un grand choix de distractions. Mes pattes folles ne me permettent pas d?aller me promener. La nature est finalement bien faite, car si je pouvais physiquement aller me promener, je ne le ferais pas. Ce sera compris plus loin.
J?ai dit au début que j?avais les traits virils. En fait, sur ce point, je n?ai rien perdu, bien au contraire. J?ai vraiment « une gueule » !! Il me manque peut être le bandeau de borgne des corsaires. (Mes yeux ont été épargnés), et une boucle d?oreille, mais j?ai une magnifique balafre qui part de la gauche de mon front, et, en une gracieuse courbe, des plus harmonieuses, va rejoindre le dessous du menton à droite. Cet arc rougeoyant est du plus artistique effet, pour un pur esthète?.que je ne suis pas. Par ailleurs, mon nez jadis droit et bien proportionné, semble avoir été courbé par un fort mistral. Un très fort mistral venu de ma gauche. Alors, c?est certain, mon apparence est encore plus virile qu?avant. Enfin?Mieux vaut le dire franchement : Je suis devenu affreux.
Je suis en train de me demander si je ne suis pas, de plus, masochiste. Ecrire sur moi, à la rigueur. Mais alors, j?aurais du parler de mes années fastes, jusqu?à l?accident.
Mais je n?en ai pas envie.je préfère me cantonner à mon nouvel état.
J?ai peut être une explication à ce qui semble incompréhensible. La vie que je menais était celle de tout le monde. Bien sûr, j?avais été un peu plus gâté par la nature que beaucoup d?autres, mais, quoi ? Les différences, avec mes copains, n?étaient tout de même pas énormes.
Là, je viens carrément de changer de monde. C?est dans un univers tout nouveau que ce banal accident vient de me faire entrer. Celui des handicapés.
Jamais, je ne remarcherai normalement. Je boiterai des deux jambes, mais plus à droite.
Je me suis vu marcher, hier en me regardant dans la psyché de ma mère. Curieuse impression. J?avais tout à la fois envie de rire et de pleurer. Je crois qu?aucune personne normale ne peut ressentir ce qui m?est tombé dessus hier. Cette lutte entre le rire et l?envie de pleurer était atroce, et s?est terminée par la victoire des pleurs par K.O. Oui, par K.O. Exit le rire !!!

C?était tellement ridicule ce grand bonhomme, qui non seulement boitait (Cela, ce n?était rien) mais se déhanchait maladroitement pour mettre un pied devant l?autre. J?allais, je crois, en faire rire beaucoup. Et voilà pourquoi, comme je l?ai dit plus haut : Si je pouvais aller me promener, je ne le ferais pas. Faire rire à ses dépens, est une chose atroce.
Ma mère me dit que j?allais prendre l?habitude, et qu?il ne me restera plus qu?une légère claudication. Mais ses yeux démentaient les mensonges de sa bouche.
Bien sûr, il y a toujours deux façons de voir les choses. C?est la classique histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Evidemment, dans mon cas, on peut difficilement trouver un élément positif dans l?accident qui fait de moi, un handicapé lourd. Mais pourtant si. Je vous l?ai dit : On peut toujours.
Auparavant, je faisais partie d?un troupeau de quasi clones. Finalement, même si j?étais assez beau, peu de choses me distinguaient des autres. Tandis que là, je suis vraiment un être à part !
Et le fait d?être un être à part, m?amène à faire ce que je n?aurais jamais fait.
Je n?aurais jamais eu l?idée de commencer ce récit de ma vie. Au moment où je trace ces lignes, je ne sais toujours pas ce que la vie m?apportera, mais j?ai l?intime conviction, que mes particularités physiques, vont avoir pour moi des conséquences, la plupart désagréables, je n?en doute pas, mais qui vont me différencier des autres. Alors, pourquoi ne pas essayer de tirer un petit avantage d?une situation désagréable ? Si j?ai la force de conserver assez de détachement, assez d?humour pour relater les épisodes sortant de l?ordinaire qui vont jalonner ma vie d?un homme « pas comme tout le monde ».
Je ne me fais pas d?illusion. Ce n?est pas parce que je suis devenu laid et infirme, que je vais avoir quelque chose d?exceptionnel à raconter chaque jour. Non. Ce cahier que je commence aujourd?hui, restera dans mon tiroir, durant des semaines et des mois peut-être sans en sortir. En écrivant tout les jours, je sais que je finirais par me lamenter sur mon sort. Non. Je n?écrirai dans ce cahier que lorsqu?un évènement de quelque importance sera survenu. Ce ne sera pas un journalier.
Avant de le ranger dans le tiroir de ma table de nuit, je vais donner quelques précisions sur mon entourage.
Avant mon accident, il avait été prévu que je quitterais le cocon familial. Désormais, il n?en est plus question. Je vais rester chez mes parents dans un petit village du Vaucluse.
Je ne crois pas l?avoir mentionné, mais je ne suis pas responsable de mon accident. Un automobiliste qui venait de ma gauche, et qui de surcroit sortait d?un chemin de terre à vitesse excessive est venu me heurter. La compagnie d?assurance m?a versé une provision, pour éviter que je ne me constitue partie civile. Je sais que je vais rester avec un taux d?I .P.P.( Incapacité Permanente Partielle) assez importante, et compte tenu de mon âge, je percevrai des indemnités importantes. Tout ceci pour dire, que pour l?instant, les problèmes matériels ne se poseront pas pour moi. En somme, à 23 ans, je suis déjà retraité. Quelle chance !!Non ???


























CHAPITRE 2



Le 12 Mars 2002

Cela fait 4 mois que je n?ai pas sorti ce carnet de mon tiroir, pour relater un évènement. C?est tout simplement parce qu?il n?y a rien eu de marquant.
Avant de dire pourquoi je reprends aujourd?hui ma pointe Bic, je vais tout d?abord indiquer ce qui s?est passé ces quatre derniers mois.
Mes pensées ont tourné autour de deux problèmes principaux .L?un concernait l?esthétique, l?autre, le domaine matériel
La chirurgie classique, ne pouvait plus rien pour moi. J?ai donc résolu d?aller consulter deux chirurgiens esthétiques. Comme je ne veux pas être uniquement négatif, je vais reconnaitre qu?à peu de chose près, ils m?ont dit la même chose. Ils ont été honnêtes.
En ce qui concerne mon nez, il n?y avait pas de problème. Ils pouvaient lui redonner exactement sa forme de naguère.
Pour ma balafre, ils se faisaient forts de l?atténuer énormément, et surtout, ils étaient certains de lui faire perdre cet aspect viande crue, qui était l?élément le plus disgracieux, pour utiliser un euphémisme.
En revanche, en ce qui concerne mon déhanchement, et ma « claudication bilatérale », ils se déclaraient honnêtement incapable d?y changer quoique ce soit.
Si l?on demandait à des hommes normaux :
« Imaginez que vous soyez dans l?état de Pierre Duchêne. La chirurgie esthétique vous fait le bilan ci-dessus. Que faites-vous ? »
Je suis persuadé que la totalité des personnes interrogées répondraient :
« Il faut faire ce qu?il est possible de réaliser, et à tout le moins, récupérer un visage à peu près normal »
J?ai réfléchi à ce problème. Et je suis arrivé à la conclusion qu?il était préférable de rester comme je suis. Puisque je ne pouvais pas redevenir un homme normal, je préférais rester nettement dans la catégorie qui était maintenant la mienne : Celle des handicapés lourds, complètement en marge des gens normaux.
Le second problème qui m?a occupé l?esprit, est plus terre à terre. J?ai déjà touché, et surtout, je vais toucher, des assurances, un capital important. Mais d?une part, les simples revenus de ce capital, même bien placé, ne me permettront pas de vivre décemment, et d?autre part, je voudrais avoir une activité. Ceci était clair dans mon esprit .Pas question d?être un oisif. En revanche, quelle activité pouvais-je exercer ? C?est là que réside la difficulté.
Je ne voudrais pas d?un emploi de salarié. Vis-à-vis de mes collègues et surtout de mes supérieurs, je serais dévalorisé et je n?aurais aucune chance d?accéder à un poste important. Vous voyez une société nommer à un poste important un type comme moi, que l?on ne pouvait regarder sans ressentir un malaise ?
Donc, pas d?emploi salarié.
Il faudrait par conséquent, que je devienne mon propre patron. Mais le problème reste le même. Un patron doit voir sa clientèle (Cela ce n?est pas grave) mais il doit aussi être vu par elle. Et elle risque de s?enfuir en courant?..Comment prospérer dans ces conditions ?
Si j?ai pris une décision en ce qui concerne une opération esthétique, je n?ai pas trouvé de solution pour mon activité professionnelle.
Et j?en viens à ce qui me fait reprendre mon carnet aujourd?hui.
Je l?ai dit : Je n?étais en rien responsable de l?accident qui est survenu.
Un chauffard, sortant d?un chemin privé à grande vitesse, et venant de ma gauche de surcroit, est venu violemment heurter mon véhicule. Je n?ai jamais voulu le voir, ni même savoir qui il était. Je n?avais eu affaire qu?à ses assureurs, et m?étais bien gardé de poser une seule question à son sujet. Ce criminel avait brisé ma vie, et je ne voulais pas qu?il y entre, même une seule seconde.
Ce matin, j?étais devant mon ordinateur, consultant une énième fois les pages jaunes, dans l?espoir qu?une idée d?activité me serait donnée, lorsque ma mère vint me dire « Qu?un monsieur me demandait »
Avec un long soupir, comme chaque fois que je devais me lever et faire l?effort de marcher, je me mis péniblement droit et de mon harmonieuse démarche tenant tout à la fois de celle d?un canard boiteux et d?une écrevisse saoule, je me dirigeais vers le salon.
Un homme, qui était resté debout, élégant, les mains derrière le dos, et, cela me sauta aux yeux immédiatement, sans oreille droite et une cicatrice de trépanation sur le crâne, du même côté, vint vers moi, et se présenta.
-Yves Cafadec. Je suis le conducteur qui a provoqué l?accident dont vous avez été victime.
Il avait levé légèrement la main, prêt à serrer la mienne, mais sans en prendre lui-même l?initiative, et il attendit.
Je regardais sa main, sans tendre la mienne et lui dit.
- Je trouve votre visite saugrenue. Vous venez admirer votre ?uvre ?
- Je comprends parfaitement votre réaction. Si je suis venu, c?est parce que c?était très difficile pour moi, et que m?infliger cette difficulté était la moindre des choses que je pouvais faire.
- Alors vous devez être satisfait. Vous ne pensiez peut être pas que votre « difficulté » serait aussi redoutable. Je ne suis pas beau à voir, hein ?
- Vous n?êtes pas obligé de me croire, mais lorsque je réalise mon imprudence insensée (Et cela m?arrive jour et nuit) le spectacle, pour moi, est encore bien plus affligeant.
- Pauvre monsieur !! Je vous plains très sincèrement !!
- Vous avez le droit d?ironiser à mes dépens. Je sais que vous me devez votre infirmité. Vous avez tous les droits sur moi.
- Alors, je vais user du droit que vous m?octroyez, pour vous demander de prendre congé.
Il s?inclina devant moi, et se dirigea vers la porte. Il y avait une telle dignité chez cet homme, une telle tristesse dans les yeux, que je lui dis.
- Monsieur, s?il vous plait, revenez et asseyez-vous.
Il hésita un moment et vint s?asseoir dans un fauteuil pendant que je m?installais dans un autre en face de lui.
Après un court silence, je lui dis.
- Il y a une telle disproportion entre un instant d?inattention et ses effroyables conséquences, qu?il est difficile de garder son sang froid.
- Je me suis fait 1000 fois cette réflexion. J?ai su les blessures que vous aviez subies, et j?ai toujours regretté, croyez moi, que les miennes soient injustement moins lourdes que les vôtres.
- Si je ne me trompe, vous avez perdu une oreille, et vous avez été trépané ?
- Exact. Ma trépanation est sans séquelles graves en dehors de cette cicatrice, et de quelques céphalées.
- La chirurgie esthétique pourrait facilement remédier à ces dégâts, et vous remettre dans votre état antérieur.
- Je le sais, bien sûr. Mais j?estimais ne pas en avoir le droit, avant de vous avoir vu.
- Hé bien, maintenant, vous m?avez vu. Vous pouvez vous faire remettre une oreille, et demander que la trace de votre trépanation soit atténuée.
- Mais vous-même, vous pourriez facilement vous faire redresser le nez et grandement effacer votre cicatrice.
- A quoi bon ? Sur le reste, il n?y a rien à faire. Alors, pourquoi changer un simple détail. Je préfère rester dans la confrérie des difformes. C?est clair, c?est net. Nous ne faisons pas partie du même monde. Et puis, je suis bien bon d?en discuter avec vous. C?est mon problème, qui ne regarde que moi.
- Loin de moi l?idée de vous dire ce que vous devez faire. Mais, regardez- moi ! Je fais également partie des difformes.
- Difforme, difforme !!!Cela n?a rien de comparable, De plus, cela peut se réparer facilement.
- Non. Car je ne le veux pas pour l?instant. Aussi longtemps que vous-même? ;
- Quoi ? Vous êtes venu me demander l?autorisation de redevenir un homme normal ? C?est ça ? Avec du chantage à la clef ?
- Je ne suis pas venu vous demander une autorisation, et je ne fais pas de chantage.. Je suis venu pour vous connaitre. Que nous le voulions ou non, malgré la rancune que vous nourrissez à mon égard, nos vies se sont croisées en un instant fatal, et contre cela, nous n?y pouvons rien. Quelque chose nous lie, l?un à l?autre.
J?ai l?intime conviction que c?est ensemble que nous devons lutter contre notre effroyable destin commun. Et si je suis venu, c?est simplement pour vous demander si, sur ce point, nous avons une identité de pensée.
- Désolé. Désormais, je suis seul, dans un monde qui m?appartient, à moi seul, et que personne ne peut partager. Je reconnais une certaine noblesse dans votre comportement, mais il est certain que nous évoluons dans des sphères différentes. Allez vous faire opérer, et je vous souhaite une vie normale.
- Un mot encore, monsieur. Votre jugement sur nos situations respectives, n?est que partiel. Vous ne considérez que nos aspects physiques, et sur ce point, je vous l?accorde, je me sors de cet accident beaucoup mieux que vous. Vous souffrez de votre état, c?est certain. Mais pouvez- vous durant quelques secondes, vous mettre dans la peau d?un homme qui par sa faute, a porté un coup grave à l?intégrité physique d?un autre. Je porte cette plaie douloureuse en permanence. Je suppose que lorsque vous êtes couché, vous pouvez ne pas penser à vos séquelles. Personnellement, c?est en permanence que je porte cette blessure.
- Comme je vous plains !!! Et vous ? Avez-vous une idée de ce que je peux ressentir quand je me traine dans la rue et que je croise le regard plein de compassion d?un passant ? Croyez-vous honnêtement, qu?il ne s?agisse pas là, d?une blessure morale au moins comparable à tous vos sentiments de culpabilité ?
Pourquoi êtes vous venu me voir ? Vous aimeriez que je pleure sur vos malheurs ? Je suis désolé, j?ai assez à faire avec les miens. Je ne demande rien à personne. Faites-en autant.
Adieu, Monsieur.
Après m?avoir jeté un regard triste, il sortit sans un mot, et moi, je dois le dire, je n?étais pas fier de moi.
Je suis resté dans mon fauteuil durant deux bonnes heures, avant de prendre ce carnet pour lui confier mes pensées.
Il est certain que sur le plan juridique, les choses sont simples. Il y a celui qui est responsable d?un accident, et celui qui a subi un préjudice.
Mais, c?est manichéen, simpliste, et même faux.
En réalité, il s?est produit un évènement et cet évènement a fait deux victimes.
Il n?y a pas un méchant qui a fait du mal à un gentil. Je ne suis pas meilleur que lui. Il m?est arrivé de rouler à trop grande vitesse, mais j?ai eu la chance de ne pas provoquer d?accident. C?est le hasard qui est intervenu pour nous distribuer les rôles.
L?accident est donc dû à « pas de chance ». Par ailleurs lui et moi, sommes des victimes. J?ai des séquelles importantes qui m?excluent des gens normaux. Ses blessures à lui sont plus légères, mais il souffre moralement d?avoir détruit la vie d?un homme.
Sur le plan matériel, j?ai perçu une indemnité importante, lui non.
Alors si l?on fait abstraction des considérations purement juridiques, pour se placer sur un plan humain, nous sommes tout deux des victimes, et je n?avais aucun droit d?agir comme je l?ai fait avec lui.
Je pensais, que le fait d?avoir subi de graves blessures, sans en être responsable selon des lois contingentes (Car ce sont les hommes qui ont décidé des règles de priorité, qui n?ont aucune valeur universelle), me donnait des droits imprescriptibles, et m?affranchissait de tout devoir.
Quelle erreur ! Le regard triste qu?il m?a lancé en partant me bouleverse encore. Je vais lui téléphoner immédiatement pour lui demander de revenir me voir.































