Ecriture-Lecture




LA GRENOUILLERE


LA GRENOUILLERE




CHAPITRE I


J?aime cette maison. Et même plus que cela. J?en fais partie intégrante. Elle et moi, nous sommes liées. A jamais.
Je ne sais pas si, un jour, un homme me demandera en mariage, mais ce que je sais, en revanche, c?est que, dans cette hypothèse, la première question que je lui poserais est : « Acceptez vous d?habiter à La Grenouillère ? »
Il pourrait être le prince charmant, doué de toutes les qualités (enfin?..si pareil homme existe?.), une simple hésitation de sa part amènerait ma réponse négative.
Je ne peux même pas concevoir de vivre ailleurs. C?est une longue maison basse, avec 145m2 de plain pied. Je connais sa surface parce qu?un jour, notre
assureur me l?avait demandée. Sa question était idiote, puisqu?il n?en avait pas besoin pour calculer la prime qui se détermine, je crois à la pièce. Mais, par curiosité, j?ai mesuré toutes les pièces. Sauf celle de Nounou, bien sûr ( je n?y suis jamais entrée) que j?ai évaluée à 25 mètres carrés.
145m2 pour trois, ce n?est pas mal. Oui, nous sommes trois femmes. Nounou, ma mère et moi.
Nounou avait été embauchée, quant elle avait 20 ans, par ma grand-mère, à la naissance de ma mère. Non seulement Nounou fait partie de la famille, mais elle en est pratiquement le chef. C?est elle qui décide de tout. Lorsque ma grand-mère est morte, il n?a pas été question une seconde qu?elle continue à être payée. Une mère ne fait pas payer ses enfants pour qu?elle s?occupe d?eux, avait-elle dit. Cer, elle se considérait comme notre mère.
Pour calculer l?âge des habitantes de « La Grenouillère », c?est facile. Je prends mon âge, j?ajoute 30, et j?ai l?âge de maman, j?ajoute encore 20, et j?ai l?âge de Nounou. En ce moment, j?ai 18 ans, ma mère 48 et Nounou, 68.
Je viens de passer mon bac, et Nounou a décidé que c?était suffisant. « Pour une fille, m?a-t-elle dit, le baccalauréat c?est suffisant. Repose-toi jusqu?à la
rentrée et en septembre, nous te trouverons un emploi ».
Dans son esprit, le fait de me trouver un emploi ne posait pas de problème. J?étais tellement intelligente, n?est-ce pas ?
Bien sûr, maman était d?accord avec Nounou pour que je ne poursuive pas mes études. Ou lus exactement, elle n?avait pas protesté : Je reconnais qu?elle n?a pas beaucoup de caractère, et ne contredit jamais Nounou. Et moi, ça m?arrangeait bien. Il aurait fallu que j?aille à Aix en Provence, et ne plus être à la maison pendant toute la semaine, alors, non, merci !!! Cette seule pensée me faisait frémir.
Devant notre maison, nous avons une prairie qui descend en pente douce jusqu?à la rivière. En bordure de la rivière, nous avions trois grands saules pleureurs. Après la mort de ma grand-mère, en prenant les rênes de la maison, Nounou a décidé de faire couper le saule du milieu, pour que nous ayons une vue directe sur la rivière. Elle a drôlement bien fait.
Elle a un sale caractère, mais elle a toujours raison, Nounou.
Donc, de notre maison, sans en sortir, de la fenêtre de la salle de séjour, on voit la rivière et ma barque verte attachée au petit ponton. Je dis « ma « barque, parce que je suis la seule à m?en servir, mais, elle existait bien avant moi.
Sur le plan matériel, on s?en sort à peu près bien. Pourquoi, je dis « à peu près ? ». C?est idiot ! On s?en sort bien.
Nounou fait quelques travaux de couture, pour les gens du pays. De petits travaux seulement. Elle raccourcit des robes, fait des ourlets, et gagne un peu d?argent qui bien sûr est mis au pot commun. Il avait été tacitement décidé une fois pour toutes, que nous avions tout était commun.
Maman a deux sources de revenus. Elle parle Anglais couramment, et depuis je crois une vingtaine d?années, elle travaille pour une maison d?édition. Elle traduit des romans américains.
Et puis, elle touche une pension de mon père. Je n?en ai pas parlé, mais j?ai un père. Que je ne connais pas, puisque maman et lui se sont séparés alors que je venais d?avoir un an. Je ne sais même pas comment il est, car il n?y a aucune photo de lui à la maison. Pourtant il me manque, ou plus exactement, c?est l?absence de père que me pèse, puisque lui, je ne le connais pas du tout. Je ne sais pas ce qui s?est passé dans leur couple. On n?en parle jamais. Mais je crois bien, je ne sais pas pourquoi, que Nounou y est pour quelque chose. Elle n?aime pas les hommes, et la seule pensée qu?un homme puisse diriger La Grenouillère, avait du la rendre folle. Je suppose que maman, amenée à faire un choix entre son mari et Nounou, ne pouvait pas faire autrement que de mettre son mari à la porte. En tous cas, c?est ce que je veux croire, car en fait, je n?en sais rien, mais cela me fait plaisir de penser que mon père a été contraint de m?abandonner. Il n?a pas pu me laisser de gaité de c?ur. On a du l?obliger à partir.


Ce matin, je suis allée faire un tour en barque. Mes cannes à pêche sont en permanence au fond de ma barque, mais je n?avais pas vraiment envie de pêcher. Ramer, suffisait à mon bonheur. Je revenais et remontais le courant, le dos tourné au sens de marche. Mais je connaissais tellement bien ma rivière, que je savais toujours à quel endroit exactement je me trouvais. Un choc m?a fait sursauter, et aussitôt une voix m?apostropha, ce qui déclencha ma colère.
-Faites attention !! Vous ne regardez même pas où vous allez !
- Mais dites donc ! Je suis chez moi ! Qu?est ce que vous fichez ici ?
- Jusqu?à plus ample informé, mademoiselle, la rivière est un lieu public, et ne vous appartient pas.
Avec un peu de mauvaise foi, j?en conviens, mais il m?avait énervé, je lui ai répondu :
- Je suis devant chez moi, près de mon ponton. Vous n?avez pas à être là !
-Vos notions de droit sont assez rudimentaires mademoiselle. Mais comment ne pas pardonner à une jeune fille qui a un si joli minois !
J?ai horreur de ces bellâtres qui croient être d?irrésistibles don Juan, quand ils débitent des fadaises.
Je le regardais plus attentivement. Bien sûr, il était assez bel homme. Torse nu, il ne portait qu?un short et des sandales de tennis. Ses pectoraux étaient bien dessinés. Encore un, qui, fou de son corps, devait passer la moitié de son temps à faire du culturisme. En tous cas je ne voulais pas paraitre sensible à sa relative beauté.
- Je n?ai peut être pas des connaissances juridiques très étendues, mais, du moins, je sais reconnaitre les don Juan au petit pied, qui croient qu?il suffit de débiter de plates flatteries pour être de merveilleux charmeurs.
- Elle a la dent dure, la demoiselle ! Mais revenons à notre accrochage matériel. Vous avez une planche de bâbord avant qui a été cassée, ce n?est pas très grave, et si vous me le permettez je vous ferai cette petite réparation.
- Je n?ai besoin de personne pour démonter et remonter une planche. Occupez-vous de vos dégâts qui sont plus importants que les miens. Ce qui prouve que ma vieille barque est plus solide que votre canoë qui, avouez-le, fait un peu snobinard.
- Nos bateaux, mademoiselle, n?ont pas les mêmes fonctions. Votre barcasse est faite pour aller dans un coin, taquiner le goujon. Mon canoë sert à me déplacer rapidement.
- En tous cas, ma « barcasse » comme vous la nommez, n?a pratiquement rien, alors que vous avez tout l?avant détruit. Quand on a un engin aussi frêle, on fait attention où l?on va.
- Bon, je retire barcasse ! Mais une autre fois, regardez où vous allez ! Vous n?êtes pas seule sur cette rivière.
Malgré son avant défoncé, le bonhomme fit, habilement je dois le reconnaitre, tourner son canoë, et s?est éloigné rapidement.
Cette altercation, m?avait coupé l?envie de continuer ma promenade, j?ai donc attaché ma barque au ponton, et suis remontée à la maison.
Cet individu désagréable m?a tout de même dit que j?avais un joli minois. Je n?ai pas à tenir compte des propos d?un flagorneur. Mais objectivement, je suis comment ?

Honnêtement, je ne suis pas mal fichue. Dans la chambre de maman il y a une psyché, et l?autre jour je me suis examinée attentivement. J?ai la taille fine, ça c?est incontestable. Je n?ai pas une très grosse poitrine, mais quand même, elle n?est pas mal. D?ailleurs je n?aime pas les grosses poitrines. Il m?a parlé de joli minois, c?est un peu bêbête et vieillot comme expression, mais ma foi?.. J?ai les cheveux châtain clair mi-longs, un teint également clair, évidemment. Maman m?a dit que j?avais de jolis yeux. Peut être. Je n?en sais rien. Ils sont bleus ou verts selon les jours et mon humeur.
Je ne suis pas un bon juge pour évaluer mon physique, mais disons qu?il est globalement positif. C?est ça. Globalement positif. Mais ce piroguier est le premier qui m?en parle, alors, comme c?est sans doute un dragueur, avec son torse musculeux, qu?il expose complaisamment, je ne peux tenir compte d?une phrase lancée comme ça, au hasard, ou plus certainement, pour draguer
Nounou, sur le pas de la porte, les deux poings sur les hanches, me regardait monter.
- Que se passe-t-il Yette ? Tu as l?air en boule.
Oui, tout le monde m?appelle Yette. Lorsque je suis née, mon père m?a déclarée sous le prénom de Claudette, mais Nounou a dit qu?elle n?aimait pas ce prénom (Je crois que surtout, ce n?était pas elle qui l?avait choisi) aussi, elle a décidé de m?appeler Yette, et personne ne m?appelle autrement à la maison et dans le village.

Comme je ne lui avais pas répondu, Nounou insista :
- Qui c?était ce bonhomme avec qui tu parlais ? C?est lui qui t?a mise en colère ?
- Je ne sais pas qui il est, mais ce que je sais, c?est qu?il est rentré dans ma barque, et a abimé une planche que je vais devoir réparer.
- Si c?est lui qui t?est rentré dedans, c?est à lui de réparer !
- Je n?ai pas besoin de lui pour changer une planche ! Et puis, il m?énerve ce type là ! Il se croit tout permis, comme si cette rivière était à lui. Il est très antipathique.
Heureuse, sans doute, de pouvoir extérioriser son aversion pour les hommes, elle prit un air faussement compréhensif pour dire :
- Que veux-tu ? Ce n?est qu?un homme !
Elle est quand même curieuse Nounou. Pourquoi cette généralisation ? Et hop !!Tous les hommes dans le même panier ! Elle a du en baver à cause d?eux. J?aimerais bien savoir. Un jour, il faudra que je lui demande pourquoi cette hostilité envers les hommes.

CHAPITRE II

En attendant, je suis allée réparer ma barque. Dans le hangar, nous avons des planches, des lambourdes, qui nous restaient de la réparation du plancher du grenier. J?ai trouvé mon affaire. Quelques clous, une scie, une pince, un marteau, et deux heures après, ma barque était réparée. Evidemment ces planches naturelles alors que le bateau était peint en vert, ce n?était pas très joli,
mais j?attendrai l?hiver prochain pour le repeindre entièrement.
Quand je suis revenue à la maison, Nounou et maman étaient dans la salle à manger. J?avais l?impression qu?elles m?attendaient. Que se passait-il ?
Je fus vite fixée. Comme d?habitude, c?est Nounou qui parla.
- Yette, ton père est mort.
- Ah, bon ?
J?avoue que cette nouvelle ne me touchait pas beaucoup. C?est toujours triste d?apprendre la mort de quelqu?un, mais précisément, mon père était « quelqu?un », c'est-à-dire, une personne anonyme, sans plus. Je ne me souvenais pas l?avoir vu, et comme je l?ai déjà dit, il n?y a aucune photo de lui dans la maison, je ne sais pas comment il était, ni l?âge qu?il avait, même si je me doutais qu?il devait avoir à peu près l?âge de maman. La cinquantaine, c?était jeune pour mourir, et j?ai poliment demandé de quoi il était mort.
- Nous l?ignorons me répondit Nounou. Nous avons reçu un coup de fil d?un notaire. Il est mort hier, c?est tout ce que nous savons.
J?ai demandé à maman si elle était un peu triste, mais là encore, c?est Nounou qui l?a devancée.
- Bien sûr que non. Mais cela va avoir des conséquences.
- Quelles conséquences ?
- Hé bien tu sais qu?il nous versait une pension mensuelle.
Ce « nous » ne pouvait m?étonner. Nous formions, je l?ai dit, une communauté.
J?avoue que je n?avais pas pensé aux conséquences de la mort de mon père. Il est vrai que ce n?était plus un évènement anodin, et notre train de vie allait en être modifié.
J?essayais d?être optimiste en suggérant que peut être, avait-il donné des instructions pour que la pension de maman continue à lui être versée après sa mort.
- Penses-tu ! s?écria Nounou ! On voit bien que tu ne le connaissais pas !
Je n?avais rien à répondre. C?est vrai que je ne le connaissais pas. Mais je pensais quand même, que pendant dix huit ans, il avait versé régulièrement une pension mensuelle, alors qu?il n?y était peut être même pas tenu, sur le plan juridique. Ce qui signifierait qu?il n?était pas aussi mauvais que Nounou le prétendait. Mais je me gardais bien de faire part de ma réflexion, car je sentais que cela déclencherait une vive réaction de Nounou. Et puis, elle l?avait connu, pas moi.
Le lendemain, il pleuvait. Une petite pluie fine, continue, comme je les aime quand il fait chaud. J?ai mis mon imperméable, mon chapeau de pluie, et j?ai sauté dans ma barque, pour aller à la pêche.
J?ai un petit coin préféré, à une centaine de mètres en aval de mon ponton. C?est un endroit constamment amorcé, où je suis certaine de prendre du poisson.
J?avais fabriqué une boite en lattes de bois, et à claire-voie, Au début des beaux jours, je mettais un gros morceau de lard dans la boite. Les mouches pouvaient y pénétrer et pondre leurs ?ufs. Quelques jours plus tard, les asticots grouillaient, et beaucoup tombaient à l?eau. Tous les poissons aux alentours savaient qu?à cet endroit, la table était mise en permanence pour eux, et il y en avait toujours qui venaient mordre à mon asticot, au bout de l?hameçon.

J?adorais ce coin, parce que je m?y sentais isolée. Entourée par les branches souples et harmonieuses du saule pleureur qui plongeaient dans l?eau et formaient comme une tente au dessus de moi, je passais là des heures délicieuses.
Bien protégée par mon chapeau et mon imperméable, je me laissais engourdir par le bruit de la pluie sur la rivière, et je ne faisais même plus attention au bouchon de ma ligne, lorsque je fus tirée brutalement de mon état euphorique par une voix qui me hélait
- C?est vrai que cette fois-ci, vous semblez être bien chez vous. Elle est agréable votre petite maison ?
C?était mon abordeur de la veille.
- Il est décidemment bien difficile d?être tranquille chez soi ! Les importuns sont partout.
- Pardonnez moi, mademoiselle si j?ai troublé vos méditations.
Et tournant son canot pour se diriger vers l?amont, il s?éloigna à grands coups de pagaies.
A peine poli ce bonhomme. Il vient juste me déranger, et puis s?en va.
Puisqu?il m?avait dérangée, il aurait pu au moins rester quelques instants pour parler un peu.
C?est vrai, que je ne suis pas très logique. Je veux qu?il me fiche la paix, et je regrette qu?il ne discute pas quelques instants avec moi.
En tous cas, il doit aimer la pluie comme moi, car dans son canot, il a la même tenue qu?hier : pantalon et espadrilles, torse nu. Il doit aimer son corps. Un rien exhibitionniste, non ?
Je ne voyais pas du tout, qui il pouvait être. Je connais tout le monde dans ma petite région, et je me demandais chez qui il habitait.
Ce qui était certain, c?est qu?il n?était pas d?ici, et devait être en vacances chez un villageois.
Son intervention avait rompu le charme. Quel crétin !! Je n?avais plus envie de pêcher. J?ai plié ma canne à pêche, suis sortie de sous mon saule pleureur, et me suis mise à ramer pour remonter le courant jusqu?à mon ponton.
Je venais de me débarrasser de mon chapeau, mon imperméable, et mes bottes, pour les laisser à la porte, afin de ne pas tremper la maison, quand le téléphone à sonné.
Pieds nus, je suis allée décrocher.
Après s?être assuré que j?étais bien Claudette Martin (j?ai failli le reprendre et lui dire : Non ! je suis Yette Martin) il se présenta à son tour. Il était notaire à Marseille, et m?avertissait par téléphone que maman et moi devions venir à son étude le vendredi suivant, pour assister à l?ouverture et à la lecture du testament de mon père. Bien entendu, me dit-il, je vous envoie un courrier officiel aujourd?hui, mais j?ai préféré vous prévenir plus tôt, pour que vous puissiez prendre vos dispositions.
Nounou, qui avait entendu la sonnerie du téléphone, était venue me rejoindre. En cachant la partie » émetteur »de l?appareil avec la paume de ma main, je lui dis.
- C?est un notaire de Marseille qui nous convoque pour vendredi.
- Qui convoque ? Quel toupet !! Passe- moi cet appareil !!!
Enlevant ma main de l?appareil, je dis au notaire que je lui passais?. quelqu?un (Je ne pouvais lui parler de Nounou, et, sur le moment, je ne me souvenais plus de son vrai nom)
Le notaire crut qu?il s?agissait de madame Martin, et Nounou répondit simplement.
- Je ne suis pas madame Martin, mais c?est exactement la même chose. Vous convoquez Madame Martin et Yette ?
- Non. Je signale simplement que le testament de monsieur Martin sera ouvert à mon étude, vendredi matin à 9 heures, et que la présence de madame Martin, ainsi que celle de Claudette Martin seraient souhaitables. J?envoie un courrier à ce sujet, mais par correction, et pour que ces dames ne soit pas prises de court, j?ai préféré passer un coup de fil.
- Bon. Je vais vous les envoyer répondit Nounou avant de raccrocher.
Je n?ai pu m?empêcher, pour la première fois de me révolter. « Nous envoyer » !! Nous ne sommes pas des colis, quand même !!

- Nounou, je t?aime bien, tu fais partie de la maison, mais tu n?as pas à « nous envoyer » chez ce notaire. Nous sommes, maman et moi des personnes parfaitement capables de nous débrouiller seules. Nous pouvons y aller de nous-mêmes.
- De vous-mêmes ? Ne me fais pas rire, Yette ! Sans moi, vous ne sauriez rien faire !
- Tu te trompes Nounou. Puisque nous devons être à Marseille vendredi de bonne
heure, nous partirons maman et moi, jeudi, et je vais retenir une chambre d?hôtel. Bien entendu, nous ferons nos valises toutes seules, nous saurons bien les faire sans toi !
- Je n?aime pas que tu me parles sur ce ton ! File dans ta chambre !
- Demain, nous recevrons une lettre du notaire, et dès que je connaitrai son adresse, je chercherai un hôtel à proximité, puis je retiendrai une chambre à deux lits. Quand à aller maintenant dans ma chambre, je n?ai rien à y faire, et je ne vais pas y aller. Je ressors. A tout à l?heure, Nounou !
Elle était tellement surprise par ma première volonté d?indépendance qu?elle ne sut que dire :
- Je vais en parler à ta mère !
Je sortis sans lui répondre.





CHAPITRE III





J?ai remis mes vêtements de pluie, et je suis allée me promener le long de la rivière, très contente d?avoir pour une fois réagi contre la tyrannie de ma vieille nounou.
Lorsque je suis revenue, en présence de Nounou, ma mère a tenté de me dire que je devais respecter Nounou.
- Je la respecte, maman, mais je ne suis plus une gamine, et je refuse qu?elle régente mes pensées et mes actes.
Nous partirons jeudi soir, et je vais m?occuper de retenir une chambre d?hôtel, demain.
Furieuse, Nounou me répondit d?une voix sèche.
- Si tu ne veux pas être régentée, abstiens-toi, au moins, de régenter les autres, sale gamine !
Et elle fit une sortie qu?elle devait juger majestueuse, et pleine de dignité..
Maman a essayé de me dire que nous devions beaucoup à Nounou. Je lui répondis, que je ne le niais pas, mais que maintenant, je n?avais plus 8 ans, et en conséquence, que j?étais capable d?agir par moi-même.
La lettre du notaire est arrivée le lendemain. Il marquait un point, ce noble tabellion, car à sa lettre, il avait joint un plan pour situer son étude. Il y avait le nom des grandes artères, et c?était bien le diable si sur internet, je n?arrivais pas à trouver un hôtel proche de l?étude. Cela s?avéra d?ailleurs assez facile.
Maman et moi, avons fait chacune notre valise, et je dois dire que si maman et Nounou entretenaient des rapports normaux, Nounou et
moi, nous en étions arrivées à ne nous adresser la parole que pour des motifs pratiques, utilitaires (passe moi le sel, où as-tu mis mes chaussures marrons ? etc)
Nous devions prendre le car qui passait à 14 heures au carrefour à 200 mètres de la maison, et nous menait à Orange, où nous devions prendre un train pour Marseille.
Tout se passa normalement, et à 18 heures, nous étions dans notre chambre d?hôtel à deux lits, à Marseille, et nous défaisions nos valises.

