CHAPITRE 3
Il appela aussitôt le n°, et madame Monge lui dit :
- Après votre passage, j?ai eu la curiosité d?aller fouiller dans les papiers professionnels de mon mari, ce que je n?avais jamais fait depuis son décès.
J?ai trouvé un dossier au nom de Marc Lorgnac. Je l?ai parcouru. Il y avait bien sûr, tous les articles écrits juste après le décès de votre père dans divers journaux, ainsi qu?une note écrite par mon mari, dans laquelle il faisait le point de son enquête. Il avait reçu des menaces de mort, et je suis persuadée maintenant, sans pouvoir le prouver, que le pseudo accident dont il a été victime, était bien un assassinat
C?est pourquoi, je suis disposée à vous remettre ce dossier qui est à votre disposition, si vous voulez venir le chercher.
La décision que Pierre n?avait pas pu prendre lui-même, venait de s?imposer à lui par un signe du destin, et, dans l?après midi, il se rendit chez madame Monge.
C?est une femme, pâle, les yeux cernés, les mains tremblantes qui vint lui ouvrir.
Comme Pierre s?inquiétait de sa santé, elle lui répondit, que ce qu?elle n?avait pas voulu dire au téléphone, c?est que la veille, elle avait reçu un coup de fil d?une personne qui avait refusé de révéler son identité. C?était une voix d?homme, qui ne prononça que quelques mots avant de raccrocher.
« Vous êtes veuve, mais vous allez rapidement rejoindre votre mari, si vous vous mêlez de vieilles affaires dont votre mari s?était imprudemment occupé »
La pauvre femme avait passé une nuit blanche à se demander ce qu?elle devait faire.
Il était évident que la première visite de Pierre avait était connue, et qu?en conséquence, si elle lui demandait de revenir, le mystérieux correspondant le saurait de nouveau. La prudence, lui commandait donc d?obtempérer à l?ordre qui lui était donné. Mais en ayant la quasi certitude que son mari n?avait pas eu un accident d?automobile, et qu?il s?agissait vraisemblablement d?un assassinat, son véhicule ayant été probablement saboté, elle se faisait un devoir de tout faire, pour que sa mémoire soit vengée.
- Ma vie et la votre sont en danger, dit-elle, en lui remettant le dossier. Maintenant, partez vite, peut être que votre visite n?a-t-elle pas encore été repérée.
Sans prendre le temps de réfléchir, après avoir serré la main de madame Monge, Pierre sortit, en examinant si quelqu?un, à proximité était susceptible de l?avoir vu.
La rue était parfaitement déserte, mais il vit qu?à la fenêtre d?un pavillon situé en face, un rideau bougeait encore. Quelqu?un sans doute, avait épié sa sortie.
En s?efforçant de marcher normalement bien qu?une ridicule envie le prenait de partir en courant, Pierre réfléchit sur ce qu?il devait faire.
En passant devant le petit portail d?entrée du jardin devant le pavillon, il lut l?adresse de la propriétaire : Jeanne Dumas. La similitude de nom l?amena à une quasi certitude : Il avait été repéré par une parente de son beau père.
Que devait-il faire ? Son indécision ne dura que quelques secondes. Cette Jeanne Dumas allait certainement prévenir Yves Dumas de la visite que venait de recevoir madame Monge. Mais, peut-être était-il encore temps de la prendre de vitesse. ? Il revint précipitemment devant le portail, et sonna, tout en se cachant derrière un pilier pour ne pas être reconnu. Une dame, sortit presqu?aussitôt, ce qui fit penser à Pierre qu?elle n?avait sans doute pas encore eu le temps de téléphoner.
Lorsqu?elle ouvrit le portail et vit son visiteur, son mouvement de recul la trahit immédiatement.
Pierre entra d?autorité dans le jardin.
- Je n?avais pas madame l?honneur de vous connaitre, en revanche, je constate que vous me connaissez bien. Qui êtes vous par rapport à mon beau père Yves Dumas ?
Un moment interdite, elle tenta de se reprendre en lui disant qu?elle ne connaissait pas cet homonyme, pas plus qu?elle ne le connaissait, lui, et elle lui demanda de sortir de chez elle.
Pierre la regardait, sans rien dire, un sourire aux lèvres.
- Arrêtons cette comédie et entrons chez vous, nous serons mieux pour discuter.
Il se rendit d?autorité vers la porte du pavillon, l?ouvrit et rentra suivi par madame Dumas, trop déstabilisée pour réagir.
Etrangement, malgré la situation grave dans laquelle il se trouvait, Pierre était très calme, et se sentait maitre de la situation. C?était sans doute dû au fait que
Jeanne Dumas, ne semblait pas particulièrement solide, et qu?il était persuadé qu?il aurait la possibilité de tirer d?elle les renseignements qu?il recherchait.
Jeanne était une jolie femme élégante, très féminine. Elle avait le regard doux des myopes, et dès l?abord, Pierre pensa qu?elle ne devait pas être au courant des méfaits commis pas Yves Dumas.
Résolument, après avoir pénétré dans le pavillon, Pierre s?était dirigé vers le salon, et s?approchant de la fenêtre de cette pièce, il constata immédiatement que de ce poste d?observation, on voyait parfaitement la porte d?entrée du pavillon de madame Monge ;
En se retournant vers madame Dumas, et tendant le bras vers la fenêtre, il lui dit :
- Très bien placé votre poste d?observation, pour voir les visites reçues par madame Monge. Vous n?avez pas répondu à ma question. Qui êtes-vous par rapport à Yves Dumas ?
- Je suis sa soeur.
