Ecriture-Lecture




VENGEANCE INFERNALE



VENGEANCE INFERNALE

Il y a 1 mois, j?étais un homme normal. Je veux dire que je n?étais ni meilleur ni pire que les autres. Aujourd?hui certes je suis encore lucide, j?ai encore la notion du bien et du mal, mais ce que j?appelais les vertus, les valeurs? n?ont plus aucune signification pour moi.
Le bien des autres était sacré. La vie des autres devait être respectée. Aujourd?hui, sans remord, sans culpabilisation, sans hésitation, je pourrais tuer et voler si je le jugeais nécessaire à ma survie.
Entendons nous bien. Je ne suis pas en train de dire que je tuerais par plaisir. Je ne suis pas devenu sadique. Mais si une chose en moi est devenue monstrueuse, je le sais, j?en ai conscience, c?est mon égocentrisme. La vie m?a été donnée, je le défendrai de toutes mes forces et aucun sentiment maintenant ne pourrait me retenir. Un paquet de vies humaines ne fait pas le poids en face de la mienne.
Mon mépris pour toute l?espèce humaine atteint des dimensions gigantesques.
J?ai été profondément malheureux. Je ne le suis plus. J?ai dépassé ce stade. Au point d?être insensible aux malheurs des autres qui me semblent n?être que de petits contretemps par rapport aux épreuves qui ont été les miennes.
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Parce que mon expérience est exceptionnelle, je vais la décrire. Oh, il ne s?agit pas pour moi de me constituer un dossier d?excuses. Etre excusé est bien le dernier de mes soucis. Etre excusé par des personnes que je méprise, la belle affaire !!
Non. Si j?écris, c?est pour mon fils, Denis. Le seul être pour lequel il me reste quelques uns de mes sentiments d?avant. Il a 1 an. Lui doit savoir ce que l?on a fait à son père. Lui, oui, en connaissance de cause, il aura le droit de me juger.
Il y a 1 mois je l?ai dit, j?étais un homme normal. J?étais chef de service dans une compagnie d?assurances ce qui à mon âge 28 ans, n?était pas mal. J?étais marié avec Maud dont le physique est plus qu?agréable, et l?intelligence vive. J?avais un fils de quelques mois. Nous vivions dans une aisance matérielle et une entente sereine.
Tout a commencé le 18 Mars dernier. Après avoir pris mon petit déjeuner avec Maud., au moment où j?allais partir au bureau elle me demanda de sa voix câline habituelle.
? À quelle heure rentres tu ce soir ?
? Quelle question !!! Comme d?habitude ma chérie, à 18 heures.
? Justement, je voulais te demander : Pourrais tu exceptionnellement rentrer un peu plus tard. Vers 19 heures par exemple ?
? Mais pourquoi ?
? Je t?en prie, ne pose pas de question ! Elle vint m?embrasser amoureusement. Le peux tu chéri ?
? Bien sûr, si cela doit te faire plaisir. Je rentrerai à 19 heures.
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3 ou 4 fois dans la journée, je me suis demandé pour quelle raison, Maud me demandait de rentrer plus tard ce soir. Mais cela ne me troublait pas outre mesure. Sans doute une surprise qu?elle voulait me faire.
Je restais donc à travailler à mon bureau un peu plus tard qu?habituellement, et calculais mon départ du siège, pour être chez moi à 19 heures.
Mon appartement est au troisième étage. Je sortais ma clé pour ouvrir la porte d?entrée, lorsque je m?aperçus que la porte n?était pas fermée.
Le hall d?entrée était vide. Le fauteuil et les porte-manteaux avaient disparus. Le grand placard avait les portes ouvertes. Il était absolument vide. En courant, je parcourus tout l?appartement. Il ne restait rien. Plus un seul meuble, pas le moindre bibelot. Le sol jonché de paille disait que des déménageurs étaient venus, et avaient fait leur travail vite et bien.
Mon sentiment dominant était l?incompréhension. Je n?étais ni triste ni furieux. Je ne comprenais pas.
Je vis soudain que sur le parquet, à partir de la porte d?entrée, un trait à la craie avait été tracé, avec de temps en temps une flèche pour marquer la direction. Je suivis cette flèche qui aboutit à la porte de ma chambre, et se continua sur la porte elle-même jusqu?à la hauteur d?une enveloppe qui avait été fixée avec un morceau de papier collant.
Ce n?est qu?à ce moment-là que je réalisais qu?il s?agissait de quelque chose de très grave pour moi, et je me mis à trembler de tout le corps. J?ai eu un mal fou pour décacheter l?enveloppe et en extraire la lettre.
Elle était brève.
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Tu es malheureux. Demain ce sera pire. Après demain encore pire.
P.S. Ce soir, tu peux coucher ici. Le bail n?a été résilié qu?à partir de demain
C?était tellement énorme, que j?oscillais entre abattement et rire. C?était sans doute une plaisanterie. Mais, tout déménager pour une simple plaisanterie, c?était difficile à croire. J?ai mis plusieurs minutes pour admettre que tout cela était vrai. Ma femme était partie, avec tous les meubles, toutes mes affaires, et je me retrouvais avec les seuls vêtements sur moi. Près de la porte d?entrée, par terre, il me restait ma sacoche. Elle avait son poids normal. Je l?ouvris cependant. Hébété, je sortis des feuilles de papier des briquets qui étaient là pour faire le poids. Plus de portefeuille, plus de papiers. Il ne restait que mon chéquier et ma carte de crédit.

Dans ce naufrage total, je me raccrochais à ce qui me restait. J?avais au moins de l?argent. Bien sûr, il n?était pas question de dormir là, et sortant de l?appartement comme un somnambule, mon crâne ne contenait qu?une idée : Aller à l?hôtel. Me réfugier dans une chambre, et après, je ne savais pas.
Je passais la nuit, allongé sur le lit de la chambre d?hôtel, sans m?être déshabillé. Je n?avais pas dormi une seconde. Le jour se levait. Il fallait que j?en fasse autant et que j?aille travailler. La vie devait continuer.
Après une rapide toilette, il me semblait que mon cerveau se remettait lentement à fonctionner. Après tout, une femme qui quitte son mari, c?est banal. Bien sûr, une femme qui part avec tous les meubles, qui vole tous les papiers de son mari, c?est déjà plus rare.
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Mais bizarrement, ce qui me faisait encore plus mal, c?est que je n?avais rien vu venir. J?aurais juré que nous étions parfaitement heureux. Le matin, quand je suis parti au bureau, Maud était normale, et même peut être encore plus affectueuse que d?habitude. Pourtant il ne s?agissait pas d?un coup de tête. Elle préparait son coup depuis longtemps. Il avait fallu résilier le contrat de location, préparer le déménagement, cela ne s?improvise pas. Comment avait elle pu se montrer aussi amoureuse pendant cette préparation. Et Pourquoi ? Oui, pourquoi ? C?était à devenir fou.