CHAPITRE 3

13 Mars.

J?ai donc téléphoné hier soir à Yves Cafadec, je lui ai présenté des excuses et lui ai demandé s?il pouvait venir me voir.
Il m?a dit qu?il avait désormais du temps à ne savoir qu?en faire, et qu?avec plaisir il reviendrait me voir aujourd?hui en début d?après midi.
Il est venu. Nous avons beaucoup discuté, et je dois dire que ce soir, non seulement j?ai le c?ur plus léger qu?hier, mais de plus, sans pouvoir en déterminer la cause, il me semble que dans ma vie, qui se déroule depuis mon accident dans une ambiance oscillant entre le gris foncé et le noir, il y a, tout au loin, une petite lueur qui vient de s?allumer.
Yves Caradec a un an de moins que moi. Nous sommes donc de la même génération. Je lui ai demandé pourquoi il avait énormément de temps libre actuellement, il m?a répondu très simplement, sans trop appuyer sur l?aspect victimisation, qu?il s?agissait d?une conséquence de l?accident. Une sorte de dommage collatéral comme disent les militaires.
Il était en stage d?Inspecteur dans une compagnie d?Assurances. Le médecin conseil de la compagnie, n?avait pu se prononcer sur les éventuelles séquelles de sa trépanation. Alors, dans le doute, comme il n?était pas encore titulaire, ils ont préféré??ne pas courir de risque, et le laisser partir.
Il pense inutile pour l?instant de chercher un autre poste. Il fallait tout d?abord qu?il prouve psychiquement qu?il ne lui restait aucune séquelle. C?est ce à quoi il s?occupait actuellement, et il doit passer devant un expert médical dans une quinzaine de jours.
Lui aussi vit encore chez ses parents, et c?est heureux, car n?ayant jamais travaillé, il n?a aucune économie et ne pourrait subvenir à ses besoins.
Finalement, au moins sur le plan matériel, notre accident avait eu des conséquences plus dramatiques pour lui que pour moi.
Lors de notre première entrevue, je lui avais fais sentir que j?étais sa victime, et lui le responsable. Tout à l?heure, c?est moi qui lui ai dit qu?il n?avait pas à souffrir d?un sentiment de culpabilité, et je me retrouvais dans le rôle inattendu du consolateur.
Si j?écris, ce n?est pas pour déformer ou omettre des faits. Alors, je dois dire la vérité et la vérité, c?est, je l?avoue, que nous avons versé quelques larmes, ensemble. Lorsque nous nous sommes quittés, nous nous sommes chaleureusement et longuement serré la main, après avoir décidé de nous revoir le lendemain, toujours chez moi.
Depuis mon accident, je haïssais cet homme, sans le connaitre, et maintenant, il me semble que nous pourrions nous aider mutuellement, et que des liens d?une solidité exceptionnelle nous relient désormais.
Théoriquement, je n?étais plus seul dans la vie. Mon père et ma mère ont été merveilleux depuis mon accident. Je les aime, et ils m?aiment profondément. Pourtant, incontestablement, j?étais passé dans un autre monde, auquel ils n?avaient pas accès, alors qu?Yves, cet inconnu d?il y a quelques jours, est plus proche de moi qu?eux.


LE 30 MARS
Pendant ces quinze derniers jours, Yves et moi, nous nous sommes vus quotidiennement, et plus les jours passent, plus des liens très forts se créent entre nous.
Il est passé hier devant les experts médicaux. Il n?aura leur rapport définitif que dans une semaine, mais il semble que sa trépanation ne doive pas avoir de séquelles très importantes.
Qui l?eut dit, il y a quelques semaines ? J?en suis heureux. Sincèrement, très heureux. Nous sommes une fois pour toutes dans le même camp : Les deux victimes d?un accident idiot. Son oreille arrachée est vraiment hideuse.
Mais, il va pouvoir sérieusement rechercher un job. Il ignore encore dans quel domaine il va se diriger. Sur ce point encore, nous sommes dans la même situation. Moi non plus, je ne sais pas ce que je vais faire. Il y a tout de même une petite différence entre nous, c?est que pour lui, la recherche d?un travail est plus urgente que pour moi qui dispose d?un capital important.
Je ne lui en ai pas encore parlé, mais j?aimerais que nous fassions quelque chose ensemble. Si je ne lui en n?ai pas encore parlé, c?est parce que je prévois des difficultés. Je veux être à mon compte, et mes capitaux disponibles me le permettent. Il en est tout autrement pour lui. Il ne peut rien apporter, et je sais que cela va le gêner énormément. C?est qu?il est susceptible le monsieur !
Et puis, lui proposer quoi ? Je n?en ai pas encore la moindre idée.
Qu?avons-nous fait durant ces deux dernières semaines ?
D?abord, nous avons parlé. Nous avons beaucoup parlé, je crois que lui comme moi, nous avions du retard à rattraper. Depuis notre accident, nous nous étions repliés sur nous-mêmes, et nous avons éprouvé un réel plaisir d?apprendre à connaitre l?autre, et de lui confier des pensées que nous n?avions dévoilées à personne.
Comme il a pu se remettre à conduire sans aucun problème, nous sommes allés faire des balades. L?un comme l?autre, nous sommes amoureux de cette haute Provence et nous sommes allés ensemble voir le théâtre antique d?Orange, les vestiges romains de Vaison-la-Romaine, et nous avons visité des poteries à Dieulefit.
Demain, nous avons prévu d?aller au cinéma dans l?après midi à Valréas. Nous nous entendons bien. Très bien même. Il n?y a que certains moments où Yves m?énerve. Je sais bien qu?il ne peut pas s?en empêcher, mais il faut qu?il s?excuse de l?accident qu?il avait occasionné, dont il était responsable, et bla, bla, bla et bla bla bla. Et si je suis comme ça, c?est de sa faute, de son unique faute???Il m?énerve à la fin. Je le lui dis, bien sûr, mais il y revient toujours.
Je finirai bien par le convaincre que nous sommes victimes d?un évènement totalement indépendant de nos volontés. Quand on y réfléchit, c?est même comique. Moi qui lui en voulais tellement, avant de le connaitre, c?est moi maintenant, qui dois le consoler et lui démontrer qu?il n?est pour rien dans notre accident.
Est-ce parce que je le crois vraiment, ou est-ce surtout parce que je ne veux pas perdre cet ami, peut être plus malheureux que moi, et dont la présence m?est devenue nécessaire.
Peu importe après tout. Il m?apporte un apaisement et je suis certain, qu?en ma présence, il ressent le réconfort d?être pardonné.

LE 31 MARS
Il me semble que cette journée est importante. Rien objectivement ne m?en apporte la preuve, mais j?en ai l?intime conviction.
Comme nous l?avions prévu, nous sommes donc allés au cinéma à Valréas.
Pour mieux placer mes jambes, je me mets toujours sur un fauteuil en bordure de l?allée de droite. Yves était à ma gauche, et à sa gauche, une jeune femme était déjà installée.
Nous avions lu une assez bonne critique de ce film dans la presse. En fait c?était un navet, sirupeux, de ce genre que, les américains qui en produisent des tonnes, ont su si bien devenir les maitres producteurs.
Mais peu importe. Il faisait bon, nous étions bien assis, et nous sommes restés jusqu?au bout.
A la fin de la séance, je me suis levé le premier, Yves m?a suivi, puis la jeune femme. Comme je marche assez lentement, elle vint heurter de son talon, mon tibia droit.
Absolument désolée, elle s?est excusée et me demanda si j?avais très mal, je lui répondis.
- Comme vous le voyez, cette pauvre jambe en a vu d?autres, et précisément à l?endroit où vous m?avez heurté, c?est une partie morte qui ne sent pratiquement rien.
- Je suis heureuse de ne pas vous avoir fait trop mal, mais je n?ai pas pu voir l?endroit où je vous ai heurté, car je suis aveugle.
Ce fut à mon tour de m?excuser pour ne pas l?avoir constaté par moi-même, et, la regardant droit dans ses yeux qui ne voyaient rien, je lui dis, ce qui était la pure vérité.
- Vraiment madame, je ne veux pas mettre votre parole en doute, mais vous avez des yeux magnifiques, et il m?est impossible de penser que vous ne me voyez pas. Comment pouvez vous vous déplacer, vous n?avez même pas une canne blanche !
- Simple coquetterie provisoire dit-elle, en retirant de son sac une canne télescopique blanche qu?elle déplia et qu?elle rendit rigide en cliquant sur un bouton.
- Si vous voulez troquer votre canne et me donner le bras, proposa Yves, je suis à votre disposition.
- Je regrette, lui dis-je à mon tour de ne pas avoir pu vous faire cette proposition, mais j?ai moi-même du mal à marcher. Je peux en tous cas me présenter : Pierre Duchêne.
- Yves Cafadec se présenta mon ami à son tour.
- Diane Chanteur dit-elle. Je veux bien rentrer ma canne et accepte volontiers votre offre?..J?aurais l?impression d?être normale durant quelques instants.
- Vous savez, Diane, reprit Yves, nous sommes tous les trois des handicapés. Pierre et moi sommes des accidentés de la route, et c?est moi qui suis responsable?.
- Arrête !! criais-je à Yves. Je te l?ai dit 1000 fois. Il n?y a pas un responsable d?un côté et un handicapé de l?autre, il y a deux victimes d?un évènement qui est survenu « à l?insu de nos pleins grés » selon l?expression devenue célèbre d?un cycliste.
