Au début de notre voyage, nous nous demandions pourquoi mon père avait demandé notre présence à la lecture du testament. Nous ne parlions jamais, jamais de mon père, je ne savais rien de lui, et je voulais profiter de l?occasion pour demander à maman quelques renseignements. J?ai pu constater qu?en fait, depuis leur séparation, elle n?avait aucune idée de ce qu?il faisait. Elle savait qu?il avait une licence en droit, et quand ils s?étaient mariés, il travaillait depuis de nombreuses années à Orange, dans une société de recouvrement de créances.
Depuis leur séparation, un virement arrivait sur le compte de maman, au début de chaque mois, ponctuellement. Non, cela ne résultait pas d?une décision de justice, et, oui, il y avait eu un différent, entre Nounou et papa, à la suite duquel, le mâle avait laissé les trois femelles entre elles.
C?était bien ce que j?avais deviné. C?était Nounou qui avait fait fuir mon père, et c?est à cause d?elle que je n?ai jamais eu de papa.
Le seul grief contre mon père, que j?ai pu tirer de ma mère, c?est qu?il avait été très désagréable avec Nounou. Je n?ai pas pu savoir la raison du différent entre mon père et Nounou. Il faut avouer que pour ceux qui ne sont pas concernés, cette raison pourrait sembler ridicule, et moi, je me demandais, si je n?aurais pas du demander plus tôt des explications, et aller entendre de vive voix la version de mon père. Maintenant, c?était trop tard, et je ressentais
une sorte de culpabilité, une révolte d?avoir été séparée de lui. Plus qu?auparavant, alors qu?il était mort, je réalisais qu?il m?avait manqué.
Nous avons très vite cessé de nous interroger sur la raison de notre présence souhaitée pour l?ouverture du testament.
Ni ma mère, ni moi, n?avions le moindre indice à ce sujet, et il était par conséquent inutile de continuer à discuter en l?air, sans aucune base.
Le lendemain à 9 heures très exactement ma mère et moi nous nous sommes présentées à l?étude. Dans la salle d?attente, une personne, une dame d?une cinquantaine d?années, était assise. Venait-elle pour le même motif que nous ? Ma mère et moi échangions quelques propos à voix basse, et peu de minutes plus tard, un homme imposant par son physique et sa raideur, entra dans la salle d?attente et nous dit :
- Ah ! Je vois que tout le monde est là. Entrez dans mon bureau !
Cette dame faisait donc partie des proches de mon père.
Après nous avoir conviées à nous asseoir, d?un geste un peu pompeux, le notaire nous fit voir une grande enveloppe.
- Ceci est le testament de monsieur Paul Martin. Je l?ouvre devant vous.
Il en sortit plusieurs feuilles de papier et une enveloppe cachetée.
Après avoir lu le nom indiqué sur l?enveloppe, le notaire me l?a remise.
- Mademoiselle Claudette Martin, cette lettre vous est destinée, mais je vous demande de n?en prendre connaissance, que lorsque je vous aurai lu le testament.
- Maitre, pouvez vous me dire, de quoi est mort mon père ?
Votre père, mademoiselle, a eu un grave accident de la route, il y a quelques mois, et il ne s?en est jamais remis. Son médecin estime probable qu?il y ait un lien de causalité entre son accident (dont l?auteur a pris la fuite, et n?a jamais été retrouvé) et sa mort.
Si vous le permettez, je vais lire son testament :
D?une voix monocorde, monotone, le notaire lut les dispositions prises par mon père.
Mon père se révélait avoir été assez riche. Actionnaire majoritaire d?une société d?informatique, il donnait ses actions « à madame Jeanne Lacroix, qui a partagé ma vie durant huit an , et qui lui permettront de devenir majoritaire. Il s?agissait évidemment de la dame qui assistait à la lecture du testament.
Mon père faisait don à ma mère, Alice Martin, de son droit de propriété sur la moitié de la Grenouillère qu?il possédait.
Ainsi donc, mon père, possédait une partie de la Grenouillère ? Alors, s?il avait été aussi méchant que le disait Nounou, il aurait très bien pu mettre en vente notre maison. Mes connaissances en droit étaient très limitées, mais je savais que « Nul n?est tenu de rester dans l?indivision » et je me mis à trembler en pensant que l?on aurait pu nous obliger à partir de la Grenouillère.
Enfin, une disposition me concernait personnellement. Je recevais un important portefeuille de valeurs mobilières, dont la liste était jointe au testament, et qui selon
le notaire, lequel avait fait un rapide calcul, représentait actuellement aux alentours de 550.000 euros générateurs de dividendes substantiels. De plus, je recevais l?argent qu?il possédait sur deux livrets d?épargne, ce qui constituait encore plus de 100.000 euros C?était, pour moi, habituée aux prix des petites courses alimentaires, une énorme fortune que je ne parvenais même pas à concevoir.

Pour en terminer, le notaire précisa que la succession serait grevée d?environ 22.000 euros de petites dettes en cours et de frais de succession.
Pendant la lecture du testament, j?avais à plusieurs reprises regardé la dame, ancienne amie de mon père, et qui devenait majoritaire dans une société. Elle était restée impassible, très calme, comme si tout cela ne la concernait pas.
Lorsque nous sommes sorties de l?étude, elle nous fit un bref signe d?adieu d?un mouvement de tête, et traversa aussitôt la rue, marquant par là qu?elle ne désirait pas nous parler.
- Pas très marrante l?ancienne petite amie de papa, dis-je.
- Elle est très distinguée me répondit ma mère, toujours prête à trouver des qualités à tout le monde.
J?avais toujours à la main, la lettre de mon père, mais j?estimais qu?elle ne devait être lue qu?à la Grenouillère. C?était, me semblait-il, ce que mon père, lui-même, aurait voulu.
Je demandais à maman, si elle savait que papa aurait pu nous mettre à la porte, pour mettre la Grenouillère en vente.
- Tu le sais, Yette, me répondit-elle, je ne connais rien à toutes ces histoires de papier. Je ne savais même pas que ton père possédait la moitié de la Grenouillère. C?est Nounou qui s?occupe de tout ça.
- Donc Nounou le savait, et tu ne trouves pas anormal qu?elle ne nous en ait jamais parlé ?
- C?est sans doute pour que nous ne nous fassions pas de mauvais sang.
Maman voyait décidemment toujours le bon côté des gens, mais pour ma part, je commençais à me demander qui était vraiment Nounou, dont je ne supportais plus l?autoritarisme.



CHAPITRE IV





Nous sommes arrivés chez nous au début de l?après midi, et j?ai aussitôt sauté dans ma barque pour aller me réfugier sous mon saule pleureur, afin de lire la lettre de mon père. Je la reproduis ici.
Ma très chère Claudette

Il est probable que tu me juges sévèrement pour ne pas être resté avec ta mère, et ne pas avoir participé à ton éducation. Si tu savais
combien j?ai souffert de ne pouvoir simplement te voir de temps en temps !!!! Mais c?était impossible, et maintenant que je ne suis plus là, tu as le droit de savoir.


Lorsque j?ai connu Lise Dufour (que tu appelles Nounou) elle avait été embauchée par ta grand-mère, pour s?occuper de son bébé (ta maman), depuis une douzaine d?années, âge qu?avait par conséquent ta mère à ce moment là.
J?étais plus jeune que Lise, mais, nous avons eu une liaison qui a duré, cahin- caha, pendant 8 ans,
Lise, est une femme qui ne manque pas de qualités, mais qui n?était absolument pas faite pour une vie de couple ; Elle voulait tout régenter, et pour avoir le dernier mot, elle n?hésitait devant aucune man?uvre, aucun mensonge. J?en ai eu la preuve plus tard.
Un jour qu?elle voulait obliger ta mère à bêcher un carré du jardin, particulièrement dur et pierreux (elle avait à ce moment là, 15 ans, mais
n?a jamais été très forte physiquement), elle l?a fait jeûner durant 3 jours, pour l?obliger à le faire et cela aurait pu durer encore longtemps, et avoir de graves conséquences sur la santé de ta mère, si je n?étais pas intervenu.
Lise et moi avons eu une longue dispute à ce sujet. Elle m?a dit que d?une part, elle élevait cette enfant comme elle l?entendait, et que d?autre part, le docteur lui avait demandé de pousser ta mère à faire des exercices physiques difficiles. Je me suis renseigné auprès du médecin. C?était non seulement faux, mais il me dit avoir conseillé à Lise, au contraire, de ne pas faire accomplir trop d?efforts à ta mère qui était de constitution assez fragile.
Après une autre très violente dispute, je suis parti et resté des années sans revenir à la Grenouillère.
C?est à une fête du village que j?ai revu Lise, accompagnée de ta mère qui était devenue une ravissante jeune femme de 29 ans. J?en avais 39.
La Nounou m?avait dit qu?elles étaient dans une situation matérielle difficile. Je voulais vous dépanner, aussi ai-je acheté la moitié de La Grenouillère, afin que vous ayez un peu d?argent frais.
Malgré de nombreux obstacles dressés par Lise, sans doute jalouse que je puisse m?intéresser à une autre femme, qu?elle, nous
nous sommes mariés ta mère et moi. Après ta naissance, cette femme est parvenue à ses fins, et m?a contraint à partir, en utilisant des moyens honteux.
Elle a fabriqué des lettres d?amour de femmes qu?elle inventait, et les a apportées à ta mère, lui disant qu?elle les avait trouvées dans mes poches. Ta mère, très influençable, et entièrement sous la coupe de sa Nounou, a fini par croire à tous ces mensonges et nous nous sommes séparés.
A deux reprises, je suis parvenu à faire parvenir, directement à ta mère, des lettres dans lesquelles je lui demandais de reprendre notre vie commune.. Je la suppliais d?au moins me permettre de voir ma fille de temps en temps. .
Les deux fois, elle a fait lire mes lettres à Lise qui bien entendu, a mis un véto sec et définitif à toutes mes demandes.
A plusieurs reprises, je suis allé à la sortie de ton école pour essayer de te parler. Chaque
fois, Lise était là, et je n?ai jamais pu m?approcher de toi. Mais tu semblais très heureuse, et cela m?avait un peu réconforté.
Cependant, je suis persuadé que cette femme est redoutable. Il y a quelques mois, j?ai été renversé par une voiture. Je n?ai aucune preuve, mais j?ai l?intime conviction qu?il ne s?agissait pas d?un accident. Je n?accuse pas formellement Lise d?avoir organisé un attentat contre moi, mais?.
Je crois qu?elle n?a jamais cessé de craindre que je parvienne à reconquérir ma femme ou ma fille, et elle est très capable d?avoir envisagé contre moi une solution définitive.
Ta maman est sous l?influence complète et je le crains, définitive de Lise. Mais j?ai un petit espoir, c?est que tu parviennes, toi, à t?en dégager.
J?avais pensé, dans un premier temps, te donner la moitié de la Grenouillère que je possède, mais le problème n?aurait pas été résolu, car ta mère en a déjà la moitié. Alors, que vous ayez chacune la moitié de la Grenouillère, n?aurait rien changé au problème.
J?ai préféré une autre solution.
Maintenant qu?elles n?auront plus ma pension, elles ne pourront s?en tirer qu?avec ton aide, puisque, c?est toi qui va posséder la totalité de mes valeurs mobilières et de mes économies sur comptes. Il faut que tu profites des atouts que tu as en mains, et que tu prennes un ascendant sur ta mère (en ce qui concerne Lise, ce sera plus difficile, mais peut-être partira-t-elle d?elle-même, si tu sais man?uvrer, ce que je n?ai pas su faire).
Je t?embrasse comme je t?aime ma fille chérie. Que la vie te soit douce.
Pour la première et dernière fois, je signe
PAPA

La lecture de cette lettre, me laissa dans des sentiments divers. J?ai beaucoup plaint mon père qui avait été la victime de Nounou, et d?autre part, j?étais assez fière de moi, d?avoir commencé à me dégager de son joug, avant la lettre de mon père.
Je résolus, non seulement de prendre mon indépendance, mais d?essayer de faire en sorte que ma mère fasse de même, vis-à-vis de Nounou. Je me dis, qu?en premier lieu, il n?y aurait plus de Nounou mais que je l?appellerai Lise. Cela abolirait déjà un lien de dépendance.
Après une heure de réflexions, je suis sortie de sous mon saule, et revenue vers le ponton.
En arrivant à ce dernier, je vis mon canoéiste qui me fit un grand signe du bras, auquel je répondis gentiment cette fois-ci. Il tourna son embarcation vers moi, et je l?attendis.
-Bonjour Mademoiselle. La pêche a été bonne ?
- Je n?ai pas pêché aujourd?hui. J?avais d?autres préoccupations.
- Je ne veux surtout pas être indiscret, mais si vous avez besoin de moi, n?hésitez pas. Je suis chez Monsieur Brugier durant 2 mois. Vous le connaissez sans doute ?
- Oui, bien sûr. Merci de votre offre.
Je pensais et espérais que nous discuterions un peu, mais ne voulant sans doute pas s?imposer,
il me dit au revoir, et lança son embarcation au milieu de la rivière pour continuer sa promenade.
Cette rencontre ne représentait pas un évènement de première grandeur, mais me donna une impression de liberté. J?espérais que Nounou me demanderait des explications sur cette conversation avec un inconnu, pour avoir le plaisir, de lui dire qu?il s?agissait de mes propres affaires.
Mon v?u a été exaucé, car, à peine arrivée devant la porte de la maison, Nounou, qui devait me guetter derrière la fenêtre du salon, sortit pour me demander :
Encore avec ce garçon ? Je t?interdis de lui parler, si tu le rencontres de nouveau.
Les mains sur les hanches, je la regardais bien en face et lui dis :
- Je me demande bien à quel titre, tu pourrais m?interdire quoi que ce soit.
Puisque nous en sommes aux explications, je dois dire que ce nom de Nounou que je vous donne est ridicule, à mon âge.
Désormais je vous appellerai Lise, et vous vouvoierez.
- Je t?interdis de m?appeler Lise. C?est moi qui ai élevé ta mère, puis toi ensuite. Je suis votre Nounou pour toujours.
- Non, Lise. Nounou c?est fini !
Et l?écartant de la porte pour pouvoir entrer, je suis allée dans ma chambre, où j?ai relu la lettre de mon père.
Lorsque je suis revenue dans la salle à manger pour le dîner, ma mère et Lise étaient déjà à table, et c?est maman qui, certainement catéchisée par Lise me dit :
- Nounou me dit que tu as eu des paroles inconvenantes à son égard. Elle te demande de lui faire des excuses.
- Si mes paroles ne lui convenaient pas, elles convenaient en tous cas, parfaitement à la situation, et je te demande maman de lui dire, puisque tu sembles être son porte- parole, que Lise dorénavant n?aura plus à me dicter ma conduite, et c?est valable dans tous les domaines.
- C?est intolérable ! s?écria Lise !
- Ce qui est intolérable, c?est qu?à cause de toi, je n?ai pas connu mon père, que tu l?as obligé à partir et à quitter maman en fabriquant
de fausses preuves de l?infidélité de papa.
Lise, croyez-moi, ajoutais-je en la vouvoyant encore par défi, vous avez intérêt à ce que nous en restions là.
Lise s?était brusquement écroulée, les coudes sur la table, et pour la première fois de ma vie, j?eus une impression de puissance.

Reprenant la maitrise d?elle-même, Lise, se redressa, et me regardant à son tour, dans les yeux, elle me dit :
- Yette, j?ai l?impression que la lecture du testament de ton père t?a tourné la tête. Ta mère m?a dit ce qu?il contenait. Cet homme a gagné beaucoup d?argent. Peut être ne faudrait-il pas trop savoir comment, et d?où vient cet argent, mais tu penses que parce que tu vas avoir des sous, tu deviens une personne importante, capable de se débrouiller toute seule. ? C?est faux ma pauvre fille ! Tu n?as jamais su te débrouiller toute seule, et heureusement que j?ai été là,
pour toi, et aussi pour ta mère, mais elle, elle en a conscience, et m?en est reconnaissante.
Alors, je te le répète, tu ne pourras jamais effacer le passé. J?étais ta Nounou, je resterai à jamais ta Nounou, et tu me dois le respect.
- Je vais madame Lise, vous répondre sur deux points. Tout d?abord, vous avez utilisé le mot : » faux ». Vous auriez du vous abstenir, car vous m?amenez à apporter des précisions. Si ma mère n?a pas vécu avec son mari, et si je n?ai pas connu mon père, c?est que vous aviez écrit de fausses lettres pour faire croire à maman qu?il lui était infidèle. CE QUI ETAIT PARFAITEMENT FAUX. Il faut que tu le saches maman.
Ensuite, il est méprisable de votre part d?insinuer que papa a gagné de l?argent d?une façon malhonnête. Vous n?avez pas le début du commencement d?une preuve, et d?ailleurs, sur le plan honnêteté, il vaudrait mieux que vous vous taisiez.
Lise ne s?attendait visiblement pas à ce que je lui tienne tête et je vis passer dans son regard un peu d?affolement.
Ne l?écoute pas ma chérie, dit elle à ma mère. Cette gamine dit des bêtises et n?a pour preuve, que les divagations de ton mari, qui n?a jamais été très intelligent.
Je pris la balle au bond :
-Il n?était pas intelligent mon père ? Alors, expliquez-nous pourquoi, vous avez été sa maitresse pendant 8 ans.
- Quoi ? s?exclama ma mère.
- Ne la crois pas, se défendit Lise. Elle est foncièrement méchante et veut me faire du mal.
- Non, maman, je ne suis pas méchante, mais il faut que tu le saches, Lise a été la maitresse de papa quand tu étais jeune, et il a du partir parce qu?il avait voulu te défendre contre elle, et s?opposer aux punitions qu?elle
t?infligeait indûment. D?ailleurs tu devrais t?en souvenir, tu étais assez grande, et elle te punissait souvent.
- Je la punissais quand elle le méritait, et elle le sait bien. Elle m?en est même reconnaissante, elle, car j?ai su bien l?élever.
- Tu parles !!!! Quand plus tard, papa et toi, vous vous êtes mariés, Lise a fait tout ce qu?elle pouvait pour le faire partir. Elle était jalouse de toi, et comme je te l?ai dit, c?est elle qui a écrit les lettres des prétendues maitresses de papa.
- Est-ce vrai tout cela, Nounou ? Mon Dieu, je ne sais plus où j?en suis !
- Mais non, ma chérie ! Je ne sais pas pourquoi elle invente tout cela. Demande-lui une preuve, une seule. Elle ne pourra pas te la donner, simplement parce que c?est faux.
C?était vrai que je n?avais aucune preuve. Simplement les affirmations de mon père. Mais j?avais l?intime conviction que tout cela était vrai.
- Je suis certaine de ce que je sais, et toi, maman, j?espère que tu parviendras aussi à connaitre le vrai visage de madame Lise Dufour.



CHAPITRE V




Je suis revenue dans ma chambre, où, pour la première fois, j?ai fermé ma porte à clé. Je voulais lire, tranquillement, une fois encore la lettre de Papa.
Je venais de terminer ma lecture, lorsque j?entendis des pas dans le couloir, et quelqu?un qui essayait d?entrer chez moi.
Je cachais rapidement la lettre entre le sommier et le matelas de mon lit, puis je suis allée ouvrir.
Lise était sur le pas de la porte, qui contenait avec peine sa colère.
- Alors ? Tu t?enfermes maintenant ?
- Tranquillisez-vous ! C?est la première et dernière fois. Il fallait que vous soyez prévenue. C?est fait. Parce que dorénavant je vous interdis formellement d?entrer dans ma chambre, sans avoir frappé au préalable, et avoir attendu mon accord pour entrer. C?est compris ?
- Je veux que tu me dises ce qui se passe. Pourquoi avoir changé d?attitude envers moi. J?ai consacré ma vie à vous élever, ta mère d?abord, toi ensuite, et c?est moi qui m?occupe de tout ici. Sans moi, vous seriez complètement perdues.
Après réflexion, ce n?est pas de la lecture du testament que datent tes attitudes désagréables et déplacées. Cela avait commencé un peu plus tôt. Que t?a raconté ce garçon avec lequel tu parlais sur la rivière ?
Je n?ai pu me retenir d?éclater de rire.
- Ce garçon, comme vous l?appelez ne m?a rien dit du tout. Pourquoi me demandez-vous ça ? Vous le connaissez ? Et il est au courant de votre passé. ? Il aurait des choses à me dire à votre sujet ?
- Je t?ai posé une question. Ne me réponds pas par des questions. J?attends !!
- Je veux bien que vous attendiez. Mais faites-le en dehors de ma chambre. J?ai à faire.
J?avais ouvert la porte, et d?un geste du bras, j?avais invité Lise à sortir de ma chambre lorsque je vis maman qui se rendait dans la sienne.
- Maman ! Peux-tu venir une minute ? J?ai à te parler ! Lise ! Laissez-nous !
Elle hésita une seconde avant de s?en aller. En passant à côté de maman, elle lui dit
- Méfie toi de ce que va te dire cette écervelée, ma chérie. Elle est devenue complètement folle, et invente des bêtises.
Une fois maman entrée dans ma chambre, je suis allée récupérer la lettre de mon père sous le matelas, et la tendis à maman.
-Tiens ! Lis là tranquillement. Je ne te dirai pas un mot jusqu?à la fin de ta lecture.
Pendant que maman s?asseyait pour lire la lettre, je suis allée jusqu?à la porte pour m?assurer que Lise n?était pas revenue coller son oreille à la porte. Il n?y avait personne.
Je suis allée m?allonger sur mon lit, pendant que ma mère lisait la lettre de mon père.
Un long temps s?écoula, et ma mère ne m?avait pas dit un mot. Je tournais les yeux vers elle. Sa lecture était terminée certainement depuis longtemps. La lettre était sur ses genoux, et la tête levée vers le plafond, elle pleurait silencieusement.
- Je te comprends maman. C?est dur de réaliser que Lise?enfin Nounou, ait pu faire tant de vilaines choses.
Mais il faut regarder les faits en face. C?est elle qui a contraint ton mari à partir.
- C?est vrai, Yette, c?est vrai. Mais ton père ne m?a jamais parlé de sa liaison antérieure avec Nounou, et surtout, pourquoi est-il parti si les accusations portées contre lui étaient
fausses ? Pourquoi nous a-t-il abandonnées sans se défendre, sans avoir essayé de se justifier auprès de moi ? Je l?aimais tant !
- Maman, il voulait revenir, souviens- toi, il t?a écrit deux fois, et les deux fois, tu as fait lire ses lettres à Lise. Il est évident qu?il ne pouvait rien faire pour se justifier. Tu étais sous la coupe de ta nourrice. Et je pense que tu l?es toujours. Il faut que tu t?en dégages. Elle nous a fait assez de mal comme ça !! Il faut qu?elle parte !!
- Tu n?y penses pas !!! C?est elle, et elle seule, qui nous a élevées, toi et moi.

