Ecriture-Lecture




UNE VIE BIEN CALME


Une vie bien calme


Robert Grinot depuis sa retraite anticipée, menait une vie calme, réglée, presque chronométrée.
A 7 heures son réveil sonnait, et il se levait aussitôt. A 7 heures et demi son petit déjeuner était terminé, A 8 heures et demi, il sortait de sa salle de bain, en peignoir , et il allait s?installer dans un fauteuil, toujours le même, celui qui est le plus près de la fenêtre, et il faisait les jours pairs des mots croisés, et les jours impairs des mots fléchés. Et toutes les journées étaient réglées, à la minute près.
Robert aimait l?ordre, la propreté, et avait horreur de l?imprévu. C?est pourquoi, ce jour là ( jour de mots fléchés) alors qu?il était près de 11 heures, la sonnette de sa porte d?entrée le laissa quelques secondes interdit. Qui pouvait oser venir le troubler dans son emploi du temps ?
Il finit par se lever, et n?avait pas encore fait un pas que la sonnette retentissait de nouveau . Non seulement c?était un importun, mais de plus il était pressé. Robert sentit la colère monter en lui, et accélérant le pas, il se dirigea vers la porte, bien décidé à rabrouer le fâcheux.
Il eut du mal à ouvrir sa porte, comme si un poids y était accroché. Tirant plus violemment ; la porte s?ouvrit, avec pendue à sa poignées une fillette qui semblait prête de l?évanouissement.
- Mais, mais?qu?est ce que c?est?Que voulez vous ? Vous êtes malade ?
La fillette serrait convulsivement la poignée à laquelle elle était accrochée, sa tête pendait et semblait dire « non, non,non.. »
Cette énorme aventure dans sa vie réglée, laissait Le pauvre Robert sans réaction.
Comme il fallait faire quelque chose, il entreprit de détacher la main crispée sur la poignée. Il eut beaucoup de mal, car cette frêle fillette avait du concentrer toutes ses forces restantes dans cette main,
Il y parvint enfin, et le corps tomba à ses pieds.
Quelle aventure !!!!
Après avoir repris son souffle, il décida d?enlever la fillette de son pas de porte. Il ne pouvait décemment la rejeter à l?extérieur, et la prenant par les deux bras, il la tira à l?intérieur, afin de pouvoir refermer la porte.
Cet exercice effectué, il se demanda ce qu?il pourrait bien faire maintenant. La fillette n?était pas inconsciente. Son visage barbouillé de larmes était en grande partie caché par ses cheveux collés, mais les paupières étaient ouvertes et les yeux le fixaient comme dans une prière.
- Qui êtes vous demanda Robert ?
Elle ne répondit pas et continuait à le fixer de ses yeux implorant.
Que faire ? C?est son amour de l?ordre et de la netteté qui lui souffla la solution. Il fallait en premier lieu lui nettoyer le visage. Il laissa la fillette par terre et se rendit dans sa salle de bains pour prendre une serviette, un gant et une petite cuvette qu?il remplit d?eau.
Revenu vers la fillette qui n?avait pas bougé mais avait fermé les yeux, il s?accroupit et entreprit de lui nettoyer le visage. Sous la sensation du froid, elle ouvrit les yeux et murmura : « merci »
Ce simple mot remua quelque chose à l?intérieur de Robert qui, ne songeant plus à la petite révolution dans sa vie bien réglée, n?eut plus qu?un désir : que la petite répète de nouveau ce simple mot.
Le visage nettoyé, il essaya de ses doigts malhabiles, de remettre un peu d?ordre dans la longue chevelure brune.
- Si je vous aide, pouvez vous vous lever ?
Elle fit « oui « de la tête, et joignant leurs efforts, Robert faisant le principal, la fillette put s?asseoir sur le fauteuil qu?il avait quitté quelques instants auparavant.
Mais que de choses s?étaient produites depuis qu?il avait abandonné ses mots fléchés !! Et il ne s?agissait pas seulement de l?intrusion de cette fillette, mais de quelque chose en lui qu?il n?essayait pas de définir mais dont l?existence ne faisait aucun doute.
La situation étant sans précédant dans la vie de Robert, il se demanda ce qu?il devait faire maintenant. Elle était à peu près propre et peignée, que pouvait il faire de plus ?