CHAPITRE 4




Nous sommes sortis du cinéma, Diane au bras d?Yves, et moi à côté d?eux en clopinant, et après un long moment de silence, c?est Diane qui reprit.
- Quand avez-vous eu votre accident ?
- En Juillet dernier, il y a plus de 8 mois. Est-ce aussi à la suite d?un accident, que vous êtes atteinte de cécité ?
- Oh, moi, dit-elle en souriant, mais avec une tristesse qui contrastait avec ses propos, c?est une histoire drôle.
J?avais été hospitalisée pour une simple opération de l?appendicite, il y a cinq ans, l?opération s?est très bien passée, selon l?expression consacrée, et j?en suis sortie, sans mon appendice, et ??.privée de vision. C?est curieux, non ? J?ai pris une maladie nosocomiale lors de mon séjour, et ces sales virus ont choisi de s?attaquer à mes yeux, c?est un peu inattendu, non ?
Des larmes coulaient sur ses joues qu?elle essuyait furtivement, et c?est Yves qui proposa.
- C?est le hasard qui nous a fait nous rencontrer, Pierre et moi. C?est toujours le hasard qui nous a placés à coté de vous au cinéma, Diane. On ne peut combattre le hasard, alors, si vous le voulez, allons prendre un pot ensemble.
Nous sommes allés à la terrasse d?un café, et j?ai pu tout à loisir détailler Diane. Le Pierre « d?avant » serait tombé follement amoureux de cette jeune femme, et, avec son physique avantageux, il n?aurait sans doute pas manqué d?éveiller l?attention de la belle?..Si elle avait pu le voir.
Il est difficile de dire ce qu?il y a de plus attirant en Diane. Elle a un corps splendide, une taille fine, un visage d?une fraicheur qui vaut tous les maquillages du monde, et puis?.et puis, je sais que ce que je vais écrire est assez incroyable, pourtant, ce n?est pas l?amour du paradoxe qui me le fait dire, mais la pure vérité : Ce qu?elle a de plus extraordinaire, c?est son regard. Oui, cette aveugle a un regard vivant, doux, qui est peut être le premier charme qui saute aux yeux.
Je ne pus m?empêcher d?en faire la remarque.
- Diane, j?ai beaucoup de mal à penser que vous ne voyez pas. Votre regard est si vivant.
- Pierre a raison, renchérit Yves. Des yeux, atteints de cécité n?ont pas cette expression. En tous cas, il est impossible que votre état soit définitif. Il y a trop de vie dans vos yeux.
- Vous êtes gentils tous les deux, mais, malheureusement mon cas est incurable. J?ai consulté de nombreux spécialistes et leurs diagnostics sont tous identiques.
Après un moment de silence, elle ajouta :
- Vous ne savez sans doute pas ce qui est pénible pour moi ? C?est de parler avec des inconnus. Par inconnus, je veux dire des personnes dont je ne connais pas le visage.
Si ma proposition ne vous semble pas trop osée ; je vous propose de venir chez moi. Je vous présenterais ma s?ur cadette avec laquelle je vis, et si vous le voulez bien en parcourant vos visages de ma main, je saurais exactement à quoi vous ressemblez. Je n?aurais pas fait cette demande à n?importe qui, mais puisque, vous l?avez dit vous mêmes nous faisons partie tout les trois du clan des abimés de la vie, je suis certaine que vous me comprendrez.
Pour dire vrai, j?étais personnellement un peu surpris par cette étrange proposition. Et puis la pensée que ces doigts fins et délicats allaient se promener sur mon affreuse balafre ne me réjouissait pas outre mesure.
D?un autre côté, elle avait présenté sa requête avec tant de simplicité, qu?Yves, comme moi-même, avons donné notre accord.
Elle habitait une petite maison avec un jardin qui la séparait de la rue. Une fois le portail franchi, elle lâcha le bras d?Yves, et l?on voyait qu?elle circulait sans aucune hésitation. Elle connaissait par c?ur son « chez elle »
En nous entendant arriver, sa s?ur vint nous accueillir. Diane nous la présenta. Lise lui ressemblait un peu, en beaucoup plus timide, et assez mal fagotée, alors que Diane était élégante.
Nous avons discuté de choses et d?autres durant quelques minutes, et très vite Lise s?excusa de devoir nous quitter. Elle est correctrice pour une maison d?édition, et elle devait rapidement terminer la lecture d?un livre qui devait être retourné dès le lendemain.
Au cours de notre conversation, nous avions, Yves et moi, expliqué que nous étions à la recherche d?une activité, et à cette occasion, Yves m?apprit qu?il avait un rendez-vous le lendemain pour un entretien d?embauche.
De son côté, Diane nous apprit qu?influencée sans doute par la profession de sa s?ur, elle avait commencé à écrire un roman.
Lorsque nous nous sommes retrouvés tout les trois, Diane nous demanda en souriant si elle pouvait « faire notre connaissance ». Nous avions déjà donné notre accord, et elle commença par Yves.
J?avoue que le spectacle était assez curieux. Diane commença par promener ses mains sur le crâne d?Yves, afin d?apprendre sa forme exacte. Ses gestes étaient doux, lents, elle revenait plusieurs fois pour bien enregistrer toutes les caractéristiques, du crâne d?abord, puis de son visage.
Elle s?attarda bien sûr, sur l?emplacement de l?oreille arrachée, et sur la cicatrice de la trépanation. Durant tout son examen, elle ne posa que deux questions.
De quelle couleur sont vos cheveux ?
Quelle est la couleur de vos yeux ?
Lorsqu?elle eut terminé, elle dit :
- Merci, Yves. Maintenant, je vous connais parfaitement. A vous Pierre.
Je lui répondis que j?étais bien sûr à sa disposition, mais que mes séquelles étaient encore plus importantes sur mes jambes et mon bassin que sur mon visage.
- Peu importe, Pierre. Je veux connaitre votre visage.
Elle se livra sur moi au même examen, s?attardant, beaucoup trop à mon gré sur ma longue balafre, et mon nez déporté sur la droite. Elle me posa les deux mêmes questions qu?à Yves, sur la couleur de mes cheveux et de mes yeux.
A la fin de son étude, elle me remercia pour ma patience, en précisant qu?elle savait parfaitement combien j?avais trouvé désagréable les moments passés sur ma cicatrice. Puis elle ajouta :
- J?avoue que je ne vous comprends pas. Seriez- vous l?un et l?autre masochistes ?
Yves, vous avez eu une oreille arrachée et vous avez subi une trépanation. La chirurgie esthétique pourrait facilement vous réparer tout ça. Pourquoi ne pas le faire ? Et puis, même sans parler de chirurgie esthétique, pourquoi vous faites-vous couper les cheveux si courts ? On dirait que vous voudriez que tout le monde puisse bien voir vos blessures. Il suffirait de changer de coiffure pour cacher entièrement la cicatrice de votre trépanation, et presqu?entièrement votre blessure à l?oreille. De plus une chevelure plus longue, vous irait parfaitement.
Quand à vous, Pierre, mon incompréhension est identique. Vous étiez très beau et vous pourriez le redevenir aisément. Votre nez, pourrait être remis dans sa forme antérieure sans aucune difficulté, quand à votre cicatrice, elle pourrait être sérieusement atténuée, et donnerait même à votre visage, une virilité, un charme supplémentaire.
Pouvez- vous m?expliquer pourquoi vous ne faites rien pour devenir pratiquement normaux ?
- Je dois dire, Diane que pour une non- voyante, vous avez une redoutable acuité visuelle??. Sinon psychologique.

Pour ma part, du jour où j?ai pris conscience que je faisais partie pour toujours de la confrérie des handicapés, j?ai décidé de ne rien faire pour atténuer mes séquelles.
- En ce qui me concerne, ajouta Yves, j?ai toujours considéré que j?étais responsable de l?accident et des conséquences qu?il avait eues sur l?intégrité physique de Pierre. J?ai donc décidé de ne rien faire pour cacher mes propres infirmités. Je n?en avais pas le droit.
- Au fond, c?est bien ce que je craignais. Vous êtes tous deux masochistes. Il serait temps que l?un et l?autre, vous reveniez à des conceptions plus saines. Si vous en avez les moyens (et même si vous ne les avez pas, Yves, je vous ai dit comment procéder) vous devez vous efforcer de revenir vers la normalité.
- Je vous l?ai dit tout à l?heure, repris-je, ce ne sont pas les séquelles sur mon visage qui sont les plus importantes. Si vous pouviez me voir marcher, vous seriez prise entre deux possibilités également gênantes : Soit éclater de rire devant ma démarche, soit me plaindre du fond du c?ur.
- Là encore, je suis certaine que vous exagérez. D?ailleurs je saurai facilement à quoi m?en tenir. Il suffira que nous fassions quelques pas ensemble. Je vous tiendrai le bras, et je vous « verrai » aussitôt.
Cette femme est extraordinaire. Elle nous avait dit tout à l?heure que nous faisions partie du clan des « abimés de la vie », mais il n?était pas évident qu?elle faisait partie de ce clan. Je le lui dis d?ailleurs.
- - Diane, vous nous avez dit que nous étions trois handicapés. Si c?est évident pour Yves et pour moi, je n?ai pas l?impression que vous faites partie de notre camp. Vous êtes merveilleusement belle, très naturelle, sans complexe?..
- Pierre, je suis un peu déçue que vous ne me compreniez pas. C?est vrai que mon handicap est plus ancien que le votre, et que j?ai pu, à force de volonté « faire comme si » j?étais normale. Mais il n?en est rien.
J?ai perdu mon indépendance. J?adorais conduire, je ne pourrai plus le faire, et je suis dépendante des autres pour me déplacer. Je peux imaginer, mais je ne vois jamais un beau paysage, les expressions des personnes avec lesquelles je me trouve, Dans un lieu inconnu, je suis complètement perdue. Croyez-moi, la perte de la vue est plus handicapante que vos petites cicatrices.
Des larmes coulaient sur ses joues, et je ne savais comment réparer ma remarque idiote. C?est Yves qui reprit
- Je dois dire que j?étais comme Pierre, avant vos explications. La raison en est simple : Vous avez trop bien réussi votre tentative pour être comme les autres. Même vos yeux, où siège votre infirmité sont beaux et vivants.
Sur un air plus léger, il ajouta :
Ceci dit, je crois pouvoir dire que vous êtes acceptée dans le clan des cabossés de la vie. Pierre et moi n?avons qu?une chose à faire : essayer d?imiter votre courage pour redevenir des personnes presque normales.
- Fort bien. Alors, Yves, commencez par vous laisser pousser les cheveux, quant à vous Pierre, étudiez sérieusement, dans un premier temps, l?achat d?une voiture, puis, de la faire aménager pour vous, et enfin, de passer un permis spécial handicapé.



CHAPITRE 5


LE 1er AVRIL


Lorsque nous nous sommes quittés, hier en fin d?après midi, j?ai dit que je reviendrais la voir aujourd?hui. Comme Yves devait aller à Orange pour son entretien d?embauche, j?ai demandé ce matin à mon père, s?il pouvait me conduire à Valréas, dans l?après midi, ce qu?il a accepté avec grand plaisir car il était heureux de me voir sortir de mon isolement.
Au déjeuner, nous avons eu des moments bien émouvants.
Nous venions juste de nous attabler, ma mère, mon père et moi, lorsque je leur annonçais.
- J?ai pris de grandes décisions.
Tout d?abord, je vais acheter une voiture et je vais la faire adapter à mes handicaps. Je pense que mon pied gauche pourra sans trop de problème s?occuper de la pédale de débrayage. En ce qui concerne le frein et l?accélérateur, les commandes seront posées, je pense, sur le volant. Il parait que ce sont des aménagements classiques. Bien sûr, je devrais passer un nouveau permis de conduire.
A plus long terme, je pense que je vais avoir recours à la chirurgie esthétique, pour me faire redresser le nez, et atténuer ma cicatrice.
Je pensais que ces nouvelles feraient plaisir à mes parents, mais leurs réactions ont été pour moi inattendues.
Ils se sont levés, se sont précipités, l?un à ma gauche, l?autre à ma droite, se disputant presque pour m?embrasser le plus fort. Ils pleuraient de joie, et prononçaient tout deux le même mot :
Enfin, Enfin !!
Depuis mon accident, ils attendaient que je réagisse, et moi, je ne me rendais compte de rien. Bien sûr, je savais qu?ils étaient malheureux de me savoir diminué, mais je pensais qu?ils avaient accepté cette situation, comme moi-même, et qu?ils avaient pris la décision de « faire avec ».
Je pris conscience de ce qu?ils avaient eux aussi souffert en silence, alors que replié sur moi-même, uniquement sur moi, je ne voyais rien du tout.

- Pardon, leur dis-je ! Je vous ai fait souffrir par mon apathie. Je ne voulais pas réagir, et préférais macérer dans mon malheur.
- Je ne sais à qui nous devons ta renaissance, Pierre, me dit mon père, mais que cette personne soit bénie mille fois.
- Je pense, reprit ma mère, que ton ami Yves avait commencé ta résurrection, mais il doit y avoir un autre ange qui a du intervenir, je me trompe mon fils ?
- Cet ange dont tu me parles, papa, je pourrais te le présenter tout à l?heure, si tu le veux, quand tout à l?heure tu m?accompagneras à Valréas.
- « Le », dis tu, interrogea ma mère ? C?est donc un homme ?
- C?est toi maman qui a parlé d?ange, et tu le sais, les anges n?ont pas de sexe, répondis-je en riant.
- Alors d?accord, mon fils. Tu me présenteras cet être asexué, que je remercierais chaudement pour être la cause de ta métamorphose.
Pour terminer cette conversation, ma mère laissa paraitre sa préoccupation.
- J?aurais tant aimé que ce soit une femme !
Dans l?après midi, alors que dans la voiture de mon père, nous allions à Valréas, je tins à le prévenir.
- Papa, la personne que nous allons voir, est comme Yves et moi-même. C?est une personne handicapée, aveugle pour être précis.
- Le pauvre homme ! me dit papa, la cécité est plus handicapante que tes propres blessures.
- Pourtant, tu constateras, que ce « pauvre homme », comme tu l?appelles, s?en tire merveilleusement bien.
Lorsque Diane vint nous ouvrir, je dis à mon père :
- Voici l?ange dont parlait maman.
La tête de papa était à voir. Quel dommage que Diane n?ait pu profiter de ce spectacle. Il est resté plusieurs secondes la bouche ouverte. Je ne sais si c?était le fait qu?il s?agissait d?une femme, alors qu?il s?attendait à un homme, ou s?il ne pouvait croire qu?elle était aveugle, ou encore,, plus simplement qu?il était subjugué par sa beauté, toujours est-il que Diane avec sa sensibilité hors norme, se rendit compte qu?il se passait quelque chose, et je tins à le lui expliquer immédiatement.
- Figurez-vous, Diane, que ma mère a parlée d?ange en faisant allusion à la personne qui avait pu me changer ces derniers temps. Profitant du fait que les anges n?ont pas de sexe, j?ai laissé penser à mes parents qu?il s?agissait d?un homme. D?où, la grande surprise de mon père.
- L?explication de mon fils est incomplète, madame. Il nous avait dit que cette personne était non-voyante, or, en vous regardant, j?ai du mal à le croire.
- C?est pour moi, un merveilleux compliment. Merci monsieur.
Le seul petit ennui au cours de cette journée mémorable, c?est que mon père subjugué par Diane, ne pouvait se résoudre à nous laisser, et il a fallu que je lui demande de venir me rechercher vers 19 heures, pour qu?il réalise que je désirais rester seul avec Diane.
Mon père parti, Elle me proposa de faire un petit tour à pied autour de chez elle.
- Comme j?ai eu l?occasion de vous le dire, en vous tenant par le bras, je me rendrai parfaitement compte de vos problèmes.
Cette attention tournée vers mes handicaps ne me plaisait pas du tout, mais je ne pouvais rien refuser à Diane.
- Soit, lui dis-je. Allons jouer la fable de Florian sur l?aveugle et le paralytique !
- Je sais, je sais, Pierre, il vous est désagréable de penser et plus encore de parler de vos handicaps, mais cela sera fait une fois pour toutes. Venez !
Nous sommes sortis du jardin. Elle me tenait le bras droit, et devait se tenir un peu éloignée de moi, car ma jambe effectuait à chaque pas un balayage latéral du plus curieux effet.
Après une centaine de mètres, elle vint me prendre le bras gauche. Là, elle pouvait se tenir plus près de moi, car le mouvement latéral de ma jambe était de bien moins grande amplitude.
Elle me dit :
- Maintenant, j?en ai la certitude. Vous allez pouvoir conduire. Votre pied gauche est parfaitement capable d?actionner la pédale de débrayage. Pour l?accélérateur et le frein, il suffira de les fixer sur le volant, par exemple, pour que puissiez les man?uvrer manuellement. Je suis impatiente de vous voir conduire. Vous voudrez bien m?emmener me promener ?
- C?est la première fois, Diane, que je vous prends en flagrant délit de coquetterie. Bien sûr, je serai heureux de vous emmener dans ma voiture, vous le savez parfaitement!
- C?est vrai. Je l?espérais. Rentrons maintenant. Je sens que vous souffrez. Pensez à vous faire faire des massages par un Kiné. Promis ?
- Promis !
Une fois revenus dans le salon nous avons parlé un peu de notre passé, et beaucoup de l?activité que nous pourrions exercer avec nos handicaps.
Diane me dit qu?elle avait commencé à écrire un roman, qui n?avait rien d?autobiographique, il y a 6 ou 7 mois. Elle pensait pouvoir le terminer dans un mois et me demandait si elle pouvait me le faire lire, pour que je lui donne, très franchement, avec une sincérité totale, mon opinion sur la valeur de son écrit.
Comme je m?étonnais qu?elle puisse écrire, elle me dit qu?elle n?avait maintenant aucune difficulté, car elle savait, sans tâtonnement où se trouvaient chaque lettre et signe de son clavier d?ordinateur.
Je lui promis mon entière objectivité, et elle me dit qu?elle achèverait un chapitre le soir même, pour pouvoir me prêter son manuscrit le lendemain.