- Et il vous a chargé de surveiller les visiteurs qui venaient chez madame Monge, et en particulier, vous avez je pense, pour mission, de lui signaler mon éventuelle visite chez madame Monge. Est-ce exact madame ?
- Ecoutez, monsieur, je ne comprends pas votre intrusion. Il s?agit d?une affaire banale. Mon frère m?a demandé un petit service, je le lui rends, c?est tout.
- Avez-vous eu le temps de lui signaler la visite que je viens de rendre à votre voisine ?
- Pas encore. Mais encore une fois, je ne comprends pas l?importance de votre brutale intervention.
- Vous pensez réellement qu?il s?agit une affaire anodine ?
- Mon frère m?a parlé en effet d?un petit problème de documents détenus pas madame Monge, et que vous tenteriez de reprendre, ce qui pourrait nuire à la bonne marche de sa société.
Voyant un dossier sous le bras de Pierre elle ajouta
- Je constate qu?il n?a pas menti et que vous détenez ces documents.
- Pas menti ? Votre frère ? Sachez qu?il est la cause de la mort de mon père, sans doute de monsieur Monge également, et qu?il a la pris la direction de l?usine qui devait me revenir.
- Je ne crois pas un mot de tout ce que vous venez de me dire. Je ne vous permets pas de jeter le discrédit sur mon frère qui est un homme irréprochable, même si ses résultats professionnels exceptionnels, suscitent des jalousies
- Je crois malheureusement que vous allez devoir changer d?opinion au sujet de votre frère. Nous allons étudier sereinement la question, voulez-vous ? Vous allez vous asseoir en face de moi. Je ne veux pas que vous communiquiez avec l?extérieur. Si le téléphone sonne, ne répondez pas. Je vais étudier ce dossier, et je vous prouverai certainement que ce que je vous ai dit est la pure réalité.
Ils s?assirent l?un et l?autre sur un siège, Pierre se mis à étudier le dossier, pendant que madame Dumas, pour se donner une contenance, avait pris un cahier de mots croisés, sans lire une seule définition ; On la sentait très perturbée, car ce jeune homme, lui avait paru sûr de lui lorsqu?il avait lancé ses accusations.
Un silence désagréable plana et dura de longues minutes. Désagréable pour elle surtout, car Pierre entièrement immergé dans le dossier, n?avait pas le temps de s?interroger sur ses états d?âme.
Après un quart d?heure, qui parut durer des siècles à mademoiselle DUMAS, Pierre lui tendit un document en lui disant que la seule lecture de ce document devrait l?éclairer sur la véritable ampleur de l?affaire.
Elle lut ce document. Il était écrit par Monsieur Monge peu avant son décès.
Je me félicite d?avoir voulu pousser mon enquête sur la mort de Marc Lorgnac.
Le témoignage de la petite Isabelle du Château constituait déjà une présomption sérieuse d?existence d?un crime et non d?un accident. Je suis parvenu à trouver un second témoin, qui n?avait pas voulu se faire connaitre au moment des faits, car il avait tout de suite compris que monsieur Lorgnac avait été assassiné, et que, le révéler mettrait sa vie en péril.
Lorsque j?ai retrouvé ce témoin Louis Delmont il était à l?hôpital. Il souffrait d?un cancer en phase terminale, et accepta de parler.
J?ai enregistré sa déposition sur un magnétophone que j?ai déposé dans la malle jaune de mon grenier. Voici ce qu?il m?a dit :
« La veille de la mort de monsieur Lorgnac, je faisais la sieste derrière la haie qui sépare les champs de Dubois et de Mercier.
J?ai été réveillé par un bruit de voix, de l?autre côté de la haie. J?ai su par la suite qu?il s?agissait d?une conversation entre monsieur Dumas, et l?un de ses employés Jacques Dubrun, l?un de ses chauffeurs.
Dumas disait : demain, tu chargeras à bloc, ton camion de sable fin. Tu iras voir Lorgnac pour lui dire que le mécanisme de bascule ne fonctionne pas et tu lui demanderas de venir y jeter un coup d??il. Tu lui diras que le blocage se situe sous le véhicule vers l?arrière. Tu monteras sur ton siège, pendant qu?il ira à l?arrière du camion. Lorsqu?il se sera engagé sous ton véhicule, tu actionneras la bascule, et tu ne pourras pas manquer ton coup. Aujourd?hui, je te donne 20.000 francs, et après demain, si tu as bien réalisé ton travail, je te convoquerai dans mon bureau pour une raison de service, et je te donnerai le solde, soit 30.000 francs. Nous sommes d?accord ? Comme Dubrun lui dit qu?il était d?accord, Dumas précisa qu?il ne devait parler à personne de leur petite affaire, même pas à sa femme, et Dubrun le tranquillisa sur ce point.
Le lendemain, par curiosité, je me suis débrouillé pour ne jamais être très loin de Dubrun, et quand je l?ai vu discuter avec Monsieur Lorgnac, j?ai su que la chose allait se faire. Je me suis caché derrière un platane, et j?ai vu que tout se déroulait selon les plans de monsieur Dumas. Je n?ai pas osé en parler, mais maintenant??
Mademoiselle Dumas, en terminant sa lecture, sanglotait et pleurait à chaudes larmes, en répétant : Ce n?est pas possible, ce n?est pas possible?..
Pierre lui laissa le temps de se remettre quelque peu, puis lui dit qu?il croyait en sa bonne foi, mais qu?elle devait écrire une témoignage précisant que son frère lui avait demandé d?épier la porte de madame Monge, pour noter tous ses visiteurs et en particulier Pierre Lorgnac dont des photographies lui avaient été données.