J?arrivais à ma société. Mon bureau étant au premier, je pris comme toujours l?escalier.
Arrivé devant la porte de mon bureau ou normalement une plaque indiquait :
PAUL DEMANGE CHEF DU SERVICE PRODUCTION
Il y avait une autre plaque
ARCHIVES
Je me reculais pour avoir une vue d?ensemble sur le couloir. Non. Je ne me trompais pas de porte. J?étais bien devant mon bureau. Je poussais la porte, et me trouvais en effet dans une pièce garnie de casiers remplis de dossiers. Un archiviste travaillait et ne leva même pas la tête à mon entrée.
J?avais la tête qui tournait. C?était un cauchemar, j?allais sans doute me réveiller. Je suis resté sans doute plusieurs minutes dans le couloir, immobile, incapable de penser de bouger.
Ma secrétaire passa à côté de moi. Et machinalement je lui dis :
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? Bonjour Annie !
Elle ne répondit pas, et continua sa route comme si j?étais invisible.
Je sentis alors une rage m?envahir. Je courus vers elle la pris par le bras.
? Que se passe-t-il, Annie ? je vous ai dit bonjour, vous pourriez me répondre ?
Elle secoua mon bras pour se dégager
? Laissez moi, Monsieur? Je ne peux pas.
Et elle partit en courant.
J?étais toujours en rage, avec un énorme besoin de savoir et de comprendre.
Je me précipitais chez mon collègue le chef des encaissements. Je frappais à sa porte et entrais aussitôt. Dès qu?il me vit, il se leva et me dit, en tendant le bras vers la porte.
? Sortez, Monsieur, sortez ! Je ne vous ai pas autorisé à entrer, Sortez !
Il avait les yeux exorbités, il semblait crever de peur et répéta une fois encore
? Sortez !!!
Je me retrouvais une nouvelle fois dans le couloir. Mon cerveau fonctionnait toujours au ralenti. Ma rage était tombée. Une petite lueur se fit jour dans ma tête. Il fallait que j?aille voir Bernard le chef du contentieux. Nous étions amis. Plusieurs fois Maud et moi l?avions invité avec sa femme, et nous avions dîné chez eux à de nombreuses reprises.
Arrivé devant la porte de son bureau, je m?arrêtais un instant pour respirer profondément. C?est comme si je sentais confusément que c?était ma dernière chance pour comprendre, et qu?il ne fallait pas la gâcher.
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Je frappais, et après avoir entendu : Entrez, je pénétrais dans le bureau de Bernard.
Dès qu?il me vit, il se précipita sur moi.
? Je t?attendais. Ecoute-moi 1 minute et quand j?aurai fini, pars aussitôt. Pour toi, je risque ma place.
Ta femme est la maîtresse du P.D.G. Ils ont tout monté ensemble. Ici, tu n?es rien. Tu n?es pas connu. Plus de trace de toi ni au service du personnel ni ailleurs. Nous avons tous été prévenus que si nous parlions avec toi, d?une façon ou d?une autre nous serions mis à la porte. Maintenant, je t?en supplie, pars tout de suite.
En prononçant ces derniers mots, il me poussait vers la porte et je me retrouvais une fois de plus dans le couloir.
Je sus alors que je ne pourrais plus tomber plus bas. J?étais au fond d?un trou noir ou le pire ne signifie plus rien.
Je sortis de la Société, et marchant comme un automate je me retrouvais dans un petit jardin public où il m?arrivait de venir après le déjeuner, avant de reprendre le travail.
L?habitude me guida vers un banc où je venais souvent m?asseoir, et je m?y suis laissé tomber.
Ma femme, maîtresse du Président Directeur Général ? Dans d?autres circonstances cela aurait du me faire rire. Elle a 25 ans, il en a plus de soixante, mais, bon, ça à la rigueur ! Mais pourquoi, pourquoi cette méchanceté diabolique ? Qu?avais je fait pour mériter cette punition inhumaine ? Je ne suis pas un saint, c?est vrai, mais je n?ai jamais trompé ma femme, je pense avoir été un bon mari, notre entente physique était évidente, je pense avoir été plein
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d?attentions pour elle. Alors pourquoi, pourquoi ? Pourquoi ?
Je n?avais pas le plus petit début de commencement de réponse.
Je n?avais plus rien. Plus de femme, plus de fils, plus d?appartement, plus de situation, plus de papiers? Elle avait tout de même eu la grandeur d?âme de me laisser mon chéquier et ma carte de crédit. C?est tout. Même plus une brosse à dent. Et tout à coup, cette nécessité d?avoir une brosse à dents devint une priorité absolue. Il me fallait une brosse à dents. Je décidais d?aller tirer de l?argent, de faire deux ou trois achats et d?aller m?enfermer dans ma chambre d?hôtel.
Au moins, je venais de me donner un but.
Je connaissais un distributeur de billets pas très loin. Je m?y rendis lentement, j?avais les jambes en coton, et j?eus un instant de frayeur : impossible de me souvenir de mon code. Je restais plusieurs minutes devant le distributeur, la tête vide, et incapable de faire un effort de mémoire.
Une dame qui voulait tirer de l?argent, me demanda si elle pouvait le faire avant moi, puis comme elle vit mon air hagard, elle me demanda si ça allait. Je lui répondis machinalement oui, et cela débloqua sans doute une partie de mon cerveau dans laquelle se trouvait mon code secret.
Lorsque la dame eut terminé son opération, je vins devant l?appareil et tapais un retrait de 200 euros.
Au lieu de voir sortir les billets, la machine me dit que je ne pouvais tirer 200 euros, mon compte étant insuffisamment approvisionné.
Je demandais alors 100 euros. Même réponse.
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Je descendis alors à 50 euros. C?était presque un jeu. Je voulais savoir jusqu?où cela irait. La machine me délivra les 50 euros. Je les pris et devant ce nouveau coup, je récupérais curieusement un peu de force. Je résolus d?aller à mon agence bancaire, dont je connaissais bien le Directeur.
Il me reçut immédiatement. Je lui demandais où en étaient mes deux comptes, mon compte courant et mon livret.
Il tapa rapidement sur son ordinateur et me répondit
? Sur votre compte courant, vous l?avez presque vidé hier, et un petit retrait de 50 euros vient d?être fait, il vous reste 22 euros 40. Quand à votre Livret, il a aussi été pratiquement vidé hier, et il vous reste 35 euros 70. Vous avez l?intention de nous quitter, Monsieur Demange ?
Je lui racontais alors que ma femme était partie et que c?est elle qui avait vidé nos comptes communs.
Le Directeur fut extrêmement gentil avec moi. Il compatissait, il me comprenait, il me plaignait, mais il ne fallait pas que je me décourage. Ce genre d?accident était beaucoup plus courant que les gens ne le pensent. Il s?évertua à me remonter le moral, sans grand succès d?ailleurs.