LE 2 AVRIL

Yves est venu me chercher en tout début d?après midi. Il est tout heureux. Il a eu, hier, son premier entretien d?embauche, cela s?est très bien passé, et s?il n?attend une réponse définitive que dans une semaine, il est cependant persuadé qu?elle sera positive.
Je ne sais pas pourquoi, je n?ai pas parlé du livre de Diane, et je ne lui ai pas dit, non plus, qu?elle allait me prêter son manuscrit. C?était un problème entre elle et moi, et Yves devait rester en dehors de notre petit secret.
Assez curieusement, l?ambiance à trois dans l?après midi était moins détendue, moins franche, moins agréable que celle d?hier durant laquelle, après le départ de mon père, nous étions restés seuls, Diane et moi.
Il est vrai qu?Yves a beaucoup parlé de lui, de l?entretien qu?il avait eu, des activités de la société dans laquelle, il était certain de pouvoir entrer, ainsi que des possibilités d?avenir qui se présentaient à lui.
Bien sûr, j?étais heureux de savoir que mon ami allait pouvoir reprendre une activité, avoir des revenus convenables, mais je sentais bien que nous allions nous éloigner l?un de l?autre car il était sur le point de rentrer dans le troupeau des gens normaux.
Et puis, durant cet entretien, il m?avait bien semblé que Diane était sous le charme d?Yves, qui, il est vrai, sait, quand il le veut avoir une conversation brillante. Oui, je l?avoue, je commençais à jalouser cet homme qui m?avait amoché?.je ne pouvais m?empêcher d?y penser.
Contrairement à son habitude, la s?ur de Diane, Lise est restée presque toute l?après midi avec nous. Elle a beaucoup discuté avec Yves, elle, si réservée, si muette habituellement. Aurait-elle, elle aussi, un petit faible pour mon ami ? Ce serait trop injuste, et je sentais nettement, que je recommençais à me replier sur moi-même. Cette régression, dont j?avais conscience, était difficilement supportable.

LE 3 AVRIL
Yves m?a prévenu hier soir très tard, que sa tante de Valence venait de se casser le col du fémur, en tombant dans son escalier. Il devait aller passer sa journée du lendemain auprès d?elle.
J?ai pensé que sans Yves, mes discussions avec Diane seraient plus agréables, et j?ai donc, une fois encore, faire appel au service de mon père, pour qu?il me conduise à Valréas. Je dois dire, que je n?ai pas eu à insister. Il est doublement heureux. De me voir sortir de la solitude dans laquelle je me complaisais depuis mon accident, (Il ne savait pas que je retournais à la case départ) et il trouve Diane extrêmement attrayante. Je suis certain qu?il aimerait bien la voir devenir sa belle fille, alors que moi-même, avec mes disgrâces physiques, et l?attitude de Diane, vis-à-vis d?Yves, je m?efforce bien vite de chasser cette hypothèse invraisemblable, quand elle me vient à l?esprit.
Comme la première fois, j?ai du bousculer un peu papa pour qu?il nous laisse seul. Décidemment, il apprécie beaucoup sa compagnie.
Après le départ de mon père, j?ai aussitôt demandé à Diane si elle pouvait me prêter son manuscrit.
- Je vous ai promis de le faire, Pierre, mais je dois vous dire que j?hésite un peu. Je n?avais jamais écrit. Personne, même pas ma s?ur, n?a lu les 200 pages déjà écrites, et si j?ai éprouvé du plaisir à inventer une histoire, j?ai très peur que vous trouviez le style simpliste, et le déroulement de l?action sans intérêt.
- Je suis persuadé que vous êtres trop modeste, et quoiqu?il en soit, j?ai la certitude de retrouver un peu de vous dans ce que vous avez écrit.
- Ce n?est absolument pas autobiographique se défendit-elle aussitôt. Non. C?est une histoire qui se passe à une autre époque, en d?autres lieux, et mon personnage ne s?y trouve pas.
- En tout état de cause, lui répondis-je en souriant, vous avez promis de me le prêter, et bien sûr, vous ne pouvez faire autrement que de tenir votre promesse?..
Elle me remit son manuscrit et tout le reste de l?après midi, nous avons discuté littérature. Elle est parfaitement au courant des derniers livres parus, et comme je n?ai pu m?empêcher de me montrer un peu surpris, elle me dit que d?une part, elle avait appris le Braille et faisait partie d?une association, mais que surtout, ce qui avait changé sa vie, c?était le livre électronique sur lequel elle pouvait télécharger des livres qu?elle écoutait en audio.
























CHAPITRE 6




LE 4 AVRIL
J?ai lu le roman de Diane, jusqu?à 2 heures ce matin. Il n?a rien d?autobiographique m?avait-elle dit. Au sens strict, elle avait parfaitement raison. Pourtant, c?est tout elle qui est passé dans son manuscrit. J?ai plus appris sur elle au cours de ma lecture que durant les nombreuses heures de conversation que nous avons eues.
Elle a placé le déroulement de son intrigue à la fin du XIXème siècle. L?action se passe en Algérie, et comme elle n?a certainement pas pu consulter une documentation depuis son handicap, c?est qu?elle possédait déjà depuis des années, des connaissances assez approfondies sur ce pays, à cette époque. Il faudra que je lui demande d?éclaircir ce point. L?héroïne n?est pas à son image, mais Diane a répartie dans trois de ses personnages, ses propres sentiments, sa propre sensibilité, et pour moi, c?est d?une clarté absolue. Sous couvert d?une ?uvre de pure imagination, j?ai la certitude qu?il s?agit, consciemment ou non, d?une véritable thérapie. Certains passages sont terriblement émouvants et font irrésistiblement penser aux douleurs qu?elle a traversées, qu?elle ressent sans doute encore. A plusieurs reprises, dans mon lit, j?ai pleuré en pensant à la force de caractère qu?il lui faut pour cacher aux autres le désespoir qui l?habite souvent.
Elle donne dans la vie l?impression d?une femme toujours tournée vers les autres, parce qu?elle-même n?a en fin de compte, pas trop de problème avec sa cécité.
Je me suis rendu compte que c?était faux, archi faux. Certes, sa bonté naturelle la fait se pencher sur les misères des autres, les miennes quand nous sommes ensemble, mais je n?avais jamais imaginé combien elle souffrait de son état, et je m?en veux maintenant de ne pas l?avoir senti. Quel égoïsme de ma part !!! Je me sens très moche tout à coup, de n?avoir, depuis mon accident pensé qu?à mes propres misères, en étant persuadé que j?étais seul à ressentir les conséquences d?un sort injuste. Son handicap était aussi injuste que le mien, mais elle ne s?en plaignait jamais, et se tournait si naturellement vers les problèmes des autres, qu?il ne venait pas à l?idée qu?elle puisse en avoir de sérieux elle-même.
Yves est toujours chez sa tante, et ne peut donc me conduire à Valréas aujourd?hui. Par ailleurs, je ne veux pas demander chaque jour à mon père de m?amener, puis de venir me rechercher chez Diane. Je ne la verrai donc pas aujourd?hui, et j?en suis malheureux, tout en pensant que ce serait peut être mieux?
Et voilà, comme toujours, je ne pense qu?à mes propres désagréments. D?un autre côté, il est probable qu?elle n?attache pas autant d?importance que moi, à nos rencontres. Elle doit souffrir d?avantage de l?absence d?Yves.
Autre raison pour ne pas aller chez elle : Je me sens tellement moche, inférieur à elle, et cette constatation toute nouvelle ne me permettrait certainement pas de trouver les mots pour lui dire combien je suis honteux en me comparant à elle. Car c?est vrai, je suis honteux.
(A suivreà


CHAPITRE 7


LE 30 SEPTEMBRE

Il y a presque 6 mois que je n?ai pas sorti ce carnet de mon tiroir.
Je ne peux pas dire qu?il ne se soit rien passé, au contraire, il y a eu une multitude de petits faits, mais aucun n?avait eu suffisamment d?importance pour m?amener à reprendre la plume.
Avant d?en venir à ce qui m?a fait ressortir ce carnet, je vais tout de même dire ce qui s?est passé depuis 6 mois.
En relisant les dernières lignes, écrites il y a six mois, je me souviens parfaitement que dans mon esprit, une nouvelle évidence se dessinait. Dans le trio que nous formions, Diane, Yves, et moi, il y avait quelque chose de cassé.
A vrai dire, Diane et Yves, avaient envers moi la même attitude. C?est moi qui m?éloignais d?eux. Je sentais que peu à peu, je revenais à l?état où je me trouvais après mon accident, jusqu?au moment où j?avais fait la connaissance d?Yves. J?avais cependant gagné une chose de notre expérience de trio uni, du fait de nos handicaps. Je ne voulais plus rester inerte, j?avais besoin d?agir.
Puisque je redevenais seul, je voulais à tout le moins reconquérir mon indépendance.
Bien sûr, il m?était suprêmement désagréable d?être tributaire d?Yves, qui d?ailleurs, a été très rapidement embauché et partait chaque jour travailler à Orange. Je n?aimais pas non plus devoir demander à mon père de me véhiculer.
J?ai donc commencé par acheter une voiture, pour la faire aménager en fonction de mon handicap. Très vite, je me suis senti à l?aise dans ma voiture. Je me servais sans problème du débrayage d?origine, l?accélérateur était sur le volant, quand au frein, c?était un levier, relié à la pédale que j?actionnais de la main droite.
J?ai pris quelques cours pour repasser mon permis d?handicapé, et tout s?est déroulé normalement, en un temps relativement rapide.
Mon permis en poche, sans même rentrer chez moi, je suis allé chez Diane pour lui proposer de faire une petite balade. C?était une sorte de défi. J?obéissais à un besoin de lui faire faire voir, que j?avais su acquérir mon indépendance dans le domaine des transports. Avec le recul, je dois dire que cet acte n?était pas particulièrement de bon goût vis-à-vis d?elle, qui était condamnée à ne jamais conduire de sa vie. Mais sa nature était tellement généreuse, qu?elle se montra très heureuse de me voir franchir cette marche, comme si c?était à elle que cela arrivait.
Nous sommes allés à Buis les Baronnies, où nous avons déjeuné dans un petit restaurant agréable, et nous sommes revenus à Valréas par le chemin des écoliers.
En déposant Diane chez elle, elle me dit :
- Merci Pierre pour cette charmante journée. Durant quelques heures, grâce à vous, il m?a semble que j?étais moins handicapée que d?habitude. Vous conduisez très bien, et je me sentais en sécurité.
Pour un néo-conducteur, handicapé, pouvait-il y avoir compliment plus agréable à entendre ? Et pourtant, je n?étais pas du tout fier de moi.
Décidemment mon infirmité m?a révélé une personnalité peu sympathique. Avant mon accident, je trouvais que j?étais un garçon très gentil. Je m?aimais bien. Ce n?est plus le cas maintenant.
Yves et moi, nous ne pouvions plus nous voir que durant les weekends, et cela me suffisait amplement.. Suivant les conseils de Diane, il laissait pousser ses cheveux, et il prit la décision de se faire opérer, pour faire disparaitre l?in esthétisme de son oreille arrachée et de sa cicatrice de trépanation.
Ma propre décision fut prise dans la foulée. Après tout, moi aussi, j?allais avoir, désormais, un visage à peu près normal, et c?est début Juin, que je suis entré dans une clinique de Lyon, pour me faire redresser le nez et atténuer ma longue cicatrice rouge.