Passant subitement de la vacuité d?idée à un trop plein, il demanda
- Vous vous êtes perdue ? Ou habitez vous ? Comment vous appelez vous ? Avez-vous faim ? Avez-vous soif ? Souffrez vous ? Que puis je faire pour vous ?
Robert était tout surpris de l?avalanche de questions qu?il avait pu poser en si peu de temps

Elle murmura
- Manger.
Robert ressentit comme une victoire personnelle d?avoir pu deviner ce qu?elle voulait, et plus sûr de lui, après avoir demandé de l?attendre, il se dirigea vers la cuisine.
« Ca mange quoi une fillette épuisée ? » se questionna tout haut Robert.
Il prit son plateau télé, y posa un verre, une bouteille d?eau minérale, une grosse tranche de pain, et dans une assiette, du saucisson, un camembert entamé, une pomme une fourchette et un couteau. Il resta un moment à contempler le plateau et se dit que finalement, il savait bien faire face à des situations inattendues.

La fillette qui sans doute avait repris quelques forces, but tout d?abord deux verres d?eau puis, goulûment d?abord, plus lentement par la suite, avala le pain, la moitié du saucisson, le reste de camembert et la pomme.
Robert la regardait manger et ressentait un grand plaisir à la voir faire honneur au repas qu?il lui avait préparé.
Oui, décidemment, depuis que cette gamine avait fait irruption dans sa vie, il était fier de lui, et c?était aussi une nouveauté.
- Alors ? Ca va mieux ? Nous pouvons parler.
- J?ai très sommeil dit la gamine avec un timide sourire, qui, pensa Robert, le payait au centuple de tout ce qu?il avait pu faire.
- Je vais vous aider à aller jusqu?au canapé, je vous apporterai un oreiller et une couverture. Vous allez dormir, et après nous parlerons. D?accord ?
Robert se demanda pourquoi il ne tutoyait pas cette gamine. Il arriva à la conclusion qu?elle était pour lui encore une inconnue, mais qu?il faudrait bientôt la tutoyer, c?est ce qu?on fait avec une enfant de 8 ans. Il venait encore de prendre une décision. Décidemment, il était un homme d?action !!!!
- - Merci dit encore la gamine, et pour Robert, c?était maintenant une certitude, « merci » était le plus joli mot de la langue française.
Après lui avoir apporté la couverture et l?oreiller, qu?il dut mettre lui même sous la tête et sur la fillette qui dormait déjà, il regarda sa montre.
Bon sang ! il aurait du terminer ses mots fléchés depuis un quart d?heure, et normalement depuis le même temps, il devrait s?habiller pour aller faire des courses.
Curieusement, cette entorse au sacro saint programme quotidien ne l?affecta pas outre mesure .
Il s?habilla plus rapidement que d?habitude et fit ses courses en revanche plus longtemps, car il se creusait la tête pour savoir ce que pouvaient être les goûts de la gamine.
Lorsqu?il revint, elle dormait toujours. Marchant doucement pour ne pas la réveiller, il vint prendre ses mots fléchés et s?installa sur une chaise dans la cuisine.
La vérité est qu?il ne chercha même pas à poursuive ses mots fléchés. Certes, il était sans doute perturbé de ne pas se trouver dans son cadre habituelle( il n?avait jamais fait de mots fléchés dans la cuisine), mais c?est surtout l?entrée dramatique dans sa vie, de la fillette, qui occupait son esprit.
Qu?allait il en faire ? Il faudrait encore qu?il prenne des décisions, et ce qui était le plus stressant, c?est que les décisions qu?il avait à prendre concernaient une autre personne. Il cogitait sur ce problème, sans avoir le commencement d?un début de réponse, quand il entendit marcher, et la fillette se présenta devant lui. Sa joue droite, un peu rouge, car elle avait du dormir dessus, les yeux vagues, elle demanda à Robert :
- Je voudrais faire pipi .
Sa voix était à peine audible. Il est évident que cette enfant était épuisée.
Robert un peu surpris par cette demande assez vulgaire, se reprit très vite et prenant la petite par la main, il l?amena devant la porte des WC
- Voilà, c?est là.
Il faillit ajouter qu?il fallait bien tirer la chasse d?eau, après, mais il se dit que cette petite devait le savoir, et il se tut.

Il revint dans la cuisine et prenant ses mots fléchés pour avoir une contenance, il attendit le bruit de la chasse qui indiquerait que la petite fille en aurait terminé.