- Elle nous a élevée pour avoir deux personnes sous sa domination. Ce qu?elle a fait, c?était pour elle, pas pour nous.
- Non ! Je ne peux pas lui demander de partir. Elle est un peu comme ma mère.
- Je sais bien que tu ne peux pas réaliser d?un coup, le mal que cette femme nous a fait. Il faut que tu réfléchisses à tout ce que nous a appris papa, et tu réaliseras peu à peu.
Ma mère toujours en pleurs, alla dans sa chambre, pendant que je réfléchissais à ce que m?avait dit Lise.
Elle avait réalisé que mon attitude nouvelle envers elle, était antérieure à la lecture du testament, et elle pensait que le canoéiste m?avait dit quelque chose. Que venait-il faire dans nos affaires de famille ? Il fallait que je tire cela au clair.
Les Brugier habitaient dans une ferme, à l?autre bout du village. Je les connaissais de vue, mais ne leur avais jamais parlé. J?enfourchais ma bicyclette, et me rendis près de chez eux, en espérant que leur jeune hôte me verrait et viendrait discuter avec moi. Malheureusement, bien qu?étant passée quatre ou cinq fois devant la ferme, en chantonnant pour attirer l?attention, je ne vis personne, et je me dis que j?aurais plus de chance de le rencontrer sur la rivière.
Revenue à la maison, je sautais dans ma barque et remontais la rivière, puisque la ferme des Brugier était en amont de la Grenouillère.
Décidemment, ce garçon adorait vivre sur l?eau, car je n?avais pas fait plus de trois ou quatre cents mètres, lorsque à un coude de la rivière, je le vis qui descendait à une vitesse stupéfiante, pagayant avec une énergie maximale.
Dès qu?il me vit, il freina son canoë et vint vers moi.
- Décidemment mademoiselle, vous semblez aimer naviguer autant que moi.
- Sans doute, mais nous allons à des vitesses différentes.
- La rivière peut nous donner des plaisirs divers. Moi, j?aime la vitesse, alors que vous semblez avoir un rapport plus?. intimiste avec l?eau.
- Comment se fait-il que nous ne nous soyons jamais rencontrés auparavant ? C?est la première année que vous venez ici ?
- Non, mais c?est la première année que je dispose de mon embarcation? Elle est chouette, hein ?
- Un peu instable à mon goût, mais sans doute parfaite pour vous.
- Nous descendions le courant, presque bord et bord, et il était assez difficile de discuter en ramant, aussi lui ai-je proposé de lui faire voir mon coin préféré sous le saule. Il accepta aussitôt, et nous sommes entrés dans mon domaine où l?eau étant stagnante, nous n?avions pas besoin de ramer.
Après s?être présenté comme s?appelant Pierre Delamotte (en un seul mot, m?avait-il précisé), il s?est extasié sur la beauté de mon coin et sur mon astucieuse installation pour que cet endroit soit constamment amorcé aux asticots.
Après avoir parlé de choses et d?autres, je lui demandais si lui-même ou les Brugier connaissaient ma mère et Lise. Il me dit que madame Brugier était sa tante, que, bien entendu, après notre première rencontre il lui avait parlé de moi pour savoir qui j?étais, et qu?il avait été surpris par sa réaction. Elle avait rougi subitement et avait seulement dit que « la petite Yette était adorable »
- Tant pis pour votre modestie, mais c?est exactement ce qu?elle m?a dit.
- Vous voyez, je ne rougis pas ! Mais pourquoi avait elle rougi, elle- même ?
- Je l?ignore, elle ne m?a rien dit, mais?
- Mais ?
Mais elle m?a dit beaucoup de bien de votre maman aussi, et j?en ai conclu qu?elle devait être?.Plus réservée en ce qui concerne la troisième personne qui vit avec vous, la Nounou. Excusez-moi de vous dire cela. Je me trompe peut être?.Car ma tante semblait gênée, en m?en parlant.
- Il y a quinze jours, je vous aurais dit que vous vous trompiez, mais aujourd?hui je pense que votre tante a raison. Je commence à penser que Lise Dufour, n?est pas la nounou merveilleuse que je croyais connaitre.
- Je vous en supplie, monsieur, essayez de savoir ce que votre tante peut connaitre de Lise. C?est très important pour moi.


- Bien volontiers, Yette, mais à une condition.
- Laquelle ?
- Que vous m?appeliez Pierre, et non monsieur.
- Je suis d?accord. A une condition moi aussi.
- Vous êtes redoutable, me dit-il en riant : Vous ne donnez rien sans rien. Bon ! Alors ? Cette condition ?
- C?est que vous ne m?appeliez pas Yette. Ce prénom m?a été donné par Lise, qui voulait dans tous les domaines, avoir prise sur moi. Mon vrai prénom ne me plait pas, mais je le préfère quand même. C?est Claudette.
- Hé bien, Claudette (moi, je ne déteste pas votre prénom) je vais faire subir à ma tante, les brodequins, l?entonnoir, la roue, l?écartèlement, un supplice chinois, ou un autre de mon invention, s?il le faut, mais je saurai la faire parler, me dit-il en riant.
- Merci, Pierre, mais restez humain quand même lui ai-je répondu en riant à mon tour.
Décidemment, ces temps ci, je revenais sur mes jugements concernant les personnes.
J?aimais beaucoup Nounou qui pour moi faisait partie de la famille. Elle se révélait maintenant une femme fourbe, méchante, qui nous a fait beaucoup de mal.
J?avais trouvé que ce piroguier n?était pas sympathique et je trouve aujourd?hui qu?il est extrêmement gentil, agréable, gai, tout en restant correct. Il ne donne pas l?impression de me draguer, ce qui prouve, au minimum qu?il est très fin?.quoique si cela devait durer trop longtemps je le trouverais sans doute dépourvu de goût, et vexant?.

Avant de sortir de « ma maison de saule », Pierre s?était donc engagé à avoir une discussion sérieuse avec sa tante, et nous avons décidé de nous revoir le lendemain à 17 heures au même endroit
Lorsque je suis rentrée à la maison, Lise était encore dans l?entrée. Elle avait certainement surveillé ma venue par la fenêtre du salon, et je serrais les poings, prête à répondre à ses éventuelles attaques.
Décidemment, cette femme était encore plus dangereuse que je ne le pensais. Elle avait complètement changé d?attitude. Elle était presque douce, repentante.
- Tu sais, ma chérie, quand on vit constamment auprès de certaines personnes, on ne se rend pas toujours compte de leur évolution. Surtout lorsqu?il s?agit d?une enfant, qui très rapidement devient une grande personne, pense, et agit, comme une adulte qu?elle est devenue.
Je le reconnais, j?ai commis une erreur, en ne voyant pas ta mutation. Mais je t?aime tellement, ma petite chérie, que cela peut s?expliquer. Ne dit-on pas que l?amour rend aveugle ?
Je ne te cache pas que tu m?as fait beaucoup de peine, en me parlant comme tu l?as fait, mais du moins, cela eut le mérite de me faire prendre conscience de mon erreur, que je te demande de me pardonner. Si tu le veux bien, nous allons effacer ces quelques jours pénibles que nous venons de passer, et nous allons repartir sur des bases plus normales, plus saines.
J?avoue que j?étais complètement déboussolée par son changement d?attitude. Je ne l?avais jamais vue aussi douce, et c?est cette constatation qui contribua à me remettre en garde. Une femme qui était capable de prendre des attitudes aussi différentes, ne pouvait être que très dangereuse, et après l?avoir regardée fixement dans les yeux, je lui répondis :
- Lise, je découvre peu à peu, avec effroi, votre personnalité. Votre nouveau rôle ne vous va pas du tout, et ne correspond pas à votre véritable nature.
Vous nous avez fait, à maman et à moi, trop de mal, pour que je puisse vous pardonner quoique ce soit.
Puisque l?occasion se présente, je vais vous dire mon désir actuel. Je voudrais que vous partiez d?ici, et que vous alliez ailleurs développer vos capacités man?uvrières. Ici, vous êtes grillée.
Ensuite, je suis allée dans ma chambre, pas mécontente de constater que Lise, était restée immobile, muette, statufiée, dans le hall, après ma sortie.
Beaucoup plus tard, la nuit venue, j?ai eu envie de sortir, de ne plus me trouver sous le même toit que Lise.



CHAPITRE VI



Assise sur mon ponton, penchée en arrière, appuyée sur mes coudes, j?avais conscience de ne faire qu?un avec la nature qui m?entourait.
La nuit était merveilleuse.
Lorsque l?on parle de nuit, cela fait penser à l?obscurité et au silence. Mais pas à La Grenouillère.
La lune s?amusait à créer des milliers d?éclairs d?argent sur les vaguelettes de la rivière. Ce spectacle était prenant, féerique.
Quand aux amateurs de silence, ce n?était pas ici qu?ils devaient venir. L?orchestre était assourdissant. Certes, il n?y avait que deux
groupes d?instruments, mais chacun luttait pour dominer l?autre.
Dans les herbes de la pelouse, les grillons émettaient leurs cris stridents, pendant que sur le bord de la rivière, les grenouilles coassaient à pleine gorge.
La rivière est là, dans son lit. Elle est à sa place. Moi aussi, je suis à ma place, là, à la Grenouillère, et je ne pourrais pas vivre ailleurs.
Comme j?avais eu raison de venir sur mon ponton, pour me retrouver, sereine, et relativiser tout le reste. Mais comment oublier complètement ce reste ?
Le repas du soir s?était déroulé dans une ambiance peu agréable. Pourtant, Lise n?était pas là. Aussi loin que mes souvenirs remontaient, je ne me souvenais pas d?un repas sans Lise, mais elle avait dit à ma mère, pour la première fois, qu?elle avait une atroce migraine, et ne quitterait pas sa chambre.
Malgré son absence, je l?ai dit, l?ambiance était désagréable, car ma mère me « faisait la gueule » Décidemment, elle restait attachée à sa Nounou,
et je pensais avec tristesse, que j?aurais beaucoup de mal à lui ouvrir les yeux.

Nous n?avions pas prononcé un mot, jusqu?au dessert, quand je décidais d?attaquer le problème qui nous séparait.
- Tu connais bien Lise, maman, et tu connais son caractère par c?ur.
- Bien sûr, puisqu?elle m?a élevée, et toi par la suite, c?est pourquoi je désapprouve ton attitude envers elle.
- Tu sais, maman, je ne suis pas bornée. Si je faisais erreur, dès que je m?en rendrais compte, je le reconnaitrais. Mais je reviens à ce que je commençais à te dire. Tu connais bien Lise. C?est une femme, qui est un peu autoritaire, non ?
- Il est absolument nécessaire de se montrer autoritaire quand on a des enfants à élever.
- Lise est donc autoritaire, nous sommes d?accord. Hé bien, tout à l?heure, elle s?est
excusée, et a reconnu qu?elle avait commis une erreur avec moi. Tu ne trouves pas cela très curieux ? Cela ne cadre pas avec le caractère
que nous lui connaissons. Il est évident que son acte de contrition n?était qu?une nouvelle man?uvre pour tenter de reprendre son pouvoir sur moi.
Une femme qui, ordinairement est cassante, naturellement autoritaire, ne peut devenir douce et repentante, que par calcul. Cette femme est dangereuse.
Mais enfin, ouvre les yeux, maman !! Regarde les faits ! Elle a obligé papa à partir, en écrivant de fausses lettres, et en abusant de son pouvoir sur toi. Tu n?as jamais su que la moitié de la Grenouillère ne nous appartenait plus : Elle n?en a rien dit.. Moi, je n?ai jamais eu de père, à cause d?elle, et mon souhait le plus ardent, est que tu admettes que cette femme nous a fait beaucoup de mal ;
- Décidemment tu es d?une mauvaise foi qui me fait beaucoup de peine. Tu l?accuses d?être trop despotique avec toi. Elle s?en rend compte, et, refoulant son amour propre, elle te fait des excuses, et toi, tu vas chercher je ne sais quelle arrière pensée. Je trouve que son attitude, au contraire est admirable.
Je ne sais pas qui a mis ces vilaines idées dans ta tête, mais il faudrait que tu te ressaisisses, et que, devant le repentir de Nounou, tu ailles à ton tour t?excuser en te jetant dans ses bras.
- Ma pauvre maman, tu es aveugle, et tu ne veux pas voir combien cette femme est
méprisable. Mais je ne désespère pas de te ramener à la raison, lui dis-je en me levant de table, et en com


Mais enfin, ouvre les yeux, maman !! Regarde les faits ! Elle a obligé papa à partir, en écrivant de fausses lettres, et en abusant de son pouvoir sur toi. Tu n?as jamais su que la moitié de la Grenouillère ne nous appartenait plus : Elle n?en a rien dit.. Moi, je n?ai jamais eu de père, à cause d?elle, et mon souhait le plus ardent, est que tu admettes que cette femme nous a fait beaucoup de mal ;
- Décidemment tu es d?une mauvaise foi qui me fait beaucoup de peine. Tu l?accuses d?être trop despotique avec toi. Elle s?en rend compte, et, refoulant son amour propre, elle te fait des excuses, et toi, tu vas chercher je ne sais quelle arrière pensée. Je trouve que son attitude, au contraire est admirable.
Je ne sais pas qui a mis ces vilaines idées dans ta tête, mais il faudrait que tu te ressaisisses, et que, devant le repentir de Nounou, tu ailles à ton tour t?excuser en te jetant dans ses bras.
- Ma pauvre maman, tu es aveugle, et tu ne veux pas voir combien cette femme est
méprisable. Mais je ne désespère pas de te ramener à la raison, lui dis-je en me levant de table, et en commençant à la débarrasser.
Maman et moi avons effectué ce petit travail sans prononcer un seul mot, puis, je suis allée me réfugier dans ma chambre.
Je réfléchissais longuement à mon problème qui pourtant se posait en termes simples : il s?agissait d?amener maman, à faire le bon choix entre Lise et moi, car il était évident que l?une de nous deux devra partir. Lise et moi nous ne pourrons plus vivre sous le même toit.
J?étais assez lucide, pour me rendre compte à ce moment, que si maman avait à faire ce choix déchirant, je ne sortirais pas gagnante. Les paroles ne suffiraient pas pour infléchir le jugement de maman. Il faudrait des preuves. Or je n?en avais aucune, même si j?avais l?intime conviction que mon père disait la vérité, dans sa lettre.
Une petite lueur agréable dans mon univers tourmenté : Je pensais que je n?étais plus vraiment toute seule à me battre, et que Pierre, m?aiderait. Comment ? Je n?en savais rien
encore, mais je lui faisais instinctivement confiance.
Le lendemain matin, en entrant dans la cuisine, je vis Lise, dont la migraine avait du passer, bien qu?elle ait une tête pas possible. Elle terminait son petit déjeuner. Nous n?avons pas échangé un seul mot. Je me suis fait chauffer un nescafé dans le four micro-onde, puis j?ai sauté dans ma barque, pour aller faire un tour.
J?espérais vaguement voir Pierre, mais il devait (du moins, je me plaisais à l?imaginer) travailler pour moi en interrogeant sa tante. Malgré ma situation très désagréable, je me suis prise à éclater de rire en me remémorant les supplices que Pierre m?avait dit vouloir faire
subir à sa tante, pour obtenir des renseignements. J?aimais beaucoup la tournure d?esprit de ce jeune homme, qui venait à point nommé, de surgir dans ma vie.
Durant le repas de midi, nous étions de nouveau trois, mais si, Lise et maman, parlaient presque normalement, elles se comportaient comme si je n?étais pas là, ce qui prouvait que ma réflexion de la veille était exacte. Si maman
avait à choisir entre sa fille et sa nounou, c?est cette dernière qui emporterait la partie, comme elle l?avait déjà fait, jadis, en obligeant mon père à partir. J?avais un sacré handicap à remonter.
Juste avant que je ne quitte la table, maman me dit, d?une voix normale et calme :
- J?espère, Yette, que ce passage de l?âge ingrat (c?est bien le cas de parler d?ingratitude) ne sera pas trop long.
- Tout d?abord, mon prénom est Claudette, je n?en accepte pas d?autres. Ensuite, la clairvoyance n?a rien à voir avec l?âge, et à 18 ans, rassure-toi, l?âge ingrat est passé, de plus, je sais admettre comme vrai, ce que d?autres ne veulent pas voir. Parce que ça les gêne.
Je vis que Lise haussait les épaules, pendant que je me levais pour aller dans ma chambre.
Bien avant dix sept heures, j?étais sous mon saule pour attendre Pierre, qui arriva lui aussi avec un peu d?avance.
Dès que je le vis à bord de son canoë, qu?il manoeuvrait, souple et puissant, avec élégance, je me sentis plus légère, comme si une partie du poids qui m?oppressait était partie se poser sur ses fortes épaules.

Lorsqu?il me vit, il fit un grand sourire, et je me pris à espérer qu?il avait de bonnes nouvelles.
Je n?eus pas longtemps à attendre car il me dit immédiatement.
- Je crois que vous allez être intéressée. J?ai donc interrogé ma tante, et sans avoir à recourir à des tortures, j?ai pu obtenir des renseignements, qui vont vous édifier sur la moralité de votre Lise.
Ma tante et mon oncle se sont mariés il y a un peu plus de trente ans.
Deux mois après le mariage, mon oncle a succombé aux charmes de votre douce Lise, et une fois, une seule fois, lui a envoyé une lettre qui ne pouvait laisser aucun doute sur leurs rapports.
Dès réception de cette lettre, votre Lise en fit une photocopie, et l?adressa à ma tante avec un mot que vous pouvez lire, ma tante me l?ayant prêté et je me suis engagé à le lui rendre ce soir.
« Madame ;
Sachez tout d?abord que je me fiche de votre mari comme d?une guigne. Mais, après votre mariage, vous ne cessiez de répéter combien vous étiez heureuse, et vous chantiez les louanges de votre mari.
J?ai trouvé que vous étiez insupportable, et que, contrairement à vos dires, votre cher mari ne valait pas mieux que les autres. J?ai fait ce qu?il fallait, et très rapidement, vous pouvez le constater, je suis devenue sa maitresse. Comme, si je me contentais de le dire, vous ne me croiriez pas, je vous joins photocopie d?une lettre que votre mari vient de m?envoyer.
J?espère que vous aurez la pudeur d?arrêter de chanter ses louanges, et je vous souhaite, chère madame, un divorce fructueux.
Lise Dufour »
Ma lecture terminée, je suis restée un moment sans parler. Je n?aurais tout de même pas pensé que Lise puisse être allée jusque là. Il y a quelques jours encore, elle était ma Nounou chérie, ma seconde mère. La preuve que je voulais fournir à maman était là, entre mes mains, et au lieu d?être heureuse, j?étais anéantie par tant de vilénie ! Comment une femme pouvait-elle pousser si loin la méchanceté ?
Mes réflexions furent interrompues par Pierre qui me dit en souriant :
- Alors ? Satisfaite ? Vous l?avez la preuve du vrai caractère de votre Lise.
- Oui, merci Pierre. Mais je n?arrive pas à me sentir heureuse d?avoir une preuve à fournir à maman. C?est tellement?..
- Oui, c?est tellement méchant et gratuit ! Je vous comprends Claudette. Elle était votre nounou chérie il y a peu?.
- Merci pour tout, et surtout pour me comprendre si bien ??Merci. Il faudrait que je possède une photocopie de cette lettre.
- C?était tellement évident, que voici la photocopie que j?ai faite avant de venir.
Heureusement que nous étions chacun dans notre embarcation, sinon, je me serais jetée dans ses bras, et ?..Maintenant je serais affreusement gênée.
En agitant ces pensées, j?ai du rougir, et sans doute Pierre s?en est-il aperçu car il me dit :
- Pour me récompenser de mon bon travail, j?aimerais que vous m?appreniez à pêcher. J?ai vu dans notre grange, que mon oncle avait des cannes à pêche. Voulez vous m?initier à votre art ?
- Bien sûr, avec grand plaisir, mais?si ce n?est pas indiscret, pouvez vous me dire quelle suite votre tante a réservé à cette lettre.
- Ma tante est une femme remarquable. Elle a fait lire à son mari la lettre de Lise, et lui a demandé ce qu?il comptait faire. Il parait qu?il s?est jeté à ses genoux, pour lui demander pardon, et?Je ne sais pas trop la suite, sinon, qu?ils sont toujours ensemble et qu?une parfaite entente existe entre eux.
- En somme, la méchanceté de Lise n?a pas eu de prise sur le couple de votre tante et de votre oncle. C?est bien réconfortant. Je ne les connais que de vue, mais lorsque la tourmente, chez moi, sera terminée, c?est avec plaisir que j?irai les voir.
- Je suis persuadé que vous vous entendrez très bien. Et maintenant, que comptez-vous faire, Claudette ?
- Il faut d?abord que je réfléchisse. Mon premier mouvement aurait été d?aller simplement donner la lettre, à ma mère, elle est suffisamment édifiante. Mais je dois faire attention. Ma mère n?a pas une santé très solide, et si brusquement je lui mettais sous les yeux l?ignominie de sa nounou, elle risquerait d?en tomber malade. Je vais devoir procéder d?une façon moins brutale.
- En tous cas, sachez que vous pouvez toujours compter sur moi.
Une fois encore, je me suis félicitée que nous soyons Pierre et moi dans des embarcations différentes, car pour la seconde fois, j?avais eu une terrible envie de me jeter dans ses bras. Plus tard, lorsque j?aurai un peu de temps pour penser à autre chose que le problème posé par Lise, il faudra que je cherche à expliquer la raison de ces élans subits vers Pierre. Simplement de la reconnaissance, ce qui est très possible, ou bien??..mais le moment n?est pas venu de me poser ce genre de question.
J?ai proposé à Pierre de nous retrouver le lendemain matin de bonne heure, vers 6 heures 30, pour notre première partie de pêche. Il a été entendu qu?il viendrait à mon ponton pour laisser son frêle esquif peu fait pour une partie de pêche, et nous irions dans ma barque, sous le saule pleureur.