Comme toujours, Diane me soutint dans cette période. Cependant, la veille de mon départ pour Lyon, étant arrivé chez elle un peu plus tôt, je trouvais une Diane en pleurs. J?étais bouleversé et elle ne voulait pas me dire la cause de son chagrin.
Devant mon insistance, elle finit par me dire :
- Voyez ce qui se passe avec Yves. Il est devenu normal et il s?éloigne de nous, ce qui s?explique parfaitement, puisqu?il est redevenu normal. Vous-même allez être bientôt un homme normal, j?en suis certaine. Vous avez votre indépendance grâce à votre voiture, et votre visage va reprendre vos traits de naguère. Alors, très normalement vous allez vous éloigner de moi. Je devrais me réjouir pour vous, mais je ne suis qu?une pauvre femme aveugle et égoïste. Pardonnez- moi.
Je suis loin de l?ange dont vous parliez à votre père. Très, très loin.
Ainsi, contrairement à ce que je pensais, si Yves s?échappait de notre groupe, Diane, elle, restait bien à mes côtés.
J?étais si heureux de cette constatation que je parvins, à force de plaisanteries, à ramener le sourire sur ses lèvres
Je suis monté le lendemain à Lyon, seul, au volant de mon véhicule. Mon hospitalisation devait durer une huitaine de jours.
Une semaine après l?intervention chirurgicale, mes bandages furent enlevés, et le chirurgien qui était à mes côtés, me dit :
- Vous allez pouvoir constater une énorme amélioration, mais évidemment il faudra encore un mois, pour que vous retrouviez à peu de chose près, votre visage d?avant votre accident.
Le fait est que mon nez était revenu dans sa position normale, même s?il était assez rouge, quand à ma longue balafre, s?il existait des traces sur la tempe et sous le menton, il fallait concentrer son attention pour voir de très légères séquelles sur la joue. Bien sûr, il y avait encore des traces roses mais le médecin me dit que cette couleur elle-même, allait s?atténuer, et que je reprendrais mon teint normal. La suite prouva qu?il avait raison.
C?était encourageant, et, le chirurgien sorti de ma chambre, c?est à Diane que je téléphonais en priorité, avant d?annoncer la bonne nouvelle à mes parents.
Revenu chez moi, lors de ma première visite chez elle, Diane voulait que je la laisse, « voir avec ses mains » le changement intervenu. Je voulais que mon état soit consolidé, c'est-à-dire dans un mois, avant de la laisser « me manipuler ». Finalement, nous avons transigé, et je lui ai dit qu?elle pourrait faire connaissance avec mon nez dans huit jours.
Une semaine plus tard, elle se disait extrêmement satisfaite des résultats de mon opération.
L?autre problème auquel je me suis attaqué, était la liquidation matérielle de mon accident.
Yves avait été traduit devant le tribunal correctionnel. Bien entendu, il n?était pas question que je me porte partie civile contre lui. Dés l?accident, la compagnie d?assurances d?Yves était entrée en contact avec moi, et m?avait versée une provision, en attendant le règlement définitif.
Mon état étant considéré par les experts médicaux comme consolidé, de longues discussions s?engagèrent entre les assureurs, et l?avocat que j?avais pris pour défendre mes intérêts.
Finalement, une transaction eut lieu, et tous préjudices confondus (Incapacité Permanent partielle, préjudice esthétique, prétium doloris etc) c?est la somme de 950.000 euros qui me fut attribuée.
Une belle somme, mais que je ne voulais pas considérer comme devant me permettre de vivre sans travailler.
Certes, il m?était possible, par exemple, d?acheter plusieurs studios et d?avoir des revenus suffisants avec la rentrée des loyers, mais je ne pouvais me contenter d?être le simple gérant de mes biens immobiliers. Je voulais avoir une activité, une vraie, comme tout le monde.
« Comme tout le monde » c?est ce que je voulais être dans tous les domaines. Malheureusement, avec mes pattes folles, je n?étais pas comme tout le monde et tous les raisonnements du monde, ne pouvaient me libérer de ce sentiment d?infériorité qui ne m?avait jamais quitté depuis mon accident.
Après avoir résumé les petits faits qui ont jalonné ma vie durant les 6 derniers mois, j?en viens à la nouvelle qui m?a fait reprendre aujourd?hui le cours de mon récit.
Je savais que Diane avait déposé, il y a deux mois, son manuscrit chez l?éditeur pour lequel sa s?ur faisait des corrections.
Par ailleurs, je m?étais amusé à écrire une petite nouvelle d?une cinquantaine de page. Je l?avais donnée à Diane pour qu?elle me donne son avis, mais elle ne me l?avait pas rendue, et je ne la lui avais pas demandée, pensant qu?elle avait du la mettre dans un tiroir quelconque. Elle m?avait seulement dit qu?elle avait bien aimé cette nouvelle, mais sans insister, ce qui signifiait à mes yeux que son jugement était de simple politesse.
Or, elle avait déposé chez l?éditeur, sans m?en parler, ma nouvelle en même temps que son roman. Et ce matin elle a reçu une lettre de l?éditeur.
Par cette lettre, il disait qu?il aimerait la voir, que son livre l?intéressait et qu?avec quelques modifications et corrections, il était prêt à l?éditer à compte d?éditeur.
Un PS ajouté à la lettre spécifiait que la nouvelle jointe au roman avait également retenu l?attention du comité de lecture, et que son auteur serait également reçu avec plaisir, pour envisager une éventuelle collaboration.
Lise, qui la première avait lu la lettre de l?éditeur, n?en avait pas parlé à sa s?ur. Elle m?avait téléphoné en me demandant de venir rapidement chez elles, sans me dire ce dont il s?agissait, mais en précisant seulement que je ne regretterais pas mon dérangement.
Si bien que Diane et moi avons entendu ensemble la lecture à voix haute faite par Lise, de la lettre de l?éditeur.
Madame
J?ai le plaisir de vous annoncer que la lecture de votre manuscrit a retenu l?attention de notre comité de lecture.
Nous sommes persuadés qu?une collaboration pourrait s?instaurer entre nous.
Nous aimerions que vous nous téléphoniez, afin que nous prenions un rendez vous en nos bureaux.
Très heureux de pouvoir faire prochainement votre connaissance, nous vous adressons nos sentiments les meilleurs.
P.S Vous aviez joint à votre manuscrit une nouvelle écrite par l?un de vos amis. Ce texte est évidemment trop succinct pour que nous envisagions une édition, mais nous aimerions connaitre l?auteur de cette nouvelle, afin d?envisager avec lui, la possibilité d?une collaboration.
Dès la lecture de Lise, terminée, Diane s?écria :
- Mon Dieu, Pierre, comme je suis contente pour vous !!!!
Les pensées traversent notre esprit à la vitesse de la lumière et je ressentis en même temps, une grande joie, et une honte non moins intense.
Inutile d?insister sur la grande joie qui s?explique aisément. Ma petite nouvelle avait retenu l?attention d?un éditeur. Mon plaisir était d?autant plus grand, que j?ignorais que mon petit écrit avait été soumis à un professionnel.
Ma honte, pour être moins évidente, n?en était pas moins réelle. Elle venait du fait que si j?avais retenu surtout le P.S. qui me concernait exclusivement, il en avait été de même pour Diane, qui, avant de penser à la grande nouvelle qui la concernait, s?était spontanément exprimée sur celle qui me touchait personnellement.
Mon égoïsme, en regard de son altruisme exceptionnel, sa grande générosité, me couvrait de honte, et je restais un moment interdit.
- Qu?avez-vous, Pierre ? Vous m?en voulez d?avoir transmis à un éditeur, votre nouvelle, sans vous en avoir parlé au préalable ?
- Vous en vouloir, Diane ? Comment pouvez vous le penser une seconde ? Mais je pense que la plus grande nouvelle, dans cette lettre, c?est que votre roman a été accepté, alors que votre première pensée a été de vous réjouir du PS qui me concernait. Avouez que votre exceptionnelle bonté a de quoi complexer un homme normal.
- Ne soyez pas ridicule. Je suis heureuse d?avoir contribué à votre plaisir. Puisque je suis contente de moi, ce n?est pas de l?altruisme, bien au contraire.
Lise intervint alors :
- Ne vous disputez pas tout les deux pour savoir qui est meilleur que l?autre. Il y a dans la lettre que je viens de vous lire, deux bonnes nouvelles, qui nous font bien plaisir à nous trois. Alors, réjouissons-nous dans un premier temps, et très vite, il faudrait, Diane que tu téléphones à ton éditeur afin de prendre un rendez- vous pour toi, et pour Pierre.
C?est ce qui a été fait dix minutes plus tard. Je viendrai mardi prochain à 9 heures chercher Diane, et nous monterons à Lyon où nous avons rendez vous à 14 heures à la maison d?édition.
En fin d?après midi, Yves est passé nous voir chez Diane. Assez curieusement il n?a pas semblé particulièrement heureux par la grande nouvelle. Il se contenta de nous mettre en garde.
- Faites attention. Avec ces vautours, ce sont toujours les auteurs qui sont grugés. Alors, ils font facilement des compliments au début, ce qui ne signifie pas qu?ils pensent ce qu?ils disent ou écrivent. Mais bien sûr, je serais heureux de me tromper, et que vous en tiriez quelque chose d?intéressant.
Il m?a semblé que Diane avait été très touchée, malheureuse subitement, après les paroles d?Yves, et l?idée revint, lancinante dans mon esprit : Diane aime Yves. Moi, je suis son ami, mais c?est l?autre qui l?attire.
Yves ne s?attarda pas, et après son départ, nous avons longuement discuté, Diane, Lise et moi, sur la curieuse attitude d?Yves. Sa mise en garde était-elle purement amicale, et devait-elle être considérée comme un service rendu, où y avait-il une certaine jalousie ? Nous n?avons pu parvenir à une conclusion unanime, car si Elise et moi penchions pour la deuxième hypothèse, Diane, croyait qu?Yves avait essayé de nous mettre en garde contre des espoirs qui pourraient être déçus.
















CHAPITRE 8




4 NOVEMBRE

Plus de 2 mois, oui, cela fait plus de 2 mois que n?ai pas écrit. Comme j?attends toujours qu?il se passe quelque chose d?important pour le faire, c?est hier que j?aurais du sortir mon carnet, mais j?étais incapable hier soir de faire un compte rendu.
Pour retarder la relation de la journée d?hier, je vais reprendre où j?en été resté, le 30 Septembre.
Je l?ai dit, nous devions aller chez l?éditeur avec Diane. Nous y sommes allés et pour elle, tout va bien. Elle a signé un contrat d?édition et son livre devrait sortir dans deux mois. Pour moi, il s?est passé ce qu?Yves avait prédit. L?éditeur m?a fait un tas de compliments avant d?en venir « aux petites réserves », qui, mises bout à bout, devaient m?amener à la conclusion que si je changeais du tout au tout, mon style, ma syntaxe, mon approche des évènements, mes descriptions etc, il me serait sans doute possible d?être, un jour, édité. Ce qui signifiait en clair, que j?étais encore très loin d?être un écrivain.
Dès le lendemain de cette entrevue, je pris la décision de faire ce que j?avais exclu quelques mois avant. J?allais affecter les 2/3 de mon capital à l?achat de studios, et je me consacrerais à la gestion de mon patrimoine immobilier.
Première reculade, puisque j?avais exclu, il y a quelques mois, cette solution.
En effet, j?aurais aimé avoir une activité à temps complet, pour avoir l?impression de vraiment travailler. Or la gestion de 5 ou 6 studios n?allait pas me prendre beaucoup de temps.
Ma décision prise, je commençais par étudier sur internet les prix des studios dans les deux villes les plus proches, dans lesquelles des étudiants sont susceptibles de chercher à se loger. Car c?est sur ce créneau que je voulais travailler, et je voulais proposer des locations meublées.
Après cette étude préliminaire, je suis allé à plusieurs reprises à Valence, où j?ai déjà signé 2 compromis de vente, l?un pour un studio déjà meublé, l?autre pour un studio vide, pour lequel j?ai commencé les achats de meubles et matériels nécessaires.
Il y a 15 jours je suis allé à Avignon où j?ai également signé un sous seing privé, pour un studio déjà meublé.
Après avoir bien étudié la question, j?ai décidé de me limiter à l?achat de 6 studios au total, entre Valence et Avignon.
J?ai dit que cette option d?activité était une première reculade. En discutant avec des agents immobiliers, également gérants d?appartements, je suis arrivé à la conclusion, que mieux valait être sur place pour faire face à tous les petits problèmes qui peuvent se poser dans un logement, fuite d?eau, appareils en panne, petites réparations diverses.
J?ai donc pris la décision de confier la gestion de mes studios à des professionnels, l?un à Valence, l?autre à Avignon.
Deuxième reculade.
J?ai donc choisi de ne rien faire, et d?attendre chaque mois, la rentrée de mes loyers.
Terminé mon projet de lancer une affaire, avec si possible la collaboration d?Yves !
D?abord, je n?avais plus envie de travailler avec lui, et puis, je n?avais plus envie de travailler du tout. Mon moral était au plus bas, et j?étais assez lucide pour savoir que j?étais tout à la fois incapable et paresseux. En ajoutant à ces caractéristiques mon handicap, quel beau spécimen de la race humaine je présentais !!
Durant ces deux mois, mes rapports avec Yves, s?étaient un peu plus distendus. J?avais pensé, qu?enfermés tout deux dans notre petit monde des handicapés, nous étions liés à vie. Mais très rapidement, il est revenu dans le groupe majoritaire des gens normaux. Il n?y a pratiquement plus trace de ses blessures, et il a une situation qui semble lui convenir, d?autant plus qu?un proche avancement lui a été promis.
Je n?ai jamais cessé d?aller chez Diane et Elise. Cependant mes visites n?étaient plus quotidiennes, et de plus en plus espacées. Certes, j?étais toujours aussi bien reçu, et je dois même dire que la timide Elise venait assez souvent se mêler à nos conversations. C?est, elle aussi, une assez chic fille. Certes, elle n?a pas les atouts esthétiques de sa s?ur, mais je la crois foncièrement bonne.
Que dire d?autre ? Rien. Il faut donc que j?en arrive à la journée d?hier.
Je suis arrivé chez Diane vers 15 heures. Normalement, ce n?est que plus tard qu?Elise venait nous rejoindre. Cette fois, les deux s?urs étaient ensemble dans le salon, et Elise (je ne m?en rendis compte que plus tard) avait les traits tirés, et n?a pas prononcé un mot durant le premier quart d?heure.
La conversation roulait sur des sujets sans grand intérêt. Je parlais de mes démarches pour acquérir des studios, ma décision de confier leur gérance à des professionnels etc. Diane, toujours aussi gentille, m?approuvait pratiquement en tout.
Profitant d?un temps mort dans notre conversation, elle me dit.
- Pierre, vous êtes, et vous serez toujours pour moi, mon grand, mon meilleur ami. Aussi, je tiens que vous soyez l?un des premiers avertis. Yves et moi, allons nous marier.
Je dois dire qu?il me fallut plusieurs secondes pour réaliser, et je ne sus que dire bêtement :
- Vous plaisantez ?
- Votre réaction me surprend Pierre. Pourquoi voulez-vous que je plaisante ? Cela vous semble vraiment impossible qu?une aveugle puisse plaire et se marier ?
- Evidemment non ! Votre charme est tel que vous attirez tous les hommes, mais je ne pensais pas qu?Yves?.
- Vous ne pensiez pas quoi ? Qu?il accepterait une handicapée ?
Elise intervint alors.
- Mais non, Diane. Il est bien normal que Pierre se montre surpris. A aucun moment, ni Yves, ni toi lui avaient donné à penser que vous étiez attirés l?un vers l?autre.
- Je suis désolé, Pierre me dit Diane, mais je dois dire que les choses sont allées très vite, et que vous n?êtes pas venu beaucoup ces temps ci, absorbé que vous étiez par vos achats immobiliers. Je dois vous dire que nous avons eu, Yves et moi, une petite dispute, ou plus exactement une discussion. Chacun de nous voulait vous demander d?être notre témoin. Finalement, Yves adorable, m?a laissé la priorité : Pierre, voulez-vous être mon témoin de mariage ?
Heureusement, Lise, vint à mon secours.
- Ce problème, Diane n?est pas à régler de toute de toute urgence. Je pense qu?il faut que Pierre assimile d?abord la nouvelle totalement inattendue, pour qu?après réflexion, il puisse prendre une décision. Car après tout, il a connu Yves avant toi, et il ne faut pas lui forcer la main et décider à sa place de qui il sera le témoin.
Lise avait été merveilleuse de tact et d?à propos. En mon for, j?étais bien décidé à refuser d?être le témoin de l?un ou de l?autre, et Lise venait de me donner le temps pour fourbir mes arguments.
- Je crois que Lise a raison. Il n?y a aucune urgence, et je vais y réfléchir. Je reviendrai bientôt, et si vous voulez bien m?excuser, il faut que je rentre, car un agent immobilier doit me téléphoner chez moi, au sujet d?un studio que j?aimerais acquérir.
- Je vous accompagne à votre voiture, me dit Lise.
- XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
J?ai pris congé de Diane, manifestement surprise par mon attitude bizarre, et nous sommes sortis, Lise et moi, elle, me tenant le bras gauche ce qui lui permettait d?éviter les mouvements sinusoïdaux décrits par mon pied droit quand je marche.
Nous n?échangeâmes pas un mot durant le trajet, et lorsque, arrivé à mon véhicule, elle me demanda de lui faire faire un petit tour. Après mon acceptation, elle monta à mes côtés et me dit :
- Je crois parfaitement comprendre ce que vous ressentez, Pierre. Diane était pour vous plus qu?une amie, et vous espériez troquer ce mot pour un autre plus intime. Je puis vous assurer que Diane n?est pas coquette. Elle n?a pas vu la forme d?attachement que vous aviez pour elle, sinon, bien sûr, elle ne vous aurait pas annoncé la nouvelle aussi brusquement. Je vous demande donc de ne pas lui en vouloir.
- Merci, Lise, vous êtes non seulement bonne, mais très clairvoyante, plus que votre s?ur, ce qui est normal car elle ne peut voir toutes les expressions d?un visage, qui sont pourtant plus révélatrices que les mots prononcés.
- Dans un tout autre domaine, j?aimerais, Pierre que vous me donniez le double de la nouvelle que vous aviez écrite ? Diane n?a pas voulu me la confier. Pourtant je voudrais vous dire ce qu?à titre de correctrice, j?en pense, d?une façon très objective, je vous le promets.
- Si vous y tenez, c?est d?accord. Comment êtes-vous venue à devenir correctrice ?
- J?ai fait des études de lettres, qui me permettraient d?être professeur dans le secondaire, et même de postuler à une chaire en faculté. Mais je n?ai pas voulu de l?astreinte des horaires. L?occasion s?est présentée de travailler avec une maison d?édition, et j?ai deux activités : l?une de correctrice, l?autre de « nègre » si vous me passez l?expression. Beaucoup de personnes ont vécu des moments extraordinaires, voudraient en faire un livre, mais sont incapables de l?écrire. Alors, ils me racontent leur petite histoire, et j?écris le livre.
- Dans ces conditions, pourquoi ne pas écrire vos propres livres ?
- Pour l?instant, cela ne me tente pas. Par ailleurs si j?ai quelques connaissances techniques, je n?ai pas beaucoup d?imagination, alors??D?ailleurs, je suis satisfaite de mon travail actuel. Quand pourrez-vous me donner votre nouvelle ?
- Maintenant, si vous le voulez. Nous pouvons aller chez moi prendre un exemplaire. L?aller retour ne nous prendra pas plus d?une demi-heure.
Nous sommes venus chez moi, mes parents étaient absents, j?ai remis à Elise un exemplaire de ma nouvelle, je l?ai ramenée chez elle, et lors de mon retour, j?étais trop abattu pour relater les évènements sur mon carnet, ce que je viens de faire aujourd?hui, bien que mon moral ne soit pas très différent de celui d?hier.
J?avais parfaitement senti que Diane était attirée par Yves. Mais je n?avais pas pensé que la réciproque était vraie.
J?ai donc été pris complètement à contre pied, car penser qu?un évènement peut arriver, est une chose. Qu?elle se réalise en est une autre, et ce mariage me laissait désemparé, avec une profonde amertume au c?ur.
Je vais essayer de ne plus penser à ce mariage, ni d?ailleurs à Yves ni à Diane. Je vais essayer de polariser mes pensées sur mes projets immobiliers. Je dis bien, je vais essayer.