Il ajouta : Actuellement vous touchez le fond, mais vous allez remonter. Je puis si vous le désirez vous accorder un prêt. Vous avez une excellente situation et vous allez vite vous rétablir.
Je lui racontais alors que ma situation était perdue, et au fur et à mesure que je lui expliquais toutes les misères que me faisait le PDG de ma boite, je vis que mon interlocuteur, tout à l?heure amical, devenait de
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plus en plus froid. Un cocu, ça va. Mais s?il est sans domicile fixe, sans argent, et sans situation, il ne présentait plus grand intérêt pour une banque.
J?avais encore assez de lucidité pour me rendre compte de son changement d?attitude, et je pris rapidement congé.
Voilà ! J?étais fini. Pourtant pas une seconde l?idée de me suicider ne m?est venue à l?esprit. Sans doute parce que rien ne pouvait plus me venir à l?esprit. Lui aussi était fini. Il ne fonctionnait plus.
Machinalement je revins dans mon jardin public, sur le même banc.
Quand je l?avais quitté tout à l?heure, j?estimais être au fond du trou. C?était faux. Il y avait encore un étage en dessous. Mais cela ne changeait pas beaucoup. Il y a une limite aux douleurs physiques ou morales après lesquelles il ne peut y avoir d?aggravation.
Je ne sais combien de temps je suis resté sur mon banc. C?est la sensation de faim qui me fit reprendre partiellement pied dans la vie. J?avais 50 euros, une fortune pour apaiser ma faim. En revanche, il n?était pas question de retourner à l?hôtel, sous peine d?être poursuivi, pour chèque sans provision ou grivèlerie, au choix
J?allais acheter un morceau de pain et une petite bouteille de bière, puis je me dis que peut être, Maud, avait elle oublié de me priver de ma voiture. Ce serait un petit chez moi pour la nuit.
Nous mettions toujours la clé du garage derrière un moellon devenu amovible par la brisure du ciment. La clé était là. La première bonne nouvelle depuis? le début des temps.
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J?ouvris le portail. Le garage était vide. Maud n?avait pas oublié la voiture. En revanche, elle avait laissé une vieille salopette que je mettais pour bricoler et une couverture sale, mais dont je savais que je me contenterais pour cette nuit.
Après avoir mangé mon pain et bu ma bière, j?enlevais mon complet pour avoir encore quelque chose de décent le lendemain, je mis ma vieille salopette et m?étendis pour dormir.
La nuit précédente, à l?hôtel, dans un bon lit, je n?avais pas fermé l?oeil. Cette nuit là, couché sur le ciment, je m?endormis aussitôt et il faisait grand jour quand je me suis réveillé.
J?étais courbatu de partout. En revanche, et j?en étais surpris, j?avais l?esprit assez clair, et le moral moins mauvais qu?il aurait du être compte tenu de ma situation. Le sommeil a des vertus régénérantes.
J?entrepris de faire le point ce qu?à aucun moment, la veille je n?aurais pu faire.
J?étais sans domicile fixe, je n?avais pas de situation, je n?avais même pas de papiers. Au fond, je n?existais plus : J?étais civilement mort. Pouvais je ressusciter ? J?avais la force de me poser la question, je n?avais pas celle d?y répondre.
Une question était là, lancinante : Pourquoi ? Pourquoi, moi ? Qu?ai-je fait pour mériter ça ?
Je remis mon complet. Je me sentais sale. Ma barbe de 48 heures devait me donner déjà un air peu engageant. Je remis la clé du garage à son emplacement habituel, et je repartis vers mon jardin public.
J?étais sur mon banc depuis certainement pas mal de temps, inerte physiquement et l?esprit vide,
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lorsqu?une pensée me vint à l?esprit. Une pensée simple que j?aurais du avoir depuis longtemps mais qui ne s?était pas présentée une demi-seconde pour une raison toute simple. Mon orgueil lui faisait obstacle.
Je pouvais avoir gîte, couvert, entretien, réconfort auprès de mes parents. Mais arriver, comme un clochard, sans domicile sans femme ; sans enfant, sans situation, sans argent, sans vêtement, en un mot, pratiquement comme ma mère m?avait mis au monde, tout nu et sans rien, cela non je ne le pouvais pas.
Mais malgré ma honte de me présenter ainsi devant eux, n?ayant plus d?autre choix, je me décidais de faire ce chemin de croix jusque chez mes parents.
Je quittais donc mon banc, et j?avais parcouru une dizaine de mètre, lorsqu?un gamin vint vers moi, et me demanda :
? Vous êtes Monsieur Demange ?
Et sur mon signe de tête affirmatif, il me dit : C?est pour vous.
Il me remit une lettre et s?enfuit en courant?
Il n?y avait rien d?écrit sur l?enveloppe, et je tournais et retournais cette lettre dans tous les sens, sans oser l?ouvrir. Qu?allait elle encore m?apprendre comme catastrophe. À plusieurs reprises durant ces deux jours, j?avais pensé qu?il ne pouvait plus rien m?arriver, et l?esprit fécond de ma femme avait encore trouvé autre chose pour m?enfoncer d?avantage.
Je finis par décacheter l?enveloppe et dépliais doucement la lettre, tout doucement, un peu comme ces joueurs de poker qui soulèvent très lentement la carte qui vient de leur être distribuée et dont va dépendre leur fortune ou leur ruine.
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La lettre était de Maud. Et contrairement au premier mot laconique collé sur la porte de la chambre, elle était assez longue.
J?allais sans doute avoir la réponse à ma lancinante question : Pourquoi ?
Je revins sur mon banc pour lire cette longue lettre.
Au moment où j?écris cette lettre, je me sens bien. Je suis heureuse. Chacun son tour. Te donner le change a été pour moi une épreuve que je croyais au dessus de mes forces, mais la haine est venue à mon aide, et je crois que tu ne t?es rendu compte de rien. Je suis fière de moi.
J?ai suivi pas à pas ton calvaire. Je sais que la première nuit, tu es allé à l?hôtel. Tu ne savais pas encore que tu étais incapable de faire un chèque provisionné.
Avec Jacques (ton patron) nous avons suivi tes errances dans la société, ton étonnement quand dans ton bureau tu as trouvé une salle d?archives ça, c?était une idée de Jacques) Nous avons bien aimé ta tentative d?aller voir ton collègue des encaissements et sa frousse d?être vu avec toi. J?ai été heureuse de voir ta propre secrétaire (c?est d?elle dont je me méfiais le plus) refuser de te parler.
Il n?y a que ton ami Bernard qui nous a un peu déçu, mais je pense que Jacques saura lui faire payer sa trahison.
Je sais que tu es allé coucher dans le garage. Tu avais du penser que j?avais oublié d?enlever la voiture. Non. Tout avait été bien préparé. Je n?avais rien oublié.
Et puis ta station devant le distributeur de billets ? Encore un bon moment pour moi, et puis l?ultime
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coup, la mise à mort, quand tu es allé voir le Directeur de l?agence bancaire. Tu n?étais plus persona grata à la sortie, hein ?