CHAPITRE VII

Le repas du soir se déroula dans la même curieuse ambiance, où deux personnes discutaient normalement et la troisième aussi invisible qu?une vitre ne prononçait pas un mot. Je me le dis très simplement, je me trouvais héroïque de ne pas clouer le bec à mes deux commensales, en sortant simplement la lettre qui était dans ma poche. Je pourrais triompher et écraser Lise en quelques secondes, mais il fallait que je pense à maman.
J?entendais d?une oreille distraite la conversation qui se déroulait, lorsque mon attention fut subitement attirée. Lise disait que le lendemain, elle avait pris rendez- vous à 14
heures chez le coiffeur. Une idée germa aussitôt dans mon esprit. Je profiterai de l?absence de Lise pour aller farfouiller dans sa chambre où, je n?étais jamais entrée, et je crois qu?il devait en être de même pour ma mère. Cela peut sembler curieux, mais, le fait est que pas une seule seconde, j?avais envisagé d?entrer dans le domaine sacré de Nounou. C?eut été une profanation, et aujourd?hui, cette pensée me parait grotesque
Le soir, j?ai eu beaucoup de mal à m?endormir, et, en conséquence, j?ai eu également beaucoup de mal à me lever très tôt le lendemain.
D?ailleurs, lorsque je suis arrivée, Pierre était déjà là. Il avait amarré son canoë, et assis sur le ponton, les jambes pendantes au dessus de la rivière, il m?attendait calmement, sans impatience.
- Je ne me lasse pas de regarder l?eau couler, de voir des poissons sauter hors de l?eau pour attraper des insectes. Quel calme, quelle merveille !!
- Je vous dois des excuses. Cela n?est pas dans mes habitudes d?être en retard, mais, toute retournée par les évènements, je n?arrivais pas à m?endormir hier soir?..et bien sûr à me réveiller ce matin.
- Vous n?avez pas à vous excuser, je vous l?ai dit, je ne me lasse pas de profiter des beautés de
la rivière. Et puis, étant votre élève, mademoiselle le professeur, je ne puis me montrer sévère à votre égard.
Cet animal a un sourire charmeur, et comme nous allons nous trouver dans le même bateau, cette fois-ci, il va falloir que je me méfie de mes élans?
Le temps était lourd, un peu orageux, et je me dis que le sort nous favorisait car ces conditions étaient idéales pour faire une bonne pêche.
A onze heures et demi la bourriche était à moitié pleine de gardons de fond, Pierre était très satisfait de sa partie de pêche, et moi?.de sa présence.
J?ai tenu à ce qu?il apporte toute notre pêche à son oncle et sa tante, et nous nous sommes séparés à midi, après avoir pris rendez vous pour le lendemain en fin d?après midi.
Le déjeuner s?est déroulé comme les repas précédents. Les deux femmes discutaient, sans faire attention à moi, et je me contentais de tendre l?oreille de temps en temps pour savoir si
Lise parlait de la durée de sa séance chez le coiffeur.
Il n?en fut pas question et je regrettais de ne pas avoir demandé à Pierre de me donner un coup de main. Il aurait pu se tenir à proximité de la Grenouillère, et se mettre à siffler quand il aurait vu arriver Lise. Bah !! Je me débrouillerai bien toute seule !

En sortant de table, je suis retournée dans ma chambre pour me déguiser en cambrioleuse dans ma propre maison. En fait, je me suis contentée de mettre des espadrilles légères qui me permettraient de me déplacer sans bruit, et de prendre mon appareil photo.
Comme je l?ai dit, je n?étais jamais allée dans la chambre de Lise, je ne savais même pas si elle était petite ou grande, et surtout, surtout, je me demandais avec crainte si elle avait l?habitude de la fermer à clé durant ses absences.
J?ai du attendre près d?une heure, avant de l?entendre partir. Par la petite fenêtre des toilettes, en montant sur la lunette des WC, je pouvais la voir s?éloigner, et ce n?est que lorsqu?elle disparut
de ma vue, que je me dirigeais vers sa chambre. Je savais que maman devait être dans la sienne, où elle avait à terminer la traduction d?un livre américain que son éditeur lui demandait depuis un certain temps.

Quelques secondes plus tard, mon doute était levé. Non, Lise, ne fermait pas sa chambre à clé. Elle était tellement habituée à tenir tout son monde sous sa coupe, et elle avait une telle certitude que personne ne commettrait le crime de lèse-majesté de pénétrer dans sa chambre, qu?elle estimait que les objets, chez elle, étaient en parfaite sécurité.
Après avoir doucement refermé la porte derrière moi, je regardais tout autour, surprise de me trouver dans une immense chambre, de loin la plus belle de toute la maison.
La chambre de Lise était deux fois plus grande que celle de maman. A la mort de la grand-mère, elle avait du la prendre et la garder pour elle, même quand maman s?était mariée.
Mais je ne devais pas perdre de temps. Je commençais par ouvrir les tiroirs des tables de
nuit, dans lesquels il n?y avait rien d?intéressant. Puis je suis allée vers un secrétaire à rouleau, dont la visite devrait se montrer plus fructueuse, et j?entrepris une fouille systématique Je ne m?étais pas trompée. Je ne prenais pas des risques pour rien.
Il y avait là tous ses relevés de compte qui m?apprirent que Lise, si elle devait partir, ne serait pas dans la misère. Elle avait plusieurs livrets d?épargne sur lesquels il y avait d?après mon estimation rapide, plus de 100.000 euros.
Je pris en photo plusieurs des derniers relevés. Je constatais avec stupéfaction, que chaque mois, elle virait 1000 euros sur l?un de ses comptes. Comme ma mère ne s?occupait pas des ressources et dépenses du ménage, Lise pouvait tout à son aise se constituer un petit magot.
Il semblait qu?elle avait également quelques valeurs mobilières que je ne m?amusais pas à calculer, craignant toujours son retour impromptu. Je me contentais de prendre là encore des photos.
Puis je tombais sur un dossier intitulé BRUGIER. Il y avait là, la lettre que
l?oncle de Pierre lui avait envoyée, et je l?ai également photographiée.
Dans un autre dossier dont le titre était significatif des pensées de la dame : L?IMPORTUN, (il s?agissait de mon père bien sûr) j?ai trouvé des brouillons de lettres d?amour que des femmes étaient supposées avoir écrites à mon père.
Mais je n?étais pas au bout de mes surprises, car il y avait un dossier, à la vérité très mince, qui portait mon nom : Yette.
Il y avait le relevé de toutes les petites bêtises que j?avais pu commettre durant mon jeune âge. Mais surtout, je constatais avec effroi que cette satanée femme préparait un man?uvre contre moi. .
« La laisser tomber amoureuse de Pierre, puis lorsque les choses seront bien avancées, reprendre la méthode que j?avais déjà utilisée. Faire des lettres de femmes écrites à Pierre, et les remettre à Yette. Avant cela, il faudra mettre la puce à l?oreille de la petite, en compromettant Pierre avec une autre jeune fille qui lui donnera rendez-vous, par une lettre que je fabriquerai. Je resterai la seule maitresse de fait de la Grenouillère ».
Je photographiais, photographiais, photographiais, et constatais qu?il était 15 heures. Il était temps de vider les lieux pour ne pas être surprise en flagrant délit.
Un dernier coup d??il autour de moi, pour vérifier qu?il ne restait aucune trace de mon passage, et je me précipitais dans ma chambre, pour transférer toutes mes photos sur mon ordinateur, et en tirer un exemplaire de chacune sur mon imprimante.




















CHAPITRE VIII

Je n?ai pas l?esprit guerrier ( enfin, je le pense), et si je suis obligée de me battre contre les agissements de Lise, j?en suis très malheureuse. C?est vrai que durant 18 ans, elle s?est occupée de moi, et, en dehors de sa propension à tout diriger, je n?avais personnellement pas de griefs majeurs à son égard.
Mais ses man?uvres, pour évincer mon père et m?avoir privé de sa présence, ses efforts pour mettre la zizanie dans un couple de jeunes mariés, ainsi que le détournement de l?argent de la maison pour s?enrichir personnellement, tout cela ne
pouvait être pardonné, et même s?il me coûte de l?affronter, je vais continuer à le faire.
J?avais maintenant entre les mains, un dossier volumineux qui me permettait de démontrer à maman la vraie nature de Lise. Pour moi, le problème était difficile :
Comment, faire en sorte que maman se fasse peu à peu, un nouveau jugement sur sa nounou chérie ? Comment procéder par étape ?
Comme j?avais toutes les cartes en mains, je n?étais plus trop pressée et je résolus de demander conseil à Pierre. Je lui ferai voir les documents que j?avais pu m?approprier, à l?exception, peut être, de ceux qui nous concernaient personnellement, Pierre et moi. Pour ceux-là, il fallait que je réfléchisse à l?opportunité de les lui faire voir.
Je lisais dans le salon quand Lise est revenue de chez son coiffeur. Sa coiffure, toute en hauteur était d?un ridicule qui me réjouissais, et je ne pus retenir un sourire moqueur, qui provoqua chez elle une sorte de recul, et un regard assassin qui aurait pu me foudroyer.
Elle voulait être la plus forte, celle qui dirigeait la maison, et curieusement, à cet instant précis, sans l?excuser, bien sûr, je la comprenais. C?était en effet enivrant de sentir que l?on a la
situation en main, et que l?on domine ses proches. C?était moi à présent qui le ressentais.
Vers 17 heures, j?ai sauté dans ma barque, et peu après, je vis Pierre qui descendait la rivière. Il avait son embarcation bien en mains, car il pivota presque sur place, d?un coup de pagaie puissant, et vint se mettre tout contre ma barque.
- Alors Claudette ? Du neuf ?
- Jugez en, lui dis-je, en lui tendant une liasse de photos, comprenant également celles qui nous concernaient.
Il me demanda de les reprendre, car il ne pouvait les lire en maintenant son canoë dans l?axe de la rivière, et nous sommes allés sous mon saule en eau calme.
Là, tranquillement, il regarda chaque photo, en levant de temps en temps la tête vers moi, pour me dire : « Elle est dingue, malhonnête, et dangereuse ».
Après avoir tout épluché, il me dit que j?avais fait un travail remarquable?. sur le plan technique? J?adore son humour.


- Plus sérieusement, ajouta-t-il, je pense que vous avez maintenant barre sur elle. Le problème est de savoir comment vous allez procéder avec votre maman. Vous pouvez lui donner le paquet, comme vous l?avez fait avec moi, mais d?après ce que vous m?avez dit à son sujet, cela risquerait de lui donner un coup trop fort. Vous êtes mieux placée que moi pour en juger, mais il me semble qu?il faudrait procéder par étapes.
Je pense qu?il vaudrait mieux commencer par lui apprendre l?histoire de mon oncle et de ma tante. Elle dénote, sans discussion possible, la duplicité de Lise, mais ni votre maman ni vous-même, n?êtes directement en cause. Le coup, pour elle serait moins rude. Qu?en pensez-vous ?
- Je pensais qu?il fallait en effet procéder par étapes, mais sans savoir par où commencer. Vous venez de m?éclairer, et je crois que vous avez parfaitement raison. Dès aujourd?hui, je vais commencer à lui dévoiler le rôle joué par Lise, entre votre tante et votre oncle, puis j?attendrai quelques jours pour l?éclairer totalement sur tous les agissements de sa nounou.
Heureusement, heureusement, que Pierre était là. Si je m?étais trouvée seule avec ce problème sur les bras, je ne sais pas ce que j?aurais fait.
Le repas du soir a débuté comme d?habitude ces jours derniers. Ma présence était ignorée, alors que Lise et maman parlaient normalement de choses et d?autres.
J?avais décidé d?attendre la fin du repas, avant de lancer mon attaque.

Le repas étant terminé, cela me permettrait de sortir de table tout à fait normalement, au moment que je jugerai opportun.
Je venais de finir mon dessert, quand je dis, me tournant vers ma mère :
- Tiens, maman sais-tu ce que j?ai appris aujourd?hui ?
Sans me répondre, elle haussa les épaules, comme pour me faire comprendre que les ragots ne l?intéressaient pas.
- Hé bien, je vais t?en parler quand même. C?est Pierre qui me l?a raconté. Pierre est ce jeune homme qui est en vacances chez son oncle et sa tante, monsieur et madame Brugier. Tu dois les connaitre ?
Sans attendre sa réponse, j?enchainais
- Monsieur et madame Brugier se sont mariés il y a une trentaine d?années. Or deux mois après les noces, Madame Brugier a reçu une lettre d?une personne, dont tu jugeras de la moralité. Dans sa lettre, elle disait qu?elle avait réussi à devenir la maitresse de son tout nouveau mari. Elle précisait qu?elle n?aimait pas du tout cet homme, mais que le bonheur de madame Brugier, trop ostensible l?embêtait, et qu?elle voulait y mettre fin.
Et pour être certaine de bien enfoncer le clou dans le c?ur de la pauvre madame Brugier, cette personne joignait une lettre d?amour que son amant, lui avait envoyée. Que penses-tu de cette personne malfaisante ?
- Si c?est vrai, dit ma mère, cette femme était vraiment méchante.
Je n?avais cessé de regarder Lise pendant que je débitais mon histoire. Elle avait d?abord tressailli, puis avait repris son calme.
D?une voix très posée, Lise me dit :
- Décidemment, tu ne t?arranges pas en vieillissant. Tu te mets à colporter des ragots?
- Des ragots ? S?il ne s?agissait que de cela, je n?en aurais pas parlé. Non, il ne s?agit pas de ragots. C?est une histoire, vraie.
- Tu n?es vraiment pas maligne. Tu crois tout ce qu?on te dit.
Je me suis levée, ai tiré de la poche de mon jean la photocopie de la lettre écrite 30 ans plus tôt par Lise, la donnais à maman et lui dis.
- Voilà la preuve qu?il ne s?agit pas de ragots. Tu reconnaitras l?écriture. D?ailleurs, il ne s?agit pas d?une lettre anonyme, elle est signée. Il ne peut donc y avoir aucun doute.
Je te laisse la lire.
Avant de sortir, j?adressais à Lise une mise en garde:
- Je vous signale, qu?il s?agit d?une photocopie. Il ne servirait à rien de la détruire : j?en ai d?autres. Maintenant, pour une femme qui n?aime pas les hommes, vous avez eu pas mal d?amants, madame. Mon père, monsieur Brugier, vous avez été vraiment une redoutable courtisane.
Je me demandais d?ailleurs comment elle avait pu plaire aux hommes. En faisant abstraction de son âge qui évidemment n?avait pas dû arranger son physique, elle avait les traits lourds, un nez assez conséquent et épaté, une bouche trop petite et en accent circonflexe, il ne s?agissait pas là des méfaits de la vieillesse, mais bon?
Je pense que les hommes sont non seulement d?un genre différent, mais également d?une autre espèce, que nous?..
Après être sortie, arrivée au bout du couloir, j?ai vivement enlevé mes chaussures,
Et je suis revenue à la porte de la salle à manger pour écouter la suite.
Un silence absolu régnait, au point que je me demandais si elles n?étaient pas sorties elles mêmes, dans le jardin. Puis la voix de ma mère, déformée par les pleurs se fit entendre.
- Ce n?est pas possible, ce n?est pas vrai ! Tu n?as pas fait cette monstruosité de casser un jeune ménage au seul prétexte qu?ils étaient trop heureux et que cela te gênait ? Comment as-tu pu faire cela, nounou ?
D?une voix très douce que je ne lui connaissais pas Lise lui répondit :
- Oh, tu sais, cela remonte à trente ans, et très souvent, depuis, j?ai regretté d?avoir été un peu méchante. C?était une bêtise de ma part, je le reconnais. Heureusement, heureusement, ma faute n?a pas eu de mauvaises conséquences puisqu?ils sont restés ensemble, je crois qu?ils s?entendent bien, et j?en suis très soulagée.
- C?est possible, mais ce n?est pas parce que tu n?as pas réussi ton coup que cela te blanchit. C?est absolument affreux ce que tu as fait, et je ne peux pas croire que ma Nounou ait pu agir ainsi.
- J?ai commis une erreur dans ma vie, une seule erreur, et je m?en repens. Il ne faut pas m?en
vouloir, c?est vieux, cela n?a pas eu de conséquences graves. Et surtout, surtout, je le regrette tellement !
- Quand même murmura maman en se levant pour regagner sa chambre.
Bien entendu, je n?ai pas attendu qu?elle arrive dans le couloir, et je me suis précipitée dans ma chambre.
Voilà. Je venais de jouer le premier acte, et j?étais persuadée que la confiance de maman en sa nounou devait commencer à être ébranlée.






CHAPITRE IX

Le lendemain matin, lorsque je suis venue pour préparer mon petit déjeuner dans la cuisine, non seulement il n?y avait personne, mais malgré l?heure déjà avancée (Nous déjeunions toujours vers 7 heures 30, et il était huit heures), je vis que personne n?était venue.
Après avoir préparé et avalé un bol de café, j?ai attendu encore un quart d?heure, mais la maison restait silencieuse, et je commençais à m?inquiéter sérieusement pour ma mère.
Je suis allée frapper à la porte de sa chambre, et une voix faible demanda :
- Qui est-ce ?
- C?est moi, Claudette.
- Alors, entre, entre Yette
Je suis entrée, et j?ai été frappée par la rougeur du teint de maman. En posant la paume de ma main sur son front, je me suis rendu compte qu?elle avait de la fièvre. Elle avait les yeux fermés et semblait exténuée. Lorsque j?ai voulu lui demander ce qu?elle ressentait, avec beaucoup de mal, elle monta son index en croix sur ses lèvres pour me demander de me taire. Je lui ai dit alors que j?allais la laisser se reposer et appeler le médecin. Elle me fit un léger signe affirmatif, et je suis sortie de la chambre pour téléphoner.
Est-ce parce que, très inquiète, je l?ai regardée plus attentivement, ou peut être après avoir examiné le physique de Lise, ai-je éprouvé le besoin de comparer celui de maman, toujours est-il que j?ai regardé attentivement maman. Même malade, elle était vraiment très jolie ; et je ne le découvrais que maintenant. Certes, c?était une femme frêle, mais elle avait un merveilleux visage aux traits fins.
Elle était loin de faire ses quarante huit ans, et il fallait s?approcher très près d?elle pour voir quelques fines ridelles au coin des yeux. Un nez droit, des lèvres que je qualifierais de sensuelles? si ce n?était pas ma mère, et surtout des yeux splendides, d?une pureté d?enfant. Quand je pense que je m?étais jugée « globalement positive » sur le plan physique, j?étais en fait un laideron à côté de maman. Bon, c?est vrai, en ce qui me concerne, j?exagère un peu.
Lise était dans la salle à manger. Assise dans un fauteuil, elle m?a suivi du regard pendant que j?allais vers le téléphone, et après avoir eu notre médecin de famille qui me dit qu?il passerait d?ici une heure environ, Lise d?une voix sourde me demanda comment allait maman.
Je lui ai répondu que maman avait de la fièvre, et qu?elle ne pouvait pas l?ignorer puisque je venais de le dire au médecin, devant elle.
- Tout ça, c?est de ta faute. Pourquoi ressortir cette vieille affaire ? S?il arrive quelque chose à ta mère je ne te le pardonnerai jamais.
- Vous avez un culot monstre lui ai-je répondu. Vous avez essayé de casser le ménage des Brugier, et vous êtes parvenue à détruire celui de maman. Vous avez commis plein de
mauvaises actions, et c?est moi qui suis impardonnable ? Vous êtes soit une dépravée soit, une malade mentale.
S?il vous restait un brin de dignité, vous quitteriez immédiatement la maison.
Elle haussa les épaules, et désireuse de ne pas rester à ses côtés, je suis allée m?asseoir sur le ponton, en attendant l?arrivée du médecin.
Je tenais absolument à ce que Lise ne pénètre pas dans la chambre de maman, et dès que le médecin est arrivé, c?est moi qui l?ai escorté jusqu?au lit de ma mère.
Elle avait 39°8 de température, et le docteur s?est contenté de dire qu?elle avait du subir un important choc nerveux, ce qui ne constituait pas un scoop pour moi.
Recommandations d?usage : repos, et pas d?émotions. Il était drôle ce toubib ! J?avais pourtant d?autres renseignements à donner à maman, qui risquaient de la remuer encore un peu plus.
Mais, bon, respectant les directives de la Faculté, je décidais d?attendre un peu avant de régler définitivement, le compte de Lise.
Pour bien prouver que nous pouvions parfaitement nous débrouiller sans elle, j?avais
pris en charge la préparation des repas, et les courses. Lise, trainait dans la maison comme une âme en peine, et j?ai réalisé que j?avais trouvé là, la meilleure façon de la punir. Ne plus se sentir indispensable devait être pénible pour elle, et c?est avec grand plaisir que je me suis attelée à ces tâches nouvelles.
Moi seule, pénétrais dans la chambre de maman, lui préparais et lui donnais ses médicaments.