8 NOVEMBRE

Avant-hier, Lise m?a téléphoné pour me faire part de son opinion au sujet de ma nouvelle.
- Comme toujours, me dit-elle, pour une première ?uvre, il y a des retouches à faire, mais malgré la relative brièveté de votre nouvelle, il se passe beaucoup de choses, et vous êtes incontestablement doué d?une imagination féconde. Lorsque vous en aurez terminé avec vos achats immobiliers, et même avant si cela vous est possible, vous devriez écrire une autre nouvelle, et un peu plus tard, vous vous attaquerez à un roman. Je vous assure que vous en tirerez de grandes satisfactions.
- Merci pour vos conseils. Je vais y réfléchir. Je profite de l?occasion pour vous dire que ma décision est prise. Afin de ne favoriser aucun des deux mariés, je ne serai le témoin, ni de l?un, ni de l?autre.
- J?aurais juré que c?est la position que vous prendriez. Mais je ne vous le cache pas, vous aurez du mal à la faire admettre, surtout à ma s?ur.
- Je me fais bien à la situation très désagréable, il faudra bien qu?elle s?y fasse aussi, lui dis-je, sur un ton, sec, que je regrettais aussitôt, car enfin je n?avais pas à me montrer rancunier auprès de la si gentille Lise qui n?y est pour rien.



LE 10 NOVEMBRE

Ce matin, Lise vient de me téléphoner.
Yves était venu passer le week-end chez Diane et Lise. Il avait laissé son véhicule sur le trottoir, devant la maison. En se levant ce matin, au moment de repartir, il constata que ses quatre pneus avaient été crevés. Il avait du faire venir une dépanneuse, et Lise lui a prêté son véhicule pour qu?il puisse aller normalement à son travail.
- C?est évidemment un petit incident désagréable pour Yves, mais ce n?est pas bien grave, et je me demande un peu pourquoi vous venez m?en parlez, car je ne vois pas en quoi je pourrai lui venir en aide.
- A lui, peut être pas, mais à moi si. Je lui ai prêté mon véhicule parce qu?il y avait urgence, mais de mon côté je dois rendre les corrections d?un livre, et je suis venu vous demander si vous pouviez m?accompagner chez mon éditeur.
- Il est évident, Lise que pour vous, le problème est différent. Je suis à votre disposition. Je passe vous prendre dans 20 minutes. C?est O.K ?
- D?accord, je vous attends. Merci.






CHAPITRE 9




LE 15 NOVEMBRE

Je prenais mon petit déjeuner lorsque Lise me passa un coup de fil. Je commençais à penser qu?elle était la messagère attitrée des incidents car elle m?apprit que durant la nuit, un incendie s?était déclaré dans leur villa.
Sur la façade sud de leur maison, Diane et Lise avaient une vaste verrière dont le sol était en plancher, et toute l?armature en bois verni. C?était un endroit très agréable qui avait fait dire à Yves, que c?était, de loin, la partie la plus agréable de la maison, celle qu?il préférait.
L?incendie n?était pas accidentel. C?était l??uvre d?un pyromane qui n?avait même pas cherché à cacher son forfait, puisqu?il avait laissé sur place les 3 jerricans d?essence qui lui avaient servi à accomplir son forfait.
Je suis aussitôt allé sur place pour constater les dégâts, et surtout pour remonter le moral des deux s?urs qui se demandaient qui pouvait leur en vouloir. Yves, prévenu, arriva peu après moi, et nous avons tous essayé de comprendre à qui un individu pouvait s?en prendre, car la première fois, la victime était Yves, et la deuxième fois, il s?en était pris aux deux s?urs.
Les pompiers et les gendarmes qui étaient venus dans la nuit, n?avaient pu trouver aucun autre élément que les trois jerricans, et l?on n?était pas plus avancé. Pour changer les idées des jeunes femmes, je les ai invitées, ainsi qu?Yves, bien sûr, au restaurant, mais l?ambiance du repas resta morose, car, je le suppose, dans les 4 cerveaux, deux mots occupaient tout l?esprit : Qui ? Pourquoi ?
Je me suis chargé de la déclaration de sinistre à l?agent d?assurances qui se trouvait être un camarade d?école. Bizarre, tout cela, non ?



LE 20 NOVEMBRE
Je viens de rentrer chez moi, après un nouveau petit séjour de 48 heures à l?hôpital. Je vais avoir droit à une carte de fidélité, dans cet établissement?..
Je roulais hier matin, sur une route parfaitement dégagée et sèche, lorsque de ma droite, surgit un véhicule que je ne pus éviter.
Certes, il venait de droite, mais comme il sortait d?un chemin privé, il était entièrement responsable.
Pour moi, les conséquences ont été relativement minimes, puisque je m?en sors avec une fracture sans déplacement de l?humérus. (Il s?agit de mon bras gauche, et je peux continuer à écrire ce carnet)
Mon adversaire, lui est plus gravement atteint. Il souffre de multiples fractures aux deux jambes, de deux côtes enfoncées, et d?un traumatisme crânien.
Cependant le pronostic vital n?est pas engagé.


Après plusieurs minutes de réflexion, je viens à l?instant de prendre une décision.
J?écris ce petit journal pour moi, uniquement pour moi, mais, on ne peut être certain que personne n?aura l?occasion de le lire. C?est pourquoi, ne voulant courir aucun risque, je n?ai pas tout dit.
La décision que je viens de prendre, est de tout révéler. Pourquoi, ce changement ? Parce que j?ai décidé de faire lire ce carnet à Diane et Lise, qui prendront les décisions qu?elles voudront en connaissance de cause.
Je l?avoue donc. C?est moi qui, une nuit, suis allé près de la maison des jeunes filles, où je savais que se trouvait Yves, et j?ai crevé les pneus de sa voiture. Enfantin ? Peut être, mais cela m?a fait un tel plaisir !!
C?est moi qui quelques jours plus tard, suis allé mettre le feu à la verrière. C?est l?endroit qu?Yves préférait.
Ces deux forfaits ne m?ont pas demandé beaucoup d?efforts.
En revanche, je suis également l?auteur volontaire de mon accident, qui, lui, m?a demandé une longue préparation et une grande précision dans l?exécution, dont je suis assez fier.
Vous l?avez deviné, le conducteur adverse était Yves.
J?ai organisé l?accident au même endroit que le premier. Mais il fallait cette fois que je l?aborde sur sa partie gauche, pour pouvoir l?atteindre plus directement, le blesser plus sérieusement, et donc qu?il vienne de ma droite.
En sortant de chez lui, il devait suivre un chemin privé d?une centaine de mètres pour accéder à la route.
Par ailleurs, j?avais repéré un petit monticule en haut duquel il était possible de voir le garage d?Yves.
Deux jours de suite, je suis venu sur ce monticule pour voir sortir Yves de son garage. J?au calculé le temps qu?il mettait pour arriver à la route. Puis, à plusieurs reprises, j?ai calculé la vitesse à laquelle je devais rouler, pour, une fois descendu du monticule, et monté rapidement dans ma voiture, je devais rouler pour arriver en même temps que lui au croisement.
Je l?ai dit, je suis assez fier de moi, car tout s?est déroulé comme je l?avais prévu avec une précision d?horlogerie. Yves débouchait juste de son chemin lorsque je suis arrivé et il n?eut pas la possibilité de m?éviter.
Voilà. J?ai tout dit.
On peut penser ce que l?on voudra de moi. Ce que je sais, c?est que je ne pouvais pas agir autrement. J?avais pensé qu?Yves, et moi, faisions partie de ce club fermé des grands handicapés. Il en est sorti. Il m?a trahi une première fois. Après cette trahison, il en a remis une louche en me prenant Diane, qui de toute évidence m?était promise. Oui, Diane, vous qui allez lire ces lignes, c?est ce que je pensais, et ce que je pense toujours.
J?ai un seul regret. C?est l?incendie de la véranda. Certes, comme je l?ai dit, c?était l?endroit préféré d?Yves, et c?était une façon de l?atteindre. Mais ce faisant, j?ai attiré des ennuis à Diane et Lise. J?ai honte de les avoir sacrifiées pour assouvir une médiocre vengeance.
Aux dernières nouvelles, Yves va se sortir de notre « accident ». Franchement, je suis incapable de dire si je m?en réjouis, ou si je le regrette.
Au fond, je pense peut être que c?est mieux comme ça. Puisqu?il est vivant, Diane aura toujours la possibilité de le choisir. Mais il sera vraiment infirme. Comme moi.
Voilà. Ici se termine mon petit carnet. Demain après midi, j?irai le déposer dans votre boite aux lettres, Diane et Lise. Je ferai en sorte que nous ne nous rencontrions pas, et je ne prendrai aucune initiative pour reprendre contact avec vous. Vous avez tous les éléments en mains. Vous êtes libres de déposer une plainte contre moi, si vous le désirez. Je ne me défendrai pas. Vous prendrez votre décision en toute indépendance. Adieu ou au revoir ? J?ai agi. A vous de juger.










CHAPITRE 10




Le 4 Décembre.
Je commence un nouveau carnet. Décidemment, il s?avère que j?aime bien écrire ce qui m?arrive. Sans doute une forme de narcissisme?ou de masochisme, je n?en sais rien, mais peu importe ! J?ai envie de le faire, et je le fais.