Dans le trou où je t?avais enfoncé, tu n?avais pas vu une seule possibilité de t?en sortir. Mais je craignais qu?à la longue, malgré ton foutu orgueil, tu aurais pensé à tes parents. Je ne veux pas courir ce risque. C?est la raison de cette lettre.
Tu vas avoir la réponse à ta question : Pourquoi ?
Il y a 7 ans, mon père était chef comptable dans une entreprise de Travaux publics. Il gagnait honorablement sa vie et poursuivait une vie de probité, de conscience professionnelle.
Il fit la connaissance au cours d?un symposium d?un homme qui sembla s?attacher beaucoup à lui.
Ils finirent par devenir de véritables amis.
L?homme un jour dit à mon père :
? Si en 24 heures, sans courir absolument aucun risque, nous pouvons gagner chacun 200.000 euros, qu?en dirais tu ?
Mon père répondit :
? Je te dirais que cette affaire n?est pas claire. On ne gagne pas 200.000 euros en 24 heures sans qu?il y ait une entourloupette quelque part.
? Hé bien mon vieux, tu te trompes. Ecoute moi, et toi, qui es comptable, fais le calcul.
Tu sais que le prix du sucre flambe. Or, moi, je peux avoir au Brésil 800 tonnes de sucre à 1 euros tout rond le kilo
? Sans taxes ?
? Le problème des taxes, j?en ai fait mon affaire. C?est réglé. Nous avons 800 tonnes à 1 euros le kilo.
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Par ailleurs, pour ces 800 tonnes j?ai un acheteur très intéressé par un prix hors concurrence de 1 euros 50 le kilo. Et l?affaire se fait dans la journée. Nous achetons le matin, nous vendons le soir. C?est du tout cuit et sans risque. Tu me procures par un jeu d?écriture 800.000 euros, le soir nous encaissons 1.200.000 euros. Tu remets en caisse 800.000 euros et nous avons chacun 200.000 euros. C?est simple !
? C?est peut être simple, mais je fais un faux en écriture.
? Ecoute moi bien. Mettons les choses au plus mal. Tu entends ? Au plus mal !
On s?aperçoit immédiatement (c?est pratiquement impossible) qu?il manque 800.000 euros dans ta caisse ; je me demande comment, mais je te l?ai dit, mettons les choses au pire. Que fait on ? On va te demander de reprendre tous tes comptes. Or avant que tu aies terminé tes vérifications,, les 800.000 seront rentrés, et revenus à leur place.
? Et la douane ?
? La douane je te l?ai dit, j?en ai fais mon affaire. Mais pour te rassurer, prenons encore la pire situation. Nous sommes obligés de verser des droits de douanes, et au lieu de gagner chacun 200.000 euros chacun, nous n?en gagnons que 150 ou 175.000. Cela ne se passera pas comme ça, mais si cela était, ça vaudrait encore le coup non ?
Mon père est resté trois nuits sans dormir, puis, à son tour persuadé qu?il n?y avait pas de risque il accepta.
L?opération s?effectua un Mardi. Mardi matin, mon père donna 800.000 euros à son ami, mais le soir, l?ami a disparu.
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Mon père a été mis à la porte. Il est passé en correctionnelle, a fait de la prison ferme. Le lendemain de sa libération ; il s?est suicidé. Ma mère folle de douleur a été internée et elle est restée des années amnésiques. Il y a 6 mois, elle a commencé à récupérer ses souvenirs, et m?a raconté toute cette histoire. Cet homme qui a tué mon père, car il s?est suicidé à cause de lui, et qui a rendu ma mère folle, c?est ton père. Je le hais, et toi par procuration
Dès que je l?ai su, je n?ai eu plus qu?un idée en tête : me venger sur son fils puisque je t?avais là, sous la main. J?ai préparé minutieusement mon plan. Je suis devenue la maîtresse de ton patron, et nous avons monté notre petite affaire
Maintenant tu sais pourquoi tu es un homme foutu, et tu ne t?en sortiras pas.
Je suis heureuse
Quel raffinement, quel sadisme chez cette femme. Comme elle a su tout le long de mon calvaire instiller en moi des causes de désespoir.
Pas une seconde je n?ai mis en doute ce qu?elle me rapportait au sujet de mon père, avec lequel je n?avais jamais eu d?atomes crochus.
Ce nouveau coup de barre ne pouvait pas m?affecter d?avantage, au point où j?en étais. Mais Maud venait, juste au bon moment me fermer la dernière petite voie, non pas de salut, mais de rémission à laquelle j?avais pensée ;
Je quittais mon banc et partis marcher à travers la ville. Les jambes fonctionnaient mécaniquement, mais je pense que je ne devais pas être loin de l?encéphalogramme plat.
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À un moment donné, je m?assis sur une murette surmontée d?un grillage, qui entourait une propriété, et je restais un moment, les yeux ouverts mais ne regardant rien, lorsque j?entendis un bref aboiement dans la cour de la maison.
Je me rendis compte que cette maison cossue, possédait un très grand jardin qui fut sans doute magnifique mais qui était maintenant à l?abandon.
« Si j?allais proposer mes services comme jardinier » dis-je tout haut. Et sans prendre la peine de réfléchir au pour et au contre, j?allais à l?entrée tirer la sonnette.
C?est une dame d?un certain âge qui vint derrière le portail.
Je mobilisais toutes mes forces restantes pour essayer d?inspirer confiance.
? Tout d?abord, Madame, je vous demande de ne pas tenir compte de ma présentation, de mon complet fripé et de ma barbe de trois jours. Je traverse un période effroyable, que je vous raconterai si vous le désirez.
Tel que vous me voyez, je ne suis plus rien. Ma femme est partie avec mon fils et tous les meubles, après avoir résilié notre contrat de location. Elle m?a volé mes papiers. Son amant est le PDG de la société où j?étais chef de service. Il m?a fait rayer du personnel. C?est comme si je n?avais jamais travaillé.
En voyant votre jardin un peu en friche, j?ai pensé que peut être, vous pourriez me donner un peu de travail. Oh, je ne demande pas d?argent pour l?instant. Il faut que je trouve un endroit pour coucher, de quoi manger, et il faut que je reconstitue mon état civil.
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J?avais parlé les yeux baissés, pas encore habitué à ma nouvelle condition. Comme elle ne répondait pas, je levais les yeux et la vis. Elle était très émue, et je sentis qu?elle me croyait ;
? Madame, vous êtes le premier être humain que je rencontre depuis le début de ma tourmente.
? Entrez me dit elle..
Elle me fit entrer dans une spacieuse maison mais dont l?ameublement était assez spartiate.
? J?ai beaucoup de difficultés pour entretenir cette grande maison, mais quand je compare mes difficultés aux vôtres, je me sens richissime.