Chaque jour, cependant je me réservais une petite récréation. Vers 17 heures, je sautais dans ma barque, remontais le courant, et rencontrais Pierre qui, dès qu?il me voyait, arrêtait son entrainement, et nous descendions la rivière jusqu?à mon saule, où, bien abrités, nous pouvions discuter tranquillement à l?abri des oreilles indiscrètes.
Bien évidemment je le tenais au courant de tout ce qui se passait à la maison, et il a trouvé sage, que pour l?instant, je ne fasse pas d?autres révélations à ma mère.
Les jours s?écoulaient, ma mère allait de mieux en mieux, du moins sur le plan physique. Elle n?avait plus de fièvre, avait repris son teint normal, et commençait à se nourrir convenablement. Mais je voyais bien que son esprit travaillait, et qu?elle avait beaucoup de mal à considérer Lise sous son vrai jour.
Elle me dit un matin
- Vois-tu ma chérie, je sais qu?elle a commis des indélicatesses, de grosses fautes, même. Mais je ne peux m?empêcher de penser que c?est elle qui nous a élevées, toi et moi, avec une abnégation, un désintéressement que je ne peux oublier.
Il a fallu que je fasse un effort violent sur moi-même, pour me taire, et ne pas lui révéler encore les autres griefs que j?avais
accumulés contre Lise. Tu parles, d?un désintéressement, ma pauvre maman !! J?ai prétexté des courses pour sortir rapidement de sa chambre.
Je le dis très simplement, il m?a fallu beaucoup de courage pour traverser cette période, et sans l?appui moral de Pierre, je n?y serais pas parvenue.
Une fin d?après midi, alors que chacun dans son embarcation, nous nous trouvions, Pierre et moi, sous le saule, il me dit :
- Mes vacances se terminent. Dans quinze jours, je serai à Aix en Provence. Dites ?moi exactement où en est l?état de votre mère, car j?aimerais que vos problèmes soient réglés avant mon départ, sinon, je ne serais pas tranquille.
Je le remerciais pour la part qu?il prenait à mes soucis, mais je lui dis, que malgré mon désir d?aller vite, je ne voulais pas risquer une rechute de maman..
- Je vous comprends parfaitement, mais il me semble (je peux me tromper bien sûr) que le gros coup est passé. Votre maman SAIT, que l?attitude de Lise est indéfendable. Mais elle essaie de se
raccrocher à un dernier petit espoir : Peut être a-t-elle changé ? Or, vous avez les éléments pour lui prouver qu?il n?en est rien.
J?ai la quasi certitude qu?en sortant vos dernières preuves, maintenant, c?est un service que vous lui rendriez, car actuellement elle est dans le doute, ce qui en fin de compte est plus
pénible que si elle pouvait voir les réalités en face.
Après quelques minutes de réflexion, je dis à Pierre que j?allais suivre son conseil et que dès la semaine prochaine, j?achèverais d?ouvrir les yeux de ma mère.
Après avoir amarré ma barque au ponton, je remontais vers la maison, quand je vis Lise, qui, sans doute pour s?occuper, désherbait un coin de notre potager.
Lorsqu?elle me vit arriver, elle se redressa, et au moment où je passais à proximité, elle me dit :
- Profitez bien l?un de l?autre avec Pierre. Vous avez brisé la vie de ta mère et la mienne. Mais tu peux me croire : Vous ne l?emporterez pas au paradis ! Cela ne restera pas impuni !
Un désagréable frisson m?agita, car elle avait eu pour prononcer ces quelques mots, une voix dure, empreinte de méchanceté. Qu?est-ce qu?elle allait encore inventer ?
Sans lui répondre, je suis entrée dans la maison, pour aller voir maman.
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Elle allait nettement mieux, m?accueillit avec un sourire, ce qui me fit beaucoup de bien. Je vins l?embrasser longuement, et lui dit que nous avions traversé la période la plus difficile, et que nous allions reprendre, toutes les deux une vie calme et heureuse.
- Vois-tu Claudette, j?ai encore du mal à voir Lise sous un nouveau jour. Lorsque pour la première fois tu m?as parlé des lettres des maitresses de ton père qui avaient été écrites par elle, je ne t?ai pas crue une seconde. Maintenant, j?ai un doute. Mais il est évident, comme elle le dit, que nous n?avons que la lettre que papa t?a adressée. C?est sa parole contre celle de Lise, c?est pourquoi, je n?ai encore aucune certitude.
Puisque maman était assez forte pour aborder elle-même ce problème, et contrairement à ce que j?avais dit à Pierre quelques minutes plus tôt, je décidais de ne pas attendre une semaine, et de régler ce problème immédiatement.
- Maman, Tu ne peux avoir aucun doute. C?est bien Lise qui en écrivant ces fausses lettres, nous a privées, toi de ton mari et moi de mon père.
D?autre part, elle prétend que l?affaire Brugier était une erreur qu?elle avait commise il y a 30 ans, et qu?elle regrettait depuis. C?est faux. C?est faux, et je vais te le prouver. Attends moi quelques secondes.
Je suis partie en courant dans ma chambre, pour aller chercher mon dossier, et dès mon retour, je lui dis.
- Non, Lise n?a pas changé. La preuve, la voici. Elle a crée un dossier à mon nom, et envisageait de recommencer avec moi, la man?uvre qu?elle avait mise au point pour les Brugier. Voici ses notes. Tu reconnaitras l?écriture.
Lorsqu?elle eu terminé sa lecture, des larmes coulaient sur son visage.
- Tu as raison. Cette femme est un monstre. Comment ai-je pu me laisser abuser si longtemps ? Mais j?y songe : comment as-tu pu te procurer ces documents ?
- Maman, lorsqu?il s?agit de mettre à jour les menées d?une personne malfaisante, tous les moyens sont permis, et je ne regrette pas d?être allée dans sa chambre pour chercher la vérité.
Après un très long moment de silence que je respectais, parce que je savais que maman devait faire un gros travail sur elle-même pour passer du doute à la certitude, elle reprit.
- Je le répète, cette femme est peut être un monstre. Mais il ne m?est pas possible d?oublier que depuis 48 ans, elle nous a élevées toutes deux, qu?elle s?est occupée de nous avec une probité, un désintéressement merveilleux.
Non seulement elle s?occupait de tout ici, sacrifiant sa vie personnelle, mais, reconnais ma chérie, que pour que nous soyons plus à l?aise, elle faisait des petits travaux de couture, et mettait tout l?argent pour notre vie commune.
C?est pourquoi, malgré les vilénies qu?elle a pu commettre, il n?est pas possible de lui demander de partir, car elle ne possède rien.
- Maman, tu es une femme merveilleuse, pleine de bonté, et je t?aime beaucoup, beaucoup.
Mais il y encore des choses que tu dois savoir.
Tout d?abord Lise n?a pas sacrifié sa vie, bien au contraire. Sa grande joie, son vrai grand bonheur, est d?exercer son autorité autour d?elle.
Sur toi, comme sur moi, elle a pu tirer beaucoup de satisfactions, en usant de ses pouvoirs. Et pour qu?un homme ne vienne pas contester son autorité, elle a fait en sorte que ton mari, mon père, parte, afin qu?elle reste la seule maitresse des lieux. Pour cela, elle n?a pas hésité à faire de fausses lettres.
Voici les brouillons des fausses lettres que Lise écrivait pour te faire croire que papa avait des maitresses.
Maintenant, en ce qui concerne sa probité et son désintéressement, malheureusement, tu vas encore être déçue.
Sais-tu que cette femme que tu penses détachée des biens matériels, a profité de ce que, seule, elle s?occupait de nos finances communes, pour virer chaque mois 1000 euros sur ces comptes personnels ? En voici les preuves,
ajoutais-je en lui communiquant les photocopies de ses relevés de compte.
Comme tu peux le constater, elle possède sur divers livrets environ 100.000 euros. Par ailleurs, elle possède un portefeuille de valeurs mobilières que je n?ai pas eu le temps d?évaluer mais qui me semble assez important.
Lise est donc loin d?être sans ressources.
Tu possèdes maintenant tous les éléments pour te faire une opinion définitive. Rien ne presse, tu réfléchis. Mais, pense surtout, qu?il serait difficile, pour toi comme pour moi, de vivre quotidiennement à côté d?une personne tarée et qui nous a fait tant de mal. Je n?en aurais pas le courage, et toi, maman, non plus, j?en suis certaine.
- J?ai l?impression de faire une chute dans un gouffre, et quand je me crois être arrivée au fond, ma chute se poursuit, encore et encore?.. C?est atroce. Cette femme que je considérais comme une seconde mère, comme ma mère, même, se révèle être un monstre, alors, je l?avoue, je ne sais plus où j?en suis, et je me sens incapable de prendre des décisions.
- Je te le répète maman, il n?y a aucune urgence. Repose-toi, reprends des forces, et dans quelques jours, calmement, en nous mettant d?accord, nous prendrons les dispositions qui s?imposent. Je vais te laisser, tâche de dormir.
Après avoir embrassé maman, je suis sortie pour rejoindre ma chambre.
Je n?avais pas voulu parler à ma mère des menaces que Lise m?avait adressées. L?important, était qu?elle ait les éléments nécessaires pour porter un jugement objectif sur sa nounou, mais, il était inutile de lui donner une nouvelle occasion de se faire du mauvais sang.
Bien sûr, Lise avait peut être proféré ces menaces pour satisfaire son orgueil blessé, mais honnêtement, je n?y croyais pas. Cette femme était foncièrement méchante, et sa capacité de nuisance s?appuyait sur une imagination redoutable.
Si j?avais décidé de ne pas en parler à maman, je résolus en revanche d?en parler à
Pierre, pour qu?il se tienne sur ses gardes, lui aussi, puisqu?il était inclus dans les menaces de Lise.
Maman prenait ses repas dans sa chambre, et c?est moi, bien sûr, qui les lui apportais. Inutile de dire que l?ambiance dans la salle à manger, entre Lise et moi, était à peine supportable.
On n?entendait que le bruit des couverts sur les assiettes, et si l?une de nous deux, avait besoin de la carafe d?eau ou d?un morceau de pain hors de portée, plutôt que de le demander, elle se levait pour aller se servir.
Dès le lendemain, je mis Pierre au courant de ma conversation avec ma mère, et je lui fis part également de la menace de Lise.
Alors qu?ordinairement, Pierre préférait minimiser les choses, il prit très au sérieux les propos de Lise. Il me dit qu?il allait rejoindre
Aix en Provence dans quelques jours, qu?il avait très peur de me savoir seule, dans la même maison que Lise, et en conséquence, constamment à sa portée.
- Je vous en supplie, Claudette, il faut que la situation soit réglée avant mon départ. Il faut que cette Lise quitte votre maison. Puisqu?elle me met également en cause, si vous le voulez, je pourrais aller lui intimer l?ordre de s?en aller. Parlez-en à votre mère, et laissez-moi régler ce dernier problème.
- Pierre, vous êtes un merveilleux ami, et je ne sais comment vous remercier. Sans vous, je vous le dis très simplement, je n?aurais pas eu le courage de mener la lutte contre Lise, et de faire ce que j?ai fait.
- Allons, allons, Claudette !! Vous êtes une jeune fille intelligente, vous avez du cran, et vous savez très bien que je ne suis pas un merveilleux ami?.mais un amoureux ?.. fou??.Je plaisante, bien sûr. Allons ! Ne parlons pas de cela avant que notre problème principal ne soit réglé.
Réfléchissez, Claudette. Parlez-en à votre mère. Il serait mieux, je pense, que ce soit moi qui intime l?ordre à Lise de partir. Je crois que votre maman et vous avez été tellement longtemps sous sa coupe, qu?elle doit espérer encore pouvoir garder une emprise sur vous. Si c?est un homme, un étranger à la maison qui lui dit que toutes ses
man?uvres ont été découvertes, elle sera moins sûre d?elle, plus maniable. Réfléchissez, mais vite, et tenez-moi au courant.


CHAPITRE X






Trois jours passèrent. Trois journées affreuses. Lorsque j?étais rentrée, après la discussion avec Pierre qui proposait de prier lui-même Lise de quitter la Grenouillère, j?étais aussitôt allée dans la chambre de maman pour lui en parler.
Elle était allongée dans son lit, très pâle, inconsciente, et prononçait de temps en temps des phrases incohérentes. Je me suis précipitée vers le téléphone pour appeler le médecin. Lise était dans la salle à manger et lisait un bouquin. Elle leva les yeux pour me regarder faire, sans dire un seul mot.
Quand je suis sortie de la pièce, elle avait repris sa lecture, et je me demandais avec angoisse, si l?état de maman n?était pas du à une intervention de Lise. Cette femme me faisait horreur, et je la craignais.
Elle gagnait encore, puisqu?en m?inspirant de la terreur, elle gardait barre sur moi. Pierre avait raison. Mieux vaudrait que ce soit lui qui lui dise de partir. Mais avant tout, il fallait sauver maman.
J?ai du attendre près d?une heure l?arrivée du médecin. Ne sachant ce que je devais faire, j?étais allée chercher une cuvette d?eau et un gant, et je lui rafraichissais le visage de temps en temps. Cela la calmait un peu.
Après un long examen, le médecin me dit qu?il serait plus prudent de la transporter à l?hôpital. Il était certain qu?elle avait subi un terrible choc émotionnel, et il était impossible de savoir pour l?instant si des séquelles subsisteraient.
Je lui ai demandé s?il avait la certitude qu?on ne lui avait pas fait avaler quelque chose. Il me regarda avec curiosité.


- Pourquoi me demandez-vous ça ? Vous avez des craintes précises ?
- Précises, non, mais?..Excusez moi docteur, moi aussi j?ai eu pas mal de chocs ces jours ci.
- Bien. Je demanderai qu?on lui fasse un lavage d?estomac. J?appelle une ambulance.
Je suis restée dans la salle d?attente de l?hôpital d?Avignon jusqu?à 9 heures du soir. Un médecin est venu me dire, que maman n?avait rien ingéré de nocif, qu?elle dormait paisiblement, et qu?il était trop tôt pour prévoir la durée de son hospitalisation.
Je suis rentrée en taxi, et dans la salle à manger, Lise était toujours là, avec son livre.
Ni elle ni moi n?avons prononcé une parole. Elle n?a même pas demandé des nouvelles sur l?état de santé de maman. Curieux comportement d?une nounou qui se disait si profondément attachée à nous, et je suis allée me coucher après m?être confectionné une collation que je suis allée avaler dans ma chambre.

Le lendemain, j?ai voulu prendre ma barque pour aller voir Pierre et le tenir au
courant des évènements de la veille. Ma barque, sabordée, était visible au fond de la rivière. A coups de hache sans doute, elle avait été coulée. Mes jambes tremblaient. Cela commençait à faire beaucoup, beaucoup trop. J?étais sans force. Pourtant il fallait que je fasse un dernier effort pour aller à bicyclette chez Pierre, après quoi, je me promis de ne plus lutter, et de me laisser aller.
Lorsque Madame Brugier me vit arriver, elle eut peur, me dit-elle par la suite, devant ma pâleur et mes tremblements. Pierre, appelé, vint aussitôt, et je ne me souviens plus de ce qui s?est passé par la suite, je me suis évanouie.
Il parait que je ne suis restée sans connaissance que durant 5 ou 6 minutes. Lorsque j?ai repris conscience, j?étais allongée sur un lit,
dans une chambre très claire. Monsieur et madame Brugier, ainsi que Pierre étaient auprès de moi, et je me sentais bien avec ces têtes inquiètes mais gentilles autour de moi. On m?a fait boire une tisane, et j?ai pu faire le récit de ce qui était arrivé depuis la veille.
Lorsque j?eus terminé, madame Brugier me dit :
Quand vous irez mieux, tout à l?heure, Pierre vous emmènera chez vous, pour prendre quelques affaires, et vous reviendrez ici. Il n?est pas question que vous restiez dans votre maison avec cette folle. Dans l?après midi, si vous êtes assez en forme, mon mari ou Pierre vous emmènera à l?hôpital prendre des nouvelles de votre mère. Maintenant, essayez de dormir un peu. Ce sera la meilleure chose pour vous.
Pierre ajouta :
- Je resterai dans la pièce à côté. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n?hésitez pas : appelez moi.
Je dois dire que j?avais les larmes aux yeux. Depuis des jours et des jours, j?étais seule à me battre contre une femme odieuse, et là, subitement, d?autres pensaient et agissaient pour moi. Je me laissais aller et m?endormis rapidement dans la quiétude.
En me réveillant, je n?ai pas réalisé immédiatement où je me trouvais. Cette chambre, très claire, tapissée d?un papier à fleurs, meublée d?une grande armoire paysanne et d?un guéridon supportant une cuvette et un broc, semblait sortie d?une peinture du début du vingtième siècle.
A peine avais-je mis un pied par terre, que l?on frappa à la porte.
C?était Pierre, qui conformément à la promesse qu?il m?avait faite, était resté dans la pièce à côté, pour être immédiatement à ma disposition si nécessaire. Il avait entendu que j?étais réveillée, m?étais levée, et il venait aussitôt aux nouvelles. Je me sentais encore engourdie, mais je lui dis qu?après une tasse de café, je serai assez en forme pour continuer.
Pierre me dit que son oncle mettait sa voiture à sa disposition, et il me proposait d?aller chercher des affaires chez moi, puis de partir sur Avignon, pour aller prendre des nouvelles de ma mère.
Je préférais inverser ce programme, aller à l?hôpital d?abord, car j?étais impatiente de voir ma mère, et il me donna son accord.
Un quart d?heure plus tard, après avoir avalé une tasse de café chaud, nous roulions sur Avignon, et parlions de la possibilité de récupérer ma barque. Pierre estimait que cela pourrait se faire assez facilement. Il suffirait de venir à la Grenouillère avec le tracteur de l?oncle, puis Pierre, muni d?une corde solide plongerait pour la placer sous la barque, et le tracteur la ramènerait en surface. Après l?avoir écopée, elle serait tirée sur la rive pour être réparée.
Discuter de ce petit problème fit passer le temps, et nous sommes arrivés à l?hôpital très rapidement.
Maman reposait dans sa chambre, calme, mais les yeux dans le vague. Elle ne me reconnut pas, et je ne pus retenir mes larmes. ; Après une longue balade dans les couloirs de l?hôpital, nous avons pu trouver le médecin qui suivait ma mère.
Il n?avait pas de grandes nouvelles à nous annoncer : il ne pouvait pas encore se prononcer
sur la récupération partielle ou totale des facultés mentales de la malade.
Pierre et moi nous ne nous sommes pas attardés, et avons repris la route du retour. Le temps était splendide, le ciel uniformément bleu, grâce au mistral qui soufflait assez fort, la température très agréable. Malgré toutes mes préoccupations, grâce à Pierre, je parvins à profiter de la merveilleuse nature provençale.
Sur le mode humoristique, Pierre me demanda si j?étais toujours déterminée à vivre à la Grenouillère, même mariée à un homme que sa profession appellerait ailleurs, et je lui répondis :
- Bien sûr, je n?ai pas changé d?avis, et si un mari, comme vous le dites, était obligé d?exercer ailleurs sa profession, hé bien la solution serait très simple : Il irait ailleurs tout seul, car c?est qu?il m?aurait menti par omission en ne me disant pas que sa profession exigeait qu?il habite ailleurs qu?à la Grenouillère.
- Savez-vous, Claudette, que vous me posez un sacré problème ? Me dit Pierre en riant. Soit ! Je vais donc entrer pour la première fois à
la Grenouillère. Mieux vaut que je commence à m?y habituer dès maintenant !
Mais, le sourire qui accompagnait cette déclaration lui donnait la dimension d?une simple plaisanterie. Enfin?.je ne pouvais m?empêcher d?espérer qu?il y avait tout de même un petit fond de vérité.
La porte de la maison était ouverte, et, pendant que Pierre m?attendait dans le salon, je suis allée dans le grenier chercher une valise, puis, dans la salle de bains, je pris mes objets de toilette, et du linge pour deux ou trois jours. Mon intention était de ne pas m?incruster chez les Brugier. Quand je revins dans le salon, je demandais à Pierre s?il avait vu Lise. Il me répondit qu?il n?avait rien vu, ni rien entendu, et que la maison, à part nous, semblait vide.
Je décidais d?en avoir le c?ur net, et accompagné de Pierre, je suis allée visiter toutes les pièces. Après avoir frappé à la porte de la chambre de Lise, et n?ayant obtenu aucune réponse, je suis entrée.
Elle n?était pas là. J?ai voulu savoir si elle avait emporté quelques affaires. Dans le secrétaire, à
rouleau, les relevés de banque et les deux chéquiers que j?avais remarqués lors de ma visite domiciliaire n?y étaient plus. Dans la grande armoire, il restait des vêtements, mais des trous dans la garde robe, indiquaient que de nombreux vêtements avaient été également emportés.
Pierre n?était pas entré dans la chambre, et en sortant, je lui dis que Lise était partie avec ses chéquiers et de nombreux vêtements.
- Voilà une bonne chose de faite, me dit Pierre. Mais il ne faudrait pas qu?elle puisse revenir. Si vous le voulez, nous reviendrons demain, je vais acheter une serrure ou un verrou, et je poserai une nouvelle fermeture qui l?empêchera de rentrer dans votre maison.
Après avoir longuement examiné la porte d?entrée et pris des mesures, il me dit que malgré ses piètres qualités de bricoleur, il
pensait pouvoir poser une nouvelle serrure sans trop de problème.
