Comme je l?avais décidé, j?ai porté mon carnet dans la boite aux lettres des demoiselles Chanteur, le 21 Novembre. Cela me semble loin. Je peux l?avouer, depuis, chaque jour, j?ai espéré un coup de fil de l?une ou de l?autre. Mais, rien.
J?ai décidé subitement de quitter la maison familiale, et je me suis acheté un appartement tout meublé. Je n?ai pratiquement pas eu d?achats de meubles à faire, et comme j?ai payé comptant, j?ai pu l?occuper immédiatement, alors que l?acte définitif n?est pas encore signé. Je crois qu?une vie de vieil ours va commencer pour moi, et d?ailleurs, je ne mérite pas autre chose.
Ce problème réglé, j?ai poursuivi mes démarches pour me constituer un petit patrimoine immobilier, mais je dois l?avouer, je n?avais pas un moral d?acier, et en dehors de mon propre appartement, je n?ai pratiquement pris aucune décision d?achat. Je me sens très diminué intellectuellement, et dépourvu de caractère. Puisqu?il faut le dire, je le dis : je ne suis plus fier de moi. Je vois nettement ce que je suis en réalité : un pauvre type. Mais d?un autre côté, je ne parviens pas à regretter ce que j?ai fait, car si c?était à refaire, je sais que je recommencerais.
Mon sentiment d?amitié profonde pour Yves, s?est transformé en haine. Je ne sais pas ce qu?il devient, s?il est sorti de l?hôpital ou non. J?ai été contacté par son assureur. Je vais arrondir mon petit pécule, mais d?une façon modeste car je vais avoir une consolidation de mes blessures sans un gros taux d? I.P.P. Je vais obtenir un pretium doloris, mais pas grand-chose de plus. D?ailleurs, je m?en fous ! Ce que j?ai fait, ce n?est pas pour de l?argent.
Je me rends compte que je viens de commencer un nouveau carnet, alors que je n?ai rien à dire d?important. Au fond, il ne se passera peut être plus rien dans ma vie. Je vais m?installer dans une petite vie étriquée. Je toucherai mes loyers chaque mois. Tout sera bien réglé. Je descendrai les poubelles à telle heure. Je ferai ma toilette ensuite. Puis, après m?être habillé, j?irai faire mes courses. Toujours dans les mêmes magasins, et dans le même ordre. Le samedi j?irai au cinéma, à la séance du soir. En écrivant tout cela, je suis encore plus déprimé, et j?ai envie d?acheter un revolver pour me faire sauter le caisson.
Ce carnet ne ressortira de son tiroir que s?il y a vraiment quelque chose de neuf.
Zut !!





LE 20 DECEMBRE

Il faut que je l?écrive.
Ce matin, il était 10 heures 30, je m?apprêtais à partir faire des courses, selon mon programme quotidien, lorsque ma sonnette d?entrée retentit.
Personne ne vient me voir, et je termine juste d?emménager. Je rêvais aussitôt que c?était Diane, ou tout au moins Lise. J?aurais pu regarder par l??illeton pour être aussitôt fixé, mais j?ai préféré jouir encore un peu de mon espoir, avant qu?il ne soit peut- être déçu.
J?ai donc attendu que l?on sonne pour la seconde fois. J?ai encore attendu quelques secondes, puis craignant que la personne n?abandonne, je suis allé ouvrir.
C?était Yves, seul, et soutenu par des béquilles. C?était tellement inattendu que je suis resté un moment sans bouger, et sans prononcer un mot. Il avait l?air très gêné, et finit par me dire :
- Puis-je entrer, j?ai des choses à te dire.
Toujours sans dire un mot, je m?écartais de l?entrée pour qu?il puisse pénétrer chez moi.
L?un suivant l?autre, nous sommes entrés dans mon salon. D?un geste, je lui désignais un fauteuil. Il s?y installa et me dit.
- J?ai trouvé ta nouvelle adresse sur internet. Je conçois parfaitement que tu sois furieux contre moi. Tu as subi deux accidents graves, et les deux fois, c?est moi qui les ai occasionnés, et qui en suis responsable. Cette fois-ci, je suis plus touché que toi, et c?est ma seule petite consolation.
Je ne lui répondais toujours pas, car je ne savais vraiment que dire. Il semblait toujours ignorer que c?était moi qui avais volontairement provoqué notre accident. Son attitude, et ses propos, me le faisaient penser, mais n?y avait-il pas une man?uvre de sa part ? Venait-il parce qu?il avait de nouveau un sentiment de culpabilité envers moi ? Ou tentait-il de me piéger ?
Ma position était délicate, mais il fallait bien que je dise quelque chose, et je changeais de sujet.
- Où en sont tes projets de mariage avec Diane.
- J?avoue ne pas pouvoir te répondre sur ce point. D?un accord tacite commun, nous n?en parlons pas. Je dois dire qu?elle est très gentille avec moi, et qu?elle est venue chaque jour me voir à l?hôpital. Bien sûr « me voir » est une expression, mais cette femme est réellement extraordinaire car j?ai toujours l?impression qu?elle me regarde vraiment.
- Tu dois quand même bien savoir si toi, tu veux toujours te marier avec elle ?
- Je ne sais plus ce que je dois faire. Bien sûr, j?aimerais toujours qu?elle soit ma femme, mais je ne suis plus le même. Je vais rester très diminué après cet accident. Aurais-je le droit de lui imposer un mariage que nous avions décidé avant ?.la modification de mon état physique ?
- Si c?est une question que tu me poses, ne compte pas sur moi pour y répondre. C?est un problème entre elle et toi.
- C?est évident. Pardonne-moi.
- Arrête de toujours me demander de te pardonner !!
- Excuse-moi.
- Et de t?excuser aussi !
Après un petit silence, je repris :
- Et si tu me disais pourquoi tu es venu me voir ?
- Il n?y a pas une, mais plusieurs raisons. D?ailleurs, il en fallait plusieurs pour que je vienne, car j?appréhendais cette visite.
Tout d?abord, j?avais besoin de te voir pour savoir la gravité de tes blessures. Ensuite??.Je ne peux pas te le dire, puisque tu ne veux pas que je m?excuse. Enfin, je suis venu, parce que Diane semble malheureuse de ne plus te voir. Elle ne comprend pas pourquoi tu la fuis, et si tu pouvais m?en donner la raison, je pourrais répondre à sa question.
- Aucune de tes questions ne mérite une réponse de ma part. En tous cas, je ne t?en donnerai pas. . Maintenant, comme j?ai des courses à faire, si tu veux bien me laisser.
Il posa sur moi son regard de chien battu que je déteste, et, reprenant ses béquilles, il se dirigea vers la porte et sortit. Je ne m?étais même pas levé pour le raccompagner.
Je n?étais pas très content de moi, mais je ne pouvais vraiment pas le supporter. A quel titre s?était-il institué « monsieur bons offices » entre Diane et moi ? De quoi se mêlait-il ?
Au lieu d?aller faire mes courses, je viens d?écrire ce petit compte rendu, et j?ai pris la décision de ne pas sortir aujourd?hui. Je vais prendre un bouquin, c?est la seule vraie façon de ne plus penser à mes problèmes personnels.



Le 28 Décembre
Rien de nouveau depuis la visite d?Yves. Pour la Noël, je suis allé chez mes parents qui se sont bien rendu compte que je n?avais pas la forme olympique. L?ambiance était lourde malgré les efforts de maman pour alimenter la conversation.
Donc, il ne s?était rien passé, jusqu?à ces dernières minutes.
Mon téléphone a sonné. J?ai pensé qu?il s?agissait de mes parents, les seuls pratiquement avec lesquels j?utilisais mon appareil.
C?était Lise.
- Bonjour, Pierre. J?ai bien reçu votre carnet, je l?ai lu, mais je n?en ai pas parlé à Diane.
Je ne lui en ai pas parlé, parce que j?ai pensé qu?après coup, vous avez peut- être regretté de nous l?avoir envoyé. Pour moi, cela n?a pas d?importance, mais je voulais vous laisser une possibilité de vous taire, si au fond de votre c?ur, vous avez toujours ?..d?autres projets.
- Pourquoi dites vous « Pour moi, cela n?a pas d?importance » ? Je vous suis tellement indifférent ?
Comme elle ne répondait pas, j?insistais.
- Ma question vous gêne à ce point ?
Après un moment de silence, elle me répondit :
- Non, Pierre, mais, c?est de ma s?ur dont il est question. Pas de moi. Maintenant si vous voulez vraiment connaitre mon sentiment, sachez que je ne vous juge pas.
C?était toujours ça. Au moins, elle ne me détestait pas, et c?était un petit réconfort pour moi. Je repris :
- Physiquement je suis un infirme, et moralement, je ne suis pas loin d?être un monstre. Vous êtes vraiment très gentille de ne pas me fuir.
- Encore une fois, je ne suis pas en cause. C?est de Diane que je suis venue vous parler. Elle n?a pas eu connaissance de votre carnet. J?ai pensé que peut être, après m?avoir fait parvenir votre carnet, vous pourriez peut- être regretter vos confidences. C?est une façon de vous laisser un délai de réflexion.
- Votre générosité fait d?autant plus ressortir ma noirceur. Mais je n?ai pas changé d?avis.
Faites lire à Diane, ou plutôt, lisez lui, mon carnet, puis, si vous le voulez bien, téléphonez-moi pour me faire part de sa réaction.
- Puisque vous le désirez, je le ferai. Je vous téléphonerai sans doute demain.
Vraiment j?exagère. Lise a suffisamment de grandeur d?âme pour ne pas m?en vouloir, et je lui demande de me tenir au courant des réactions de sa s?ur.
Je suis lamentable, mais je n?y peux rien. Je suis fait comme ça.



29 Décembre.
Lise tient toujours ses promesses. Elle a lu mon carnet à Diane et vient de me téléphoner pour me faire part de la réaction de sa s?ur.
A la fin de sa lecture, elle a demandé à Diane ce qu?elle devait me dire, et la réponse a été courte et nette.
- Rien. Mais si tu dois le rencontrer, et qu?il te questionne, dis-lui seulement que je le plains.
Voilà. Pour mes vagues projets de vie commune avec Diane, de profundis !
Mais comme je ne suis pas moche à moitié, mais à part entière, je pensais aussitôt :
« Mais il me reste peut-être Lise ».





CHAPITRE 11




5 JANVIER

Il ne s?est rien passé de spécial depuis le 29 Décembre. Je suis allé déjeuner chez mes parents pour le 1er janvier. J?ai téléphoné à une tante pour lui présenter mes v?ux, et c?est tout. Je suis seul, comme un chien ( comparaison idiote, les chiens sont rarement seuls). Rien du côté de Diane, de Lise et d?Yves. Jusqu?à tout à l?heure.
C?est encore Lise, toujours elle, qui a pris l?initiative de me téléphoner.
Elle m?a invité à venir chez elles demain en fin d?après midi, pour ce que l?on appelle en Afrique « un apéritif dinatoire ». A la fois heureux et surpris par cette invitation, je n?en ai pas demandé la raison, de peur d?avoir une réponse désagréable. Pourtant, il est évident qu?il ne s?agit pas d?une invitation routinière, il y a un motif.
On va me dire quelque chose, mais quoi ? A priori, comme depuis mon premier accident, il n?y a eu que des tuiles, je suppose que je n?ai rien d?agréable à, attendre de cette petite réunion. Peut être même va-t-on me signifier que désormais ma présence n?est plus souhaitée. Pourtant, si c?était cela, un coup de fil aurait suffit. C?est donc qu?il doit y avoir une longue explication. Je ne peux pas me mettre à la place des deux s?urs. Je sais que Diane me plaint, que Lise ne m?en veut pas, quand à Yves, j?ignore s?il a été mis au courant, et dans l?affirmative, je n?ai aucune idée de ce qu?il peut penser.

7 JANVIER

Je suis rentré tard hier soir, et je n?avais pas envie de faire le compte rendu de notre « apéritif dinatoire ». Je le fais maintenant.
Je me suis donc rendu en voiture au domicile de Diane et Elise. Je suis entré dans le jardin et j?ai appuyé sur le bouton de la sonnette. Personne n?est venu m?ouvrir, et j?ai sonné une seconde fois. J?ai alors entendu la voix de Diane qui me criait : « Entrez, Pierre, nous sommes dans le salon. »
J?ai donc ouvert la porte d?entrée et me suis dirigé vers le salon.
Sur le canapé, côte à côte, étaient assis Lise, puis Yves au milieu et Diane à sa gauche. Ils ne se levèrent pas, et Diane me désigna un fauteuil qui avait été disposé juste en face d?eux.
En m?asseyant, j?eus l?impression de me trouver devant un tribunal, avec le Président au milieu et ses deux assesseurs de part et d?autre.
Je décidais de montrer que je n?étais pas dupe, et que j?avais bien saisi la mise en scène.
- Bonjour. J?ai parfaitement conscience de me retrouver devant un tribunal.
- J?ai lu ton journal, me dit Yves.
- Parfait. Puisque les faits te sont connus, et avérés, grâce à mon carnet de notes, je pense que nous pourrons faire l?économie d?un interrogatoire et même d?un réquisitoire. Nous pourrions passer directement au verdict.
Pourtant, je vais essayer d?expliquer ce qui ne ressort pas obligatoirement de mon carnet.
Je faisais partie des gens normaux, et plutôt favorisé par la nature. Et puis, le sort est tombé sur moi, en choisissant Yves comme exécuteur. J?ai donc été exclu de ma communauté naturelle des gens normaux, pour être « muté » instantanément dans celui des handicapés. Dans un premier temps, je me suis trouvé seul, isolé de la normalité. Puis j?ai fait ta connaissance, Yves, et nous étions deux handicapés. J?ai pensé que toute notre vie, nous serions liés par notre singularité et que rien ne pourrait nous séparer.
Un peu plus tard, nous avons rencontré une autre handicapée, Diane, et nous faisions un groupe uni, dans lequel, cependant, j?ai tout de suite pensé que Diane m?était destinée. Nous étions les deux plus handicapés. A trois, ma vie prenait un autre cours, et elle devenait vivable.
Et puis, Yves, tu m?as trahi. Tu as déserté. Grace à la chirurgie esthétique, tu es reparti vers les gens normaux. Ton aspect physique est redevenu ce qu?il était avant l?accident, tu as trouvé un travail normal. Tu m?as abandonné.
Toi, qui a occasionné l?accident qui m?a rejeté dans les infirmes (Oui, je t?ai dit, à plusieurs reprises, que tu n?y étais pour rien, afin que mon ami que tu étais devenu, arrête de culpabiliser, mais en fait, et c?est certain, sans toi, je n?en serais pas ou j?en suis).
Oui ! Tu es responsable de mon état, et tu m?as laissé tomber. Je ne pouvais te pardonner.
Du moins, pouvais-je penser que Diane me restait. Hé bien non ! Tu m?as trahi une seconde fois en me la prenant. En m?annonçant que vous alliez vous marier, Diane entrait en quelque sorte à son tour, parmi les gens normaux, c?est pourquoi, à elle aussi, j?en ai voulu.
Je me retrouvais seul. Moi, qui n?étais responsable en rien de ce qui m?était arrivé, je me retrouvais seul, alors que vous partiez joyeusement caracoler au milieu des gens normaux.
Je ne pouvais pas l?admettre. Il fallait, Yves, que tu reviennes parmi les handicapés, et je le dis très clairement, je suis assez fier de moi d?être parvenu à monter ce faux accident.