Je vais vous faire voir votre chambre. La salle de bains est en face. Je vais essayer de vous trouver un rasoir. Reposez-vous. Nous dînons à 19 heures et nous parlerons demain matin du travail que vous pourriez faire dans le jardin. En premier lieu, reposez vous. À tout à l?heure, pour le repas.
Je pris la plus merveilleuse douche de ma vie. Le repas fut très vite expédié, et je dormis 13 heures d?une seule traite.
En me levant, après une autre douche, je constatais que mon cerveau se remettait à fonctionner normalement.
Mon hôtesse Jeanne Barthet m?attendait dans son salon en lisant. Sans lui laisser le temps de me poser la question, je lui dis
? Madame, grâce à vous, après des journées infernales je suis au paradis. Je suis lucide. Je sais combien ma situation est difficile, mais je sais que je vais me reconstruire. S?il vous plait, dîtes moi ce que je peux faire pour vous. Vous ne saurez jamais ce que vous avez fait pour moi.
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? Hé bien jeune homme? Au fait comment vous appelez vous ?
? C?est vrai, veuillez m?excuser. Paul Demange.
? Hé bien Paul, je crois vous l?avoir dit, j?ai des moyens limités. Je ne peux pas vous donner un travail rétribué. Voici ce que je vous propose.
Vous travaillez le matin dans le jardin. L?après-midi vous êtes entièrement libre. Je vous offre le gîte et le couvert, et je vous donnerai un peu d?argent de poche pour vos petites dépenses. Qu?en pensez vous ?
? J?espère pouvoir un jour, madame vous exprimer ma reconnaissance
? Si cela ne vous est pas trop pénible, j?aimerais vous entendre me raconter tout votre drame.
Je le fis en essayant de ne pas être grandiloquent, ce qui n?était pas facile tant les épreuves que je venais de traverser étaient elles mêmes démesurées.
Lorsque j?eus terminé mon récit, elle me dit.
? Je mentirais en prétendant qu?il n?y avait aucune curiosité de ma part à vous demander le récit de votre extravagante aventure, mais il y avait une autre raison.
J?ai un neveu qui travaille dans une maison d?édition, à un poste je crois très important.
Il me semble que votre odyssée pourrait faire l?objet d?un livre.
Si vous êtes d?accord, j?inviterai mon neveu pour Dimanche prochain, et vous pourriez discuter.
Il me semble que si vous vous faisiez éditer, cela vous procurerait un petit pécule qui vous permettrait d?attendre la bonne occasion pour reprendre votre envol.
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J?acceptais évidemment. Les jours suivants, je travaillais dans la matinée, pour remettre en forme le jardin qui avait été magnifique, et l?après-midi, je la passais à « me reconstruire ». C?est-à-dire que je me suis procuré un extrait d?acte de naissance, un extrait de casier judiciaire, je me suis fais faire une carte d?identité, j?ai retrouvé mon numéro de Sécurité Sociale, et enfin, après bien des difficultés j?ai pu obtenir un duplicata de mon permis de conduire. Je renaissais. Je n?étais plus civilement mort.
L?entrevue avec le neveu de Jeanne se passa au mieux. Après avoir entendu le récit de mes mésaventures, il me dit.
? Si vous le voulez, nous allons signer un contrat d?édition avec exclusivité. Vous ne devrez faire aucune déclaration à la presse ou ailleurs sans notre autorisation. Nous allons mettre un collaborateur à votre disposition pour la rédaction de votre livre. Il faudrait que le bon à tirer soit prêt d?ici 3 mois au maximum. Nous vous accorderions une avance de 10.000 euros sur vos droits d?auteur.
Comme je donnais mon accord complet sur cette proposition, il ajouta.
Nous aimerions que dans votre livre, vous mettiez le nom des personnes avec lesquelles vous avez eu maille à partir.
Ce à quoi je lui répondis
? Si je n?avais pas pu citer nommément les personnes, cela ne m?aurait pas intéressé.
? Vous désirez vous venger ?
? Monsieur, si vous aviez vécu ce que j?ai vécu, vous ne me poseriez pas cette question.
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Il en a convenu et nous avons signé un contrat qui prévoyait qu?une avance de 10.000 euros me serait versée lorsque les 50 premières pages seraient écrites et fournies à l?Editeur.
Ce que je viens d?écrire, me servira de pense bête pour écrire mon livre. Je dis mon livre, car je tiens à l?écrire seul. Je n?ai pas discuté lorsque l?éditeur m?a imposé un « « nègre » à mes cotés, mais je suis bien décidé à ne pas le laisser écrire à ma place. Il corrigera mes fautes, oui, ça, d?accord, mais mon livre sera écrit par moi, car c?est mon histoire, mon infernale histoire.
Ecrit le 3 Avril
14 Juillet
Je viens de retrouver ce récit.
Nous sommes le 14 Juillet. Que de choses se sont passées en un peu plus de 3 mois !!
Cette relation des évènements dramatiques de ma vie, je l?avais écrite alors que je venais d?arriver chez Jeanne. Elle m?a servi à écrire mon livre.
Mon livre est sorti il y a 8 jours. Dans mon écrit ci dessus, je disais que je tenais à l?écrire moi-même, et seul.
En fait j?ai été heureux d?avoir l?aide du collaborateur de l?éditeur. Henri est d?ailleurs devenu un ami. C?est un vrai professionnel, et grâce à lui de nombreuses difficultés ont été aplanies.
Les faits que je retraçais étaient si récents et si forts, que nous avons écrit ce livre en quinze jours. L?éditeur aussi est allé très vite et un mois après lui avoir communiqué mon texte, je donnais mon bon à
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tirer, et voilà pourquoi, aujourd?hui, quatorze Juillet, cela fait huit jours que mon livre est en vente.
Certes il est encore un peu tôt pour porter un jugement définitif, mais les ventes s?envolent. Il faut dire que l?éditeur a fait un tapage énorme autour de ce livre. La campagne a débuté au moment où je ne faisais qu?écrire les premières lignes. Je suis passé 4 ou 5 fois à la télévision, et chaque fois, en terminant, je n?ai pas manqué de saluer Maud en lui promettant de mes nouvelles.
Le fait que le nom de toutes les personnes rencontrées durant ma traversée infernale soient en clair, a beaucoup fait pour ce succès de librairie. J?ai déjà un procès sur les bras, ce qui fait que mon éditeur se frotte les mains. Je suis attaqué par mon ancien P.D.G, amant de ma femme. Quelle merveilleuse publicité pour mon livre !!
Mon ancien P.D.G. s?appelle Georges Georges. Ses parents n?avaient même pas eu les moyens intellectuels nécessaires pour lui donner un prénom différent de son patronyme. Je sais que ce que je viens de dire est idiot, mais ma haine envers ce bonhomme est telle qu?elle me fait dire n?importe quoi.