La pauvre femme faisait pitié à Pierre, mais il ne pouvait se payer le luxe de laisser ses sentiments prendre le pas sur la raison. Cependant, il ne la bouscula pas, et lui laissa le temps de réfléchir.
Elle finit par lui dire qu?elle s?engageait à ne pas prendre contact avec son frère, et bien entendu ne lui ferait pas connaitre, même indirectement, que Pierre était venu chez madame Monge. En revanche, elle ne pouvait donner un témoignage écrit, qui condamnerait son frère, sans avoir mûrement réfléchi.
Avant de repartir, Pierre lui accorda 2 jours et précisa qu?il reviendrait le surlendemain à 15 heures pour recueillir sa décision.
- Je vais vous laisser réfléchir, madame, car je crois à votre bonne foi, mais vous devez tenir compte, dans vos réflexions, que votre frère est à l?origine de la mort de plusieurs hommes, car en plus de mon père, je suis persuadé que le décès de monsieur Monge pourra lui être imputé, ainsi que celui de son complice, le chauffeur du camion benne, qui est mort, curieusement, peu après.
CHAPITRE 4
La chaleur était torride. Il n?était pourtant que 11 heures du matin. Il n?y avait pas un souffle d?air, et Pierre, allongé sur un transat sous l?érable, un verre de coca glacé à la main, ne parvenait pas à réfléchir sérieusement au problème qui le préoccupait.
Son beau père était un criminel. Il en avait l?intime conviction, et il pourrait assez facilement en apporter les preuves. Mais sa mère était mêlée à cette affaire. Il ne savait dans quelle mesure, mais il avait entendu Yves Dumas dire qu?il y avait des preuves contre elle. Comment faire accuser son beau père sans que sa mère ne soit atteinte. En tout état de cause, elle serait atteinte sur le plan sentimental, puisqu?il était évident qu?elle l?aimait. Mais, sur le plan juridique, qu?avait-elle fait ? Que risquait-elle.
Paradoxalement, c?est au moment où, complètement découragé, il avait décidé de ne plus penser à cette affaire pour l?instant, qu?il se leva, poussé par une force qu?il ne contrôlait pas, et il se rendit compte qu?il avait pris la décision d?aller attaquer le problème de front en allant voir sa mère.
Pour que la chaleur épargne un peu l?intérieur de la maison, tous les volets avaient été fermés, et madame Dumas se trouvait dans un fauteuil, occupée à lire un roman.
L?entrée de son fils lui fit lever la tête, et elle ne put ignorer qu?il était préoccupé.
- Que se passe-t-il mon fils ? Tu as les traits tirés, il me semble que tu as maigri, comment te sens-tu ?
- Je ne suis pas malade, mais il y a un gros, un énorme problème. J?ai la conviction que ton mari a tué mon père. Je peux le faire tomber. Mais avant de le faire, je veux savoir quel rôle tu as joué dans la disparition de papa. J?ai entendu une conversation que tu as eue avec Yves?
Pierre lui raconta alors toute la conversation surprise, entre Yves et sa mère.
Livide, sa mère laissa tomber le livre qu?elle avait en main, et elle se tassa au fond de son fauteuil. Elle fut prise d?un tremblement nerveux, et des larmes coulaient sur son visage décomposé.
- J?étais certaine que ce jour arriverait, où mon fils me demanderait des comptes.
- Ta crainte s?est réalisée. Tu n?as plus qu?à m?expliquer ce qui s?est passé. S?il te plait, maman, dis moi la vérité, car je te préviens, je sais déjà beaucoup de choses,.
- Ce que tu viens de me dire, signifie que si je mens, tu le sauras ? Sois sans crainte, je vais tout te dire. Je suis malheureuse car tu vas mal me juger, mais je suis soulagée de ne plus rien te cacher.
Après un moment de silence durant lequel elle rassemblait ses idées pour exposer les faits dans un ordre logique, elle reprit :
- Ton père et moi avons fait un véritable mariage d?amour. Tu ne l?as pas beaucoup connu, mais c?était un homme séduisant, intelligent, travailleur, et entreprenant. Nous avons vécu durant 9 ans un bonheur absolu.
Puis, ses affaires se développant rapidement, il a embauché Yves Dumas comme chef comptable. Tu venais d?avoir 5 ans ; lorsqu?un jour, c?était un samedi, ton père était, comme chaque semaine, sur le terrain de golf, Yves est venu à la maison, et nous avons discuté durant deux bonnes heures. Par la suite, il a pris l?habitude de venir tous les samedis après midi en l?absence de ton père. Nous nous appréciions mutuellement, mais je n?ai jamais trompé ton père, je te le jure.
Un samedi, Yves est venu avec deux documents. L?un était la photo d?une magnifique propriété, dont la valeur était de 4,5 millions de nouveaux francs. L?autre, était une lettre d?un notaire, adressée à Yves Dumas, dans laquelle il était dit que la liquidation de la succession de son oncle était liquidée, et qu?il allait recevoir sous quinzaine un chèque de 4,5 millions.
Yves me dit :
« C?est curieux cette concordance entre le prix de la maison de mes rêves, et le montant de l?héritage que je vais recevoir. C?est un signe du destin. Je vais acheter cette maison, mais j?ai un problème, et je vais vous en parler car vous êtes ma plus proche amie. Nous sommes deux candidats à l?achat de cette maison, et mercredi prochain, il faudrait que je puisse apporter les fonds, pour emporter le morceau »
Bref, Yves me demandait de lui fournir cet argent pour une très courte période, puisqu?il allait recevoir son héritage.