CHAPITRE XI





Quatre jours s?écoulèrent, sans qu?il ne se passe grand chose. Pierre, était parvenu à changer la serrure de la porte de la Grenouillère, la barque, grâce au tracteur du tonton, avait été retirée de la rivière, et vidée de son eau. Chaque jour, Pierre, venait avec moi à l?hôpital d?Avignon, où malheureusement l?état de maman n?évoluait pas.
Je voulais revenir habiter à la Grenouillère, mais tous ensemble,, Monsieur Brugier, sa femme, Colette et Pierre, poussèrent de hauts cris en estimant que je n?allais pas vivre seule dans cette grande maison. Ils n?ont pas eu à trop insister, car, je l?avoue, je n?avais pas très
envie de m?enfermer chez moi, en ne sachant pas où était passée Lise.
Sur les conseils de Pierre, j?avais signalé à la gendarmerie sa disparition, et je n?avais vraiment pas la plus petite idée sur l?endroit où elle avait pu aller se cacher
Nous étions un jeudi, et Pierre partait Dimanche après midi à Aix en Provence pour reprendre les cours de sa dernière année de maitrise de Droit.
Mon attachement à ma maison de la Grenouillère, était toujours le même, et pourtant?..Si Pierre m?avait proposé de partir à Aix avec lui, pour quelques jours, j?y serais sans doute allée. Vivre seule, dans cette grande maison, avec tous les affreux souvenirs de ces derniers temps, la maladie de maman, la folie de Lise, qui pouvait revenir à tout moment, me faisaient peur.
Par ailleurs, il n?était pas question que je m?éternise chez les Brugier, et je devais prendre mon courage à deux mains, pour fixer la
date de mon retour à la Grenouillère. Je décidais que ce serait le lendemain du départ de Pierre, soit le lundi.
Le dimanche, avant de l?accompagner à la gare, nous sommes passés quelques instants à l?hôpital. J?avais bien senti, les jours précédents, que les médecins ne se faisaient plus d?illusion, sur la possibilité pour maman, de reprendre le dessus. Il était question de la transporter dans un Etablissement spécialisé, et je savais ce que cette appellation cachait. Jamais plus maman ne reviendrait à la maison.
Il y avait un autre problème que je me devais d?envisager sérieusement. Je ne pouvais rester sans rien faire très longtemps. Certes, grâce à papa, j?avais, sur le plan matériel, le temps de voir venir, mais j?estimais que je n?avais pas le droit de m?abandonner à la facilité, et quoiqu?il en soit, l?héritage de mon père qui m?avait paru énorme, ne n?aurait pas permis de rester oisive toute ma vie.
Je m?étais inscrite à une auto école, et en attendant de pouvoir m?acheter une automobile
et de me déplacer plus facilement, je partais chaque jour à bicyclette pour chercher un emploi. J?avais fait passer des annonces dans divers journaux, mais je n?arrivais pas à me résigner à accepter des activités trop subalternes. Pourtant je voyais le moment où je n?aurais pas d?autres possibilités, et je m?étais fixé une date limite pour cela.
C?est bien souvent le hasard qui règle nos vies. Comme une dent me faisait souffrir, j?ai pris un rendez vous chez un dentiste. J?étais sur le fauteuil de torture lorsque par quatre fois le téléphone a sonné et le dentiste a du m?abandonner, pour prendre les communications. Chaque fois qu?il revenait


Chaque fois qu?il revenait vers moi, il maugréait, et me disait que sa secrétaire venait de se marier attendait un bébé, et ne voulait plus travailler à l?extérieur. Comme j?avais la bouche ouverte, je ne pouvais pas lui répondre. Ce n?est que lorsque je fus libérée des pinces et des cotons, que je pus
parler et lui dire que de mon côté je cherchais un emploi.
Son visage s?était illuminé. J?étais bien tombée. Il venait d?être dérangé quatre fois au cours de ma petite intervention et ma présence lui parut providentielle. Il me fixa un rendez vous pour le lundi suivant, jour de fermeture du cabinet.
Je rentrais à la Grenouillère, toute heureuse d?avoir l?espoir d?un job qui pourrait m?intéresser. Enfin une bonne nouvelle !!
Je venais de poser ma bicyclette dans la grange, quand je vis dans l?allée, à quelques pas de moi, Lise, qui, debout et immobile m?attendait. J?eus un mouvement de recul, puis ma nature de fonceuse prit le dessus et je me dirigeais vers elle.
- Que faites-vous ici ? Vous n?êtes plus chez vous, et vous êtes indésirable.
- Bonjour ma petite Yette. Donne-moi vite des nouvelles de ta maman.
- Vous êtes la cause de son état. Lorsque maman a pris conscience du monstre que vous étiez, elle est tombée malade, et ne reviendra sans doute jamais ici.
Elle se mit à pleurer, ce qui ne m?émut pas le moins du monde.
- Il est bien temps de pleurer, quand le mal est fait. Partez ! Je ne veux plus vous voir.
- Tu habites seule ?
- Ma vie ne vous regarde en rien.
- Ecoute, ma petite Yette, je ne viens pas en ennemie. Bien au contraire, si ta maman est malade, tu ne vas pas pouvoir vivre seule ici, et je vais t?aider.
Je sortis mon portable de ma poche.
- Si vous ne partez pas immédiatement, je téléphone à la gendarmerie. A propos, vous devriez bien y aller à la gendarmerie, j?ai signalé votre disparition. Voulez vous que je signale à la fois votre retour et qu?ils viennent vous chercher ?
- Ne fais pas l?imbécile ! Réfléchis un peu ! Tu as plus besoin de moi que moi de toi, alors, laisse-moi reprendre mes fonctions de gouvernante, et tu verras que tout ira bien entre nous. Tu n?auras pas à me payer.
- Oh, je sais que de l?argent, vous en avez ! Vous avez su profiter de vos fonctions. Mais c?est terminé. Partez ou j?alerte la gendarmerie.
Elle m?a lancé un grand regard triste. Quelle comédienne, cette femme ! On jurerait qu?elle était la victime d?une effroyable injustice.
Je commençais à composer le numéro de la gendarmerie, quand elle se retourna et partit à pas lents, vers le chemin derrière la maison. Je m?aperçus alors que je tremblais, et je mis un moment pour reprendre mon calme. Je m?étais avancée vers l?angle de la maison pour m?assurer qu?elle était bien partie, et j?eus la surprise de la voir monter dans une voiture qui démarra aussitôt. Ce n?est pas elle qui conduisait (d?ailleurs je ne l?avais jamais vue conduire, elle ne devait pas avoir son permis). Elle était donc
avec quelqu?un, et cette constatation accrut ma peur. Ce qui était le plus extraordinaire c?est que lorsque j?étais passée sur le chemin, quelques minutes avant, il n?y avait pas de voiture, alors que Lise était déjà là, puis, lorsqu?elle est repartie, une voiture l?attendait. Comment son conducteur avait ?il été prévenu ? Lise n?avait
jamais eu de téléphone portable qu?elle désignait, je me suis toujours demandé pourquoi : « un engin du diable ».
Je suis rentrée dans ma maison, en fermant soigneusement la porte d?entrée, puis je fis le tour de toutes les pièces pour vérifier que personne ne pouvait pénétrer chez moi.
Je m?étais jurée de m?assumer, et de ne déranger personne. Mais j?avais été trop ébranlée par la visite de Lise, et la constatation qu?elle n?était pas toute seule, me fit réellement peur. J?ai formé le numéro de Pierre, qui me répondit aussitôt.
J?eus un peu honte de moi, car en racontant les derniers évènements, je me rendis compte que ma voix tremblait. Pierre dut s?en apercevoir aussi, car je n?avais pas fini mon récit, que Pierre me dit :
- Calmez-vous, Claudette. Je viens dès demain et nous allons aviser. Vous n?êtes pas seule, et vous avez bien fait de me téléphoner. Mon oncle, auquel je vais téléphoner, viendra vous prendre demain matin en passant, et vous viendrez avec lui, me chercher à la gare.
Fermez bien toutes les ouvertures de la maison, et tâchez de bien dormir. Dans quelques heures, je serai auprès de vous.
La fin de mon récit le laissa perplexe. Comme moi- même, il avait toujours pensé que Lise était seule, or, lorsque je lui dis que quelqu?un l?avait amenée à la Grenouillère et qu?en tous cas, juste au moment où elle partit, une voiture était là pour la prendre, je sentis qu?il était inquiet.
Comment cette voiture était elle venue, juste au bon moment lui demandais-je?
- Ce problème est secondaire, me dit Pierre. Un signal est facile à transmettre. Il suffit d?avoir un petit appareil dans sa poche sur lequel on appuie, et une autre personne qui possède le même appareil reçoit sur la même longueur d?onde un Bip, qui lui indique que c?est le moment d?agir. Ce qui est plus curieux c?est qu?elle ait un, ou une alliée, alors que vous ne lui connaissiez aucune relation. Quoiqu?il en soit, demain, je serai près de vous. Allez dormir tranquillement.
Le lendemain vers 9 heures, j?entendis un véhicule qui arrivait dans notre chemin. Pensant qu?il s?agissait de monsieur Brugier, je sortis pour l?accueillir.
Mais ce n?était pas lui, C?était une camionnette de livraison rapide. Le chauffeur demanda si j?étais Claudette Martin et après mon acquiescement, il me dit qu?il avait un colis pour moi, et que je devais donner une signature. Je lui donnais satisfaction et il sortit un gros carton qu?il me proposa de porter dans mon couloir.
Qui pouvait m?envoyer ce colis ? Je pensais aussitôt à Lise, évidemment, et je n?arrivais pas à me décider à l?ouvrir. Puis je vis, que sur le côté, une enveloppe à mon nom était scotchée. Après l?avoir décollée, je lus.
Mademoiselle
J?ai pensé qu?il était de mon devoir de vous faire parvenir quelques affaires et papiers laissés par votre père.
Meilleurs sentiments.
JEANNE LACROIX
Ce petit mot apaisait mes craintes, et j?ouvris le carton.
Il contenait de nombreuses photos, ce qui me permis de faire la connaissance de mon père, dont je crois l?avoir dit, je ne connaissais même pas le physique. C?était un homme de taille moyenne, aux cheveux châtains, souvent en tenue sport, et qui avait un sourire éblouissant.
Sur la plupart des photos, il était accompagné de la dame que nous avions vue chez le notaire, mais il y en avait 5 ou 6 sur lesquelles, il était en compagnie de maman, dont l?une était particulièrement touchante
Ils se regardaient, et l?on sentait qu?entre ces deux êtres, un profond amour existait. Sur une seule photo, mon père et ma mère se tenaient par le bras et souriaient, alors qu? à côté d?eux, Lise, se tenait, raide comme un piquet avait un air sévère.
Cette photo cependant me permit de constater que Lise avait été une belle femme. Elle avait en ce temps là, un corps splendide. Bien entendu, pour moi, elle avait toujours été ma

vieille nounou, mais en voyant cette photo, je compris mieux que cette femme avait pu attirer des hommes et en particulier, mon père et monsieur Brugier.
Il y avait dans le carton, également quelques bibelots sans importance et je me demandais pourquoi, l?ancienne amie de mon père avait jugé opportun de me les faire parvenir.
En revanche il y avait un carnet épais qui après un examen de quelques minutes me sembla beaucoup plus intéressant.
Il s?agissait d?un carnet dans lequel mon père avait noté les évènements marquants de sa vie, et, laissant le carton dans l?entrée, je suis retournée dans ma chambre pour lire le journal de mon père.
Il l?avait commencé quand il avait retrouvé la nounou, accompagnée de ma mère plusieurs années après avoir quitté Lise. Il parlait de son éblouissement devant la beauté de maman, et écrivait à plusieurs reprises que Lise lui faisait un curieux effet, comme s?il avait tout à craindre de cette femme.
Il avait vu juste, hélas ! Je n?eus pas le loisir de poursuivre ma lecture, car j?entendis une voiture qui s?engageait sur le chemin, et cette fois-ci, il s?agissait bien de monsieur Brugier qui venait me prendre pour aller chercher Pierre à la gare.
Je remis la suite de ma lecture à plus tard.
Durant le trajet, je me surpris à regarder le chauffeur à plusieurs reprises, où plus exactement, c?est lui qui me surprit à le regarder car il me demanda en souriant s?il avait le visage mâchuré.
Je lui répondis que non, et très franchement, je lui racontais, le carton reçu le matin même, et les photos qui m?avaient amenée à imaginer le passé de Lise, dont il faisait partie.
- Bien sûr me dit il on ne peut s?en rendre compte maintenant, mais cette femme avait un charme certain, et il m?a fallu beaucoup de temps pour réaliser combien elle était dangereuses.
Je le dis en pesant mes mots : elle était, et reste, diabolique.
Nous avons accueilli un Pierre à la mine soucieuse, qui se dérida très vite quand il se rendit compte que je ne faisais pas trop mauvaise figure.
Vous m?aviez fait très peur hier soir au téléphone, Claudette. Vous ne pouvez pas rester seule à la Grenouillère. Vous êtes trop jeune, et tant que cette femme sera dans les parages?.
Il ne finit pas sa phrase, mais son sens était évident.
Nous avons déjeuné chez les Brugier, et j?ai eu toutes les peines du monde pour résister aux efforts réunis des trois autres, qui voulaient absolument que je ne retourne pas à la Grenouillère.
- Vous avez une chambre, ici, et rien ne vous empêchera d?aller chez vous dans la journée.
- Rien ne m?empêchera ?.de vivre chez moi. Vous êtes extrêmement gentils, mais si je cédais par crainte de cette femme, j?aurais l?impression de lui concéder la victoire, et cela, je ne le veux à aucun prix !
Je vais vous faire une promesse qui va vous rassurer. Chaque soir, quand j?aurais fermé la porte d?entrée et vérifié les autres ouvertures, je vous passerai un coup de fil, et vous pourrez dormir tranquilles.
Ils comprirent qu?ils ne me feraient pas revenir sur ma décision.
Nous sommes allés dans l?après midi remettre Pierre au train, et, au retour, les Brugier me déposèrent chez moi.
Comme je n?avais plus à ressortir, je leur promis de m?enfermer immédiatement, ce que je fis, avant d?aller dans ma chambre reprendre la lecture du carnet de mon père.













CHAPITRE XII




Lise dans un premier temps, avait essayé de récupérer mon père, et quand elle s?était aperçue de l?inutilité de ses efforts, puisqu?il était tombé follement amoureux de ma mère, elle fit tout pour les séparer.
Mais ma mère était également amoureuse, et Lise ne put empêcher leur mariage.
Cependant, ce n?était pas femme à se laisser évincer et elle résolut de procéder en plusieurs temps. Lise, était une femme intéressée par l?argent, comme j?avais pu le constater, lors de ma visite dans sa chambre, quand j?avais découvert ses divers placements. Dans un premier temps, elle fit à mon père un tableau assez sombre de l?état des finances de la communauté de la Grenouillère, et elle fit en

sorte, que ce soit mon père qui propose d?acheter la moitié de la Grenouillère, pour apporter de l?argent frais.
Je suppose qu?une bonne partie de cet argent avait été récupérée par Lise, sur ses comptes personnels.
Ayant tiré le maximum de la situation sur le plan matériel, elle passa à la seconde phase, en écrivant les fausses lettres de maitresses supposées de mon père. Ma mère n?était pas de taille, pour résister aux preuves fournies et au lavage de cerveau auquel Lise se livra.
Mon père qui se révélait comme étant un homme bon, mais peut être sans caractère marqué, ne faisait pas le poids, face à la volonté farouche de Lise, et il céda un peu vite à mon goût. Il est vrai, que cette femme était d?une habilité exceptionnelle.
Papa (j?aime utiliser ce mot que je n?avais jamais employé jusqu?alors) n?écrivait pas tous les jours sur son carnet, loin de là, mais presque chaque fois, lorsqu?il prenait la plume pour raconter un épisode de sa vie, j?y étais mêlée. Il


racontait, les lettres envoyées à maman, ses tentatives pour me voir à la sortie de l?école, et il ressortait de ses pages, l?immense crainte qu?il avait de Lise, qu?il jugeait à proprement parler comme démoniaque. C?était une peur superstitieuse dont on sentait qu?il ne pourrait jamais se libérer.
Un passage retint particulièrement mon attention, c?est celui qui concernait l?accident subi par mon père, et son importance est si grande, que je vais le reproduire ici :
« Je marchais sur le trottoir de droite pour me rendre à mon bureau. J?ai soudain entendu un bruit anormal derrière moi, je me suis retourné, et j?ai vu une voiture qui roulait sur le trottoir et me venait dessus. J?ai à peine eu le temps de voir qu?il y avait deux personnes à bord. Il y avait une personne au volant dont je ne peux rien dire, même pas si c?était un homme ou une femme. En revanche, c?était une passagère qui était de mon côté, et sans en avoir la certitude absolue, car tout s?est passé très vite, je suis à peu près certain que c?était Lise. J?ai perdu connaissance pendant un cours instant, puisque lorsque j?ai repris conscience, j?étais encore allongé sur le trottoir

avec plein de gens autour de moi qui jacassaient.
La voiture qui m?avait heurté était rouge, et, après les constations faites ultérieurement, je suis sûr qu?il ne s?agissait pas d?un accident, mais d?un attentat. En effet, il a été établi que la voiture était montée sur le trottoir 15 mètres avant de me heurter (d?où le bruit anormal que j?avais entendu). S?il s?était agi d?une fausse man?uvre, le conducteur aurait eu le temps de redescendre dans la rue. Je suis resté 2 mois à l?hôpital, et je dois dire, que maintenant encore, cela ne va pas fort. »
Un mot, particulièrement m?avait frappée dans ce récit : La voiture qui avait renversé mon papa était rouge. Or, la voiture qui attendait Lise dans mon chemin était rouge aussi. Bien sûr, les voitures rouges ne sont pas rares, mais quand même?..
Les derniers mots tracés dans le carnet de mon père, étaient donc : « Cela ne va pas fort » Et en effet, il mourut peu après cet attentat, sans avoir pu s?en remettre.
Je m?étais posé la question, en recevant le carton : Pourquoi cette dame m?avait-elle fait
parvenir quelques bibelots sans intérêt, et je compris qu?en fait, ils servaient de prétexte. C?est ce carnet, que la compagne de mon père voulait me faire parvenir, car elle avait du examiner tout ce qu?elle m?envoyait et avait lu, bien évidemment, le carnet de mon père. Pourquoi voulait-elle que je le lise à mon tour ? Oui, pourquoi ? Elle seule pourrait répondre à cette question, et je pris la décision d?aller la voir. Le notaire avait donné à maman une copie du testament de papa et je retrouverai facilement l?adresse de Jeanne Lacroix.
Je constatais alors, que j?avais un travail fou devant moi.
Il fallait que j?aille voir maman à l?hôpital, que je prenne rendez vous avec Jeanne Lacroix, que je suive mes cours de code et de conduite à l?auto école, que je m?achète? une nouvelle barque, car après l?avoir retirée de la rivière, j?avais constaté que ma vieille chère barque, était en partie pourrie, et trop endommagée pour être réparée. Or, j?avais besoin de reprendre mes promenades
en barque. Et cet emploi du temps chargé, je ne pouvais pas le planifier, car le lendemain, j?avais rendez vous chez mon dentiste, pour un entretien
d?embauche, et ma disponibilité était dépendante du résultat de cet entretien.
Bien sûr, j?aimerais être embauchée, mais l?idéal serait que le dentiste me dise : « Mademoiselle, je vous embauche, et vous commencerez dans quinze jours » Malheureusement, je ne pouvais pas me faire d?illusion : S?il m?embauchait ce serait pour commencer dès mardi, ou alors?.. il ne m?embaucherait pas.
C?est fou. Il y a deux mois, j?étais une adolescente heureuse, sans responsabilité, sans souci, choyée par deux femmes. Mon père était un inconnu qui ne me manquait pas et aujourd?hui, je me retrouvais seule, ma mère était à l?hôpital avec un pronostic réservé. Celle qui était ma nounou se révélait être une femme dangereuse, d?une méchanceté diabolique. Je devais songer à assurer ma vie matérielle. Mon
père, n?était plus un inconnu. Il était plus vivant pour moi, maintenant qu?il était mort.
Oui, en deux mois, j?étais passée de l?état d?adolescente insouciante, à celui d?une adulte, courbée sous de multiples problèmes.
Il me semblait que j?allais devoir respirer différemment.
Pour que le tableau ne soit pas uniquement négatif, je pouvais ajouter que j?avais rencontré peut être, un début de commencement d?amour? Peut être?peut être?
Finalement, je devais me l?avouer franchement, malgré tous mes problèmes, et même à cause d?eux, j?étais assez fière de moi,
d?avoir pu faire face à la métamorphose ultra-rapide de ma vie.
Avant de m?endormir, je suis allée voir, par curiosité, sur mon ordinateur, quelle somme, il faudrait que je consacre à l?achat d?une nouvelle barque. Après la visite de nombreux sites, je suis arrivée à la conclusion, qu?avec environ 800 euros, je pourrais m?acheter une barque de pêche qui me donnerait satisfaction.
Il était temps d?aller me coucher pour être en forme demain matin, à l?attaque d?une semaine qui s?annonçait chargée.

CHAPITRE XIII

Il pleuvait, je roulais à bicyclette vers le cabinet du dentiste, et je me disais qu?avant d?acheter la barque, il faudrait que je passe rapidement mon permis de conduire pour m?acheter, en priorité, une petite automobile.
Si j?étais très fière de faire face seule à tous mes problèmes, j?avais pris la décision, pour l?achat de ma voiture, de demander à Pierre de s?en occuper, car c?était un domaine qui m?était totalement étranger.
Entre La Grenouillère et le cabinet du dentiste, il faut parcourir 7 kilomètres, et j?étais bien trempée en arrivant à destination.