Il ne savait pas que sa chasse faisait autant de bruit, et il ne put s?empêcher de sursauter en l?entendant. Il pensait que la petite allait de nouveau se présenter devant lui, mais il entendit que l?eau coulait dans la salle de bains. Elle avait du se laver les mains, et il se sentit fier de la petite, comme si c?était lui qui l?avait élevée. Elle était propre. Un très bon point.
Lorsqu?elle revint dans la cuisine, Robert se sentit beaucoup plus à l?aise avec elle.
- Maintenant que veux tu faire ? As-tu encore faim, veux tu encore dormir ou te sens tu assez forte pour que nous parlions ?
Elle réfléchit un moment puis de sa petite voix douce finit par dire.
- Si je pouvais prendre une douche, après, je voudrais bien parler.
Décidemment cette gamine avait des exigences hygiéniques qui la rendait de plus en plus sympathique à Robert.
- Pour la douche, c?est très facile, je vais te faire voir. Mais évidemment je n?ai pas de linge propre à te proposer.
Et il cru bon de se justifier :
- Tu comprends, je suis seul, et je n?ai jamais eu d?enfant.
- Ce n?est pas grave monsieur, ça ira.
- Je m?appelle Robert et toi ?
- Moi, c?est Annick.
- Hé bien Annick, je vais te faire voir comment fonctionne la douche.
Il crut bon d?ajouter, ce qu?il regretta aussitôt.
- Fais attention de ne pas mettre de l?eau partout.
- Oui, Monsieur Robert.
Pendant que la petite prenait une douche, Robert alla remettre de l?ordre dans le salon. Il enleva la couverture et l?oreiller, ouvrit la fenêtre pour aérer, et reprit place avec un plaisir évident dans son fauteuil habituel.
Mais ce jour là, il n?était pas question de faire des mots fléchés. Ses pensées ne pouvaient être distraites de ce devoir, tout nouveau pour lui : Deviner ce dont la petite avait besoin. Il n?était même pas impatient de connaître son histoire. Les choses allaient déjà assez vite comme ça, et il ne se souciait pas d?anticiper.
Lorsqu?elle revint au salon, il la regarda plus longuement. Quel âge avait elle ? Il n?était pas très fort pour deviner l?âge des gens, mais elle devait avoir huit, dix ou douze ans. Il ne pouvait pas être plus précis. Très mince, presque maigre, ses longs cheveux humides pendaient de chaque côté du visage et lui donnaient un aspect fragile, émouvant.
- Assieds toi dans ce fauteuil, et dis moi ce qui t?arrive.
- Je suis partie
- Tu es partie d?où ?
- Je ne veux pas y retourner !
- Bon, d?accord, mais dis moi quand même où tu étais.
- J?étais?..chez des gens.
- Oui, mais quels gens ?
- Monsieur, je ne veux pas y retourner. Je veux rester avec vous.
Robert rougit comme si une femme venait de lui déclarer sa flamme, et il se sentit de nouveau très fier de pouvoir inspirer un sentiment aussi fort. Il se demanda quelle attitude il devait prendre. Et puis, les mots vinrent tout seul.

- Ecoute, Annick, il faut d?abord que tu me dises qui tu es, d?où tu viens. Il y a peut être des personnes qui sont très inquiètes de ne pas te voir, et moi, je ne peux rien faire pour toi si tu ne veux pas répondre à mes questions.
- Non. Personne n?est inquiet. Personne ne m?aime.
- Ca !! Tu n?en sais rien. Tu vas répondre à mes questions. Quel âge as-tu ?
- J?ai 8 ans.
Pas mal, pensa Robert, je ne m?étais pas trompé de beaucoup. J?avais dit entre 8 et 12.
- Tu as 8 ans. Bien. Maintenant dis moi où sont tes parents ?
- Je n?ai pas de parents. Ils sont morts dans la voiture.
- Pauvre petite. Avant de venir sonner chez moi, ou habitais tu ?
- Chez des gens.
- Tu me l?as déjà dit. Mais quels gens ?
- Monsieur et Madame Moreau.
- Ce sont eux qui te gardent depuis?la disparition de tes parents.
- Oui. Mais je ne veux pas y retourner !
- Dis moi pourquoi.
- Elle me bat, et lui?..il veut me faire des choses
Robert rougit comme un écolier en entendant parler » des choses », et devant cette révélation, il ne sut plus quoi dire. Ni quoi faire.