Yves savait, car je lui en avais parlé, que depuis le début de notre mariage, j?avais la signature sur tous les comptes, même ceux de la société. Ton père tenait absolument à ce que tous nos biens soient communs. Je n?avais jamais fait un chèque sur un compte de la société, mais théoriquement je pouvais faire le chèque demandé. Cependant, très gêné, je lui dis qu?il vaudrait mieux qu?il en parle à ton père.
C?est là que j?ai été ridiculement imprudente. Yves m?a dit qu?il préférait ne pas en parler à son patron, qui, le sachant possesseur d?une splendide maison pourrait se montrer un peu jaloux, et cela se ressentirait dans leurs rapports professionnels. Quand on raisonne froidement, cet argument parait être ce qu?il est effectivement, c'est-à-dire ridicule, mais j?étais déjà sous le charme de cette homme qui multipliait ses compliments à mon égard. Je suis d?ailleurs, je l?avoue, toujours attaché à lui.
Lorsque je lui ai donné mon accord, il m?a dit : Il s?agit d?une somme importante, il faut donc, dans votre intérêt qu?il y ait une trace. Par ailleurs, faites le chèque sans préciser le nom, je le mettrai au nom du vendeur directement.
Vous me transmettrez le chèque avec ce mot que vous taperez en double exemplaire pour que vous en gardiez un.
« Monsieur
Je vous transmets un chèque de 4 millions 500.000 francs, pour la réalisation de l?affaire. Bonne chance. »
J?ai fait ce qu?il me demandait.
Deux jours plus tard, ton père décédait dans son accident.
Après un moment de silence, c?est Pierre qui tira les conclusions.
- Donc, papa a été tué par le chauffeur de la benne. Il a été exécuté sur les ordres d?Yves, et c?est l?argent de papa, donné par ma mère, qui a servi à l?assassinat. De plus, l?argent n?a pas transité sur le compte d?Yves qui ne pourrait donc pas être poursuivi de ce chef.
En revanche, il détient un papier fort bien libellé, qui laisse penser que c?est toi qui est l?instigatrice de l?assassinat. Je veux bien croire que tu n?étais pas au courant de l?utilisation des fonds que tu avais donné à Yves, mais en fait, c?est toi qui a tué mon père, puis tu as épousé ton complice. Cela dépasse la notion de légèreté, maman. Je veux faire payer Yves, et je ne vois pas comment je pourrais éviter ta mise en cause.
Depuis le début de leur explication, Marthe Lorgnac était une femme accablée, défaite, pitoyable. Lorsque son fils fit le résumé de la situation, elle sembla reprendre ses facultés, et c?est d?une voix plus ferme qu?elle répondit.
- Je t?ai dit, Pierre, que j?aimais toujours Yves. C?est exact. Cependant, tu ne dois pas tenir compte de cet élément. A aucun moment, je n?ai voulu la mort de ton père. Les apparences sont contre moi, mais tu as tort de m?accuser, quoiqu? il soit vrai que sans moi, ton père serait sans doute encore en vie.
Oui, ton père doit être vengé. Je te comprends. Oui, Yves doit être puni pour le crime qu?il a commis. Dépose une plainte, mon fils. Je t?approuve entièrement. Ne cherche pas à me protéger. La légèreté dont j?ai été coupable est criminelle. J?accepte dès maintenant les conséquences de mon aveuglement sur la moralité d?Yves .Je souhaite qu?il soit puni, que tu prennes la direction de l?affaire créée par ton père, voilà les deux seuls points désormais importants pour moi.
Cela va te paraitre énorme, incroyable, mais c?est pourtant la vérité. C?est maintenant seulement, grâce à ton résumé, que je me rends parfaitement compte de la gravité de mes agissements. Aveuglée par mon attachement pour Yves, je ne voulais pas voir qu?il était un criminel, qu?il ne m?a jamais aimé, et que son seul but, était de prendre la direction de la société. Je n?ai été qu?un pion, idéalement malléable pour lui permettre de réaliser son désir.
En me faisant écrire un papier, il se croyait à l?abri. Redonne-moi une parcelle d?honneur, en te servant de ce papier pour l?abattre, même s?il me fait tomber aussi, ce sera juste.
Je n?ai pas été une bonne mère, mais si l?avenir m?en donne la possibilité, je me rachèterai en partie, je te le jure.
Pierre lui fit remarquer qu?avant de parler de l?avenir, il faudrait régler les problèmes présents. En premier lieu, il demanda à sa mère de prendre une position nette. Il croyait à son repentir actuel, mais comme elle aimait toujours Yves, il fallait qu?elle réfléchisse et prenne une position nette et définitive. La neutralité était impossible. Elle devait, après une sérieuse réflexion, car les conséquences pour elle seront importantes qu?elle se place, soit du côté de son mari, soit contre lui.
Elle confirma que sa réflexion était déjà faite, n?en changerait pas, et qu?elle condamnait Yves, évidemment, puisqu?il était avéré qu?il avait tué Marc Lorgnac. Du fait du papier qu?il lui avait fait écrire, son sort était lié au sien, mais elle assumait sa responsabilité.
Après avoir réfléchi, Pierre lui dit que son sort n?était pas forcément lié à celui d?Yves. Il suffisait de récupérer ce sacré papier, pour que la situation soit plus claire. Il suffisait, mais c?était nécessaire.
La mère et le fils décidèrent de réfléchir chacun de son côté et de reprendre le lendemain leur conversation.