Pour en terminer, un mot encore. A titre de juriste, je pourrais contester la validité du jugement que je pense, vous allez me faire connaitre. En effet, vous ne pouvez être juges et parties.
Cependant, je n?utiliserai pas cet argument, et je vous écoute.
C?est Yves qui prit la parole.
- Oui, j?ai pris connaissance de ton carnet. J?ai ainsi appris que notre second accident avait été sciemment occasionné par toi.
J?ai écouté avec attention les motivations que tu viens de nous exposer.
Je vais peut-être te surprendre, mais j?ai été heureux d?apprendre que tu as volontairement occasionné le second accident. Depuis le premier accident, je trainais un sentiment de culpabilité insupportable à ton égard. A cause de moi, j?avais fait d?un homme qui voyait son avenir s?ouvrir sous les meilleurs auspices, un handicapé, cassé à vie. Tu avais une grosse créance sur moi, ce qui était, crois-moi, très désagréable à porter. En utilisant la loi du talion, tu as modifié nos rapports mutuels. C?est volontairement que tu m?as occasionné mes blessures, et maintenant, c?est moi qui suis devenu ton créancier, ce qui est beaucoup plus agréable.
J?ajoute que je ne veux pas te juger. Si les rôles avaient été inversés, je ne sais vraiment pas si j?aurais agi comme toi. Je n?en aurais sans doute pas eu le courage, mais je n?en suis pas certain.
Voilà, ce que personnellement, je voulais te dire. Aujourd?hui, je suis soulagé et heureux. Soulagé, je viens de t?expliquer pourquoi. Heureux, parce que Diane, malgré mon handicap, accepte de devenir ma femme.
- Je n?accepte pas de devenir ta femme, Yves, je te le demande, et suis heureuse que tu l?acceptes, enchaîna Diane, car je t?aime toujours.
Quand à vous, Pierre, je vais vous parler très sincèrement. J?avais toujours eu pour vous une très profonde amitié. En apprenant que vous avez volontairement blessé Yves, je dois le dire, mes sentiments ont évolué. Désormais, vous ne m?êtes plus rien. Comme Yves, je ne sais pas ce que j?aurais fait à votre place, mais il me semble que je n?aurais pas organisé un guet apens. Nous pouvons ou non rester en relation, cela ne revêt pour moi aucune importance, et si Yves et vous, voulez rester en contact, cela ne me gêne pas. Pour moi, c?est tout.
- En ce qui me concerne reprit Lise, c?est d?un tout autre problème que je veux vous entretenir.
J?ai tout d?abord une question à vous poser. Après m?avoir remis votre carnet, avez-vous continué à noter les évènements de votre vie ?
- Oui. Pourquoi ?
- Parce qu?ayant lu votre carnet, j?ai pensé qu?il pourrait éventuellement constituer un livre, et intéresser un éditeur. Je fais moi-même partie du Comité de lecture de l?éditeur qui m?emploie, et je pourrais le soumettre.
- Tout d?abord merci de mettre une note plus agréable dans cette conversation. Mais, je ne crois pas que ce problème se présente d?une façon urgente. Nous discutons de nos relations futures, et pour moi, c?est autrement important.
- Le problème de nos relations futures est parfaitement clair, il me semble.
Personne ne veut vous juger. Nous ne rechercherons pas votre compagnie, mais si nous sommes amenés à nous rencontrer, notre attitude sera celle de personnes qui se connaissent, sans plus.
C?est pourquoi, cette question étant réglée, je vous proposais de placer notre discussion sur un plan professionnel. Il me semble que votre carnet pourrait faire l?objet d?un livre.
Je restais un moment silencieux, car elle venait de balayer en quelques secondes, avec une précision un peu effrayante, et douloureuse pour moi, le problème de nos relations futures. Puis, je me décidais de venir sur le terrain qu?elle me proposait.
- Mais, mon histoire n?a pas de fin. il faudrait en écrire une. Evidemment, la fin qui serait la plus logique, et également la meilleure sur le plan commercial, serait que je me suicide. Le livre serait plus « vendeur » Mais je dois l?avouer, je n?ai pas encore pris de décision à ce sujet.
- Arrêtez avec vos plaisanteries déplacées. Vous avez prouvé dans votre première nouvelle que vous n?étiez pas dépourvu d?imagination. Alors, vous pourriez imaginer une fin, ce qui serait bien préférable. Comme la tonalité générale de vos confessions n?est pas particulièrement joyeuse, je vous suggère d?écrire une fin assez gaie. Si vous le pouvez.
- Ce carnet que je vous ai confié est une relation réelle des faits qui sont survenus. S?il doit être publié, je veux qu?il garde cette authenticité, et je ne veux pas inventer une fin à l?eau de rose.
Au moment où tout s?écroule de nouveau autour de moi, je vous remercie, Lise, de me proposer une planche salvatrice. Mais, je ne suis pas en état de vous répondre aujourd?hui. Aussi, si vous n?avez rien d?autre à me dire, je vais prendre congé.
Je me suis levé, ai dit au revoir, les trois autres sont restés assis, m?ont répondu bonsoir, et je suis sorti, conscient que c?était une rupture malgré la proposition de la généreuse Lise.
Il n?y a donc pas eu d?apéritif dinatoire, du moins en ma présence.









CHAPITRE 12




12 JANVIER 2010

C?est en préparant mon déménagement que je retrouve mes carnets. Bien sûr, je me souvenais bien d?eux, mais je n?ai jamais eu envie de poursuivre la relation par écrit des évènements de ma vie.
Cinq ans. Cela fait 5 ans que j?avais mis mes carnets dans un tiroir et que je ne les ai jamais sortis.
Je viens de les relire. Ce qui est curieux, c?est que si l?on m?avait demandé hier de retracer ma vie durant les quelques mois qui ont suivi mon accident, cela n?aurait pas tenu plus de 5 ou 6 pages.
C?est en relisant ces carnets que je me suis rendu compte de l?effet du temps sur les souvenirs. Certains faits ont été déformés dans ma mémoire, d?autres ont été entièrement effacés, occultés. La mémoire est sélective, et si l?on ne décrit pas immédiatement les évènements, dès qu?ils viennent de survenir, des comptes rendu ultérieurs risquent de déformer grandement la réalité.
Après ma « comparution » devant le « tribunal » constitué par Yves, Diane et Lise, désireux de tourner la page, je me suis consacré entièrement à la constitution de mon patrimoine immobilier, et aux locations. C?était en effet une façon assez efficace de ne plus penser à tous ce passé récent qui ne m?avait apporté que souffrances et désillusions.
Lorsque les choses ont été en l?état, 3 ou 4 mois plus tard, achats terminés, locataires trouvés, comme j?avais maintenu ma décision de confier à des gestionnaires l?administration de mes biens, je me suis retrouvé sans rien avoir à faire. Il fallait cependant que je m?occupe d?une façon ou d?une autre.
Je me suis souvenu alors, des propos de Lise, qui voulait que je fasse éditer mes carnets, et j?ai pris la décision de faire une tentative dans le domaine de l?écriture.
Cependant, il n?était pas question pour moi de publier mes carnets. Pourquoi ? Je ne saurais le dire très précisément. Il y avait certainement la pudeur, qui me faisait hésiter à mettre à nu mes sentiments et mes actes devant des lecteurs, d?autant plus que je ne me montrais vraiment pas à mon avantage.
Il y avait, je pense également, une inconsciente pensée que les nombreuses imperfections de mes écrits, dans ce qui aurait été mon premier livre, aurait marqué la fin de mes espoirs dans l?édition. J?avais raison.
Aussi, avais-je pris la décision d?écrire un roman, le plus loin possible de mon autobiographie, et si possible empreint de gaité et d?humour. Ce premier livre, je l?ai écrit en 4 mois. Je l?ai porté moi-même à l?éditeur que j?avais rencontré une première fois avec Lise. Il m?a très gentiment reçu, et promis une réponse dans le mois qui suivait.
Trois semaines après le dép&oci


Il m?a très gentiment reçu, et promis une réponse dans le mois qui suivait.
Trois semaines après le dépôt de mon manuscrit, j?ai reçu un coup de fil. C?était Lise.
- Bonjour Pierre. Le patron m?a confié un exemplaire de votre roman, puisque, vous le savez, je fais partie du comité de lecture.
Je ne suis pas habilitée à vous dire la décision du comité, qui d?ailleurs, n?est pas prise, mais ce que je peux vous dire, c?est qu?objectivement, sans tenir compte du fait que nous nous connaissons, votre livre m?a plu, et je serai votre avocat lors de la réunion du comité de lecture.
J?ai vivement remercié Lise pour son coup de fil et bien entendu, j?ai demandé des nouvelles, d?elle-même, de sa s?ur et d?Yves.
Il n?y avait pas de gros changements dans la vie de Lise. Quand à Yves et Diane, ils s?étaient mariés depuis 4 mois, et déjà, un heureux évènement était attendu.
J?utilise l?expression convenue d?heureux évènement », mais cette nouvelle n?était pas heureuse pour moi. Pourquoi le cacher ? Je crevais de jalousie, et Lise dut le sentir, car elle me dit :
- Vous savez, Pierre, Lorsqu?une chose est impossible, il faut s?efforcer de l?occulter, et continuer son chemin, sans se laisser tirailler par des regrets inutiles.
- Vous parlez d?or, Minerve !!!
- D?or ? Je ne sais pas. A votre ton, j?ai plutôt l?impression que vous pensez : « Minerve m?énerve » Ai-je raison ?
- Ce n?est pas vous qui m?énervez?.C?est la situation elle-même.
- Alors suivez mon conseil : Ne pensez plus à vos espérances défuntes.
Pour en revenir à la raison de mon coup de fil, je vous téléphonerai la décision du comité de lecture, que cette décision soit favorable ou non.
De fait, une dizaine de jours plus tard, mon livre était accepté.
Grace sans doute à une publicité bien orchestrée dans la presse locale, les ventes de mon livre ont été assez correctes, surtout pour un premier ouvrage.
J?ai écrit trois autres livres, dont les deux derniers, surtout, ont été bien accueillis, si bien qu?aujourd?hui, je suis considéré comme un écrivain, et mes royalties constituent un complément non négligeables de mes revenus..
C?est pour moi une petite, toute petite compensation, après les coups du sort que j?ai été amené à subir. En fait ce ne sont pas ces royalties qui me font plaisir, ni même le fait d?avoir des lecteurs. Ce que j?aime avant tout, dans cette activité, c?est écrire, imaginer des histoires, manier des personnages, et les diriger presque à mon gré. Je dis « presque », parce que les personnages finissent par avoir une logique personnelle, et que l?on ne peut leur faire faire n?importe quoi..
J?ai dit que j?avais retrouvé mes anciens carnets à l?occasion de mon déménagement. Je vais m?expliquer sur ce changement de domicile et cela formera la conclusion de mon récit.
Par la force des choses, j?ai eu l?occasion de revoir Lise à plusieurs reprises. Je dois dire que par rapport à notre toute première rencontre, elle a beaucoup changé.
Je crois avoir indiqué, lorsque j?ai fait sa connaissance, que sur le plan vestimentaire, elle s?habillait de bric et de broc, et qu?elle n?était pas coquette. Je ne sais si j?y suis pour quelque chose (Là, je me prends en flagrant délit de mensonge !!! Je sais très bien, maintenant, que si, je suis son Pygmalion) en tous cas, elle est devenue élégante, se maquille intelligemment, et comme, sur le plan moral, Lise est absolument merveilleuse, je ne pouvais qu?être?? attiré par elle (C?est la pudeur que me fait employer cette tiède expression).
Elle me dit que lors de « ma comparution » devant le « Tribunal », elle n?avait pas voulu se désolidariser de sa s?ur et d?Yves, et c?est pourquoi elle avait mis en avant le problème d?édition. En fait, elle ne parvenait pas à m?en vouloir pour mes attaques contre Yves, parce que depuis le début de nos relations, elle avait été un peu jalouse de sa s?ur. C?était une façon de suggérer, sans le dire expressément qu?elle était attirée par moi.
Je lui répondis d?une façon tout aussi indirecte, que je ne l?avais jamais trouvée repoussante.
Ce fut notre déclaration d?amour, assez curieuse.(Nous avons été plus précis par la suite)..
Nous allons donc nous marier, et comme le couple Diane et Yves, habitent dans la maison des deux jeunes femmes, j?ai décidé d?acheter une villa pour nous. D?où, mon déménagement.
Je dois à la vérité de dire que mes rapports avec Yves sont assez froids. Je n?hésite pas à le dire, bien qu?il soit certainement appelé à lire ces lignes.
J?ai en effet décidé de publier mes carnets. Tels quels. Sans en changer un mot. Je sais qu?ils contiennent de nombreuses imperfections, mais je refuse d?effectuer des corrections, car son véritable intérêt, est d?être absolument authentique, et sa publication ne portera pas ombrage à ma réputation littéraire, puisque mes quatre livres précédents, sont là pour plaider en ma faveur.
C?est évidemment à ma chère, à ma merveilleuse Lise, que je dédie ce livre qui retrace un morceau particulièrement dramatique de mon existence. Cette période est, j?en suis persuadé, terminée, et c?est elle qui me donne le droit d?être enfin heureux.
Le bonheur se paye avant. J?ai payé.
Contrairement aux conventions habituelles, je ne tracerai pas le mot « FIN », car, si j?ai terminé ma narration, ma vie continue.
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