Juste devant le cabinet, il y avait un marché couvert, où je me suis réfugiée pour me sécher un peu, et me rendre plus présentable.
Je n?avais pas trop eu le temps de penser à l?entrevue que j?allais avoir, et c?est à l?abri du toit du marché, que j?en réalisais toute l?importance. Encore un grand tournant dans ma vie. Le stress m?envahit peu à peu.
Le dentiste allait me trouver trop jeune ! Mes chances d?être acceptée étaient minimes. Puis l?idée qu?après tout, ce n?était que ma première entrevue sérieuse, et que, si ma candidature n?était pas retenue, ce n?était pas si grave, j?aurais, si nécessaire, d?autres entretiens, c?est finalement assez décontractée que je sonnais chez le docteur.
Il m?accueillit avec un grand sourire qui me redonna pleine confiance en moi.
Après m?avoir fait asseoir dans un fauteuil de son salon, il me demanda.
- Vous semblez bien jeune, mademoiselle, quel âge avez-vous ?
Et pan !!! Cela n?avait pas tardé. J?avais prévu que mon âge serait un handicap.
-Je vais avoir 19 ans dans deux mois, docteur.
- Donc, vous êtes majeure. C?est parfait. Dites moi : Si vous deviez travailler avec moi, que pensez-vous que vous auriez à faire ?
- Il me semble que j?aurais à répondre au téléphone, à prendre des rendez-vous, selon les instructions que vous m?auriez données, que je reçoive les clients. Il faudrait que je m?occupe des papiers de la sécurité sociale pour les patients, que j?encaisse vos honoraires. Après un certain temps, il faudrait que je sois capable de donner une idée approximative du coût de vos interventions, et que j?assure la liaison avec votre ou vos prothésistes dentaires.
- Vous avez déjà travaillé chez un confrère ?
- Non docteur. Je n?ai jamais travaillé.
- Alors, bravo. Vous avez bien résumé vos fonctions. Je vous offre de faire un stage d?un mois. Votre salaire serait de 1000 euros bruts. Dans un mois, nous examinerions la situation. Si nous sommes satisfaits, l?un de l?autre, vous seriez embauchée à titre définitif, avec un
salaire que nous fixerions à ce moment là. Qu?en pensez-vous ?
- Je suis d?accord, docteur. Quand faudrait-il que je commence ?
- Ah, oui ! Il y a également ce problème. Il faudrait que vous preniez vos fonctions dès demain matin. Comme je vous l?avais dit l?autre jour, sans secrétaire, je suis débordé et perdu. Il me faut quelqu?un, vite, très vite.
- Je serai là demain matin, docteur. C?est à 8 heures trente, je crois ?
- C?est ça. Essayez d?être là à 8 heures trente, mais ne vous mettez pas martel en tête si vous avez quelques minutes de retard.
Et voilà. J?avais une situation. J?entrais vraiment dans la vie active. Que je gagne ma vie était une chose importante. Pour mes autres problèmes, je me débrouillerai pour m?en occuper pendant les deux jours de fermeture du cabinet, les Dimanches et Lundis.
En sortant du cabinet dentaire, mon Dieu !! Comme j?étais fière de moi ! J?ai profité de la proximité de l?hôpital pour aller voir maman. J?allais frapper à la porte de sa chambre, lorsqu?une infirmière en sortit. Elle me prit par le bras, avec un grand sourire, et me dit :
« Votre maman commence à avoir des moments de lucidité. Bien sûr, il ne faut pas crier victoire trop tôt, mais c?est bon signe. Ce matin, j?accompagnais le médecin, qui m?a dit en sortant de la chambre de votre mère : « J?étais pratiquement certain qu?elle ne s?en sortirait pas. Aujourd?hui, je suis pratiquement certain du contraire. Mademoiselle, nous sommes des ânes : Malgré nos diplômes, et nos années d?expérience, nous ne savons rien. »
J?ai remercié l?infirmière pour ses paroles d?espoir, et je suis entrée dans la chambre. Ma mère était immobile, les yeux fermés. Je me suis approchée d?elle et lui ai pris la main. Elle a ouvert les yeux, m?a fait un petit sourire triste, et a murmuré :
« Comment vas-tu faire ma chérie ? »
Puis elle a refermé les yeux. J?ai essayé de lui parler, mais je me rendais bien compte qu?elle ne m?entendait pas. J?étais très émue à la pensée
que durant ces quelques secondes de lucidité, c?est à moi qu?elle avait pensé.
Durant la semaine, j?avais une petite fenêtre dans ma journée de travail, puisque le cabinet fermait à 12 heures et ouvrait de 15 heures jusqu?à 19 heures.
Je pouvais donc rentrer à la Grenouillère pour déjeuner, puis, avant de retourner au travail, je pouvais, soit, aller voir maman, soit prendre mes cours à l?auto école.
Après une quinzaine de jours de travail, je commençais à être bien organisée.
J?allais voir maman un jour sur deux. Et l?autre jour, je le consacrais à l?auto-école. Chaque soir, j?avais une communication téléphonique avec Pierre. Un soir c?était lui qui m?appelait, le lendemain, c?était moi.
Pour la barque, j?avais pris la décision de ne la commander que si, après un mois de travail, j?étais embauchée à titre définitif. Ce qui me semblait pratiquement acquis, car j?aimais

ce travail, et mon patron semblait content de moi. D?ailleurs il me l?avait l?a dit expressément à deux reprises.
Lors de ma dernière visite à l?hôpital, j?ai pu avoir une conversation presque normale avec maman. Certes, elle s?exprimait lentement, mais ses idées étaient claires. Je jugeais qu?il était encore trot tôt pour lui dire tout ce que j?avais appris sur Lise.
D?ailleurs, à aucun moment, nous n?avons parlé d?elle.
J?avais téléphoné à Jeanne Lacroix. Rendez-vous avait été pris pour le lendemain. Je ne m?étais pas trompée. C?était bien pour le carnet de papa, qu?elle m?avait envoyé le carton, car elle me dit : « J?attendais votre coup de fil ».
Je me demande ce qu?elle va m?apprendre. Elle va me parler de mon père, c?est probable, mais je suis presque certaine qu?il sera aussi question de Lise.
J?avais rendez vous avec Jeanne, à Marseille, le dimanche, à 14 heures. Il avait été entendu avec Pierre qu?il viendrait m?attendre à la gare
Saint Charles, puis que nous irions déjeuner ensemble.
Je ne le cache pas, ce fut pour moi un très grand plaisir de revoir Pierre, qui m?avoua se faire constamment du mauvais sang pour moi, et me dit qu?il m?admirait pour avoir su très rapidement me transformer d?une adolescente sans responsabilité ni souci, en une jeune fille maitrisant de nombreux problèmes.
- Maitrisant, c?est vite dit, lui répondis-je, je me sens souvent dépassée. Où est Lise ? Est ?ce elle qui a tenté de tuer mon père ? A-t-elle un, ou une associée ? Me veut-elle vraiment du mal ? Je ne maitrise rien de tout cela, et je voudrais pourtant bien pouvoir éclaircir tous ces points.
- Vous y parviendrez, j?en ai la conviction, et si je peux vous aider, surtout, n?hésitez pas à demander mon aide.
- Je n?hésiterai pas Pierre. Pour commencer, je vais passer le code la semaine prochaine, l?examen de conduite, dans une quinzaine de jours je crois, et pour m?acheter une voiture, je vais vous demander de m?aider à en trouver une.
- Ce sera avec un grand plaisir que je le ferai. Vous me direz la somme que vous entendez consacrer à cet achat, et je vous promets de vous trouver une très bonne occasion. Pour une première voiture, mieux vaudra commencer par une voiture d?occasion.
- D?accord, Pierre, et merci. Vous me retirerez une belle épine du pied.
J?avais pris un taxi pour me rendre à l?adresse de Jeanne Lacroix. Elle habitait une villa en banlieue, et m?accueillit avec un grand sourire, ce qui m?étonna tout de même un peu, car je me souvenais que chez le notaire, elle n?avait pas été très sympathique, et en tous cas très distante.
Elle me donna elle-même l?explication dès le début de notre entretien. Elle m?expliqua qu?elle était allée chez le notaire avec une rage de dents encore douloureuse malgré les analgésiques absorbés, et qu?elle avait été impatiente de retourner chez elle.
Je la remerciais de m?avoir fait parvenir quelques souvenirs de mon père, et elle me répondit, ce que je savais déjà, qu?elle voulait surtout que je lise son carnet.
- Je pensais bien que vous voudriez venir me voir, et je suis heureuse de ne pas m?être trompée.
Votre père et moi, étions très attachés l?un à l?autre. Je ne suis pas encore remise de ce drame affreux.
- Avez-vous des éléments nouveaux à m?apporter sur l?accident de mon père ?
- Votre père était certain que votre nourrice, Lise, était assise aux côtés du chauffeur de la voiture qui l?avait renversé, et pour lui, il s?agissait d?un attentat, et non d?un accident.
- C?est en effet ce que papa écrivait dans son carnet. Mais avez-vous d?autres renseignements.
- Je le pense. La voiture qui l?avait renversée était rouge. Or durant plusieurs jours, une voiture rouge est venue se garer tout près de
ma villa. Le conducteur, était un homme d?une cinquantaine d?années, qui restait à son volant, comme s?il se contentait d?examiner les lieux pour noter les faits et gestes d?une personne. J?ai eu confirmation que mon hypothèse était la bonne. J?avais demandé à une amie de venir chez moi, et de bien surveiller l?automobile rouge, puis je suis sortie de chez moi avec ma voiture pour aller faire quelques courses. Il m?a semblé avoir vu, à plusieurs reprises, une voiture rouge derrière moi, et lorsque je suis rentrée chez moi, mon amie m?a confirmé que dès mon départ, la voiture rouge était partie comme pour effectuer une filature.
Je me demande quel intérêt je peux représenter pour ces gens là.
- Je l?ignore également, lui dis-je, mais un fait est certain, cette Lise est très intéressée par l?argent de mon père. Cela l?avait amenée à acheter la moitié de la Grenouillère, prétextant que nous avions des ennuis financiers, et je suis persuadée qu?une partie au moins de l?argent versé par mon père est allée sur les propres comptes de Lise. Or, vous aussi, vous avez reçu une partie des capitaux de mon père?..d?ici à penser que vos capitaux l?intéressent..
Jeanne poussa un cri
- Attendez, attendez !!! Vous m?ouvrez des horizons. Il y a peut être un lien avec la société dont votre père m?a donné la direction.
Il me semblait que le visage du conducteur de la voiture rouge me disait quelque chose. J?en suis maintenant pratiquement certaine.
C?est quelqu?un qui travaille dans ma société
Je vais étudier ce problème. Mais je me demande ce qu?ils pourraient faire contre moi. Votre père m?a légué ses actions qui font que je suis majoritaire, et donc en fait propriétaire de cette société. Je ne vois pas quels ennuis ils pourraient me susciter ?
Moi non plus, je ne voyais pas, mais Lise m?inspirait une telle terreur que je ne pouvais fixer aucune limite à ses pouvoirs.
Bien entendu, madame Lacroix et moi-même avons pris l?engagement de nous tenir

mutuellement au courant, de tous faits nouveaux concernant Lise.
Après avoir quitté Jeanne, j?avais pris rendez vous avec Pierre auquel je racontais la conversation que je venais d?avoir. Lui non plus ne voyait pas ce que Lise pourrait faire, pour récupérer les actions que mon père avait léguées à madame Lacroix.
Dans la soirée, je suis rentrée à la Grenouillère, assez satisfaite de mon voyage, car madame Lacroix semblait être pour moi une alliée, mais un peu dépitée, que Pierre se soit montré toujours aussi amical, sans se départir d?une certaine réserve. Enfin, c?est moi qui considérait qu?il s?agissait d?une certaine réserve, mais peut être suis-je trop pressée de vivre quelque chose à deux ?
Le lendemain de mon voyage à Marseille, Jeanne me passa un coup de fil.
Elle avait cru reconnaitre dans le conducteur de la voiture rouge, l?un de ses employés. Elle était allée dans le service comptabilité, et avait formellement identifié le bonhomme.

Renseignements pris auprès de son service du personnel, elle sut qu?il s?appelait Louis Dufour. Elle ignorait le nom de famille de Lise, et je lui appris que son patronyme était
également Dufour?Les choses se précisaient.
Le conducteur de la voiture rouge, l?allié de Lise, était donc quelqu?un de sa famille.
Jeanne se proposait de trouver un motif professionnel pour faire venir Louis Dufour dans son bureau, afin qu?il ne soit pas mis en alerte, et elle me proposait d?assister à l?entretien, pour le cuisiner.
En fin de compte, c?est le lundi suivant que nous avons fixé la convocation de Louis Dufour dans le bureau de sa patronne, et Pierre et moi, serions également dans le bureau pour essayer de déstabiliser le bonhomme et lui tirer le maximum de renseignements.
Nous étions donc ce lundi, Pierre, Jeanne et moi dans le bureau directorial quand Louis Dufour, convoqué, frappa à la porte. Lorsqu?il entra, à son air apeuré, nous savions déjà que nous arriverions à le faire craquer.
BBBBBBBBBBBBBBBBBB
C?était un homme d?une cinquantaine d?années, une peu courbé, le front bas, les yeux
très enfoncés, visiblement mal à l?aise dans sa peau, et encore plus mal dans le bureau de la Directrice.
Jeanne lui posa la première question :
- Vous vous appelez Louis Dufour. Avez-vous une parente qui s?appelle Lise Dufour ?
Il ne bougea pas, ne répondit pas, et c?est Pierre qui décida de prendre le relai d?une voix forte et menaçante.
- Madame la Directrice, vous demande si vous êtes apparenté à Lise Dufour. Refusez- vous de répondre ?
Il fit un geste de la tête de dénégation.
- Alors ? Qui est-elle pour vous.
D?une petite voix, il murmura : C?est Tata.
- Bien. C?est votre tante. Comme vous portez le même nom, je suppose que le frère de Lise est votre père ?
Il acquiesça de la tête

- Vous n?êtes pas très bavard ! Actuellement votre tante vit chez vous ?
- Oui.
- Vous possédez une voiture rouge, n?est ce pas ?
- Oui.
- Et vous avez essayé de tuer votre patron ?
Complètement affolé, il se mit à trembler, et devint plus loquace.
- Non, non, ce n?est pas moi, moi, je ne voulais pas. C?est ma tante qui m?a obligé?.
- Ce n?est pas votre tante qui tenait le volant, quand même !!!
- Non, mais elle voulait que je le fasse, et quand tata veut quelque chose?.
Une idée me traversa l?esprit, et à mon tour je m?adressais au neveu de Lise.
- Etes- vous locataire de votre appartement ?
- Non. Je suis propriétaire.
- Depuis quand ?
- Je ne sais pas, à peu près 16 ou 17 ans.
- Il y a seize ou dix sept ans, vous aviez assez d?argent pour acheter un appartement ?
- Non. C?est ma tata qui m?a donné l?argent.
Je n?ai pas voulu prolonger l?interrogatoire plus loin, dans ce domaine, car des vérifications étaient nécessaires.
Je lui dis seulement.
- Vous savez qu?en ayant obéi à votre tante, vous risquez gros : Des poursuites pour tentative de meurtre. Alors si Madame la Directrice et Pierre sont d?accord, vous allez nous écrire tout ce que vous nous avez dit, et nous tâcherons de vous éviter des ennuis. A une condition.
- Laquelle ?
- Vous ne parlez pas à Lise de cette entrevue. Si vous le faites, je déposerai immédiatement une plainte contre vous pour tentative d?assassinat et peut être même d?assassinat de mon père, puisqu?il en est mort. Nous sommes bien d?accord : Vous reconnaissez les faits, et si vous ne prévenez pas votre tante, nous ne vous chercherons pas des ennuis.
Il opina de la tête, Madame Lacroix, laissa son fauteuil pour qu?il puisse écrire, et après vérification par chacun de nous, nous avons estimé que Louis Dufour, avait correctement reconnu tous les faits.
Pierre lui demanda, pourquoi il était venu à plusieurs reprises devant chez madame Lacroix pour la surveiller et la suivre.
Il répondit qu?il n?en savait rien, que « tata, le lui avait demandé, sans lui dire pourquoi ». Nous l?avons cru, son air idiot rendait plausible le fait qu?il exécutait les ordres de « Tata » sans demander quoi que ce soit.
Après la sortie de Dufour, je dis aux autres, ce qui m?avait fait poser la question sur l?appartement occupé pas Dufour.
Je pensais, et cela semblait se confirmer, qu?après avoir crié misère auprès de mon père, Lise avait obtenu qu?il achète la moitié de la Grenouillère. Mais cet argent n?était certainement jamais allé à la communauté, il avait du servir à acheter l?appartement de son neveu. Pour confirmer cette hypothèse, il faudrait avoir les dates exactes de le vente de la moitié de
la Grenouillère à mon père, et la date d?achat de l?appartement du neveu. J?avais la certitude que les deux dates devaient se suivre dans un laps de temps assez court.
Pierre proposa de s?occuper de ces vérifications. Tout en poursuivant ses études, il travaillait à mi-temps dans un gros cabinet d?avocat d?Aix en Provence, et il aurait beaucoup de facilités pour obtenir des renseignements auprès des notaires.
Nous nous sommes séparés très satisfaits des résultats de cette réunion, et je suis rentrée à la Grenouillère.
Les jours suivants ont été consacrés à des visites à maman dont la sortie de l?hôpital devait s?effectuer le 15 Décembre.












CHAPITRE XIV




LE 12 NOVEMBRE

Oui. Nous sommes le 12 Décembre. Cette journée a été importante et chargée. C?est, chaque soir, depuis une semaine, que j?écris l?histoire de mes derniers mois, de cette période, relativement courte, durant laquelle la petite jeune fille, couvée pas deux femmes et sans aucun problème, s?est métamorphosée en une jeune femme qui a acquis une expérience étendue, et des charges affectives et matérielles écrasantes
Ce matin, mon patron, entre deux clients, m?a dit.

- Claudette, je suis content de vous. Je vous propose un contrat à durée indéterminée, et un salaire de 1500 euros. Vous réfléchissez et me donnez une réponse demain. D?accord ? Introduisez le client suivant.
Ma réflexion était déjà faite. C?était oui, évidemment. Je me sentais bien dans ce travail. Je voyais du monde, Je discutais presque en amis avec des clients fidèles, et je crois qu?ils m?aimaient bien.
Avant de reprendre l?écriture de ce carnet, comme je l?avais décidé il y a quelques jours, puisque j?ai une situation stable, je suis allée sur internet pour commander ma barque. Je l?aurai dans une dizaine de jours. Je suis folle de joie. Les promenades sur ma rivière me manquaient.
J?avais réussi à passer le code et la conduite dès le premier essai, et Pierre m?avait trouvé une petite Skoda, que je commençais à avoir bien en mains
Enfin, je viens de recevoir un coup de fil de Pierre. Entre parenthèse, cet animal est toujours très amical, mais il institue entre

nous des rapports frère-s?ur qui ne me plaisent qu?à moitié. Mais passons. Il s?était chargé d?obtenir des renseignements sur les dates des deux ventes : Celle de la moitié de la Grenouillère à mon père, et celle de l?achat de l?appartement de Louis Dufour. Ces renseignements confirment tout ce que j?avais pressenti.
C?était le 3 Novembre 1990, que pour dépanner les habitantes de la Grenouillère, mon père avait acheté la moitié de la maison. Ma mère, la propriétaire, avait donné tous pouvoirs à Lise Dufour, pour accomplir les formalités, et c?est cette dernière qui avait encaissé les fonds.
C?était le 10 Janvier 1991 que l?appartement avait été acheté par Louis Dufour, qui pour cette transaction, avait donné tous pouvoirs à sa tante Lise Dufour.
Il y avait entre les deux prix une différence de 50.000 francs, que Lise avait du ajouter de sa propre poche ainsi que les frais notariaux. Ce qui n?avait pas du lui poser de problèmes particuliers.


Lise aime beaucoup son neveu qui possède à ses yeux une qualité primordiale : C?est un être falot, influençable et totalement sous sa coupe.
Ce soir, je peux faire un bilan ma foi, assez favorable.
J?ai une situation stable.
Je vais avoir une belle barque toute neuve.
J?ai mon permis de conduire et une voiture.
Je commence à avoir un dossier conséquent à l?encontre de Lise, et en particulier les aveux de son neveu qui la rendent passible de poursuites pour incitation au meurtre
Maman va beaucoup mieux. Elle va revenir dans 3 jours. Je ne serai plus seule dans cette grande maison, et j?en suis heureuse. Elle va reprendre ses traductions de livre, et sur le plan matériel (dont je serai seule à m?occuper, car pour maman, ce côté matériel de la vie, n?a jamais existé) nous nous en sortirons très bien.


J?en ai bavé, mais je ne le cache pas, je suis assez fière de moi, pour avoir agi, malgré mon jeune âge, avec beaucoup de maturité.
Certes des problèmes subsistent.
Tout d?abord, Lise a toujours sa capacité de nuisance, et je ne sais pas encore comment lui arracher son dard qu?en guêpe furieuse, elle peut continuer à utiliser contre maman et moi.
Et puis, il y a Pierre. Qu?est ce qu?il a dans le ventre, ou plus exactement dans le c?ur cet animal ? Je suis quoi, ou qui, pour lui ?
A vrai dire, je devrais également me poser la question inverse. Il est qui pour moi ?
A la réflexion, et très objectivement, il est surtout le premier garçon à peu près de mon âge que j?ai connu, et auquel j?ai confié mes problèmes très sérieux. Ca rapproche, les
confidences ! Mais est-ce que je l?aime ? Franchement, je n?en sais rien. Il faudrait que je possède un amour-étalon, pour me prononcer. Or, je n?en ai pas.


Alors comme disent les Anglais, Wait and see. Je ferai mieux de me concentrer sur le problème Lise.
Ce soir, j?en ai un peu marre. La journée a été chargée. Mais demain soir, je téléphonerai à Jeanne, puis à Pierre, et nous déciderons de la conduite à tenir.