Jusqu?à maintenant, il avait trouvé qu?il s?était bien débrouillé devant un évènement aussi insolite, mais, là?.Cela devenait bien trop grave, et il ne voyait vraiment pas ce qu?il devait faire.
- Ecoute, commença t il?? Mais il ne sut quoi dire, alors il abandonna le sujet brûlant et pour gagner du temps, demanda.
- Veux tu encore manger, ou peut être dormir.
- Non, monsieur, ça va.
Zut !! Elle ne l?aidait pas. Il se dit alors que le mieux était de dire la vérité
- Je ne sais pas ce qu?il faut faire. Il faut que je réfléchisse. Et toi, que veux tu faire maintenant ?
- Je veux rester ici.
Cette nouvelle déclaration lui fit un peu moins
d?effet agréable que la précédente, car elle compliquait bien les choses. Il ne se voyait pas accueillir définitivement cette gamine.

Il n?en demeurait pas moins qu?il fallait encore prendre des décisions. Que faire de cette gamine trouvée pendue à la poignée de sa porte ?
- Ecoute moi bien Annick. Pour que je puisse prendre une décision, il faut que je connaisse ta situation. Il ne faut rien me cacher. Dis moi ou habitent Monsieur et madame Moreau. Dis moi, pourquoi et depuis quand tu es chez eux, dis moi ce que tu y faisais pendant la journée. Allez, il faut que tu parles, je t?écoute.
Annick avait toujours cette attitude de petit chat apeuré, mais comme Robert l?encourageait du regard et d?un mouvement de tête, elle commença.
- Monsieur et madame Moreau habitent ici, à Avignon, rue de la république, mais je ne retournerai pas chez eux. Je préfère être morte.
Après l?accident de mon papa et de maman, on m?a amené chez ma mémé. Et puis ma mémé est allée à l?hôpital, et puis, j?ai été chez une dame, et après on m?a amenée chez monsieur et madame Moreau, ça fait très longtemps. J?aimais bien ma mémé mais je ne sais pas où elle est. Peut être elle est morte. Ils sont méchants avec moi, je n?ai pas le droit de sortir, et quand quelqu?un venait, je devais me cacher. Ils me grondent, ils me tapent et ?depuis trois jours, lui, il essaye de ?me faire des bisous et des caresses, mais j?aime pas. Alors, un nuit, je suis partie, et j?ai beaucoup marché, et puis, j?était très fatiguée j?ai sonné à une porte et vous êtes venu. Je veux pas y retourner. Dites, monsieur, je peux rester avec vous ?

Ouille !!!!. Quelle aventure !! Il fallait que cela tombe sur lui. Elle aurait pu sonner chez un voisin. Non, c?est chez lui qu?elle était venue, lui qui n?est pas du tout fait pour ce genre de situation.
- Je ne sais pas encore ce que je vais faire, mais maintenant, il faut que je prépare un repas, et ce soir, tu coucheras sur le canapé. Ca te vas ?
- Oh, oui monsieur ! Merci !
Décidemment « Merci « était bien le plus beau mot de la langue française, et comme les autres fois, il faisait à l?intérieur de lui un curieux remue ménage extrêmement agréable.
Il partit vers la cuisine et réfléchit que c?était le jour ou il faisait une soupe de légume. Cela allait lui faire du bien de retrouver ses repères, ses habitudes. Mais si, lui se contentait d?un potage, il semblerait qu?une fillette c?est beaucoup plus affamé. Il pensa qu?il suffisait de faire trois fois plus de potage, elle pourrait donc en reprendre, et de lui donner un morceau de fromage et une pomme. Tout de même, cela devrait suffire à cette petite maigrichonne.
Ils dînèrent silencieusement dans la cuisine, puis Robert fit la vaisselle et sans qu?il ne lui ai rien demandé, elle vint spontanément prendre un torchon pour l?essuyer.
Cette petite parachutée dans sa vie, qu?elle troublait, avait des qualités, et il pensa qu?il aurait pu tomber plus mal.
Après en avoir terminé il alla préparer un lit sur le canapé, et lorsque tout fut près, il lui dit.
- Bon. Maintenant tu vas te coucher, et demain nous reparlerons. Bonne nuit Annick.
Robert se retirait lorsque la petite lui répondit : « Bonne nuit, Monsieur, et elle se précipita sur lui pour lui faire une bise sur la joue.