Pierre alla voir la tante Rose, et lui raconta tout ce qu?il venait d?apprendre, ainsi que ce qu?il avait déjà entrepris.
La confession de sa mère, sa visite chez madame Monge ainsi que celle qu?il avait rendue à la s?ur d?Yves.
La tante Rose convint que maintenant, les choses étaient trop avancées pour pouvoir tout abandonner, et qu?il allait falloir agir le plus rapidement possible.
C?est dans la même soirée, que Pierre reçut un coup de téléphone d?Isabelle Duchateau.
Elle avait, elle-même, reçu un coup de fil d?Yves Dumas. Il s?était présenté et lui avait dit : « Ecoutez-moi bien, jeune fille. Si vous avez un contact quelconque avec mon beau fils Pierre, je le saurai, et vous aurez de graves, de très graves ennuis. Je parle très sérieusement. C?est mon premier et dernier avertissement ».
Outrée par cette injonction, et malgré les dangers que cela présentait pour elle, elle avait décidé de le prévenir, et se disait disposée, si c?était nécessaire, à témoigner sur ce qu?elle avait vu lors de l?assassinat de son père.
Les choses se précipitaient. C?était désormais une course contre la montre à laquelle se livraient Yves et Pierre. Il fallait que très rapidement, Yves soit mis hors d?état de nuire.
Pierre qui jusqu?alors avait eu plutôt tendance à hésiter, à tergiverser, trouva les ressources nécessaires pour prendre une décision immédiate, et alla rejoindre sa mère qui était dans la cuisine.
- Maman, lui dit-il, nous n?avons plus le droit d?attendre. Yves a téléphoné à Isabelle Duchateau, pour la menacer des pires ennuis, et l?on sait ce que cela veut dire dans sa bouche, si elle tentait de prendre en contact avec moi. Avec un remarquable courage, Isabelle m?a téléphoné pour me dire qu?elle était prête à témoigner contre lui si c?était nécessaire.
Elle est donc en danger, car je ne sais comment, Yves, est, ou va être au courant de ce coup de téléphone. Nous devons agir vite. Sais-tu où ton mari a pu cacher le papier, que tu avais signé en lui donnant l?argent ?
- C?est un monstre. Je te confirme que je n?ai pas besoin de réfléchir davantage pour être de ton côté.
Je puis te donner un renseignement. Il porte en permanence une chaine autour du cou, qui retient une petite clé. Je suis à peu près certaine que c?est elle qui ouvre un petit coffret dans lequel il doit conserver ses papiers les plus importants. Jamais, jamais, il ne se sépare de cette chaine et de cette clé. Maintenant, je ne vois pas comment nous pourrions entrer en possession de cette clé.
Pierre réfléchit un long moment, pendant que sa mère le regardait avec anxiété, puis il dit :
- Parfait. Voilà ce que nous allons faire. Il faut donc que durant le repas de ce soir, car le temps presse, tu fasses absorber par Yves un soporifique le plus puissant possible. Lorsqu?il sera profondément endormi, nous commencerons par l?attacher, nous prendrons cette petite clé et nous chercherons dans son bureau ce sacré coffret. Es-tu d?accord ?
A vrai dire, la mère de Pierre hésita longuement. Utiliser la méthode préconisée par son fils lui paraissait trop sévère. L?endormir à la rigueur, mais l?attacher?.C?était trop.
Pierre finit par la convaincre en lui disant qu?ils ignoraient combien de temps il leur faudrait pour trouver le coffret, et que si Yves se réveillait trop tôt, leurs vies, à tous, serait en jeu. Elle finit par se laisser convaincre, et partit voir dans sa pharmacie ce qu?elle pourrait trouver comme soporifique susceptible de se dissoudre dans du vin, puisqu?Yves était le seul à en boire durant les repas.
Dès 11 heures du soir, Yves dormait profondément, et Pierre, qui s?était procuré une longue corde solide, put le saucissonner dans son lit, sans qu?il s?éveille une seule seconde.
Pierre avait dans la main, la fameuse clé qui devait ouvrir le coffret où était sans doute rangé le mot écrit par sa mère, il y avait 14 ans. Encore fallait-il trouver ce coffret.
La mère et le fils allèrent dans le bureau d?Yves, et se mirent à fouiller les tiroirs du bureau, la bibliothèque, ainsi que tous les endroits où aurait pu se trouver un coffret. Ils ne trouvèrent rien, et Marthe commençait à s?affoler. Elle se demandait ce qui allait se passer quand Yves se réveillerait. Elle communiqua ses craintes à Pierre qui sentait la situation lui échapper.
Leurs recherches avaient fait suffisamment de bruit pour réveiller la tante Rose dont le sommeil était très léger. Etonnée de voir de la lumière dans le bureau d?Yves à une heure si tardive, elle entra et fut surprise de trouver sa belle s?ur et son neveu effondrés sur des fauteuils.
Elle se fit expliquer tout ce qui s?était passé, et son sang froid redonna le moral à la mère et au fils. Elle les félicita d?avoir eu la précaution de ligoter Yves.
« Il est en notre pouvoir, dit-elle. Nous n?avons qu?à attendre qu?il se réveille, et il faudra bien qu?il nous dise où se trouve ce fameux coffret. Je vois qu?il y a un coffre fort dans le mur, je suis certaine qu?il l?a mis dedans. Une double sécurité, cela ressemble tout à fait à ce fichu bonhomme. Ne vous inquiétez pas, il parlera. N?oubliez pas que c?est mon frère qu?il a tué, et s?il y a une possibilité de prouver la responsabilité de cet individu, je ne la laisserai pas échapper.