Le 13 NOVEMBRE
En rentrant du travail, je prends toujours mon courrier au passage au bout du chemin.
Tout à l?heure, au milieu des pubs habituelles, une enveloppe dont l?adresse avait été écrite à la main. J?ai reconnu l?écriture, et mon c?ur s?est mis à battre la chamade.
Qu?allait encore me dire Lise ? Je décidais d?attendre d?être dans la maison, chez moi, bien calfeutrée, pour décacheter l?enveloppe. Je me suis même demandé si je ne devais pas brûler cette lettre sans la lire, tant j?étais certaine qu?elle ne pouvait que m?apporter de nouveaux ennuis. Et puis, la curiosité l?emporta.


Ma chère Claudette


Durant plus de 18 ans, je t?ai élevée, soignée, comme si tu étais ma fille. J?avais fait la même chose pour ta mère, et je continuerai à vous protéger contre toutes les agressions de la vie. Je ne veux pas jouer à la victime, mais il est certain que je vous ai sacrifié ma vie de femme.
Te rends- tu vraiment compte de cette somme de sacrifices que j?ai du faire pour vous ? Je ne le pense pas, sinon, tu ne me poursuivrais pas de ta hargne depuis quelques mois.
Réfléchis bien, ma chérie, à ce que je viens de te dire. Toutes ces années de vie heureuse, que vous avez eues, ta maman et
toi, grâce à moi, devraient vous inciter, l?une comme l?autre, à passer sur quelques petites erreurs que j?aie pu commettre.
Je ne souhaite qu?une chose : revenir prendre ma place à la Grenouillère, pour vous servir encore jusqu?à la fin de ma vie.
Je t?embrasse affectueusement.
Ta Nounou.


Elle donnait comme adresse, la poste restante d?Orange.
J?étais stupéfaite. « « Quelques petites erreurs » avait elle écrit. Elle avait privé maman d?un mari, moi, d?un père, puis elle l?avait fait tuer par son neveu. Elle a escroqué mon père pour pouvoir acheter un appartement à son neveu, et avait détourné chaque mois 1000 euros sur les petits revenus de la maison.
Pourtant, je commençais à douter. Les griefs que je viens d?énoncer sont ils réels après tout ? Elle s?exprimait dans sa lettre avec une certaine dignité, comme si mes accusations
étaient portées à tort, et que je la faisais souffrir par mon manque de reconnaissance malgré tout ce qu?elle avait fait pour nous.
Pour avoir l?avis de quelqu?un de plus objectif que moi, parce qu?extérieur à mes problèmes, j?ai téléphoné à Pierre pour lui lire la lettre que je venais de recevoir.
Il écouta attentivement ma lecture, puis me dit que si elle ne me faisait pas autant de mal, il aurait été fier d?avoir rencontré la femme qui,
certainement était la plus pourrie que le monde ait connue. Puis il a ajouté :
- Elle est forte, très forte, il faut absolument la mettre hors d?état de nuire. Il serait bon de régler ce problème avant que votre mère ne revienne à la Grenouillère. Elle donne une adresse poste- restante à Orange, mais je suis persuadé qu?elle vit chez son neveu à Marseille. Nous allons y aller ensemble et la prendre à l?improviste. Quand doit sortir votre mère ?
Quand je lui dis que c?était après demain, il a convenu que nous ne pouvions rien faire avant cette date, et il me dit qu?il allait réfléchir.
Voilà. La communication avec Pierre n?a pas levé mes doutes. Après tout, je n?ai pas de preuves incontestables?.mais tout de même, il ne peut y avoir tant de coïncidences. Et son neveu a bien dit que c?est sa tante qui lui avait demandé de renverser mon père avec sa voiture. Peut être ne dit-il pas la vérité ? Zut !Zut, et zut !!J?arrête pour ce soir, et je vais me coucher.



Le 15 NOVEMBRE
Je n?ai pas écrit hier. Je n?avais rien à dire, sinon que mes doutes persistent, à la suite de la lettre de Lise. A la sortie du travail, je suis allée en taxi prendre maman à l?hôpital. Elle est là, à la Grenouillère, à sa place, et vraiment, j?en suis très heureuse. Nous n?avons toujours pas prononcé le nom de Lise, et je ne sais vraiment pas ce qu?elle pense. Demain soir, c?est décidé, j?aborderai moi-même le problème.
Les Brugier ont téléphoné pour souhaiter la bienvenue à maman. Ils sont vraiment chics ces gens là. Pourtant, du fait des problèmes qu?ils ont eus avec Lise, je ne peux pas demander leur avis : ils ne peuvent être objectifs.
Quand même, indépendamment de mes propres griefs, ils en ont de sérieux, et bien établis, eux, à l?encontre de Lise. Décidemment, je crois que Pierre a raison. Elle est forte, très forte, et elle tente de me récupérer en jouant sur mes sentiments.
J?en avais oublié ce qu?elle avait fait aux Brugier. Mais en y repensant, je ne devrais plus douter : Lise est un être dépravé. C?est en tous cas ce que je pense ce soir. Mais je ne suis pas très fière de moi : Je suis une vraie girouette. J?étais certaine que Lise était un être démoniaque, et il a suffi qu?elle m?écrive une lettre, pour que je ne sois plus sûre de moi. La solution de Pierre est la bonne. Il faut que nous ayons une entrevue avec elle, et là, il faudra bien que la vérité sorte.

LE 16 NOVEMBRE
Maman est encore fatiguée. Elle ne sort guère de sa chambre. Uniquement pour aller faire sa toilette et pour les repas. En revanche, je la trouve calme, et nos conversations dénotent qu?elle a retrouvé un esprit clair.
Demain, dimanche, Pierre vient chez son oncle, et bien sûr, il viendra me voir. J?aime beaucoup Pierre. Lorsque nous nous sommes connus, nous nous sommes engueulés, mais il
s?avère que c?est un très chic type, il m?a beaucoup aidée à supporter mes épreuves.
A son sujet du moins, mon jugement n?a pas changé.
De plus, tous ses conseils se sont avérés judicieux. Mais je pourrais faire une liste de ses qualités sur plusieurs pages, cela ne permettrait pas de répondre à cette question : Aimerais-je être sa femme ? Il me semble que oui, mais je n?en suis pas sûre. Comme pour nous marier, il faudrait qu?une autre condition soit remplie : Qu?il m?aime également, avec mon caractère impulsif, impatient, j?ai décidé de lui en parler demain. Nous verrons bien.
LE 17 NOVEMBRE
Dès 10 heures, ce matin, Pierre est venu, pour prendre des nouvelles de maman, a-t-il dit. Mais peut être un peu pour moi, non ? En tous cas, je l?ai espéré, en le voyant arriver.
Nous sommes allés nous promener le long de la rivière, je lui ai parlé de ma future barque, et comme il faisait frisquet, nous sommes revenus rapidement à la Grenouillère.
Maman était dans sa chambre, et nous étions, Pierre et moi dans le salon.
J?ai décidé d?attaquer le problème que j?avais sur le c?ur.
- Mon cher Pierre, avez-vous des projets d?avenir ?
- Bien sûr. Nous faisons tous des projets. Je pense ouvrir un cabinet d?avocat à Orange. Certes, je ne me fais pas d?illusion, les débuts seront durs, matériellement, mais j?aimerais exercer cette profession.
- C?est en effet une belle profession. Et, sur le plan privé, envisagez-vous un mariage jeune, ou préférez vous d?abord asseoir votre situation matérielle ?
Il me fit un charmant sourire.
- Je ne me marierai sans doute jamais. A moins que la législation française ne soit modifiée.
Je n?avais pas compris cette réflexion, il s?en rendit compte, et fut plus précis :
- Vous n?ignorez pas, Claudette, que la législation française n?admets le mariage qu?entre un homme et une femme.
C?est moi qui me suis prise à rougir. Ainsi, Pierre, mon Pierre, préférait les hommes aux femmes !! J?en ai été vexée, comme si j?étais responsable de ne pas avoir su me faire aimer de lui.
- Je ne vous ai pas choquée, Claudette ?
- Absolument pas, lui mentis-je, car pas un seul instant je n?avais pensé que ce garçon plein de charmes pouvait ne pas être intéressé par les femmes en général et par moi en particulier.
Mais du moins, la situation était claire. Pierre ne sera donc jamais mon mari.
Je me suis empressée de quitter ce sujet qui m?était désagréable, pour en aborder un autre, qui avait le mérite de me permettre d?être plus naturelle.
- Vous m?aviez dit qu?il faudrait aller voir Lise à l?improviste pour avoir une explication claire et approfondie. Comment voyez-vous les choses ?
- Très simplement. Nous convenons d?un jour, vous venez à Marseille, et nous débarquons chez les Dufour.
- O.K. Comme je ne suis libre que les dimanches et lundis, pourquoi n?irions-nous pas demain, lundi ?
- D?accord pour demain. Je vous attendrai à la gare Saint Charles de Marseille à 10 heures, et nous foncerons. Je sens, Claudette, que vous avez été remuée par ce que je vous ai dit tout à l?heure. Mais songez à une chose : Notre amitié durera toujours, car il n?y aura jamais rien de trouble entre nous. Et puis, pendant cette période très pénible que vous traversez, il est préférable que votre esprit ne gambade pas dans des sphères plus éthérées. Par ailleurs, comme vous êtes jeune et jolie, très jolie même, vous trouverez un merveilleux mari qui sera digne de vous. En ami, je donnerai mon avis. Je ne vous laisserai jamais aller avec un homme médiocre. Et il me fit un grand et tendre sourire
- Je trouvais que vous étiez très digne de moi lui répondis d?une petite voix, un peu ridicule, j?en ai peur.
- C?est parce que je craignais un peu votre déception que je ne vous en avais pas parlé plus tôt. Mais croyez-moi, vous devez consacrer vos efforts au règlement des vos comptes avec Lise. Ne vous dispersez pas !!
Grace à notre amitié, nous parviendrons à la démasquer et à lui faire payer ses crimes.
Ouais ! Notre amitié, notre amitié, c?est un beau sentiment, mais pour moi ce n?était qu?une étape vers un sentiment encore plus beau. Je me suis sentie triste toute la soirée.








CHAPITRE XV




18 NOVEMBRE
Je me suis levée de mauvais poil, mal à l?aise, sans en réaliser la raison. Et puis, la mémoire est vite revenue. Pierre m?avait avoué son homosexualité et par ailleurs, malgré mon humeur généralement combative, j?avais la frousse d?aller affronter Lise chez elle.
C?est vrai que lorsque je suis à la Grenouillère, je suis chez moi, dans mon élément, je sens que je dispose de tous mes moyens, mais là, je vais me trouver en territoire ennemi. Malgré la présence de Pierre à mes côtés, j?avais bien envie d?annuler notre projet de visite.
J?en fis part à Pierre, mais il me dit qu?au fond de moi, je voulais absolument que les choses soient tirées au clair, dans ces conditions, mieux valait ne pas remettre, et se débarrasser rapidement de cette démarche désagréable.
- Pas de procrastination, me dit-il en riant, persuadé que je ne connaissais pas la signification de ce mot.
Par un hasard extraordinaire, je l?avais rencontré dans un livre quelques jours plus tôt, et j?étais allée me renseigner dans un dictionnaire. De plus, le même jour, j?avais appris un autre mot un peu calé, ce qui me permit de lui répondre du tac au tac :
- Je crains d?aller encore plus loin et de souffrir de catatonie.
Oh la tête de Pierre !! Je frétillais intérieurement de plaisir, en voyant son air ahuri. Mais il s?est montré beau joueur, et a mis fin à notre match, en proclamant :
- Jeu, set et match pour vous, Claudette !!
Cependant, j?étais toujours réticente, quand, me prenant par le bras, il me fit monter
dans un taxi. Mais en me trouvant devant la maison où était l?appartement acheté par Lise, avec l?argent escroqué à mon père, la colère prit le dessus sur la peur, et c?est avec décision que Pierre et moi, avons grimpé les deux étages qui menaient chez Lise et son neveu.
C?est moi qui ai appuyé sur le bouton de la sonnette. C?est Louis Dufour qui vint nous ouvrir.
Pierre passa devant moi, puis écarta Louis, en lui disant :
- Nous voulons parler à votre tante. Dites-lui que nous sommes là.
Ce fut inutile, car alertée par la sonnette, Lise était entrée dans le hall. Elle eut d?abord un mouvement de recul en nous voyant, puis se composant un visage avenant, elle me dit :
- Ah ! Ma petite chérie ! Comme je suis heureuse que tu viennes me voir ! Mais comment as-tu su que j?étais ici ?
- C?est une trop longue histoire pour que nous en parlions dans une entrée.
- Mais bien entendu, entrez, entrez ! Nous sommes chez mon neveu, il y a un peu de désordre, n?y faites pas attention.
Nous sommes entrés dans un salon banal. Lise, Pierre et moi nous nous sommes assis, quand à Louis, mal à l?aise, gauche, il était resté debout, ne sachant ce qu?il devait faire. Je le libérais d?un :
- Votre présence, monsieur n?est pas indispensable, du moins pour l?instant.
Avec un soulagement évident, il sortit de la pièce.
Je ne laissais pas Lise prendre l?initiative, et j?attaquais la première.
- Toute ma vie j?ai vécu à vos côtés et ce n?est que depuis peu que j?ai ouvert les yeux sur tous vos agissements.
Sans parler de ce que vous avez fait à d?autres, vous avez abusé de la confiance, que maman et moi, avions en vous.
Vous avez soutiré de l?argent à mon père, pour acheter l?appartement dans lequel nous sommes, vous avez évincé papa, en écrivant des lettres
aux noms de maitresses de mon père, inventées par vous. Vous avez contraint mon père à se séparer de sa femme et de sa fille. A cause de vous, je n?ai pas eu de père. Vous avez demandé à votre neveu, cette loque que nous venons de voir, de tuer papa avec son automobile, et je passe sur de petites saletés comme de couler ma barque.
Vous ne pouvez nier aucun des faits que je viens de retracer. Aurez-vous le courage de l?admettre ?
Un silence de plusieurs secondes plana dans la pièce, puis Lise répondit :
- Je suis stupéfaite, oui, stupéfaite de toutes ces accusations, lesquelles, restent sans fondement et sans preuves.
- Donc, vous niez en bloc ?
- Bien entendu.
- L?ennui, c?est que, curieusement ; c?est votre neveu qui a renversé mon père. De plus, il a
avoué, par écrit, que c?est sur votre ordre, qu?il est volontairement monté sur le trottoir, pour heurter mon père, et le blesser mortellement
L?ennui, c?est que maman, la seule propriétaire de la Grenouillère, ne savait pas que vous lui aviez escroqué un pouvoir, pour vendre la moitié de la maison à mon père, auquel vous aviez fait croire que nous avions des problèmes financiers.
L?ennui, c?est que vous avez gardé l?argent, avec lequel très peu de temps plus tard, vous avez acheté au nom de votre neveu, l?appartement dans lequel nous nous trouvons.
L?ennui, c?est que vous avez à coups de hache, démoli le fond de ma barque, pour qu?elle coule dans la rivière.
L?ennui, cela je l?ai déjà dit, c?est que vous avez fait de fausses lettres, pour faire croire à maman que mon père avait des maitresses, et que vous avez réussi à faire partir mon père.
Cela fait beaucoup, non ?
- Pour la barque, tu n?as pas de preuve !!
Je suis restée sidérée pendant de nombreuses secondes avant d?éclater d?un rire nerveux.
- Je t?accuse de meurtre, de détournement de fonds, d?accusations mensongères, et tout ce que tu trouves à dire, c?est qu?il n?y a pas de preuve pour la barque ? Quand je pense que j?ai eu peur de toi !
Pierre qui avait également ri en entendant la réponse de Lise, me dit :
- Sa bêtise est aussi incommensurable que sa méchanceté, et ce n?est pas peu dire.
Puis, se tournant vers elle, il continua :
- Vous avez le choix, madame. Ou vous nous accompagnez au commissariat. J?en ai repéré un, à 3 ou 400 mètres d?ici, ou vous préférez que je téléphone au Commissariat Central, pour que l?on vienne vous chercher manu militari, et que l?on vous embarque, menottes aux poignets dans un fourgon cellulaire. Ce serait un beau spectacle pour tous vos voisins !
Lise était statufiée. Je crois que ce qui lui avait fait le plus mal, était mon rire, et celui de Pierre.
Elle semblait ne plus rien voir, ne plus rien entendre, et Pierre dut insister plusieurs fois pour qu?elle finisse par dire.
- Je vous suis.
Nous sommes allés à pied au commissariat, où Pierre et moi, avons fait de longues dépositions. Nous avons laissé tous les documents que nous avions apportés. Les fausses lettres des maitresses de mon père, les relevés de banque, les dates des ventes de la moitié de La Grenouillère et de l?achat de l?appartement, les aveux du neveu, le dossier me concernant, dans lequel, Lise prévoyait de rééditer la man?uvre qu?elle avait inventée pour les Brugier.
Lise, en dehors de sa demande d?un avocat, n?ouvrit pas la bouche.
Lorsque nous sommes sortis du commissariat, je me rendis compte que je tremblais de tout mon corps. La tension avait


été énorme, et je me sentais fatiguée, fatiguée?..
Pierre m?emmena dans un café, où nous avons bu un Whisky, après quoi, il me ramena à la gare Saint Charles.
J?ai pu, en entrant, écrire le compte rendu de cette journée épuisante, et bien qu?il ne soit que 20 heures trente, je vais me coucher.













CHAPITRE XVI




LE 20 JANVIER

Je n?avais plus ouvert ce carnet depuis le 18 Novembre.
D?ailleurs, il ne s?est pas passé grand-chose depuis cette dernière date.
Le lendemain, j?avais décidé de tout révéler à maman, et je lui avais raconté tous les méfaits de Lise, et en particulier que mon père avait été tué par Lise. J?avais un peu peur de ses
réactions en connaissant la totalité des agissements de Lise. Aussi ai-je essayé d?utiliser les mots les moins crus, les plus édulcorés possibles.
J?avais été extrêmement surprise, et rassurée bien sûr, qu?elle n?ait pas de réactions visibles, et comme je m?en étonnais, elle me répondit.
- J?ai été aveugle très longtemps, mais à l?hôpital, j?ai eu tout le temps de réfléchir.
- Je savais déjà, qu?à cause d?elle, j?avais chassé mon mari, alors qu?il n?avait rien à se reprocher, et que ma fille n?avait pas eu de père. Alors, tout ce qu?elle a pu faire en plus, ne pouvait pas me la faire détester d?avantage.
Certes le meurtre de mon mari est une chose infâme, mais il arrive un moment où l?écoeurement, atteint ses limites, et ne peut aller au-delà.
Pardon, ma chérie, pour ne pas avoir eu la force de caractère nécessaire. Elle a brisé ma vie, mais toi, heureusement, tu es jeune et j?espère de tout mon c?ur qu?après
ces épreuves, peu communes pour une jeune fille, tu auras un avenir heureux.
Je suis devenue (un peu tard hélas !) beaucoup plus lucide, et, la preuve, c?est que si j?en crois mon petit doigt, tu ne serais pas indifférente au très gentil Pierre?..
Non, ma chère maman, pensais-je, Pierre ne m?est pas indifférent, mais, lui, malheureusement, connait d?autres amours. Mais je ne lui ai rien répondu.
Depuis cette longue conversation, maman a été complètement transformée. Elle a pris en main, progressivement tous les problèmes de la maison, et il n?y a plus trace de cette femme apathique, soumise à sa nounou qu?elle avait été durant tant d?années.
On dit que les peuples heureux n?ont pas d?histoire, et c?est également vrai pour les personnes. Si j?ai dit en commençant ce chapitre qu?il ne s?était pas passé grand-chose, c?est parce que je n?avais pas de malheurs à raconter.
Après une période tourmentée, je vis enfin normalement?.
Je suis très heureuse de ma nouvelle barque. Elle m?a été livrée en retard, mais peu importe, car Décembre et Janvier n?ont pas été propices à de longues promenades sur la rivière. Tout en étant très stable, elle est beaucoup plus légère, beaucoup plus maniable, que ma vieille barque en bois, et de plus, elle est imputrescible.
Mon travail chez le dentiste me plait beaucoup, et je me sens parfaitement à l?aise dans mes fonctions.
Si tout est redevenu normal et que je n?ai rien d?intéressant à raconter, pourquoi ai-je repris ce journal ?
C?est parce que je viens de recevoir un coup de fil de Pierre, et je pense (peut être ai-je une propension à prendre mes rêves pour des réalités) que ce coup de fil aura des conséquences importantes dans ma vie.
Tout d?abord, il m?annonçait que Lise ne passerait pas aux Assises, comme les autorités judiciaires l?avaient prévu, car, la nuit dernière elle s?est pendue dans sa cellule. Je ne peux pas dire que cette nouvelle m?ai laissée
indifférente. Je haïssais cette femme, mais cette fin prématurée est quand même bien triste.
Il est évident que ce n?est pas cette dernière nouvelle qui peut cependant bouleverser ma vie.
Pierre m?a dit par ailleurs, qu?il viendrait demain chez son oncle, et qu?il fallait absolument qu?il me voie, car mes gros problèmes étant définitivement réglés, il avait un aveu très important à me faire.
Il avait dû pour ne pas compliquer ma vie alors que j?étais très perturbée, travestir la vérité.
Je lui ai demandé d?être plus explicite, mais il m?a répondu qu?il préférait me parler de vive voix.
Un aveu ? Je me prends à espérer qu?il m?a fait un mensonge, un seul, un énorme mensonge, mais dont l?aveu, loin de me déplaire, me remplirait de joie. Oui, mon amour, fais moi l?aveu d?un très vilain mensonge. Cela ne peut être que cela, et lorsque l?on parle d?avoir le c?ur dilaté de bonheur, c?est exactement l?impression que je ressens.
Vivement demain. Mais je suis certaine que cette journée marquera le début d?une histoire plus agréable que celle que je viens d?écrire.

FIN
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