Il resta un moment interdit. Il avait l?impression que ce baiser lui avait brûlé la joue, il y avait bien longtemps qu?aucun être humain ne lui avait fait un baiser, et il ne souvenait plus que cette marque d?affection pouvait faire autant d?impression agréable. Très gêné, il s?enfuit rapidement vers sa chambre.
Il s?attendait à ne pas dormir, après tous ces dérèglements de la journée, et les problèmes qu?il aurait à résoudre le lendemain. Mais il se sentait bien. Savoir qu?il y avait quelqu?un dans son appartement lui procurait une sensation de sécurité, et en fait, il dormit d?un traite, jusqu?à la sonnerie de son réveil, à 7 heures.
Contrevenant à ses habitudes, il traîna un peu au lit. Il le fit sciemment pour casser le rythme habituel.
Avant d?aller déjeuner, il alla glisser un ?il dans le salon, ou Annick dormait encore profondément. Son visage reposé, ses cheveux dans un désordre que Robert trouva très artistique, lui procura un grand plaisir, comme si tout cela était son ?uvre.

Il prépara son petit déjeuner à un rythme plus lent que d?habitude, et lorsqu?il eut fini, il prépara un bol, du pain de la confiture et du miel. Il regretta de ne pas avoir demandé à Annick si elle préférait le café ou le chocolat. Il espéra que ce n?était pas le thé, car il n?en avait pas.
Il venait de terminer à préparer la table lorsqu?il entendit : Bonjour monsieur ! Il se retourna, la fillette était là, déjà habillée, et souriante.
- Tu préfères du café ou du chocolat ?
- J?aime tout, monsieur.
- Mais tu as une préférence ?
- Je n?ai jamais goûté le chocolat le matin.
- Hé bien ce sera une occasion. Assieds toi et prépare tes tartines.
-
Après un long silence, pendant lequel Annick se faisait des tartines et Robert préparait le chocolat, ce dernier reprit :
- J?ai bien réfléchi. Il faudrait d?abord savoir ou est ta grand-mère, puisqu?elle est d?après toi ta seule famille. Peux tu me dire son nom et où elle habitait.
- Elle s?appelait Jeanne Combal, c?était la maman de ma maman, et elle habitait à Orange.
- Bien. Très bien. Voilà de bons renseignements. Je vais essayer de savoir ce qu?elle est devenue. Tu te souviens bien d?elle, et de l?endroit où elle habitait ?
- Oui, un peu.
- Savais tu si elle avait le téléphone ?
- Oui, elle avait le téléphone.
- Parfait, parfait. Je vais voir tout de suite sur l?annuaire.
Robert n?eut aucune difficulté pour trouver une Jeanne Combal à Orange, et, continuant à s?étonner lui-même, il prit son téléphone pour appeler tout de suite.
Il n?y avait personne, et une voix de femme, lui demanda de laisser un message, ce que Robert ne fit pas, préférant tenter sa chance un peu plus tard.
En tous cas, un fait était établi : La grand-mère de Annick existait bien, elle était toujours en vie, ce qui fit un mystère de plus : Pourquoi cette grand-mère, à sa sortie de l?hôpital n?avait elle pas essayé de retrouver sa petite fille ?
Décidemment, lorsque dans la vie tranquille de Robert, un évènement extraordinaire survenait, il était constitué d?un amas de points d?interrogation.
Il revint dans la cuisine ou la fillette terminait son petit déjeuner. Lorsqu?il entra, elle lui fit un si joli sourire, qu?il s?en senti presque gêné : Elle ne devait pourtant pas savoir tous les efforts qu?il avait du faire pour sortir de sa routine, et cependant, il ne pensait pas mériter ce merveilleux cadeau : son sourire.
- Ta grand-mère est bien vivante. Elle était absente de chez elle, mais j?espère l?avoir au téléphone dans la journée. Tu l?aimes bien ta grand-mère ?
- Oh, oui, je l?aime bien, et je suis contente qu?elle ne soit pas morte. Je l?aime bien répéta elle , puis après un petit moment, elle ajouta : comme vous.
Qui aurait pensé que cet homme isolé, routinier, un peu grincheux, recevrait un jour une telle déclaration ? Pas lui en tous cas, et une fois encore, il en fut tout remué.