L?attitude déterminée, volontaire de sa tante Rose, fut une révélation pour Pierre, qui avait toujours pensé que sa chère tante était une personne d?une extrême gentillesse, mais une peu pusillanime, et sans grande personnalité. En tout état de cause, il était heureux de trouver cette alliée de poids, et ils allèrent se coucher, Marthe, à côté de son mari ligoté.
C?est en fin de matinée vers onze heures qu?Yves se réveilla. Ses cris attirèrent Marthe, la tante Rose et Pierre qui se reprocha tout haut de ne pas l?avoir bâillonné.
- Il n?est pas trop tard pour le faire, si nous le désirons dit la tante Rose qui prit la direction de l?interrogatoire.
Allons, Yves, nous arrivons à l?heure de vérité. Arrêtez de brailler ou nous allons vous mettre un bâillon. Vous allez nous dire immédiatement où se trouve le papier que vous avez fait écrire par votre femme en vous transmettant l?argent destiné, à l?achat d?une maison. C?est en tous cas, ce que vous lui avez laissé croire
Il faut dire, que tout réduit à l?impuissance qu?il était, Yves n?en était pas moins effrayant. Une rage folle l?habitait, il roulait des yeux comme un forcené et bavait en tirant de toutes sa puissance sur les liens qui le retenaient. L?impression de force qu?il dégageait faisait que Pierre à tout instant pensait que la corde allait céder. Là encore, c?est la tante Rose qui sauva la situation. Elle alla chercher deux verres d?eau dans la salle de bains contiguë, et les lui jeta à la figure. L?effet fut d?autant plus instantané qu?ayant la bouche ouverte, Yves s?étrangla avec l?eau projetée.
- Bien. Vous voilà plus calme. Dites-vous bien que vous ne pouvez attendre le secours de personne. Nous sommes tous ligués contre vous, et bien décidés à obtenir ce que nous voulons. Je suppose que le coffret, dont nous avons la clé, doit être dans votre coffre mural. Donnez- nous le code.
- Jamais !! Répondit Yves, après avoir repris son souffle. Vous faites une grave erreur en me séquestrant. J?ai de puissants amis, et vous n?avez qu?une faible idée de ce qui va vous arriver.
- Raison de plus pour que nous ne vous relâchions pas, avant d?avoir obtenu ce que nous désirons. Remarquez, les puissants amis, c?est parfait quand tout va bien, mais lorsqu?il s?agit de défendre un criminel, ne vous faites pas trop d?illusion, plus personne ne vous connaitra.
Alors prenez conscience de votre situation. Vous êtes en notre pouvoir. Nous vous laisserons en l?état, sans manger, sans boire, aussi longtemps que vous ne répondrez pas à nos questions.
- Il faut que j?aille aux toilettes !
- Pas question que vous bougiez d?ici. Faites sous vous, si vous ne pouvez pas faire autrement, c?est vous qui serez gêné, pas nous. Cela coutera un matelas ? La belle affaire !
Après un moment d?abattement, Yves s?en pris violemment à sa femme.
- Espèce de salope !! Tu m?as trahi !
C?est Rose qui lui répondit :
- Vous avez fait beaucoup mieux, vous avez tué son mari, mon frère, et sans doute d?autres, quand à ma belle-s?ur, pourquoi ne lui avez-vous jamais fait visiter la merveilleuse maison que vous avez acheté avec l?argent qu?elle vous avait prêté ? Vous savez, Yves, vous pouvez tourner les choses dans tous les sens, c?est toujours vous qui aurez le mauvais rôle. Le menteur, c?est vous, le criminel, c?est vous, alors inutile d?essayer de vous en prendre aux autres. Je vous pose une nouvelle fois la question : Quel est le numéro de votre coffre mural?
A la surprise des trois personnes présentes, Yves lâcha : 31416
La tante Rose éclata de rire.
- Vous avez choisi ce code, 3,1416 parce que vous faisiez des ?uvres pies sans doute? Ou est-ce que vous aimez les calculs ? Bon. Ne plaisantons plus. Pierre !! Va voir s?il ne s?est pas fichu de nous !
Dix minutes plus tard, Pierre revenait avec un petit coffret métallique, qu?il avait trouvé dans le coffre mural Il n?avait pas ouvert le petit coffret pour pouvoir le faire, devant sa mère et sa tante, avec la petite clé, sous les yeux furieux, injectés de sang d?Yves.
Il y avait une enveloppe sans indication, et divers papiers, au milieu desquels, Pierre trouva rapidement le mot écrit par sa mère. Il lui restitua ce papier en lui disant.
- Voilà maman. La preuve de ta complicité n?existe plus. Yves sera seul responsable de tout ce que nous savons déjà et de ce que nous allons découvrir.
A ce moment là, Pierre se sentit rempli d?une immense joie, et aussi, il faut bien le dire, d?un orgueil démesuré. Lui, encore un gamin, venait de faire mettre un genou à terre à un homme malfaisant, certes, mais puissant, et qui avait jusqu?alors gagné tous ses combats. La tante Rose avec son intelligence pénétrante, se rendit compte de ce que ressentait son neveu, et lui dit.
- C?est bien Pierre, mais ce n?est qu?une petite étape. Bien que ridiculement ligoté dans son lit, cet individu n?a pas encore été condamné légalement par les tribunaux. Attends la fin pour te réjouir pleinement.
Pierre se reprit, remercia sa tante d?un sourire, et se mit à trier les papiers se trouvant dans le coffret.