Il m?assigne pour diffamation à la suite de mes émissions télévisées. Dans mon livre, il trouvera de quoi alimenter son dossier. Mais j?ai bien l?intention de faire citer comme témoins, le maximum de personnes travaillant dans mon ancienne boite. Et sous la foi du serment, il faudra bien qu?ils disent la vérité. L?odieux chantage dont a usé Georges pour qu?ils ne m?adressent plus la parole. Je suis impatient d?en arriver au procès.
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Maintenant, je sais que mes problèmes financiers sont derrière moi, du moins pour un certain temps. J?ai d?ailleurs pris goût à l?écriture, et j?ai déjà commencé à écrire mon second livre, qui n?aura rien à voir avec mon histoire personnelle.
Alors ? Heureux ? Non. Je ne suis pas heureux. Certes, non seulement j?ai récupéré mon identité, mais je suis devenu célèbre, alors que me manque-t-il ?
Tout d?abord, indépendamment de Georges, je n?ai pas soldé mon compte avec Maud. J?en suis loin. Et je tiens à ce qu?elle règle sa lourde ardoise. Je comprends qu?elle ait souffert du fait que son père se soit suicidé et que sa mère soit gravement malade, à cause de mon père, mais je ne suis pas responsable des actes de mon père, et d?autre part, sa cruauté, sa diabolique cruauté est proprement inhumaine. Il faudra qu?elle paie !
Et puis mon fils me manque. Terriblement. Je ne sais même pas où il est.
Je n?ai aucune nouvelle de mon père. Pourtant, je n?ai pas caché mon adresse. Je suis chez Jeanne pour encore quelque temps. C?est elle qui me demande de rester chez elle. Sa vie était ennuyeuse, et mon histoire est venue mettre de l?animation dans son quotidien. Elle a tellement épousé ma cause, que je me demande si elle n?a pas plus de haine que moi, à l?égard de ceux qui m?ont fait du mal.
Maintenant que je n?ai plus de problèmes d?argent j?ai pu prendre un détective privé. C?est récent, je l?ai engagé hier. Il doit enquêter sur mon ancien PDG, cela nous servira d?ailleurs pour le procès, mais je voudrais savoir si Maud et mon fils, Denis, sont
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encore avec lui. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis persuadé qu?il n?en est rien.
J?ai la conviction que Maud s?est servie de lui pour assouvir sa vengeance, et que le but atteint, elle a du le laisser tomber. J?ai payé pour connaître la vraie Maud !! Du moins je le crois ! Elle ne va pas s?embarrasser d?un vieux qui ne peut plus lui servir. Hop ! À la poubelle.
Je viens de relire ce que j?écrivais en Avril, alors que je venais de sortir de l?enfer. Je disais que j?étais capable de voler ou de tuer, sans culpabiliser, si c?était pour défendre mes intérêts. Je le pensais réellement. Ce n?est plus tout à fait vrai. Je veux me venger de Maud et de tous ceux qui m?ont tourné le dos quand j?étais atrocement malheureux. Mais je ne serai pas capable de faire n?importe quoi. J?étais encore sous anesthésie. Les valeurs morales n?existaient plus. Je me suis normalisé, si je puis dire.
Depuis que je suis chez Jeanne, indépendamment de l?assignation, j?ai reçu des centaines de lettres de personnes qui à la suite de mes passages à la télévision tenaient à m?encourager dans mon combat. C?est curieux tous ces gens si gentils, alors que lorsque j?étais en enfer, il n?y a pas eu une seule personne pour me venir en aide.
Jeanne s?est instituée ma secrétaire. C?est elle qui s?occupe de tout le courrier, et répond quand elle le juge utile. Elle se régale me dit elle. Parmi toutes ces lettres d?étrangers, une seule d?une personne connue. Mon ancienne secrétaire. Je le reconnais, sa lettre m?a touché. Elle m?explique combien il était vital pour elle de conserver son emploi. Elle élève seule ses deux enfants.
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C?est là que je me rends compte de mon changement depuis Avril. Lors de mon premier écrit, je mettais tout le monde dans le même sac, puisque personne n?avait voulu m?aider. Maintenant je fais un distinguo. Mais ce que j?enlève de responsabilité à ma secrétaire, je le reporte sur le passif de Georges et de Maud. Pas de remise gracieuse. Un transfert simplement
Le 20 Juillet
Rémi mon détective sort d?ici.
J?avais raison. Maud et mon fils ne sont plus chez Georges. Elle en serait partie le lendemain de ma première émission télévisée. Il paraît que le vieux bonhomme est une loque. Il était amoureux fou de Maud, et n?arrive pas à comprendre qu?elle l?ait laissé tomber après tout ce qu?il avait fait pour elle. Ses dernières forces, il va les utiliser contre moi. C?est un pauvre type, et je sais que je sortirai vainqueur.
Rémi ne sait pas encore où se trouve ma femme mais il m?a dit qu?il avait une piste sérieuse et qu?il était à peu près certain de la situer dans les jours prochains. J?attends. Mais elle ne perd rien pour attendre aussi.
J?ai parlé de ce problème avec mon avocat. Il est marrant mon avocat. Il est d?un optimisme qui ferait rire aux éclats un neurasthénique. Il est sûr de lui, sûr des résultats positifs des affaires dont il s?occupe. J?avoue que son contact est vivifiant. Il m?a dit :
? Il faudra que vous réfléchissiez à ce que vous voulez lui faire subir. Son dossier est tellement mauvais que nous pourrons lui faire plein de misères. À peu près tout, sauf le tuer évidemment, et encore?
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Et en disant cela il riait comme si même un meurtre pouvait être perpétré légalement. Un sacré personnage cet avocat.
Mon deuxième livre avance. C?est très curieux, je l?écris facilement, les phrases viennent toutes seules, le développement de l?intrigue aussi, et je suis extrêmement surpris par ce que j?écris. Est-ce le contre coup des épreuves que je subissais il y a peu ? Toujours est il que tous mes personnages sont sympathiques, et que je prévois une issue heureuse.
Au fond, ce livre, plus que le premier est pour moi une médication. J?ai besoin de pureté de beauté et de? j?ose à peine l?écrire tellement c?est en contradiction avec ce que j?écrivais en Avril, oui, j?ai besoin de beaux sentiments il est à craindre que ce second bouquin n?ait pas le succès du premier. Mais c?est une thérapie obligatoire.
Le 25 Juillet
Dés 9 heures, ce matin, Rémi mon détective sonnait au portail. C?est Jeanne qui est allée lui ouvrir, puis après l?avoir amené jusqu?au salon, elle nous a laissé discuter hors de sa présence. J?apprécie et j?aime beaucoup cette vieille dame qui est bonne, bien élevée, discrète, et si peu à peu, je redeviens un homme normal, et non plus ce sauvage préoccupé d?une seule chose : Se venger, il est évident que c?est grâce à elle
Une fois installé dans un bon fauteuil, Rémi me dit.
? Ça y est ! J?ai situé votre ex femme ?