Pour entendre une confirmation, il lui dit
- Pourtant tu ne me connais pas depuis longtemps, depuis hier seulement
- Je vous aime bien quand même !
En plus du plaisir d?entendre qu?il était aimé, Robert, était très fier d?avoir pu l?amener à le répéter. Il se révélait à lui-même : En fin de compte, il était un fin psychologue !
Pour une fois, depuis l?irruption de Annick dans sa vie, il n?eut pas à se demander « Et maintenant, que dois je faire ? » Non. La situation était claire : Il fallait absolument entrer en contact avec la grand-mère. C?est tout. En attendant que pouvait il proposer de faire à la fillette ? Le mieux était de le lui demander.
- Que voudrais tu faire maintenant ?
- Je ne sais pas. Je veux bien balayer si vous voulez ?
Robert ne s?attendait pas à cette proposition. Et comme si c?est lui qui l?avait éduquée, il se sentit très fier une nouvelle fois. Cette gamine ne cessait de le valoriser?.Et puis il pensa qu?au contraire ce sont sans doute ces Moreau qui devaient exiger que la gamine fasse le ménage.
- Non, je ne veux pas que tu travailles. Je préfère que tu te reposes. Tu sais lire ?
-
- Un petit peu. Quand j?étais chez Mémé, j?allais à l?école..
- Bon. Je préfère que tu ne sortes pas pour l?instant. Il vaut mieux que personne ne sache que tu es là. Je vais faire des courses, attends moi sagement , d?accord ?
- Oui, monsieur je vous attends.
Robert prit son chapeau et sortit pour aller à la maison de la presse, pas très loin de chez lui. La il demanda à la caissière :
- Qu?est que ça lit une fillette d?une dizaine d?années ?
- Voyez l?étalage à gauche de l?entrée lui répondit elle sans se déplacer.
Robert s?y rendit et se trouva en présence d?un étalage multicolore de journaux divers. Il était inutile de les examiner, puisqu?il n?y connaissait rien. Il décida de se confier au sort, et prit 4 publications, dont les couleurs étaient les plus éclatantes. C?est bien le diable s?il n?y en avait pas une qui plairait à la petite.
Lorsqu?il lui tendit les journaux, Annick, les yeux éblouis demanda :
- C?est pour moi ?
- Bien sûr, c?est pour toi.
- Oh, merci, merci.
Cette gamine avait une façon de dire merci, tout à fait particulière, car ce mot produisait toujours chez Robert une intense émotion.
- Tu peux te mettre dans le fauteuil en face du mien. Moi, je vais téléphoner.
Après avoir formé le numéro de la grand-mère, quelqu?un décrocha à l?autre bout du fil.
- Allo ! Puis je parler à madame Jeanne Combal ?
- C?est moi .
- Bonjour madame. Je crois que vous avez une petite fille qui s?appelle Annick ( Robert se rendit compte alors qu?il ne savait même pas son nom de famille)
Il sentit que son interlocutrice était très émue
- Oh, monsieur, vous avez des nouvelles ? Dites moi vite, vite, je vous en supplie, vite !!
- Tranquillisez vous madame, elle va très bien. Elle est chez moi, en sécurité et en parfaite santé. Mais pourquoi n?avez-vous pas essayé de la retrouver.
- Je vous en supplie, parlez moi d?elle et après, je vous expliquerai.
Robert expliqua comment après avoir entendu sonner à sa porte, il avait trouvé une fillette pendue à la poignée, et il lui fit un récit minutieux de tout ce qui s?était passé depuis.
De temps en temps, la dame l?interrompait pas des » merci, merci « ce qui fit penser à Robert que c?était un tic de famille, qu?il appréciait d?ailleurs particulièrement chez Annick.
Lorsqu?il eut terminé, il demanda.
- Annick m?a dit que vous aviez été hospitalisée, mais elle ne m?a pas dit comment elle s?était retrouvée chez des gens qui s?appellent Moreau.
- Moreau ? Je ne connais personne de ce nom. Quand j?ai été transportée à l?hôpital en urgence j?ai rapidement demandé à ma concierge de garder la petite jusqu?à ce que je puisse lui donner des instructions. Elle m?avait dit « oui », mais mon état était plus grave que mon médecin ne me l?avait dit, et ce n?est que 3 mois plus tard que j?ai pu téléphoner à ma concierge.