CHAPITRE 5
La plupart des papiers étaient des reconnaissances de dettes, au bénéfice d?Yves. Il s?agissait de personnes connues, occupant toutes des postes importants. C?était là, certainement, sa façon de « tenir » un tas de gens qui ne pouvaient rien lui refuser. Pierre avait l?explication des pouvoirs que possédait son beau père. Sa force était dans le chantage. Mais où trouvait-il cet argent pour prêter des sommes aussi considérables ?
Pierre eut à peine le temps de se poser la question, qu?il avait la réponse.
Cette réponse se trouvait dans l?enveloppe au milieu des papiers : Yves, se livrait au commerce de la drogue. Pierre trouva dans cette enveloppe, des fiches de deux couleurs, des roses et des bleues. Les roses concernaient les quantités et le prix global des achats de produits désignés par la seule initiale : H. Les fiches bleues, concernaient les prix de vente, des mêmes quantités du même produit H, qui, sur l?une des fiches était écrit en toutes lettres : Héroïne.
Les noms des clients, la plupart étant des notables connus, se trouvaient sur les fiches.
Il est évident que ce commerce d?héroïne était particulièrement fructueux pour Yves. Pierre constata que lorsqu? Yves achetait 100, il revendait 1200. Les premiers achats dataient de 7 ans, et la dernière fiche rose remontait à 1 mois. Il n?y avait pas encore la fiche bleue correspondante. Malheureusement, il n?y avait aucun nom, en ce qui concerne le ou les fournisseurs de la drogue. Là encore, il allait falloir tirer les renseignements d?Yves lui-même, qui sans doute, torturé par une envie d?aller aux toilettes, s?agitait sur son lit.
Pierre revint vers lui, pour obtenir des précisions, mais Yves, qui se tordait de douleur, implorait qu?on le laisse aller aux toilettes, après il répondrait aux questions.
Pierre s?y opposa estimant qu?une fois soulagé, il ne dirait plus rien. Là encore, ce fut la tante Rose qui intervint, marquant une fois encore son ascendant sur le petit groupe.
- Laissons-le aller, Pierre, à condition de prendre toutes nos précautions. Il faudra bien qu?il parle à un moment ou à un autre, car il ne pourra pas se soulager pour 3 ou 4 jours d?avance??
Cette menace que son calvaire pourrait durer encore très longtemps sapa visiblement le moral d?Yves.
La tante demanda à Pierre d?aller chercher un morceau de corde identique à celle qui avait servie à ligoter Yves, puis lui demanda de faire un n?ud coulant.
- Passe le n?ud coulant autour de son cou, et donne-moi l?autre bout de la corde. S?il veut tenter quelque chose, sois sans crainte, je tirerais, et je l?étranglerais sans hésitation. Maintenant dégage lui uniquement la main droite, et ligote à nouveau son bras gauche contre lui. Maintenant, tiens-le en laisse et emmène le aux toilettes.
Il est dommage que la situation soit aussi sérieuse, car les participants auraient pu éclater de rire en voyant cet étrange attelage d?un homme qui, les jambes entravées, avançait à petits pas, le plus rapidement possible, et était tenu en laisse par un collier passé autour du cou. Les deux femmes suivaient jusqu?à la porte des W.C, où Yves entra avec Pierre, pendant que les femmes s?écartaient. Le jeune homme prévint son beau père, qu?au moindre mouvement suspect, il l?étranglerait.
L?opération terminée, Yves venait de se relever, lorsqu?il se rua sur Pierre, pour, à la fois, rendre la corde plus lâche et se dégager du noeud coulant, tout en faisant tomber.
Sous le choc Pierre tomba en arrière, la porte s?ouvrit et comme il avait conservé solidement en main le bout de corde, le n?ud coulant se resserra. Un craquement sinistre indiqua la rupture de vertèbres et Yves tomba de tout son poids sur Pierre qui aidé par sa tante eut bien du mal à se dégager.
Yves était mort. Pierre pâle, les yeux agrandis par l?horreur était tétanisé, et Marthe pleurait en gémissant. Seule, la tante Rose garda son sang froid.
- Trainons le jusqu?à la chambre, mettons-le sur le lit et appelons la gendarmerie.
Lorsque les gendarmes arrivèrent, la tante Rose raconta scrupuleusement comment les choses s?étaient déroulées, et elle leur remit la cassette avec les papiers qu?elle contenait.
La seule petite entorse à la vérité que commit, par omission, la tante Rose fut qu?elle ne parla pas du mot écrit par Marthe, et elle expliqua qu?ils voulaient trouver dans un coffret, la preuve qu?Yves avait tué Marc Lorgnac, entre autres victimes sans doute.
Comme la culpabilité d?Yves n?était pas prouvée, et qu? il y avait mort d?homme, les gendarmes ne purent faire autrement que d?emmener Pierre pour le mettre en garde à vue.
C?est le seul moment où la tante Rose, qui s?était révélée une femme de fer, craqua et se mit à pleurer, tout en disant à son neveu qu?il ne devait pas trop s?inquiéter, car enfin, c?était Yves qui avait provoqué sa propre mort. En cette occasion, c?est Pierre qui se révéla le plus ferme, car sa mère, depuis le début du drame, n?avait cessé de gémir et de pleurer.
Dès que la garde à vue de Pierre fut connue dans le village, Isabelle Duchateau vint spontanément à la gendarmerie pour faire une déposition. Elle raconta ce qu?elle avait vu le jour du décès de Marc Lorgnac.
De son côté, la tante Rose ne resta pas inactive.