? Elle est toujours ma femme, coupais je, où est elle ? Et le petit ?
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? Votre femme donc habite dans un trois pièces dans le IXe arrondissement. Elle vit seule avec son enfant.
Il y a un fait, malheureux mais qui pourrait vous servir. Durant les deux jours où avec un collègue nous l?avons gardée sous surveillance, à trois reprises, elle est sortie, en laissant seul le bébé dans la maison. Chaque fois d?ailleurs il pleurait très fort et cela me fendait le coeur.
Chacune de ses escapades a duré entre 2 et 3 heures. Une seule fois elle est revenue avec quelques provisions, mais il semble qu?au cours de ces sorties, elle va voir quelqu?un d?autre. Nous saurons qui dans deux ou trois jours. Que devons nous faire maintenant ?
? C?est très simple. Prenez un huissier et avertissez le. Dès que ma femme sortira et que le petit se mettra à crier, téléphonez lui pour qu?il constate les cris de mon enfant. Vous avez un appareil photo qui imprime sur la photo la date et l?heure à laquelle elle a été prise ?
? Bien sûr !
? Alors photographiez ou filmez tous les départs et les retours de ma femme.
Lorsque je serai en possession de plusieurs photos et trois ou quatre constats d?huissier, je déterminerai, avec mon avocat, la conduite à tenir.
Surtout, ne vous faites pas repérer. Elle est fine mouche ma femme.
? Et extrêmement jolie si je puis me permettre.
? Extérieurement, ça va. Mais si vous pouviez voir l?intérieur, vous sècheriez sur place de frayeur !!!
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? Je sais, je sais. J?ai lu votre livre. Si vous me permettez de vous donner mon avis, je crois que votre problème, maintenant, sera de vous venger de la mère sans que cela ne porte préjudice à l?enfant.
? C?est exactement ça, mon problème. Un enfant jeune est pratiquement toujours confié à la garde de la mère. Or, de notoriété publique maintenant, c?est à mon égard qu?elle a agi d?une façon insensée, mais je ne peux apporter aucune preuve qu?elle soit une mauvaise mère.
Vous, vous en doutez peut être, mais moi, maintenant avec le recul je réalise qu?elle n?était pas une mère normale et aimante.. C?est moi qui m?occupais du petit à 80 %. La nuit, c?est toujours moi qui me levais, le matin, c?est moi qui faisais sa toilette avant de partir au bureau, mais j?étais tellement heureux de le faire que je ne voyais pas ce qu?il y avait d?anormal dans le fait que la mère qui ne travaillait pas, s?occupait aussi peu de Denis.
C?est pourquoi, il est très important que nous puissions constituer un dossier solide, avec constats d?huissier à l?appui.
? Soyez tranquille. Je ferai le maximum.
? Merci.
Le détective étant parti, je m?étonnai une fois de plus.
Durant mes journées infernales, personne, absolument personne n?a essayé de me tendre la main. J?en étais arrivé à penser que sans aucune exception, tous les hommes étaient des salauds. Et maintenant je rencontre des gens qui compatissent à mon malheur. Est-ce parce que j?ai de l?argent ?
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Certainement pas, en ce qui concerne Jeanne. Lorsque nous nous sommes connus, j?étais une loque, sans argent, sans espoir d?en avoir un jour, et elle m?a accueilli, alors que Georges, tous mes collègues de ma boite, mon banquier? C?était peut être un effet de la loi des séries. Si c?est cela, cette loi, pour être juste devrait me réserver une succession de sacrées bonnes nouvelles.
Le 28 Juillet
Je viens de faire des comptes. Hé oui, les problèmes matériels vont être importants pour moi, si je veux gagner mon combat contre Georges, contre Maud, et si je veux récupérer mon fils.
Mon livre se vend bien. Le cap des 20.000 exemplaires vient d?être dépassé. Sur chaque livre je touche 1 euro 20 de royalties. J?ai donc potentiellement gagné 24.000 euros. En si peu de temps, c?est formidable. Mais je ne me fais pas d?illusion. D?autres livres arrivent sur le marché et ma triste affaire sera vite oubliée, les ventes vont donc chuter.
J?ai décidé d?aller voir mon éditeur dans l?après-midi pour lui soumettre ce que j?ai déjà écrit de mon deuxième livre. J?ai pleine confiance en lui (que cette expression est drôle dans ma bouche, mais c?est vrai, j?ai confiance en lui) Il saura me dire si ce que j?écris présente un intérêt pour un éditeur.
Parce que, s?il est vrai que j?ai pris goût à l?écriture, cela ne signifie pas que mes écrits aient une valeur quelconque. Et dans la négative, il faudrait que dès maintenant je me préoccupe de trouver une situation.
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Je n?ai plus eu de nouvelles de Rémi. J?espère qu?il me constitue un dossier en béton qui me permettra d?obtenir la garde de mon enfant.
J?ai reçu un coup de fil de mon ancien banquier. Pitoyable. Lui ne parle pas de m?assigner pour diffamation. Il sait qu?il perdrait. Non, lui, tente de m?amadouer pour que je revienne dans son agence. Je crois bien qu?il ne va pas rester longtemps à son poste. Les banquiers n?aiment pas trop la contre publicité. Il va se faire débarquer. Je me suis payé le luxe d?être très aimable avec lui, au début de notre conversation, et lorsque j?ai senti qu?à l?autre bout du fil, il commençait à croire qu?il avait gagné la partie, je lui ai dit, en termes crus, ce que je pensais de lui et j?ai raccroché. C?est peut être idiot, mais ça m?a fait du bien.
Le 28 juillet
Les choses se précipitent.
Rémi est venu tout à l?heure, avec 4 constats d?huissier et une vingtaine de photos. Maud s?est absentée 4 fois en quatre jours pour des durées de 2 à 3 heures, en laissant mon fils seul. Le dossier est là. Il va maintenant falloir que je prenne des décisions. Que vais-je faire ?
Jusqu?à maintenant, Rémi étant dans l?obligation de rester devant le domicile de Maud pour attendre l?huissier, il ne lui avait pas été possible de savoir ou ma femme allait, d?une façon régulière. Maintenant que mon dossier est constitué, je lui ai demandé de la suivre. Je vais savoir très vite qui elle va voir.
Par ailleurs, mon éditeur m?a téléphoné en fin de matinée. Il m?a dit textuellement :
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? Ce que vous écrivez est publiable, cependant, je préfère vous le dire franchement, vous gagnerez un peu d?argent, mais ne comptez pas vivre de votre plume.
Au moins les choses sont claires. Il va falloir que je me mette à la recherche d?un job. Là aussi il va falloir que je prenne des décisions.
Mais matériellement, je peux attendre un peu. D?abord Maud et mon fils. C?est la priorité.
Je viens de téléphoner à mon avocat. Toujours rigolard, il m?a dit
? Elle n?est quand même pas très futée votre femme. Si elle voulait vous faciliter les choses, elle ne pourrait pas faire mieux. Nous allons l?assigner devant le tribunal?