Elle m?a dit que des personnes étaient venues de ma part pour chercher la petite. Ils semblaient normaux et de bonne foi. Ma concierge a donc laissé partir la petite.
J?étais affolée, car je n?avais demandé à personne d?aller chercher Annick. Mais j?étais encore alitée et je ne pouvais pas faire grand-chose. Après mon hospitalisation, j?ai été envoyé dans une maison de repos. J?ai téléphoné au commissariat de police près de chez moi pour signaler la disparition de la petite. Je suis revenue chez moi il y a quinze jours, je suis allée plusieurs fois à la police, mais chaque fois, ils me disent que l?enquête n?a encore rien donné, et qu?il y a beaucoup d?enfants qui disparaissent chaque année. C?est possible, mais c?était ma petite Annick, et je ne pouvais que pleurer.
- Annick m?a dit que cela faisait longtemps que vous aviez été hospitalisée.
- C?est toujours trop long, mais les enfants n?ont pas le sens du temps qui passe. J?ai été hospitalisée il y a 5 mois, elle est restée 8 jours chez ma concierge et elle a donc du rester un peu plus de 4 mois chez ces Moreau.
Dites, monsieur, je peux parler à la petite ?
- Bien sûr ! je vous la passe.
Il appela Annick qui discuta longuement avec sa grand-mère.
Quand elle eut fini, elle revint dans la cuisine, ou Robert par discrétion s?était réfugié. La petite avait un air soucieux.
- Que se passe t il Annick ? Tu n?es pas contente d?avoir retrouvé ta grand-mère ?
- Oh, si, si, si !!! Je suis très contente.
- Tu n?en as pas l?air.
- C?est que, ici aussi je suis bien. Ma mémé veut encore vous parler.
Une nouvelle fois remué par l?attachement que lui témoignait cette gamine, il alla reprendre le combiné.
- Allo, madame ! Vous êtes heureuse d?avoir retrouvé votre petite fille ?
- Follement heureuse. Je peux venir la chercher
- Oui, oui, c?est bien normal,
Mais le ton démentait les paroles. Il ne semblait pas trouver normal que l?on vienne lui enlever la petite, comme ça, subitement alors, qu?après tout, c?est lui qui l?avait sauvée. Il donna cependant son adresse, et la mémé dit qu?elle serait là dans moins de une heure.
Robert alla prévenir Annick que sa mémé venait la chercher, et là encore sa joie ne fut pas exubérante , mais il ne dit rien. Il lui proposa seulement d?aller dans la salle de bains pour bien peigner ses cheveux afin de se montrer très belle à sa mémé. Robert lui prêta son propre peigne et sa brosse, mais comme ses longs cheveux étaient très emmêlés, c?est lui qui la brossa, un peu maladroitement mais avec un grand plaisir.
La grand mère arriva, et Robert ( il n?avait pas été épargné ces jours ci) subit encore un choc. Pour lui, une grand-mère ne pouvait être que très vieille, austère et toujours habillée de noir. Celle là alors, n?était pas classique. La cinquantaine bien conservée, elle était élégante, rieuse prit sa petite Annick dans ses bras et la lançait en l?air de joie.
- Oh, merci monsieur pour tout ce que vous avez fait pour elle.
Très sérieusement la fillette pensa de son devoir de porter témoignage.
- Monsieur Robert est très, très gentil. Je voudrais qu?il vive avec nous.
Très surpris les deux adultes cachèrent leur gêne derrière des rires un peu forcés.
- Tu sais ma chérie, Monsieur Robert n?habite pas très loin de chez nous, et nous pourrons le voir souvent?..s?il le désire bien sûr.
Et cet homme solitaire, misanthrope et aigri, eut soudain une folle envie d?être galant.
- Mais ce sera pour moi une immense joie de revoir ma petite Annick et sa charmante et jeune grand-mère..
Et à sa propre stupéfaction, il s?entendit dire.
- Pour fêter ces retrouvailles, puis je vous proposer de dîner au restaurant ?
C?est bien connu.
Lorsqu?une révolution est en marche, on ne sait jamais jusqu?ou elle va aller.
Pour le plus grand bonheur de Annick, bien persuadée que cette issue était son ?uvre, Jeanne et Robert se marièrent 7 mois plus tard. Quand aux Moreau, ils avaient été mis en examen pour rapt d?enfant .
Je me dois d?apporter cette précision : non, Jeanne et Robert n?eurent pas d?autres enfants.

FIN
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