Elle se rendit d?abord chez la s?ur d?Yves qui sans trop de difficulté, témoigna par écrit que son frère lui avait demandé de surveiller les visites que recevait sa voisine madame Monge. Elle avait pour instruction de particulièrement vérifier si Pierre Lorgnac, dont plusieurs photos lui avaient été remises, était de ces visiteurs.
Après avoir recueilli ce témoignage, la tante Rose se rendit chez madame Monge. Elle l?informa de la mise en garde à vue de Pierre, et lui demanda de chercher dans une malle au grenier, l?enregistrement effectué par son mari, d?un témoin qui, en fin de vie, avait bien voulu témoigner, et rapporter les conversations qu?il avait entendues entre Yves Dumas et Maurice Lelong, le chauffeur.
Les deux femmes n?eurent aucune difficulté à trouver la cassette dans la malle désignée par monsieur Monge, cassette qu?elles écoutèrent et qui apportait la preuve irréfragable de l?assassinat de Marc Lorgnac par ces deux hommes, Yves ayant été l?instigateur.
La tante Rose apporta ces documents à la gendarmerie, non pas dans le but de faire condamner Yves Dumas, puisque, du fait de son décès il ne pouvait plus être poursuivi, l?action étant éteinte, mais pour prouver que dans toute cette malheureuse affaire, son neveu Pierre n?avait rien fait d?autre que de rechercher la vérité sur la mort de son père.
D?ailleurs, à l?expiration de sa garde à vue, Pierre fut remis en liberté. Bien sûr des poursuites allaient être engagées à son encontre, mais il était probable qu?il ne serait pas renvoyé devant la Cour d?Assises mais devant le tribunal correctionnel, avec comme chef d?accusation la séquestration d?Yves Dumas.
En définitive, si la responsabilité de Dumas dans l?assassinat de Marc Lorgnac ne faisait plus aucun doute, on ne sut et l?on ne saura sans doute jamais si Dumas a été la cause des décès de Monge et de Lelong.
Si les enquêteurs ne purent aller plus loin dans la recherche des éventuels assassinats, du fait, nous l?avons dit, du décès du présumé coupable, ils s?intéressèrent de très près au contraire à l?affaire de drogue.
Heureusement, ils possédaient les noms des clients et surtout les reconnaissances de dette de certains d?entre eux. Le mécanisme fut entièrement découvert.
Yves Dumas faisait partie de l?une des filières Colombiennes de la drogue.
Son territoire était tout le grand sud- est, c'est-à-dire qu?il fournissait en exclusivité la drogue, sur un territoire s?étendant de Lyon au Nord, de la rive gauche du Rhône à l?ouest, et jusqu?à la Côte d?azur incluse.
Pour pouvoir exercer un chantage sur certaines personnes influentes, dont il pourrait utiliser les services, il avait mis au point une méthode très simple.
Lorsqu?il remettait la marchandise à un chef de zone, il lui faisait signer une reconnaissance de dette.
Généralement, avant de procéder à la redistribution, les chefs de zone entreposaient la drogue en un lieu qui ne pouvait permettre de remonter jusqu?à eux. Yves, connaissait certains de ses cachettes. Il en avisait le service des narcotiques, la drogue était saisie, et le chef de zone ne pouvant vendre sa marchandises était dans l?impossibilité de rembourser Yves.
On apprit que le service régional connaissait un certain monsieur Z dont ils n?avaient pas la véritable identité, mais qui leur permettait de faire de fructueuses saisies. Ce monsieur Z n?était autre
qu? Yves Dumas.
Yves gagnait donc beaucoup d?argent. Mais c?était de l?argent sale, dont il pouvait difficilement prouver la provenance. Il fallait blanchir cet argent. Là encore, l?imagination fertile de notre escroc trouva un moyen très simple.
Puisqu?il dirigeait une société, Il créa des clients fictifs qui faisaient des commandes et c?est Yves qui payait ces commandes avec de l?argent sale. Comme par magie, en entrant dans la société, l?argent sale devenait propre. Yves Gagnait sur tous les tableaux. Il blanchissait l?argent sale, et d?autre part, il bénéficiait de la réputation d?un homme d?affaires avisé, puisque sa société, grâce à ces ventes fictives, mais aux rentrées d?argent bien réelles, augmentait chaque année son chiffre d?affaires dans des conditions extraordinaires.
Ces découvertes ont été faites par Pierre, qui, dès qu?il fut libéré de sa mise en garde à vue, vint dans la société pour se mettre au courant et faire le point de la situation. Le chef comptable qui était au courant des agissements du patron et en bénéficiait largement fut arrêté assez rapidement et passa aux aveux..
Heureusement, il y avait dans la société, un chef de service parfaitement intègre, qui, depuis plusieurs années travaillait dans la maison, et put aider Pierre à se mettre au courant.
Toute cette affaire que nous venons de relater, s?est déroulée dans une atmosphère glauque, assez déprimante, et nous ne voudrions pas terminer ce récit sans apporter la seule petite pointe rose de cette bien triste histoire.
Pierre fut donc traduit devant le tribunal correctionnel. Il ne pouvait espérer un acquittement, bien sûr, puisqu?il avait agi en marge de la loi en retenant Yves prisonnier, mais il put bénéficier de larges circonstances atténuantes, et fut condamné à 6 mois de prison avec sursis.
Il venait de sortir du tribunal, après avoir entendu la sentence, lorsqu?une jeune fille se précipita sur lui. C?était Isabelle du Château, et les témoins de la scène furent unanimes pour estimer que le long baiser échangé par les deux jeunes gens, n?avait rien à voir avec les baisers qu?échangent deux copains fille et garçon qui se rencontrent dans la rue
FIN