Je ne sais pas pourquoi, je lui ai demandé d?attendre un peu.
Il y a quelque chose qui me gêne, je ne sais pas quoi vraiment. Il est possible que la voie judiciaire me semble trop banale, trop douce par rapport à tout ce qu?elle m?a fait subir. Je voudrais trouver autre chose.
Le 31 juillet
Rémi vient de me téléphoner. Je n?ai pas encore récupéré. Décidemment, on ne s?habitue pas aux nouvelles extravagantes. Je n?y comprends plus rien. Je crois que je vais devenir fou. À moins que je ne le sois déjà.
Pourquoi ma femme m?a-t-elle fait subir les pires misères qui soient ?
Pour se venger de mon père qui a amené le sien à se donner la mort, et parce que la mère de Maud, toujours à cause de lui, est devenue pratiquement une aliénée.
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Et qui, ma femme va-t elle voir tous les jours dans un petit studio ?
Mon père !!!
Rémi ne peut encore me dire s?ils sont amant et maîtresse, mais le seul fait qu?elle aille le voir est déjà incompréhensible.
Je viens de téléphoner à mon avocat. Lui, n?est pas fou, et il est objectif. Cela me rassure un peu sur mon état. Il n?y comprend rien non plus. Mais il m?a dit qu?une chose serait intéressante à établir. Depuis quand se voient-ils ? Mon avocat pense que Maud se sentant menacée par moi, se serait rapprochée de mon père, lui-même mis en cause dans mon livre.
Mais alors, sa haine contre mon père était elle réelle ? Je suis pris dans un tourbillon d?incompréhension.
Peut être que ces deux êtres dépravés, sous la menace d?un danger commun se sont-ils alliés sans vergogne. Ce qui me semble impossible est sans doute tout à fait normal pour eux.
Il me semble que je ne pourrai pas gagner. Nous ne combattons pas dans la même catégorie. Je ne fais pas le poids contre l?absence de tout scrupule, contre leur amoralité.
J?ai le moral très bas.
2 août
Rémi m?a apporté des précisions.
Le studio a été loué par mon père, peu après ma première émission télévisée. Presque aussitôt, Maud est venue le rejoindre chaque jour. Elle est devenue sa maîtresse. Décidemment, elle aime les vieux, c?est une gérontophile. À vrai dire, elle couche avec tous
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ceux qui peuvent la servir. Mais en quoi mon père peut il la servir ?
Toutes ces incertitudes me paralysent. Comme je ne comprends pas, et craignant de faire une boulette, je ne fais rien. Mais je ne peux me résoudre à l?inaction. Je vais foncer.
3 août
Ce matin, je suis allé sonner à la porte de Maud. Quand elle m?a vu, elle est restée figée sur place. Je suis parvenu à la désarçonner au moins quelques secondes et cela m?a fait un énorme plaisir.
Je l?ai écartée de mon chemin, suis entré dans son appartement, ai refermé la porte, et la prenant par le bras, je l?ai traînée jusqu?à la première pièce qui était la salle à manger.
? Maintenant, nous allons nous expliquer. Tu as voulu te venger sur moi des agissements de mon père. Tu as été abjecte. Maintenant, tu es devenue la maîtresse de mon père. Explique !!
À ce moment-là, mon fils s?est mis à pleurer. Je me suis précipité dans sa chambre, l?ai pris dans mes bras, et suis revenu dans la salle à manger.
Pendant ce temps, Maud avait un peu récupéré et me dit :
? Je te hais !!
? D?accord ! Ce n?est pas un scoop. Mais pourquoi ?
? Pourquoi ? Il me semble que tu as reçu ma lettre ? Je te l?ai dit.
? Je ne peux pas croire que tu aies pu me poursuivre de ta haine sadique, uniquement parce que mon père s?est mal comporté à l?égard du tien !
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? Mal comporté ? Tu as de ces expressions !! Il l?a tué !
? Mais enfin, je ne suis pas responsable des agissements de mon père !
? C?était un élément additionnel
? Qu?est-ce que ça veut dire « un élément additionnel » ?
? Cela veut dire que je ne voulais pas d?enfant. Quand je suis tombée enceinte (le mot « tombée » est parfaitement adapté, c?était pour moi une chute aux enfers) tu étais tout heureux tout fier, alors que moi, je souffrais mille morts. Chaque fois que tes yeux attendris se portaient sur mon ventre déformé, j?avais envie de te tuer. Pendant toute ma grossesse j?ai souffert le martyr, et je me promettais de me venger. C?était ce qui me permettait de rester en vie, sinon je me serais suicidée, comme mon père. Mon accouchement a été horrible. Mais plus que les douleurs physiques, c?est lorsque je t?ai vu gaga devant ce bébé qui à toi n?avait rien coûté, que ma décision de te faire payer cher tous mes tourments a été prise. Le petit poussait, tu t?en occupais, heureusement pour lui, car je ne l?ai jamais aimé, et si ma haine pour toi était toujours là, je n?arrivais pas à me décider à mettre au point un plan de vengeance. Et puis ma mère après de longs mois d?inconscience, est parvenue à me raconter le calvaire que ton père avait fait subir au mien, qui a fini par se suicider.
Cette fois, ma résolution de vengeance ne pouvait être remise.
Et je dois le dire, toute cette période de préparation de ma vengeance a été la seule période heureuse de ma vie.
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J?avais fait la connaissance de ton patron lors de la fête de remise de jouets à la Noël. Je me suis débrouillée pour lui faire du plat. Huit jours plus tard, j?étais sa maîtresse. J?ai eu du mal, c?est vrai à le persuader de m?aider à me venger, mais comme il espérait m?avoir pour lui tout seul, il a été merveilleux d?ingéniosité. Faire de toi un homme civilement mort, cette idée était de lui.
Voilà. Tu voulais savoir, tu sais tout.
Je me suis régalée en lisant ton livre. Même dans mes moments les plus optimistes, je ne pensais pas que tu aurais autant souffert.
Maintenant, puisque tu as ton gosse dans tes bras, tu peux partir avec lui. Fous le camp !!!
Elle est folle. Pendant des mois, j?ai vécu à coté d?une folle, et je ne me suis rendu compte de rien.
Avant de partir je l?ai regardée longuement. Elle semblait tout à fait normale. Belle et normale. Un léger sourire flottait même sur ces lèvres. Cette femme resterait une énigme pour moi.
Je sortis avec mon enfant.
En arrivant chez moi, ou plutôt chez Jeanne, il y avait un message sur mon répondeur. Il était de Maud, et très bref.*
« Finalement, c?est toi qui a gagné. Je vais rejoindre mon père »
J?ai aussitôt prévenu le commissariat. Ils ont trouvé Maud, un pistolet à la main. Elle était morte et lorsque je suis allé à la morgue, elle avait encore un sourire aux lèvres.
FIN

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